CHATEL MONTAGNE

Le site de Chatel se trouve au nord de la chaîne des Monts de la Madeleine qui sépare les cours de l’Allier et de la Loire. Nous sommes à 15 km à l’est de Vichy et proches du Puy du Roc culminant à 544m. De nombreux cheminements traditionnels ont, de tout temps, sillonné ces montagnes à vaches et la première implantation militaire fut un burgui à l’époque du Bas Empire. L’ouvrage permettait à quelques mercenaires sans grand aloi de taxer ou de rançonner voyageurs et marchands traversant les monts. La population civile environnante, comme toute la société occidentale, fut christianisée à l’époque mérovingienne et les aventuriers en armes qui succédèrent aux mercenaires romains durent cohabiter et compter avec l’opinion chrétienne qui dit que quiconque vit par le glaive périra par le glaive.

A la fin des temps Mérovingiens, ces régions montagneuses s’appauvrissent et Châtel Montagne ne nourrit plus le petit hobereau et sa troupe qui vivaient sur le site. Le sommet de la colline est alors pris en mains par les religieux qui construisent une église dédiée à la vierge Marie. Débarrassée de ses charges et taxes la paroisse renoue avec une petite aisance due au commerce, aux marchés hebdomadaires où les éleveurs des terres environnantes viennent échanger leur produits contre des objets manufacturés. A quelle occasion la paroisse sainte Marie deviendra Chatel Montagne? Sans doute à la fin du carolingien, à l’époque où de nombreux soldats issus des armées impériales recherchent un site favorable à leur reconversion. Un petit château est construit à l’est de l’église et ce renouveau des charges appauvrit la communauté de Montagne.

La renaissance de l’An 1000 touche prioritairement les territoires agricoles situées à proximité des grandes voies de communication mais les régions de montagne vouées au pastoral auront beaucoup de peine à sortir de leur état, il leur faut pour cela augmenter les surfaces de pâturages en déboisant et en sélectionnant les espèces bovines. Cela se fera mais avec un retard d’un bon siècle et les petits villages échapperont à cette mutation. En 1083, le seigneur Delmate et son épouse donnent à la puissante abbaye de Cluny l’église Sainte Marie, des propriétés attenantes et les droits seigneuriaux liés à ces biens. Quelle pouvait être cette église primitive? Nous proposerons un ouvrage rustique à trois nefs, avec abside et absidioles récemment entrepris et ce sont sans doute les difficultés d’achèvement qui ont joué un rôle non négligeable dans la donation à l’ordre.

LA NEF

Nous sommes alors au temps de l’illustre abbé Saint Hugues et l’ordre de Cluny déborde d’activités; les bâtisseurs affectés à Châtel Montagne vont réserver au culte le chevet récemment entrepris et lancer à l’ouest la construction d’une nouvelle nef. L’ouvrage est long de quatre travées avec des structures puissantes destinées à porter des voûtes. Sa largeur interne est de 10m 50 et l’entraxe des élévations est de 5m 45. Ces quatre travées ont des pas inclus entre 4m 38 et 4m 80. Les élévations seront portées par des piles carrées de 95/98 cm de côté flanquées de quatre colonnes engagées d’un diamètre de 0m 38. C’est une valeur modeste. Ces piles sont surmontées de belles arcades à simple rouleau établies sur des chapiteaux à personnages. Au second niveau, nous trouvons trois arcatures en plein cintre également à simple rouleau, portées par des piles carrées, celles ci reposant directement sur l’extrados de l’archivolte il manque donc un niveau d’appareillage. Ce faux triforium est surmonté d’un bandeau sur modillons tandis que le troisième est constitué de fenêtres en plein cintre encadrées de deux arcatures aveugles mais elles interfèrent avec le volume du grand berceau cloisonné de doubleau et la maçonnerie des voûtes ne retrouve pas son aplomb. Tout se passe comme si l’ouvrage avait été réduit en hauteur par rapport au programme initial. Le bas côté est voûté d’un demi berceau de contrebutement qui s’applique au dessus du second niveau. La composition architectonique est très satisfaisante. Ses vaisseaux latéraux sont éclairés d’une fenêtre en plein cintre par travée. Les travaux ont commencé peu après la prise en mains par l’ordre, soit vers 1100/1110 et la qualité du grand appareil ne milite pas pour une réalisation rapide. Achèvement vers 1145/1150. Après édification de la façade, la nef sera prolongée d’une cinquième travée de même volume, de même facture mais légèrement plus haute et ouverte sur les trois côtés de vastes arcades en plein cintre. Ce narthex en forme de porche monumental servait aux paroissiens venus des campagnes environnantes pour déposer leurs sabots chargés de boue, leurs houppelandes ruisselantes de pluie et leur chapeau de cuir ou bonnet afin de se présenter dignement dans la maison du Seigneur. Cet ouvrage additif doit être achevé vers 1165.

LA CROISEE

Les piles ouest de la croisée édifiées en même temps que l’élévation de la nef, 1110/1145, sont constituées d’une pile en croix irrégulière où l’on trouve petites piles engagées en perpendiculaire et colonnes de même nature dans le plan longitudinal. Les deux piles est sont rectangulaires et massives de 1m 20 sur 2m 58, flanquées d’un support engagé destiné au doubleau à deux rouleaux, l’inférieur étant basé sur corbeaux. Dans le plan longitudinal, nous trouvons des colonnes engagées destinées aux arcs latéraux de la croisée, ceux ci ouvrant sur des croisillons formant transept non débordant.

Sur les piles de l’ouest, les tailloirs sont bien alignés sur le bandeau supérieur du deuxième niveau, soit à la hauteur du pied de voûte, tandis que les chapiteaux et tailloirs de la nef mordent dans le pied de voûte. Ce changement de niveau fut sans doute imposé par une modification du programme de voutement sur les collatéraux, par contre, c’est bien le niveau de la croisée qui fixera l’étagement côté chevet.

Ensuite l‘ouvrage porte sur l’enveloppe du transept, les murs est et ouest ainsi que les deux pignons qui seront édifiés vers 1160. Reste l’installation des grandes voûtes et, là, une constatation curieuse s’impose. Dans l’ouvrage, c’est l’arc en plein cintre qui domine et semble constituer un principe comme en Auvergne, par contre, les grands arcs de la croisée sont de profil brisé et leur dessin en quinte points est caractéristique du XIII°s. mais ils portent un clocher roman de caractère milieu XII°s. Comme les tailloirs sont à un niveau légèrement inférieur à ceux de la nef, la première explication venant à l’esprit est celle d’une reprise en sous œuvre. L’hypothèse pourrait se confirmer côté nef où nous voyons les deux profils juxtaposés, cependant, la position des trompes supportant une voûte archaïque en blocage du XII°s., infirment cette option. Pareille contradiction se rencontre parfois et, dans ce cas, il faut admettre que ce sont les arcs d’origine en plein cintre qui furent transformés en leur sommet, uniquement.

Il existe un cinquième arc brisé dans l’ouvrage mais il est en tiers point (fin XII°s) et destiné à porter le mur pignon établi sur la grosse pile ronde clôturant le chevet.

Enfin, ces quatre arcs brisés à double rouleaux portent le clocher carré roman à deux étages; le premier, de caractère rustique, est flanqué de seize arcatures aveugles et le second, de même surface, est percé de huit baies géminées. Ici, nous sommes en harmonie avec les dates proposées pour les campagnes successives, soit 1160/1180.

LE CHEVET

Ses parties est seront entreprises après démolition de l’ouvrage ancien et installation du lieu de culte dans la nouvelle nef. Bien que réalisé pour le compte de l’abbaye de Cluny, le nouveau chevet à grand développement est, sans conteste, inspiré des œuvres réalisées en Auvergne par les moines de la Chaise Dieu. Les quatre chapelles rayonnantes avec travées intermédiaires ont chacune trois fenêtres en plein cintre séparées de contreforts rectangulaires; elles sont strictement semblables à celles du chevet de N.D. du Port à Clermont. Par contre, l’ouvrage de Châtel Montagne, réalisé un quart de siècle après son modèle, ne comporte pas la même distribution des colonnes du sanctuaire; elles sont au nombre de six petites plus deux grosses pour clôturer la partie droite suivant l’hémicycle. Ce sont ces piles fortes qui porteront le mur pignon débordant qui assure la clôture des deux ouvrages.

En aménagement interne, les voûtes d’arêtes coiffant le déambulmatoire sont toujours de mode archaïque sans doubleau de cloisonnement et les arcades du sanctuaire sont liées aux maçonneries des voûtes. Ici, l’ouvrage respecte son modèle, mais là s‘arrête le parallèle. Le niveau de la couronne de fenêtres est plus conséquent et les ouvertures ont moins d’embrasure. Enfin, le cul de four est bien dégagé au dessus du deuxième niveau.

Nous pouvons résumer ainsi : les travaux sur la couronne de chapelles furent menés conformément au modèle mais les problèmes de raccordement à la croisée ont impliqué des innovations, notamment le fait que la voûte du chevet de Châtel soit alignée sur celle de la nef, ce qui n’est pas le cas dans les ouvrages d’Auvergne Les travaux de cette partie orientale, réalisés en grand appareil et avec le plus grand soin, peuvent être datés des années 1170/1190.


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Châtel Montagne. Le village et l'église.


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Les travaux de la nouvelle église commencent par l'ouest avec l'édification de la façade (A) parfaitement constituée avec contreforts (B) destinés à recevoir l'effet de fond des archivoltes. C'est une belle technique clunisienne. Suivent quatre travées (C,D,E,F) portées sur piles cantonnées de quatre colonnes engagées (G). Chaque travée est éclairée par une fenêtre en plein cintre sans mouluration (H). L'élévation sud est garnie de' contreforts mais, sans doute gênée par des constructions annexes, l'élévation nord n'en possédait pas à| l'origine. Le premier niveau (J) culmine à 5m 98, le second (K) comporte un triforium ouvert sur le bas côté,1 enfin, le troisième (L) couvre la fenêtre haute et la voûte mais les ouvertures mordent dans le berceau (M). Suit une croisée (N) avec transept non débordant (P) coiffée d'une coupole archaïque sur trompe (Q). Là nous retrouvons la technique d'Auvergne. Cette croisée est portée par des piles irrégulières. C'est le temps où le chantier pénètre dans l'ouvrage ancien non achevé, vers 1155. Les 15 années suivantes sont consacrées à l'édification du porche ( R) terminé vers 1170. Enfin, les travaux reprennent à l'est pour l'édification du, beau chevet à quatre chapelles rayonnantes (S). Cette fois l'ouvrage respecte le parti régnant en Auvergne.


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Châtel Montagne. L'ensemble du chevet et de la croisée.


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Châtel Montagne. Chevet, abside et chapelles rayonnantes.


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Châtel Montagne. Sans tribune. Elévation sud.


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Châtel Montagne. La tour de la croisée. Détail.


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Châtel Montagne. Chapelles rayonnantes. Détail.


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Châtel Montagne. La nef. Ensemble en interne. Elévation nord.


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Châtel Montagne. La nef, le bas côté et son demi berceau de contrebutement.


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Châtel Montagne. Le bas côté vue en interne.


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Châtel Montagne. La nef. Grandes voûtes à berceau.