LES CONQUETES DE L'ESPAGNE

LES MUSULMANS

Au cours de ses voyages, le prophète a découvert la force des idées religieuses monothéiste mais comprend qu'il est des pièges à éviter. Les chrétiens, longtemps martyrisés, ont finalement détruit la puissance Romaine qui avait ruiné Israël en tant que tribu, mais leur action a également provoqué des invasions qui ont ruiné la civilisation Occidentale. Ainsi, livrée aux hommes versatiles et confiants de nature, une religion monothéiste doit être encadrée et ses foules fermement tenues en mains. Pour cela les structures traditionnelles de la société sont un bon recours. Le Judaïsme est donc une formule satisfaisante alors que Byzance qui donne trop de pouvoir à la couronne impériale semble plus fragile. Mais au préalable, il faut imposer le message, peu importe si la conquête des villes et des esprits implique des actions violentes, l'essentiel étant d'acquérir les moyens de propager le message révélé, ensuite viendra le temps de régler les problèmes de société, de légiférer au nom d'Allah, bien évidemment, pour le plus grand bien de ses fidèles. Les choses vont se passer ainsi.

Mahomet naît à la Mecque vers 571 et commence ses prêches à l'âge de 40 ans. Ils sont très mal accueillis par ses concitoyens qui le chassent de la ville. Il gagne le désert, rassemble une troupe peu recommandable, attaque les caravanes, ce qui est alors un sacrilège selon les croyances coutumières, et assiège Médine déjà affamée. Il s'empare de la ville, contrôle toute la région puis revient triomphalement à La Mecque. Son oeuvre est alors plus révolutionnaire que convaincante, ses adeptes bousculent toutes les structures en place et s'installent aux postes de responsabilité. Tel sera ultérieurement le mécanisme de l'expansion Musulmane. Fondamentalement elle n'a rien de religieux mais, sur la fin de sa vie, le Prophète a rédigé des textes législatifs qui doivent calmer le jeu après la conquête et permettre l'éclosion d'une civilisation Islamique.

De son vivant Mahomet a mené ses gens d'une poigne de fer mais, dès sa mort, les dissensions internes se font jour. Une seule solution: prêcher la Guerre Sainte et lancer les exaltés à la conquête du monde. C'est en quelque sorte la réédition de l'action primitive. Cependant les forces puisées en Arabie étaient insuffisantes pour réaliser la conquête du Bassin Méditerranéen. L'expansion va donc se propager tel un phénomène révolutionnaire. En chaque lieu touché, les envoyés d'Allah dressent les masses contre les institutions en place et l'action prend les formes idéologiques les plus appropriées.

Contre les Byzantins orthodoxes qui gèrent les richesses d'Égypte avec une petite force militaire locale, les convertis à l'Islam sont vite nombreux et les foules de l'arrière pays, excitées par les cris de guerre sainte, marchent sur les villes du littoral. Après avoir bousculé une dérisoire résistance ils brûlent Héliopolis en 640 et la grande métropole d'Alexandrie en 642. Il s'agit alors de la principale place de commerce du Bassin Oriental de la Méditerranée. Les commerçants Sémites dont les bateaux relâchent chaque saison dans la grande baie d'Alexandrie ont vu venir le vent de l'intransigeance. Ils semblent avoir méthodiquement quitté la place et ce sont eux qui vont sauver, en partie, la mémoire d'Alexandrie.

LES SEIGNEURS DE L'ATLAS

L'étape suivante sera la Tunisie que les Byzantins ne défendront pas mieux que l'Égypte. Après leur débarquement, les Musulmans fondent un centre religieux à Kairouan en 670 puis enserrent Carthage qui tombe en 698. Après les anciennes cités Romaines du littoral, le phénomène Musulman atteint les côtes de l'Atlantique mais la conquête des terres Marocaines sera plus rude.

C'était au temps des premiers Carthaginois un pays boisé avec de modestes mais florissantes cultures dans les plaines côtières. Ensuite, viendront sept siècles de civilisations transplantées sous les bannières Carthaginoises et Romaines. Le paysage se transforme et se dégrade, surexploité par une population trop nombreuse, tandis que les anarchiques troupeaux de chèvres et de moutons réduisent peu à peu le couvert boisé. Enfin les Vandales viendront et détruiront les villes avant de s'intégrer partiellement.

Au cours de cette période de grande mutation, les Berbères, anciennement maîtres des lieux se sont repliés sur les montagnes de l'arrière pays où ils ont sauvegardé une civilisation traditionnelle et patriarcale, modeste mais bien équilibrée. C'est le domaine des seigneurs de l'Atlas. Avec le retour des Byzantins qui se contentent d'occuper quelques installations portuaires, ils ont tout loisir de reprendre en mains les populations du littoral.

Ce sont ces pauvres gens que les missionnaires Musulmans vont aborder, séduire et agiter. La loi Islamique s'oppose vite aux règles ancestrales des maîtres de l'Atlas. Ces derniers descendent dans les vallées et sabrent les têtes reniant les lois coutumières. Ce phénomène de rejet dure environ deux générations jusqu'au jour où l'aristocratie Berbère comprend que c'est un combat sans fin où elle s'épuise et que le Coran comporte d'excellents versets bien appropriés à ses intérêts. Ils vont se convertir sans état d'âme et retrouver toutes leurs prérogatives. Désormais, quand ils sabrent des têtes insoumises, c'est au nom de l'Islam.

Les Berbères garderont ce caractère particulier tout au long de l'Histoire. Le Coran comme ils l'entendent: Oui. L'emprise des Arabes d'Orient: Non. Tel sera leur credo. Aujourd'hui la plus grande mosquée du monde n'est-elle pas dressée sur les côtes de l'Atlantique et voulue par le roi Chérifien, commandeur des croyants, cela en un temps où les Mollahs Iraniens saccageaient une institution monarchique trois fois millénaire ?. L'Espagne sera donc envahie par des Berbères Musulmans et non par des Arabes. Ce distinguo est primordial pour comprendre la suite des évènements.

LES VISIGOTHS D'ESPAGNE

Lors du déferlement qui suit la rupture des frontières en 406, les premiers à traverser l'Europe Méridionale sont les Vandales. En 409, ils franchissent les Pyrénées et gagnent l'Andalousie (Vandalousie). Ils sont accompagnés des Suèves qui se dirigent, eux, vers la côte Atlantique et fondent un royaume autour de Braga (Bracara Augusta). De leur côté, les Vandales gagnent les Baléares en 426 puis l'Afrique où ils atteignent Carthage en 429. Cette marche effrénée, dont destruction et pillage semblent être l'unique objectif, a essentiellement touché les agglomérations et justifie leur mise en défense qui va se développer sur le siècle à venir.

En 412, les Visigoths d'Aquitaine pénètrent en Espagne à leur tour sous la conduite d'Ataulf. Ils vont se heurter aux Vandales qu'ils repoussent vers le Sud mais semblent traiter avec les Suèves. Leur progression est plus méthodique et ils cherchent à s'implanter durablement. En 419, ceux installés en Aquitaine forment un petit royaume avec l'aval de Rome et, dès 420, d'autres groupes passent en Espagne.

Sur les 30 années qui vont suivre, les Germains qui sillonnent la péninsule se comportent essentiellement comme des Barbares. Ils occupent les places fortes construites par les Romains, vivent en soudards avec des concubines et, entre deux pillages, se déchirent entre eux. Les Visigoths sont les premiers à s'organiser. Sous l'influence de leur mère, les enfants de la première génération se rapprochent de la population Ibérique, épousent des filles de la petite aristocratie et commencent l'organisation du pays conquis. Ultérieurement un édit sera promulgué interdisant ces alliances mais il a pour objet de limiter l'éclatement des grands patrimoines qui se sont formés, les héritiers étant obligés de prendre épouse, dans leur caste à leur niveau aristocratique.

Ce phénomène d'intégration couvre la période 425/450. Tolède est déjà le fief d'une puissante famille. De 450 à 480 elle s'impose à la majorité des petites seigneuries Visigothes d'Espagne et, vers 500, il est question du royaume Visigoth de Tolède. C'est à cette époque qu'ils reçoivent le renfort de leurs frères d'Aquitaine chassés par les Francs.

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Nous sommes alors à la quatrième génération et si les garçons préservent jalousement les noms Germaniques, les caractères de la race sont déjà sérieusement édulcorés. Il s'agit maintenant d'une aristocratie Ibérique gérant un héritage Visigothique. En 571, Léovigilde rassemble des forces importantes et entreprend la conquête de toute la péninsule. En 571/572, il chasse les derniers Byzantins de la vallée du Guadalquivir, en 573 il pénètre la basse vallée du Duero où règnent les Suèves mais sans résultat décisif. En 574, il occupe la côte Cantabrique. En 576, il engage à nouveau les Suèves mais échoue dans sa tentative. En 577, il chasse les derniers Byzantins de Carthagène. En 581, il soumet les Vascons et de 582 à 585 il s'impose définitivement aux Suèves. En 600, toute l'Espagne est soumise au roi de Tolède, c'est l'apogée du grand royaume Visigoth, mais cela fait huit générations que les mères sont essentiellement Ibériques. Alors que reste-t-il de l'esprit Germanique ? Bien peu de choses sinon la tradition.

L'INVASION

A la fin du VII°s. la cour de Tolède est encombrée de grands personnages, de fonctionnaires et de religieux qui intriguent a tout va. La lignée régnante a connu des ruptures et la légitimité des monarques est souvent mise en cause. Rodérik (Rodrigue) le roi en place a l'heure de l'invasion avait détrôné et mis à mort son prédécesseur Witiza dont la famille avait fui pour se réfugier chez le comte Julien, maître Byzantin de l'enclave de Cueta, en Afrique. Les Berbères qui avaient de fréquents contacts avec Julien apprennent alors la profonde querelle qui divise la cour de Tolède. D'autre part, subtil et inconséquent comme tous les Byzantins, le maître de Cueta a peut-être suggéré aux Berbères une action vers l'Espagne susceptible d'alléger la pression qui s'exerce à son encontre. En tout état de cause, les Musulmans préparent l'invasion.

Deux chefs de guerre (commandeurs des croyants) Tarik et Muza Ben Noceir rassemblent un corps expéditionnaire fort de 7 à 8.000 combattants plus les auxiliaires. Ces 10 à 12.000 hommes franchissent le détroit et débarquent au pied d'une montagne qu'ils nomment Djebel Tarik: c'est Gilbratar mais les bateaux sont petits et peu nombreux tandis que les vents et le courant régulier fatiguent les équipages qui doivent corriger à la rame. Les Musulmans perdent du temps.

A Tolède, Rodérik informé rassemble toutes les troupes dont il peut disposer. Les nobles formeront la cavalerie et les mercenaires puisés dans les châteaux et citadelles constitueront l'infanterie. C'est une troupe nombreuse et bien armée mais dont l'entraînement et la discipline aux grands engagements sont inexistants. D'autre part, leur motivation laisse à désirer.

Afin de pouvoir lever le maximum de combattants en cours de route, le roi a scindé ses forces en deux colonnes; l'une suivra la route Romaine passant par Ciudad Real (ancien vicus Romain) et Cordoue, l'autre empruntera la voie antique par Mérida (Emerita Augusta). Les colonnes doivent se rejoindre à Séville et aviser selon l'état de la situation. Le trajet est beaucoup plus long que pour leurs adversaires.

De leur côté, les Musulmans ont rassemblé la totalité de leurs forces mais avant de partir en conquête, sachant qu'ils vont affronter une armée puissante et nombreuse, les chefs Berbères doivent choisir un itinéraire. C'est une décision importante puisqu'elle va fixer la région du premier engagement qui peut être crucial. Stratégiquement, le choix de la vallée du Guadalquivir s'impose afin de marcher ensuite sur Tolède capitale de l'adversaire. Les voies menant vers Séville semblent toutes indiquées mais deux itinéraires sont disponibles. Un bref résumé de l'infrastructure historique nous permet de mieux comprendre la situation.

Les premiers Méditerranéens à franchir les colonnes d'Hercule furent les Phéniciens. Ils venaient pour commercer et la baie de Gadès fut le premier lieu favorable rencontré. Il s'agissait de fonder de petits comptoirs et d'assurer des échanges réguliers afin de préparer le fret et charger rapidement les bateaux qui devaient faire un très long périple en une saison. Les premiers lieux d'échange se situent à l'embouchure du Guadalete, au pied du Mont des Tartessiens, dans le domaine du légendaire Roi Géryon. Dès le VI°s. les Carthaginois s'installent à Gadès avec des velléités de conquête. Ce rocher citadelle convient bien à leurs ambitions.

Au temps où les Romains occupent la région, la géographie du lieu est déjà bien connue et le Guadalete se révèle comme une voie de pénétration secondaire. Le grand fleuve c'est le Guadalquivir et c'est sur son estuaire qu'il faut fonder un port: ce sera Asta Regia. La ville est construite sur une hauteur située à 5km au Sud de Lebrija et les aménagements portuaires se trouvent dans un étier qui baigne la base de l'agglomération. C'est aujourd'hui l'emplacement d'une grande hacienda établie sur un tapis de témoignages Romains. La cité sera desservie par la voie littorale partant d'Algéciras. Elle longe la côte avec un certain recul puis franchit l'embouchure du Guadalete sur une digue avec des ponceaux. Cet ouvrage aura pour effet d'envaser les anciennes installations portuaires de l'estuaire, notamment port Ménesthée établi par les Grecs. Puis la voie se dirige vers Asta Regia avant de bifurquer vers la future cité de Séville.

Au siècle d'Auguste, les aménagements portuaires réalisés dans cette ville nouvelle, ainsi que le canal de dérivation permettant d'éviter le grand banc de cailloux qui marque le cours du fleuve, ruineront l'économie d'Asta Regia. A cette époque, Xéres n'est qu'une très modeste agglomération.

La déchéance d'Asta implique un nouvel aménagement routier. De Chiclana où se trouve la bifurcation menant à Gadès, une voie d'intérêt pratique monte vers le Nord et franchit le Guadalète à El Portal, rejoint Xérès et plus loin la voie Romaine de Séville. Xérès bénéficie alors de l'abandon des activités portuaires du Guadalete et se développe.

A la même époque (au siècle des Antonins) une voie régionale joint Algéciras à Xérès en traversant le massif montagneux par Casas des Castano, Alcala de los Gazules et Medina Sidonia. Elle franchit le Guadalete sur le pont de la Cartuja. Ce sont les deux itinéraires qui s'offrent à Tarik. Nous ignorons celui qui fut choisi mais tous deux aboutissent sur le Guadalete qui sera franchi par deux ponts distants de moins de 5km. et guère plus éloignés de Xérès (à 6km au Nord).

Au cours de cette marche d'approche, les Musulmans ont toute raison d'être inquiets. L'armée qu'ils vont affronter semble redoutable. La prudence commande donc de choisir la route de montagne beaucoup plus favorable en cas de repli. Ce sera notre option.

Une fois les avant gardes au contact, les deux armées recherchent les meilleures conditions d'engagement, le fleuve séparant les antagonistes.

LA BATAILLE DU GUADALETE

Après cette approche conditionnée par les voies Romaines, le déroulement des opérations est incertain. Les Musulmans alignent 7 à 8.000 combattants dont 1500 à 1800 cavaliers et leur marche d'approche, comme leur positionnement, dénote la prudence, voire l'inquiétude. Ils sont adossés au massif montagneux qui doit leur offrir une excellente position de repli en cas de difficulté. Les fantassins Berbères excellent en terrain difficile. De leur côté, les Visigoths qui sont probablement supérieurs en nombre ont manœuvré en toute confiance suivant l'axe Séville-Cadiz, négligeant le fait qu'ils sont le dos aux marismas, position très défavorable en cas de manœuvre de repli.

Le face à face a lieu sur le bas cours du Guadelete où les méandres sont nombreux. Qui des deux franchira le fleuve le premier ? Sans doute les hommes de Rodérik, persuadés de leur supériorité. Dans toutes les armées où figure un monarque, la préséance l'emporte généralement sur les considérations tactiques. Nous dirons que l'infanterie des Visigoths doit franchir le fleuve en premier afin de couvrir le passage et le déploiement de la cavalerie. Pour les troupes de Rodérik c'est à la noblesse à cheval de pourfendre l'adversaire, les fantassins étant là pour achever l'ouvrage. Mais les cavaliers Visigoths n'ont pas de plan d'engagement et bien peu de discipline. Comme de coutume, ils se répartissent selon les grandes bannières, celle du roi menant la charge. Si les Visigoths tirent profit de l'initiative du premier choc, les cavaliers Berbères plus soudés, plus disciplinés, reprennent vite l'avantage. Ce ne serait qu'un revers mineur pour Rodérik s'il avait prévu le repli derrière un dispositif d'infanterie solide mais ce ne fut, semble-t-il, pas le cas. Mis en difficulté, les Visigoths se délient et sont incapables de reformer les rangs. L'infanterie qui n'a pas de directives se délie à son tour avant de se débander; les cavaliers Musulmans exploitent le désordre, poursuivent les fuyards et sabrent à tout va. Acculés au Guadalete les Visigoths ne peuvent fuir, le roi lui-même se noie au passage du fleuve.

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Si l'objectif primordial des Musulmans est d'engager les forces de Rodérik puis de marcher au plus vite sur Tolède par Séville et Cordoue, il leur faut éviter de perdre du temps dans un siège mené contre Cadix ou dans un détour par Asta Regia. Ils doivent donc choisir enire l'itinéraire de montagne qui les amène en (A) au pont de la Cartuja ou bien celui du littoral qui bifurque à Chiclana et arrive à El Portal (B). Pour ces montagnards qui peuvent raisonnablement redouter les grands engagements en rase campagne l'itinéraire (A) est tout indiqué, le méandre stabilisé (C) est satisfaisant pour la bataille décisive du Guadalete.


Certaines chroniques diront que Rodérik s'est noyé dans le Guadalquivir mais la confusion était courante alors. La surface du delta et le manque de points d'observation faisaient que les deux fleuves étaient donnés avec des embouchures mêlées. Certains textes antiques accréditaient également cette confusion. Ce fut le cas à l'âge du bronze, lorsque l'île des Tartessiens se distinguait devant Gadés entourée de marismas mais au temps des Visigoths la séparation s'était faite depuis longtemps et le plus proche cours lié au régime du Guadalquivir se trouvait à 30 km du lieu présumé de l'engagement.

Cette bataille qui aura d'énormes conséquences historiques verra l'affrontement de 25.000 hommes ce qui est considérable pour l'époque. Voyons l'espace requis pour leur mise en oeuvre.

La cavalerie Berbère disciplinée et forte de 1.500 à 1.800 hommes doit se décomposer en deux vagues. La première de 800 à 1.000 cavaliers chargera sur trois ou quatre rangs, ce qui représente un front de 300m environ tandis que les Visigoths chez qui règne une jalousie de clan ont du répartir leurs diverses bannières sur un front plus large. De leur côté, les fantassins Visigoths, les plus nombreux, 6 à 8.000 hommes déployés sur quatre à cinq rangs, ne devaient pas excéder 1.000 mètres de front. D'autre part une charge bien menée doit être courte et brutale, 200 à 300m de galop, après une mise en formation de combat qui se fait au petit trot. Pour conclure, nous dirons que la mise en place doit couvrir 2km carrés environ, et l'engagement décisif se concentrer sur un rectangle de 600 x 800 m. La bataille pouvait donc se situer dans les terres basses du méandre du Guadalete qui fait face au pont de la Cartuja, sur la route de Xérès à Médina Sidonia. Ce sera l'hypothèse que nous retiendrons.

LA CONQUETE : ANNEE 711

Après leur sanglante défaite du Guadalete, les Visigoths survivants refluent vers Séville en suivant la voie Romaine. Leur objectif est, semble-t-il, de se regrouper afin de rejoindre Tolède avec l'espoir de reformer une nouvelle armée mais ils sont harcelés par les cavaliers Berbères et talonnés par leur infanterie. Les guerriers de l'Atlas sont des marcheurs infatigables et leur armement léger ainsi que l'absence de protection leur permettent une autonomie moyenne de 50 km par jour en terrain plat ou moyennement accidenté. Dans leur fuite sur Séville, les Visigoths ont toutes les peines du monde à décrocher.

Arrivés aux abords de la ville ils constatent que les portes sont fermées, ce qui leur interdit l'accès au pont sur le Guadalquivir. Poursuivis et poursuivants s'engagent alors sur la voie Romaine menant vers Cordoue par Carmo et Astigï aujourd'hui Carmona et Ecija. C'est toujours l'itinéraire emprunté. Les 40 km séparant Séville d'Ecija sont eux aussi parcourus à un rythme soutenu et les fuyards à pied commencent à comprendre que l'objectif des Musulmans est la poursuite des nobles à cheval et la prise de Tolède. Alors ils quittent la voie Romaine et s'égayent dans la campagne. Au Nord, les méandres et marismas du Guadalquivir constituent un obstacle à mettre entre eux et les poursuivants, ils pourront ensuite rejoindre leur lieu d'origine dans la péninsule. De cette manière, les 2 à 3.000 fantassins qui avaient rallié les cavaliers vont "s'évaporer".

Ecija est une très ancienne cité. Fondée par les Grecs, elle connut un important développement à l'époque Romaine puis ce fut l'insécurité, le déclin. En 711, ce n'est qu'une modeste bourgade de 2 à 2.500 habitants, cernée de murailles et contrôlant le pont sur le Génil. Il suffit d'une centaine de cavaliers énergiques pour imposer la fermeture des portes et la formation d'une garde sur les courtines. Ainsi mise en défense, la petite ville ferme l'accès au pont. De leur côté, les forces Musulmanes se sont grandement étirées. Les fantassins sont épuisés et les chevaux manquent de nourriture. Les auxiliaires qui assurent normalement la quête du fourrage ont été distancés depuis longtemps. La coupure ainsi réalisée permet aux 5 à 600 cavaliers Visigoths poursuivis de creuser l'écart et de gagner une ou deux étapes.

Les 50 km séparant Ecija de Cordoue sont rapidement franchis et c'est au tour des ponts établis sur le Guadajoz et le Guadalquivir de recevoir les mises en défense coutumières. Il faut barrer l'accès avec un fossé doublé d'une palissade surélevée de terre, puis établir des barricades en chicane sur le tablier afin d'interdire les charges de cavalerie. Des tas de fagots enflammés au moment de l'assaut complèteront le dispositif. Les Cordouans doivent aider à la mise en place de ces obstacles.

La ville elle-même se prépare à affronter les Musulmans. L'agglomération qui fut considérable à l'époque Romaine est alors concentrée sur un quadrilatère fortifié d'environ 50 ha, et compte une population de 25.000 âmes. Elle est flanquée en aval d'une importante citadelle de forme triangulaire dont la face Ouest longe un petit affluent aujourd'hui comblé. C'est donc une position très forte et la première grande ville que le corps expéditionnaire Berbère doit affronter. Tarik juge la situation et pense raisonnablement qu'une action traînant en longueur contre Cordoue le priverait d'une bonne exploitation de son succès initial. Il décide donc de laisser là une petite troupe afin de maintenir un investissement de pure forme puis, avec ses meilleurs éléments, s'écarte de la ville et franchit le fleuve avec des moyens de fortune afin de marcher au plus vite sur Tolède.

Vu de la corniche qui chemine sur la rive Sud, le site de Tolède est grandiose. Aux temps Ibériques, c'était un oppidum avec une modeste agglomération centrée sur les quartiers de la cathédrale et de l'Alcazar. Les Romains vont flanquer cette vieille cité d'une vaste ville ouverte qui se développe côté plateau. L'amphithéâtre se trouve à 1.000 m du chœur de la cathédrale, ce qui sous-entend une agglomération de 150 ha environ avec 60 à 80.000 habitants. La récession du Bas-Empire réduit ce nombre des deux-tiers et les résidents abandonnent l'agglomération ouverte pour se concentrer, à nouveau, sur le site Ibère à l'extrémité du promontoire. Les troupes Romaines du Bas-Empire installent une puissante citadelle sur la partie Est, au sommet de l'aplomb, ce sera l'origine de l'Alcazar tandis que l'agglomération bourgeoise se rassemble dans le quartier voisin qui sera celui de la cathédrale. Ce modeste ensemble sera cerné de murailles légères. Enfin, les artisans qui ont besoin d'eau aménagent au mieux les pentes Sud-Ouest menant vers le méandre. Dès la formation du royaume Visigoth, Tolède devient la capitale et la cour s'installe dans la citadelle du Bas-Empire mais en élargissant considérablement son périmètre d'emprise.

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Enserré dans une boucle du Tage, le site de Tolède constitue une remarquable position. A l'époque Ibérique, l'agglomération forte doit se limiter à l'espace de l'Alcazar (A) tandis que les artisans exploitent avec difficulté les abords du Tage et d'un petit ru (B) qui coupe le site par le milieu. La ville se développe sur les siècles précédant la conquête et les Romains accepteront ce lieu peu conforme à leurs aspirations. Ils construisent une vaste cité ouverte sur le plateau avec amphithéâtre (C). Cette agglomération disparaît au Bas Empire et la ville reprend peu à peu son articulation première avec une citadelle sur l'emplacement de l'Alcazar et une agglomération réduite autour de la cathédrale (D). Au temps des Visigoths, Tolède à nouveau prospère récupère la totalité du promontoire et se ferme d'une solide muraille (E). La citadelle du Bas Empire (F) devient Palais Royal avec domaine artistocratique (G). Les ouvrages de fanchissement seront édifiés sur le resserrement (H) en aval du tourbillon (J) qui casse la dynamique du fleuve. Le franchissement bas (K) créé par les Ibères, sera aménagé puis abandonné au profit du pont d'Alcantara (!e pont) d'origine Romaine. Le pont Saint-Martin (L) date du Moyen Age. Face aux Musulmans, les 35.000 habitants de Tolède avaient les moyens de résister mais la fuite de la maison royale va celler le destin de la ville.


La présence des rois Visigoths permet à la ville de se développer jusqu'à fixer une limite défendue par une nouvelle muraille. Ce sera pratiquement la situation des fortifications Arabes aujourd'hui conservées. L'ensemble couvre alors 50 ha, non comptées les habitations de la pente Sud, et la population avoisine 30 à 35.000 âmes. C'est une très grande ville pour l'époque.

Les forces Musulmanes arrivent en vue de Tolède et préparent l'investissement, ce qui fait fuir la famille royale et la plupart des hauts dignitaires. Cependant, Tarik appréhende à lancer un assaut sur une aussi forte position. Un échec lui coûterait bon nombre de ses meilleurs soldats et ruinerait le prestige acquis. De leur côté, les habitants de Tolède qui ont mis leur cité en état de défense désespèrent bien vite de leur avenir. La fuite de la famille royale leur a fait comprendre qu'ils ne seraient pas secourus. Après négociations, ils vont se rendre. C'est la fin de la saison. Tarik et son état major s'installent dans le palais royal de la citadelle tandis que ses forces vont hiverner dans la région.

Les réflexions stratégiques de Tarik se révèlent judicieuses. La chute de Tolède marque un tournant décisif dans le déroulement de la campagne. Une ville peut accepter les risques d'une mise en défense ou d'un investissement si cette action s'intègre dans une stratégie d'ensemble, si les forces adverses ainsi immobilisées assurent une victoire en d'autres lieux et un rapide dégagement. Mais la fuite de la famille royale et le comportement des seigneurs et autres dignitaires ont fait perdre tout espoir de voir se lever une nouvelle armée. Désormais, les villes n'ont d'autre issue que de négocier après un simulacre de résistance qui doit permettre des conditions de reddition avantageuses.

L'ANNEE 712

Les succès du corps expéditionnaire Musulman ont également un grand retentissement sur les terres Marocaines. Les candidats à l'aventure se pressent nombreux. Le seigneur Muza prend le commandement d'une armée forte de 3.000 combattants environ et débarque à son tour dans la baie d'Algesiras puis longe la côte Atlantique par la voie Romaine du littoral. Il arrive devant Cadiz dont il obtient la reddition sans grande difficulté, la ville n'ayant plus rien à espérer des Visigoths. De là, il remonte vers Séville qui doit elle aussi se résoudre à capituler après tractations.

Les Musulmans sont maintenant maîtres du bas et du moyen cours du Guadalquivir (la riche Andalousie) et les familles d'émigrés commencent à franchir le détroit sur de modestes embarcations puis remontent le grand fleuve. La chute de Séville leur permet d'utiliser le canal établi par les Romains qui évite le vaste banc de cailloux marquant la limite Nord des marismas. Ces familles dont les hommes sont armés choisissent leurs terres et s'imposent. C'est le début d'une colonisation en règle.

Après avoir soumis Séville, Musa laisse là une faible garnison puis, avec une colonne de 2.500 hommes marche sur Mérida la capitale Romaine de Lusitanie. De la grande et luxueuse métropole d'empire, ville ouverte couvrant 200 ha au confluent du Guadiana et de l'Albarregas, il ne reste qu'un réduit de 35 ha environ axé sur le grand pont. De vastes casernements Romains datant du Bas-Empire flanquent l'accès du pont comme dans la plupart des villes et sont devenus la résidence du Gouverneur Visigoth et de sa petite troupe de mercenaires. Comme à Séville la cité se rend sans grande difficulté et la garnison isolée n'a d'autre solution que de suivre son exemple.

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L'itinéraire Romain de Lusitanie qui mène d'Astorga à Séville, franchit le Guadiana, non loin de l'embouchure d'une petit affluent, l'Alabarragas, et le confluent ainsi mis en valeur par le transit économique donnera naissance à une agglomération puis à une ville régulièrement urbanisée qui deviendra très florissante, c'est Emerita Augusta. Le maillage montre un certain gauchissement et des reprises (A,B,C) témoignent d'un programme en plusieurs étapes qui doit, en certain cas, ménager des installations en place. Au second siècle, la cité reçoit des monuments de prestige: un amphithéâtre (D), un superbre théâtre (E), et une hippodrome (F). D'autre part, le pont (G) reçoit des arches de pierre en lieu et place du tablier de bois. La présence d'une île (H) avait permis les dérivations de chantier. Au Bas Empire, la ville ruinée se concentre derrière une enceinte réduite (J) avec un domaine comtal (K) qui deviendra palais Visigoth puis Alcazar.


De cette ville Musa lance quelques reconnaissances vers l'Ouest, en Lusitanie, un pays bien différent de celui des Ibères. La clarté des matins, le ciel bleu et les petits nuages blancs qui filent sous la poussée d'un vent léger venant de l'Océan, montrent à l'évidence que c'est un climat Atlantique. Ce n'est pas un pays pauvre mais un pays aujourd'hui appauvri, dévoré par les monstrueux troupeaux de moutons que les grands propriétaires du Moyen-Age ont développé sur ces terres: Ne disait-on pas au XII° siècle qu'un écureuil pouvait joindre la cordillère Cantabrique à l'Andalousie, de branche en branche, sans toucher terre ?. Au temps de la conquête Musulmane, les prés sont verts, les crêtes boisées et les chemins creux ombragés. C'est le domaine des grands troupeaux de bovidés que les maîtres gardent à cheval accompagnés de serviteurs armés. Il y a là, sans doute, les lointains descendants des Vandales et des Suèves qui s'étaient taillé de petits royaumes sur les côtes de l'Atlantique mais la majorité de la population est venue avec la vague Celtique du deuxième millénaire avant notre ère. Les envahisseurs Berbères jugeront vite que sur ces terres la conquête sera plus longue.

Tarik et Muza savent qu'ils ont un remarquable outil de guerre formé des meilleurs guerriers de l'Atlas mais que cette force n'est pas renouvelable. Alors mieux vaut enserrer l'Espagne dans les mailles d'un vaste filet avant qu'elle ne se réveille. Muza laisse une forte garnison à Mérida et doit rejoindre Tolède avec le reste de la troupe, ceci afin de donner toute latitude à Tarik qui vient d'entamer une vaste action vers le Nord.

LA CAMPAGNE DE TARIK

En cette même année 712, Tarik quitte Tolède avec toutes ses forces réunies. La colonne forte de 7 à 8.000 combattants, plus les auxiliaires et les muletiers, marche vers le Nord, franchit la Sierra de la Guadarrama, probablement au col de Nova Cerrada. Elle évite Ségovie et débouche sur le plateau de la Meseta septentrionale puis gagne la vallée du Duero. Plus au Nord, elle aborde l'ancienne ville antique de Clunia une agglomération identifiée avec les ruines Romaines de Coruna del Conde, au Nord Est d'Aranda del Duero. La ville est prise et ruinée, semble-t-il. Ensuite, la colonne continue sa progression vers le Nord et atteint la grande voie Romaine qui de Pampaelo (Pampelune) à Asturica (Astorga) longe les contreforts Sud de la cordillère Cantabrique. Les forces Musulmanes atteignent cet itinéraire à Amaya importante cité d'origine romaine identifiée elle aussi avec un site ruiné et fouillé par l'archéologie contemporaine; c'est aujourd'hui un très modeste village.

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Dans la péninsule,les troubles sérieux commencent après 406/408 avec l'arrivée des Vandales, des Suèves et des Visigoths. Le pays est alors sillonné de bandes armées qui vivent de rapines et de pillages tout en se faisant une guerre de tous les instants. La marque de la civilisation Romaine se dégrade rapidement et les villes se ceinturent de murailles et deviennent l'enjeu primordial des bandes armées. Elles tombent successivement et forment le siège de petites principautés gérées par un chef de guerre. Dès 450, les Visigoths s'imposent dans le centre du pays et, vers 500, les maîtres de Tolède fondent une monarchie. Les conquêtes de Léovigild donnent à ce royaume le contrôle de l'ensemble de la péninsule. Tolède devient officiellement capitale en 554. Cependant, le problème religieux demeure. Les Ibériques sont chrétiens d'obédience Romaine et l'aristocratie Visigothe Aryenne. La conversion du roi Reccarede amorce l'unité de culte qui sera proclamée au concile de Tolède, en 589, ceux de Séville en 618 et 619 régleront les dernières divergences. Cette unité religieuse est attribuée à Isidore, archevêque de Séville dont la famille noble était liée à la maison royale.

Les historiens des XVIII et XIX°s. accorderont un grand prestige à cette monarchie, mais ce n'est qu'une image flatteuse engendrée par les textes. Le pays est alors soumis'à des familles nobles, d'humeur sufffisante et tyranique, qui s'appuient sur une soldatesque servile et avide. Le roi a les moyens de régner sur le pays pas de le gérer, encore moins de le défendre. Les nobles citadins manquent d'entraînement à la guerre et la piétaille mercenaire qui vit grassement dans ses casernements manque de conviction; la défaite du Guadalete sera sans appel. Les quatre années de campagne menées par Tarik et Mussa ne rencontrent aucune force organisée et leur unique objectif est de faire tomber les villes à force de menace et de diplomatie. Après avoir investi Cordouc, les Berbères marcheront directement sur Tolède par les chemins coutumiers afin de surprendre. Ensuite leurs campagnes emprunteront systématiquement les anciens itinéraires stratégiques ouverts par les Romains, itinéraires qui resteront les grandes artères de l'Espagne jusqu'à la Renaissance.


Ensuite, Tarik et ses hommes obliquent et suivent la chaussée Romaine vers l'Ouest. Après quelques jours de marche, ils abordent Légio, ancien camp de légion Romaine devenu la puissante cité de Léon. A la période faste de l'empire, une ville ouverte s'est développée entre l'enceinte du camp et le Rio Bernesga. A la sombre période qui suit, les populations abandonnent l'agglomération ouverte et se replient sur l'enceinte du camp qui sera ceinturé d'une énorme muraille flanquée de tours massives. Cependant, à l'époque des Visigoths, un certain renouveau permit de repeupler l'espace naguère abandonné, permettant aux artisans de retrouver l'usage de l'eau sur berge. Cette évolution, ainsi que l'ouverture de nombreux passages dans la courtine Ouest, ont créé une faiblesse dans la défense qui sera exploitée par les forces de Tarik. Cette fois encore elles emportent la place sans grande difficulté.

Les Musulmanes commencent à croire à leur invincibilité et exploitent leur avantage. Ils poursuivent vers l'Ouest et abordent Asturica (Astorga). A l'époque impériale, c'est un carrefour routier très important où la voie longeant la cordillère Cantabrique est rejointe par celle de Lusitanie venant de Hispalis (Séville). Le potentiel économique en transit justifie le développement d'une vaste agglomération ouverte qui se concentre ensuite, au Bas-Empire, en un quadrilatère plus modeste mais fortifié. C'est le schéma évolutif classique des grandes agglomérations. Cette ville forte, comme les précédentes, sera conquise sans grande difficulté. La saison s'avance, Tarik revient à Tolède avec une partie de ses troupes en laissant de fortes garnisons dans les villes et places fortes du Nord. Ainsi s'achève la seconde année de campagne.

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Les aménagements routiers réalisés par Rome sont rationnels. Aux multiples réseaux d'intérêts locaux, se superpose un maillagc de voies stratégiques qui facilitent les échanges économiques sur longue distance, ce sont les voies ici représentées. Ensuite, les chemins d'origine Ibérique seront aménages selon les besoins. Cette carte du Sud de l'Espagne comporte un blanc le long de la côte Méditerranéenne. Là, les voies existantes furent jugées suffisantes.


L'ANNEE 713

Au cours de cette troisième année de campagne, les forces combattantes Musulmanes qui sont maintenant au nombre de 10 à 12.000 cavaliers et fantassins, seront sérieusement absorbées par leurs charges d'occupation. Un bon tiers des hommes de Tarik se trouve fixé dans le Nord tandis que les deux tiers des hommes de Muza sont en garnison permanente à Cadiz, Séville, Mérida et Ecija. L'année va donc se passer sans opération d'envergure mais les navigateurs, et les émigrants qu'ils transportent, demandent que leur soient dégagés les ports de la Méditerranée. De leur côté, les responsables militaires Musulmans commencent à s'inquiéter de la surprenante passivité des peuples d'Espagne. Ils sont alors sans réaction mais les forces relativement faibles dont disposent les deux chefs de guerre ne leur permettraient pas de courir aux quatre coins de la péninsule si la population s'insurgeait. Il convient de favoriser à outrance l'implantation des colonies mais les petites embarcations disponibles devant se limiter au cabotage sur la côte Méditerranéenne, des ports étapes sont indispensables.

Muza confie cette tâche à l'un de ses subordonnés Abd El Aziz qui part de Mérida avec le plus fort contingent disponible, gagne Séville où il rassemble les combattants excédentaires des garnisons du Guadalquivir puis s'engage avec 3.000 hommes environ sur la route de montagne qui mène à Malacca (Malaga). C'est un parcours difficile mais la voie a été aménagée dès l'époque Romaine, pour le moins dans ses passages les plus délicats.

Malaga exploite une petite anse au pied d'un léger promontoire. Le site était déjà occupé au temps des Phéniciens puis vinrent les Carthaginois et enfin les Romains. Cependant la précarité du mouillage limitait les mouvements maritimes et les gros aménagements nécessaires se feront lentement au fil des siècles. La richesse de l'agglomération vient des terres agricoles et viticoles qui bordent les rives des Rios du voisinage. Il y a là trois petits fleuves descendant de la Sierra Nevada qui serpentent dans un paysage de terres basses et de collines où l'on produit l'un des crus les plus réputés d'Espagne. La ville qui exploite de petits accostages sur le rio Guadelmedina n'est pas défendue mais dominée par un ensemble fortifié établi sur le promontoire où se situe le palais des résidents Visigoths doublé d'une citadelle au sommet de l'acropole. L'ensemble sera rapidement conquis et deviendra dés lors une escale pour les navires Musulmans cabotant sur les côtes.

Après cette conquête facile, Abd El Aziz suit l'ancienne voie Phénicienne et Romaine longeant la côte jusqu'à Alméria. Au-delà, pas de voies littorales aménagées. Il faut s'enfoncer dans les terres, suivre des petits chemins Ibériques et ainsi contourner Carthagène qui constitue l'aboutissement d'une autre voie littorale venant du Nord, l'illustre Via Herculae. La colonne Musulmane arrive dans la plaine côtière de Murcie et s'empare de la petite ville d'Orihuela qui commande le pont de la via Herculae sur le rio Segura. C'est une excellente position pour accueillir les bateaux chargés d'émigrants qui vont remonter la rivière. La plaine de Murcie deviendra la seconde grande implantation de colons Musulmmans après celle du Guadalquivir. Désormais, la coordination des actions terrestres avec les débarquements d'émigrants paraît de règle et le troisième grand jardin d'Espagne qui fait rêver les paysans Marocains est la vallée de l'Ebre.

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Dans l'antiquité, les meilleurs emplacements portuaires correspondent aux estuaires des grands fleuves. Le site de Barcelone voisine le rio Llabregat mais il est modeste; par contre, la baie ouverte formée par la presqu'île de Barcelonnette offre un excellent mouillage. C'est là que les Phéniciens vont s'installer, ce sera Barco. Les Romains qui entendent fonder une grande cité choisissent, eux, la rive opposée, côté Continent, et construiront sans doute un port artificiel. Sur le siècle qui suit, les gros cargos font la fortune de l'agglomération nouvelle régulièrement maillée (A,B). Le forum (C) avec un temple (D) jouxte le cardo (E) et le decumanus (F). Cette grande ville ouverte prend le nom de Barcino. Elle sera détruite lors des premières grandes invasions et la population se repliera derrière un périmètre fortifié (G). La présence d'un burgi (H) sur le front de mer (J) nous donne une information plausible sur l'emplacement du port Romain (K). A l'époque des Visigoths, la population récupère l'ensemble du quartier portuaire (L) avec sans doute une enceinte légère (M). C'est cette configuration urbaine qui subit l'assaut Musulman en 718.


L'ANNEE 714

Pour leur quatrième année de campagne, Tarik et Muza projettent de conquérir ensemble la riche vallée de l'Ebre et la grande ville de Cesarae Augusta (Saragosse). Ils rassemblent leur force à Tolède et tirent de leurs garnisons le maximum de soldats. La colonne qui s'ébranle en 714 doit compter 7 à 8.000 combattants plus les auxiliaires et les muletiers.

L'itinéraire suivi longe les cours du Henarès et du Jalon et comporte quelques passes délicates. Les cités desservies sont: Arriaca, Guadalajiara, Siguenza, Ocilis, Medinaceli, et Sibilis (Catalayud). Cette fois encore la marche est rapide et les forces Musulmanes surprennent la plupart des cités concernées puis arrivent devant Saragosse. L'agglomération a repris son enceinte du Haut-Empire qui couvre une superficie de 50 ha environ. Là vivent 25.000 personnes. Avec les réfugiés venus des faubourgs, le chiffre peut monter à 35/40.000, soit 8.000 défenseurs sur les 1.800 mètres de courtines. D'autre part, comme le grand fleuve peut assurer un approvisionnement minimum, la ville avait les moyens de résister, ce qui aurait permis une levée en armes des populations de la rive Nord. Il n'en fut rien, la cité se rendit, comme les autres, après quelques négociations à son avantage, espérons-le.

Après ce nouveau succès, l'essentiel de la colonne s'engage sur la voie Romaine menant vers le littoral. Chemin faisant, elle occupe, sans coup férir Herda (Lérida) et Tarraco (Tarragone), protégeant ainsi l'accès à l'estuaire de l'Ebre contre toute action venant du Nord. Durant ce temps, une autre colonne de moindre importance monte vers la chaîne Pyrénéenne et occupe la petite ville d'Osca (Huesca).

Entre temps, les deux chefs ont appris que les garnisons laissées dans les cités bordant la Cordillère Cantabrique sont soumises à des harcèlements et se trouvent dans l'incapacité de manœuvrer hors les enceintes. C'est notamment le cas pour les forces occupant Astorga. Tarik et Muza rassemblent une colonne de 5 à 6.000 hommes et se dirigent vers l'Ouest à marche forcée. Ils remontent la vallée de l'Ebre jusqu'à Briviesca où se fait la jonction avec l'itinéraire du Nord. Ils abordent ensuite Burgos qui ferme ses portes mais paye tribut pour éloigner la colonne, sans doute la ville promet-elle d'accepter la bienveillante protection Musulmane. Ce sera le choix politique de la majorité des cités qui n'ont pas été abordées de force.

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Situé aux confins de la Galice où l'exploitation des terres est essentiellement de mode Celtique, Lugo connaît une évolution particulière. L'agglomération se fixe aux abords Nord Est du pont où la voie Romaine menant à la Corogne franchit le Rio Mino. Les petits exploitants de la région trouvent là un centre d'échanges mais surtout de distribution pour les produits de grand négoce venant de toute la péninsule. La ville nouvelle s'articule sur la voie qui aborde le pont et une amorce de maillage se met en place. Les lieux de culte de la ville fermée en conservent l'orientation (A,B,C,D), c'est également le cas de quelques voies. La crise du Bas Empire ruine cette prospérité et la ville ouverte sera détruite ou brûlée. Vers 450, les Chrétiens sont déjà solidement implantés dans le faubourg Nord Est à 3.000m du pont. La vie se concentre alors sur ce point qui sera cerné d'une puissante muraille faite d'un empilage de grosses lauses. La ville a perdu tout contact avec la rive du Mino, son économie fonctionne comme celle d'une grosse bourgade et le siège épiscopal (E) amène un complément de revenus. La nouvelle route de la Corogne longe le Mino sur 30km avant de le franchir près de Rabade pour suivre ensuite le Rio Perga. Le virage de la sortie de ville (F) correspond à ce nouvel itinéraire. Sûre de ses murailles, la ville tente de résister aux Musulmans mais sera prise et brûlée en 714.


La colonne rejoint Amaya et Leone déjà occupées et atteint Astorga dont elle dégage les abords puis marche sur Lucus Augusta (Lugo) que les chefs Musulmans considèrent sans doute comme le foyer de la résistance. La ville qui couvre 35 ha est défendue par une très puissante muraille bardée de tours. Conscients de leur capacité défensive les 2.500 à 3.000 hommes valides en armes qui tiennent les courtines opposeront une farouche résistance aux forces Musulmanes. Finalement la ville est prise, mise à sac et brûlée. C'est la première véritable résistance que rencontrent les envahisseurs et les populations des campagnes et des montagnes environnantes sont en armes et de caractère agressif. A l'évidence, les positions acquises dans cette région resteront difficilement accessibles; c'est le début d'un processus de guerilla qui annonce la première reconquête.

En fin de saison, Tarik et Muza rentrent à Tolède non sans laisser de fortes garnisons le long de la Cordillère Cantabrique ce qui va retarder le franchissement des Pyrénées de cinq années. Les actions reprendront en Catalogne, en 718.

LA CONQUETE DE LA LUSITANIE

Si les opérations de l'année 714 ont montré au corps expéditionnaire Berbère quelle sera sa tâche impérative pour les années à venir, dégagement des voies de communication au Nord et prise en mains des espaces déjà conquis, cette date marque également l'arrivée massive de nouveaux émigrants dans la vallée du Guadalquivir.

Il y a là des paysans pauvres venus en famille pour profiter des terres conquises. Ils trouveront aisément leur place à condition de se soumettre au seigneur du lieu. Par contre, les aventuriers en armes qui s'organisent en grandes bandes sous la direction d'un chef choisi par eux refusent naturellement cette servitude. Déjà en 713, certains d'entre eux se sont aventurés vers la Lusitanie où les terres sont fertiles et la résistance rencontrée ne fut pas jugée insurmontable. Ainsi, en 714, ils se rassemblent en masse, font main mise sur toutes les embarcations qui arrivent et, avec cette flottille improvisée, s'engagent dans une vaste opération de conquête.

Par petites étapes de cabotage ils contournent l'Algarve (le cap Saint-Vincent), remontent la côte Atlantique et s'installent, sans coup férir dans l'embouchure du Sado. Dans ce mouillage favorable, les premiers arrivants attendent les petites embarcations qui ont pris du retard. Le mois suivant, ils ont rassemblé la totalité de leurs forces et se jugent suffisamment nombreux, 5 à 8.000 hommes environ, pour aborder le grand estuaire du Tage et la ville de Lisbonne.

De la grande cité Romaine il ne reste qu'un espace déserté. La population grandement réduite s'est à nouveau repliée sur la colline qui forme acropole tandis qu'une petite agglomération ouverte borde le rivage et exploite une partie de l'ancien port Romain maintenu en usage. Il y a là 8 à 12.000 habitants répartis sur 25 ha d'une urbanisation très dense. L'acropole flanquée de sa citadelle a souvent changé de mains. Aménagée par les Romains dès le Bas-Empire, elle sera prise par les Vandales qui formeront dans la province l'amorce d'un royaume mais ils passeront vite sous la coupe des Suèves mieux organisés. Enfin les Visigoths occupent la place sur la première moitié du VI°s. Au VII°s. l'autorité pesante des maîtres de la citadelle qui ont multiplié les prélèvements obligatoires sur les populations rurales environnantes ont coupé la ville de son assise provinciale. Ainsi les citadins seront seuls face aux assaillants.

Les bandes Musulmanes encerclent la ville tandis que les bateaux occupent le port. Les quartiers bas, mal défendus, seront rapidement conquis et la majorité des habitants se replie sur l'acropole. L'espace fermé couvre environ 7 ha. et les 10.000 réfugiés qui se tassent derrière les murs peuvent porter 2.000 hommes valides sur les 900m de courtines. Cette densité de défenseurs supérieure à deux au mètre linéaire est suffisante pour tenir mais les vivres vont rapidement manquer et l'eau est rare. Enfin, et surtout, l'espoir d'être secouru s'envole au fil des jours. La ville doit accepter de se rendre en fin de saison.

Les embarcations des conquérants venus de Méditerranée sont peu appropriées aux conditions de l'Atlantique et les périodes qui leur sont favorables sont rares. La route maritime est donc aléatoire. C'est cette contingence qui porte les conquérants de Lisbonne à marcher, dès 715, sur Evora afin d'ouvrir une voie directe par terre avec la vallée du Guadalquivir où se font les débarquements.

De l'ancienne Salacla Romaine il ne subsiste qu'une enceinte fermée de 16 ha et des installations artisanales périphériques. La population globale doit compter 12 à 14.000 habitants et là encore il est peu probable que les populations de la province se soient mobilisées pour défendre la Métropole. Entassés derrière l'enceinte de la cité, les habitants ont tôt fait de perdre espoir et vont, comme tant d'autres, se rendre en fin de saison.

En 716, les conquérants de la Lusitanie du Sud ont plus de terres et d'agglomérations petites ou grandes qu'il n'en faut pour leur installation et la marche vers le Nord sera, en majorité, l'œuvre des nouveaux venus. La progression est beaucoup plus lente. En 717, les Musulmans occupent Santarem. Conimbriga (Coïmbra) tombe vers 717/718 et l'embouchure du Duero est atteinte en 719. Les populations d'origine Suèves se défendent bien. Porto est occupé en 720. Ce sera la fin de la conquête méthodique. L'équilibre des forces en présence s'établit désormais sur le grand fleuve et les avancées Musulmanes au Nord ne seront que des incursions saisonnières.

CONCLUSION

       

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Sous l'égide de Rome, l'Espagne du Nord connaît également un aménagement rationnel. Les voies stratégiques viennent coiffer une multitude de petits réseaux d'intérêts locaux établis par les Ibères; c'est ce maillage que nous avons représenté. Cependant les impératifs économiques évoluent et bon nombre d'itinéraires Ibériques seront aménagés durant la Pax Romana. Comme pour l'Espagne du Sud, la quasi totalité des cités prises en compte par l'ordre Romain va se maintenir à travers les siècles, deux exceptions cependant: Amalia (Amaya) sur la voie de Léon à Burgos et Clunia sur la route de Valladolid à Osma. Toutes deux seront identifiées avec des sites archéologiques fouillés à l'époque contemporaine.


En quatre années de campagne, une modeste force de 8.000 puis 12.000 combattants secondée par un moindre nombre d'auxiliaires a soumis un grand pays dont la population comptait de 6 à 8.000.000 d'habitants. Stupéfiant est le terme qui revient sous la plume de la majorité des auteurs. C'est vrai mais il nous faut comprendre.

Le suivi sommaire des opérations que nous avons menées montre que l'Espagne fut capturée plutôt que vaincue. Dans la majorité des villes abordées les populations se rendront après négociations tandis que d'autres accepteront de livrer leur citadelle. Les villes non touchées par la conquête seront soumises par étapes et sournoisement. Elles accepteront la présence des forces Musulmanes puis une petite garnison dans leurs murs pour subir enfin une domination rigoureuse. Cependant, il faut reconnaître que les Chefs Musulmans se sont comportés très adroitement avec le maximum de diplomatie tandis que leur tolérance religieuse est satisfaisante. Enfin, les garnisons et chefs de guerre que les cités acceptent dans l'enceinte de leur citadelle sont très modestes en nombre comme en train de vie et souvent moins arrogantes et moins coûteuses que ne l'étaient les forces de l'ancien régime.

Le contexte va changer quelque peu dès 765 avec la venue d'un prince "arabe" Abd El Rahman Ier, seul survivant des Ommeyades de Damas mais surtout deux siècles plus tard avec l'arrivée massive et continue de troupes et d'émigrants non Berbères originaires du Magreb et du bassin Oriental de la Méditerranée.

Certes la diplomatie des Conquérants a été l'un des facteurs déterminant de leur succès mais ce comportement n'est valable que face à une nation d'une extrême passivité. Chaque ville concernée pouvait, sans difficulté, lever dans ses murs et sur sa province une milice de 500 à 800 hommes qui aurait bien vite constitué une force nationale de 15 à 25.000 combattants. Disponible dès la deuxième année, elle eut été capable de refouler l'envahisseur. Il n'en fut rien et, cependant, le peuple Espagnol a montré, en maintes occasions de son Histoire, sa fierté et son courage.

Les causes d'un tel phénomène qui se retrouve en d'autres périodes historiques sont multiples. La première fut le développement des villes au-delà du raisonnable puis leur déclin brutal et la construction d'une enceinte de défense confiée à une garde de mercenaires qui s'installe dans un réduit fortifié: la citadelle. Ces hommes de proie, serviles face aux puissants, arrogants à l'égard des petits, sont plus avides de bonnes situations que motivés par l'intérêt politique. Le système a tôt fait de s'emparer des rouages administratifs de la ville et de nommer un maître à sa convenance, charge qui deviendra héréditaire. La cité doit les subir et parfois trouve avantageux de les utiliser pour soumettre son environnement rural. C'est la fin du processus de libre échange et le début des prélèvements obligatoires. L'animosité puis la coupure qui s'installent priveront la cité du soutien de sa province au jour critique.

Pour éviter les luttes intestines et soigner leur image, ces cellules militaires accepteront la coiffe d'une monarchie mais ce sera sous conditions. Si danger il y a, ces hommes de proie suivront leur maître par obligation afin de préserver leur état mais seront dans les grands engagements de bien médiocres combattants. Au cœur des conflits, nous les trouvons prêts à se vendre au plus offrant comme à la sombre époque du Moyen Age. Enfin pour mieux assurer leur emprise sur les campagnes, ils ont poussé au désarmement de la population. L'Histoire nous enseigne que la fierté et l'aptitude au combat comme la soumission et la peur se cultivent au sein de la cellule familiale; il faudra plusieurs générations pour inverser le processus. Quant le réveil se fait, il est généralement trop tard, les nouveaux maîtres se sont substitués aux anciens et ont affermi leur emprise.

En quatre années de campagne, suivies de quatre à six années de pression, toutes les villes d'Espagne vont se trouver prises au piège d'un système tentaculaire qui porte avec lui une idéologie religieuse, c'est un processus sans retour. Dans le siècle qui va suivre, la flamme de la résistance s'allume dans les montagnes de la Chaîne Cantabrique. Une guerre de huit siècles commence.