LE ROYAUME FRANC

AVANT PROPOS

L'instauration d'un pouvoir Franc dans le désordre politique du V° siècle nous semble liée à l'action d'un jeune chef de guerre, audacieux et sans scrupule, Clovis, et les textes de Grégoire de Tours nous donnent les grandes lignes de cette action qui sera traitée comme l'avènement d'une monarchie. Cependant, la chronique du temps s'en tient aux grands évènements du siècle comme au comportement des personnages de premier plan mais ce n'est que l'aboutissement d'un vaste phénomène de société où les dernières bribes d'un pouvoir centralisé s'effacent pour laisser place à celui des Cavaliers.

Comme pour nos analyses précédentes, nous allons aborder cette page d'histoire selon un processus de cause à effet. Les chevauchées des années 486 à 511 couronnent une longue et méthodique pénétration d'un peuple d'agriculteurs sur les terres du Nord de la France, terres qui furent sans doute celles d'une société de caractère identique, quatre siècles plus tôt, à l'époque Gauloise. Ceci explique que des trois royaumes Germaniques installés en Occident après 406, seul celui des Francs se soit durablement imposé.

LES FRANCS

Souvent les peuples traversent l'Histoire sous l'étiquette qui leur fut donnée à l'instant de leur entrée en scène et les agriculteurs de la rive orientale du Rhin porteront le sceau de la caste équestre qui va les mener sur les chemins de l'aventure à la fin de l'Empire; ce sont les Francs, les Braves, les Audacieux. Aujourd'hui encore, ce terme distingue à la fois une société mais aussi un trait de caractère.

Les terres favorables dont ils disposent en Germanie sont limitées et le groupe Sud établi sur le cours du Main et du Nekar avait connu, au contact de la civilisation Romaine, un développement démographique important, mais les troubles du Bas Empire vont mettre leur économie en difficulté. D'autre part, leur expansion vers l'Est, vers l'Elbe, s'est trouvée contrariée par de fortes pénétrations Baltes sur les cours de l'Oder et de la Vistule. Ce fut sans doute ce contexte économique difficile qui permit à la caste équestre d'assurer son emprise sur la jeunesse afin de former les grandes bandes armées qui vont ravager l'Occident en 260 et 275. Dans ces forces, nous pouvons distinguer les meneurs de la troupe, de jeunes célibataires de grandes familles épris d'aventure et de gloire: les Junkers. Ils formeront l'encadrement tandis que les cadets sans avoir (parfois avec femme et enfants) que l'exploitation familiale ne peut plus nourrir convenablement fourniront l'essentiel de la troupe. Ces derniers recherchent de nouvelles terres pour s'y installer en famille, fonder un patrimoine et vivre de leur travail. Les premiers feront l'évènement, les seconds feront l'histoire.

Les Francs connaissent bien le Nord de la Gaule. Ceux des Champs Décumates pratiquent le Latin de longue date et ont souvent voyagé en terre Romaine. Au début du III° siècle, les grands domaines céréaliers du Nord ont totalement détruit l'équilibre rural traditionnel et les régisseurs sans scrupule manquent de bras à l'heure des récoltes. Ils recrutent des travailleurs dans la mouvance en difficulté et, parmi eux se trouvent des Germains dont la qualification est appréciée. Certains vont se marier et rester sur place, mais toutes les bonnes terres sont aux mains des grands patrimoines fonciers et la vie est dure pour les petits. En 250, ces émigrés civils et bien intégrés, auxquels se sont joints des légionnaires Germaniques démobilisés, sont nombreux en Gaule du Nord. Ceux qui retournent chez eux parlent d'une société riche, opulente ce qui fait rêver les jeunes épris d'aventures: la route de l'invasion sera donc celle des travailleurs saisonniers.

Ces Junkers et leur troupe vont déclencher un désordre qu'ils n'imaginaient pas. A la fin de la première marche, en Automne 260, chargés de richesses et gonflés d'orgueil, ils regagnent le Nord mais bon nombre d'entre eux ne franchiront pas le Rhin. Ils campent dans les ruines des grandes villas qui bordent la voie des invasions : la route de Maastricht à Bavai, et les petits qui les accompagnent voient dans ces bonnes terres abandonnées un lieu propice à une installation. Dans les 2 ou 3 années qui vont suivre, chariots, femmes et enfants venus de Germanie affluent sur les terres du Hainaut et également dans le Nord de la France. Ils formeront la seconde vague d'une occupation stable.

Cinq années plus tard, les forces Romaines ont repris le contrôle des ponts du Rhin et le passage devient risqué pour ceux qui se sont fait piéger sur la rive Occidentale. Les légions Romaines sillonnent de nouveau le pays et les groupes de Francs, maintenant sur la défensive, se rassemblent autour des Junkers pour former de petites unités cohérentes. Parfois les Légionnaires les engagent mais le plus souvent l'Empire préfère traiter avec eux. Pourquoi chasser ces gens qui acceptent de remettre en culture les terres abandonnées?

Dans les années 265/275, les Francs gèrent leur nouvelle implantation mais demeurent sous les armes, ce qui confirme leurs chefs de guerre dans leur position. Sans doute ces derniers s'installent-ils dans le domaine ruiné de l'ancien maître tandis que les 300 à 600 ha environnants sont pris en charge par leurs hommes et partagés en petites exploitations de 20 à 30 ha. La seconde invasion de 275 ne fera que passer sur leurs terres mais le franchissement du Rhin est libre à nouveau et des familles d'émigrants viennent renforcer la population installée. L'implantation Franque s'étoffe. La majorité d'entre eux a pour ambition d'exploiter le patrimoine acquis et tous acceptent l'emprise politique Romaine dès la Restauration Constantinienne. Les difficultés qu'ont rencontré Postumus, Probus et Dioclétien ne semblent pas concerner le petit domaine qui deviendra le noyau de l'État Franc.

LES FRANCS AU IV° SIECLE

En Occident, la brève renaissance qui suit le règne de Constantin touche l'emprise politique et la situation militaire mais la société s'enfonce toujours davantage dans un état de crise qui marque la fin d'un monde. L'avenir est à prendre mais personne sans doute n'imagine sérieusement que les maîtres du futur seront issus de ces Cavaliers installés dans les plaines du Nord. La garde du Rhin est à nouveau assurée mais les mercenaires d'origine lointaine et les aventuriers de tout poil qui forment les rangs des Légions sont toujours aussi peu fiables. Le siège du pouvoir s'est fixé dans la ville de Trèves qui offre la plus vaste enceinte du Nord/Est et les fastueux monuments élevés au temps de Constantin forment un cadre qui inspire confiance. Les Trévires, toujours demeurés fidèles à l'Empire, assurent, comme ils le peuvent, l'existence économique de la cité mais elle est très vaste et surtout "grevée" d'un train de vie trop fastueux pour les ressources de son environnement rural. Des prélèvements fiscaux pesant lourdement sur une économie Occidentale épuisée alimentent les fastes du pouvoir et cette grandeur artificielle va engendrer une chute brutale. Cependant la ville assure son rôle de Métropole. De là, le commandement Romain contrôle la défense du Rhin et verrouille la vallée de la Moselle, tandis que le cours de la Meuse et de l'Escaut qui constitue la voie de pénétration coutumière ne semble pas préoccuper les responsables Romains. Là sans doute, les Francs déjà en bonne voie d'intégration préservent leur organisation coutumière et assurent bonne garde. Ils ne défendent pas l'Occident mais leurs terres et cela suffit.


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LE V ème SIECLE : LA FIN D'UN MONDE OU LA FIN D'UN MYTHE

En analyse historique, nos modes de réflexions nous incitent à rechercher des cartes avec des frontières dessinées et les grands événements fixés et datés. C'est un cadre pratique mais peu objectif en certaines période, comme le Bas Empire, les réalités sont plus subtiles. L'ordre Romain, celui des villes ouvertes, des échanges économiques sous couvert d'un cadre législatif stable dans un monde policé dont les légions assurent la protection, tout cela disparaît dans la grande tourmente de 250/275, Les deux siècles qui suivent ne sont que désordre et les intérêts particuliers priment. Les villes se sont égoïstement repliées derrière leur muraille et dans les campagnes qui se redressent péniblement la société rurale choisit une nouvelle articulation plus archaïque où la petite exploitation domine. Les terres céréalières de plateau sont mal exploitées, voire abandonnées, et le spectre de la disette se profile à chaque mauvaise récolte. D'autre part, l'empire siège à Constantinople et l'esprit Oriental s'est substitué à celui des Latins. L'Europe n'est plus qu'une colonie Byzantine et l'emprise impériale est devenue néfaste. En chassant l'administration et l'armée dite Romaine de ce pays, les Cavaliers Germaniques vont finalement rendre service à l'Occident mais ils n'apportent aucun cadre digne de ce nom. Les villes tentent de gérer leur environnement et les Cavaliers en armes sont maîtres des campagnes. Ainsi les frontières que nous traçons pour faciliter notre compréhension des phénomènes n'ont pas grande signification.

Toutes les villes d'origine Romaine qui bordent le fleuve de Coblence à Spier ont verrouillé leurs ponts par contre, Cologne qui commande la route traditionnelle des Francs par Maastricht, Tongres, puis Tournai et Bavai préserve un libre passage tout en le contrôlant par la citadelle de Deutz établie sur la rive Orientale. Cela semble prouver que les passages sont nombreux, admis mais contrôlés. Ce vaste quadrilatère bardé de tours défend l'accès du pont mais sert également au contrôle des émigrants qui seront ensuite lâchés par petits groupes dans les rues de la cité et sur les routes du Hainaut.

L'invasion Germanique de 355/356 repoussée par Julien, venait, nous semble-t-il du Sud, du pays des Alamands mais sans doute ces derniers étaient-ils contraints par les grands mouvements des peuples Baltes qui remontent l'Oder et la Vistule. Ainsi, par réaction en chaîne, tous les occupants du Centre Europe sont soumis à pénétration adverse. Ce phénomène aboutit au franchissement du Rhin par la porte de Bourgogne (les ponts de Bâle) et des bandes armées nombreuses s'avancent en Alsace puis gagnent la vallée du Rhône. Elles parcourent les campagnes en pillant et brûlant fermes et villages mais n'assiègent pas les villes maintenant fermées de bonnes murailles. L'invasion ne semble pas concerner les régions du Nord et les légions cantonnées à Reims peuvent contrôler sans risque la situation. Nous allons en conclure que la traditionnelle voie de pénétration de l'Escaut est alors verrouillée par la petite nation Franque en voie de formation.

La grande invasion de 406 sera plus brutale et massive mais très généralisée. En Occident, les peuples Alamands et les Franconiens du Sud, les Suèves, participent à l'action mais sans doute mêlés à de forts contingents Baltes qui rentreront dans l'Histoire sous le nom de Visigoths et Ostrogoths. Venus des rives de la Baltique, du cours de l'Oder et de la Vistule, ces mouvements touchent également les Saxons et les Rhénans, et de forts contingents de Francs se présentent à nouveau sur la traditionnelle voie des invasions Maastricht/Tongres. L'avant garde est constituée de bandes mêlées qui ont déjà croisé le fer à l'Est avant de se faire déborder. Ils vont s'implanter sans trop de difficulté sur des terres libres situées à la périphérie du domaine Franc et doivent se diffuser jusqu'au cours de la Somme. Les chariots et les familles suivront et ce nouvel apport modifiera le comportement de l'ensemble. Des Junkers acquièrent la responsabilité militaire et les combattants qu'ils entraînent pour servir à leur côté forment peu à peu une petite caste guerrière qui va se distinguer de la société rurale. C'est une famille de cette nature, installée dans la région de Tournai, qui se révélera la plus ambitieuse et la plus agressive. S’agit-il de Francs authentiques? Le comportement de Childéric et son repli chez des familiers de Thuringe, arrière pays de Franconie, nous permettent d'en douter, mais le dialecte Germanique, les coutumes et intérêts communs feront l'amalgame.

LA PRINCIPAUTE FRANQUE

Le territoire qui va constituer le noyau de l'implantation Franque forme un rectangle de 150 km de long sur 50 km de large, en moyenne. Ces 750.000 hectares de bonne terre situés à cheval sur la route Maastricht/Tournai peuvent, en exploitation optimum, nourrir 600 à 700.000 personnes mais ce n'était sans doute pas le cas. Un chiffre de 350 à 400.000 habitants nous semble raisonnable. Cette colonie comporte 70.000 hommes valides dont nous pouvons dégager 10 à 12.000 jeunes célibataires de moins de 25 ans disponibles pour une action militaire saisonnière. Ce chiffre paraît modeste mais en cette période du Bas-Empire où les forces organisées sous la bannière Romaine sont essentiellement composées de mercenaires avides et peu enclins au risque, le potentiel ainsi constitué est d'un bon poids sur l'échiquier militaire. Cependant, toute action d'envergure doit se soumettre à l'encadrement Romain et à la politique des généraux envoyés par Byzance. La participation Franque n'était sans doute pas étrangère à la bonne tenue des légions que Julien va trouver autour de Reims.

Dans les premières décennies du V° siècle, les responsables de la nation Franque comprennent qu'ils ont maintenant le pouvoir et le devoir de prendre les décisions stratégiques nécessaires à la sécurité des leurs. Les conditions d'une principauté sont en place cependant, les guerriers toujours épris d'indépendance entendent gérer leur engagement. Le chef nommé et hissé sur le pavois sera certes suivi et servi mais dans le cadre et pour la durée de la campagne projetée. Si changement d'objectif il y a, c'est à un conseil de Sages qu'il revient de fixer le nouveau programme d'engagement. Enfin, même couronné par la réussite et chargé de gloire, le chef de guerre voit ses prérogatives cesser dès la fin de la campagne, bien qu'il soit assuré d'être à nouveau choisi pour mener la prochaine bataille. D'autre part, tous les titres et distinctions acquis par l'homme disparaissent avec lui. Sa famille ne peut revendiquer que les acquis personnels, d'où l'importance du partage urs coutumes.

Dans ses relations avec l'environnement rural Franc, la cité doit rechercher un interlocuteur valable sur le plan politique et militaire, mais le contexte ne se prête guère à l'émergence d'un tel personnage. Cependant une famille proche de Tournai va comprendre tout l'intérêt que l'on peut obtenir en jouant le jeu des cités. S'installer dans les murs n'est pas souhaitable, ce serait se couper de la société Franque, par contre, fixer le cœur de son domaine sur la rive Orientale de l'Escaut est beaucoup plus judicieux. La position permet de se développer au détriment des maraîchers et agriculteurs de proximité en leur imposant protection, elle permet également de contrôler le commerce qui transite par le pont, la voie Romaine demeurant très fréquentée. Enfin, la charge de défenseur de la cité que confère cette position leur permettra, à terme, de se faire reconnaître roi de Tournai par leurs interlocuteurs Romains. Ce sera l’œuvre de trois générations avec Clodion (le Chevelu) 428/447, Mérovée 447/457 et enfin Childéric qui tiendra la charge de 457 à 481 avec un intermède de quatre années en Thuringe 459/463. Ce titre de roi de Tournai prendra tout son poids lorsqu'il sera reconnu par le pouvoir impérial d'Aetius lors de l'engagement des Francs aux Champs Catalauniques.

LES GENERAUX DE BYZANCE

Après le déferlement de 406, le pouvoir impérial d'Orient connaît un certain flottement mais ne renonce pas à son emprise sur l'Europe Occidentale. Aetius arrive en Gaule vers 429/430. C'est un Oriental chez qui la fourberie fait office de capacité politique, admettons à sa décharge que les conditions du temps et les moyens dont il dispose rendent sa position peu confortable. Son titre lui a été conféré à Byzance et ses troupes personnelles sont peu nombreuses. Les aventuriers en uniforme qu'il est sensé commander ont fixé leur casernement selon le hasard et dans le désordre qui règne depuis 25 ans. Leur subsistance est acquise par l'impôt du soldat, prélèvement laissé à la discrétion du chef et selon son humeur, c'est la loi du glaive. D'autre part, les légionnaires améliorent leur ordinaire en pillant sans vergogne sur le terrain. Ces troupes que l'on nomme toujours légion romaine obéissent sous condition et seulement si quelque intérêt se profile. Elles sont nombreuses mais réparties en petits casernements et il est bien difficile, sinon impossible, de les rassembler dans une opération programmée avec comportement discipliné. Aetius qui gère la Gaule toute entière doit choisir avec circonspection et diplomatie les lieux et conditions où il va donner ses ordres.

Trèves et Reims seront les sites de prédilection de ce maître itinérant. Là se trouvent quelques troupes rendues disciplinées par la menace de la Germanie toute proche. Aetius se fixe à Trèves, y rassemble quelques troupes motivées et tente de reprendre le contrôle du Limes de Germanie, mais le cours moyen du Rhin, ainsi que Worms et Spier, sont aux mains des Burgondes qui forment, depuis 410, un petit royaume refusant toute allégeance aux Romains. Aetius lance, dès 330, quelques actions contre eux mais ne peut les soumettre et doit finalement leur reconnaître la garde de cette frontière stratégique. Au Sud de la Gaule, un accord identique avait été conclu en 418/419 entre l'Empire et les Visigoths qui forment maintenant une principauté parfaitement autonome couvrant l'ensemble du Bassin de la Garonne.

L'INVASION DES HUNS

En Orient, les Byzantins qui entendent tenir la ligne du Bas Danube subissent là une forte pression de la part des Goths descendus le long des cours des grands fleuves. Afin de se maintenir et sans aucune considération pour les intérêts Européens, ils font appel à des cavaliers d'origine Asiatique (Mongoloïdes) qui sévissaient alors dans la boucle de la Volga. Avec discrétion, et selon la fourberie orientale, ces cavaliers reçurent conseils et subsides pour intervenir sur les arrières des Goths dans le Bassin du Dniestr. Ces hordes de Cavaliers seront bientôt prises en mains par un chef d'envergure: Attila pour les historiens latins, Hetzel en Germanie. Vers 435, il rassemble une très puissante force et pénètre dans la dépression Danubienne. Vers 440, ses hommes franchissent le défilé des portes de fer, bousculent les Vandales déjà bien implantés sur la rive Orientale du grand fleuve et semblent se stabiliser un temps. En 443, Aetius a l'idée néfaste de les utiliser pour déloger les Burgondes du moyen cours du Rhin. Les Germaniques seront rapidement bousculés par les cavaliers Mongols et cette aventure sera à l'origine du chant épique des Nibelugens.

Les rois Burgondes et leur cour séjournaient à Worms dans la partie basilicale du forum Romain dont le plan partiel a été récemment retrouvé sous le dallage de la cathédrale. L'édifice sera démoli en 630 par Dagobert 1er afin de permettre la construction de la première cathédrale de la cité et c'est elle, plusieurs fois restaurée, qui sera remplacée par le dôme de Burchard, vers l'an 1000.

Quelle était l'importance de cette colonie Burgonde de la vallée du Rhin? L'estimation est délicate mais nous pouvons fixer une limite d'occupation et un seuil de saturation, pour cette période de plus de 30 années. Le grand fleuve coule alors dans une plaine alluviale et, mis à part quelques espaces où les fonds sableux affleurent, c'est une terre fertile. Elle se trouve limitée à l'Est par les monts du Lodenvald (point culminant 626m.) et ceux du Hardt dominés par le Donnersberg culminant à 687m. Si, comme nous le pensons les Burgondes étaient à l'origine un peuple de caractère Centre Europe, voué au pastoral et à la petite agriculture (jugement qui sera confirmé par leur choix d'implantation ultérieur), ils disposaient là d'une région polyvalente, plaines et monts, de 60 km de large sur 100 km de long. Ces 600.000 ha offraient un habitat potentiel pour 250.000 individus en mode polyculture, où nous admettrons une forte majorité Burgonde, soit 150 à 180.000 personnes. Ces gens se seraient intégrés sans problèmes si la caste équestre et son cortège d'hommes d'arme qui les avait guidés et défendus dans leur pérégrination ne s'étaient implantés dans les cités bordant le fleuve. En se pavanant ainsi dans les castrum du Bas Empire, ils indisposaient Aetius et ce sera leur perte. Ces Junkers et leurs fidèles installés à Worms et à Spier ne devaient pas dépasser 10 à 15.000 personnes, soit moins de 3.000 combattants qui seront balayés sans difficulté par les 15 à 20.000 cavaliers Mongols lâchés sur eux, d'autant qu'ils avaient été affaiblis par une défaite subie deux années plus tôt face aux troupes Romaines.

Les vaincus vont se replier sur le massif du Pfalzer-Wald où la forêt leur offre un abri temporaire, puis ils partiront vers le Sud, emmenant dans leur sillage un certain nombre d'agriculteurs terrorisés par le récit de l'aventure. Les 15 à 20.000 personnes qui ont lié leur destin à 2 ou 3.000 guerriers entament alors une longue marche ponctuée d'escarmouches. Enfin ils se fixeront en Bourgogne, autour de Chalon-sur-Saône où l'équilibre du paysage leur rappelle la terre qu'ils viennent de quitter. Le pays a conservé leur nom : Burgundie, Bourgogne. Nous les retrouverons à la bataille des Champs Catalauniques puis ils joueront un rôle dans la naissance du Royaume Franc.

Une fois leur saccage effectué, les cavaliers Huns retournent en Pannonie qui devient leur terre de repli. Le fléau de Dieu ou la main du Diable échappent alors totalement aux apprentis sorciers de Byzance. Huit années plus tard, ils reviendront encore plus nombreux et l'Occident chrétien connaîtra la grande frayeur du temps.

L'INVASION DE 451

En l'an 451, le chef Mongol rassemble toutes ses forces et la horde marche vers l'Ouest. Les chroniques du temps vont l'estimer à 500.000 Cavaliers mais c'est un chiffre fantaisiste, le développement des opérations nous permettra d'établir une hypothèse plus raisonnable. Les Asiatiques sont sans doute répartis en tribus et chacune est accompagnée d'un convoi de chariots où sont entassés matériel de campement ainsi que les concubines des chefs. La troupe est majoritairement composée de Cavaliers, soit l'inverse des coutumes militaires ayant cours en Occident. De Pannonie, la horde remonte le cours du Danube en suivant la voie Romaine qui longe le fleuve. Le convoi s'étire sur plusieurs jours de marche et passe sous la citadelle de Bude. Au-delà le paysage devient plus ouvert mais il lui faut à nouveau s'allonger en longue file sur la haute vallée du fleuve. C'est un ordre de marche où les Huns se sentent exposés, et leur tendance naturelle va les mener vers les grands espaces du Nord de la Gaule.

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Malgré la perte d'importants territoires au profil des Visigoths, des Burgondes et des Francs, les villes et territoires demeurant d'obédience Romaine pouvaient encore fournir à Actius 60 à 80.000 combattants au bas mot et la gravité de la menace devait justifier tous les engagements. Cependant l'égoïsmc est de règle; chacun se défend chez soi et bien peu se porteront face aux Mongols. De leur côté, les Germaniques feront jouer l'appel coutumier qui fonctionnera parfaitement. Une fois votée la levée en armes, toutes les lances marcheront sus à l'adversaire. Théodoric (A) apportera le plus fort contingent. Les Burgondes (B) menés par Gondion seront moins nombreux tandis que les Francs (C) fourniront l'appui d'une importante cavalerie. Durant ces préparatifs, les Mongols ont parcouru du chemin (D,E,F). Ils font le siège d'Orléans (G) qui se défend bravement. Devant la diversité des interventions qui s'apprêtent à fondre sur lui, Attila choisit la retraite et la montée des Burgondes l'oblige à dévier sa route vers le Nord. Il est finalement rattrapé et acculé au cours marécageux de la Marne, près de Châlons (H). Engagé dans les plus mauvaises conditions, il subit de lourdes pertes et doit fuir vers la Germanie (J) avec la complaisance d'Actius.


Le gros de la troupe traverse le pays Souabe et se présente à la porte de Bourgogne, une fois franchis les ponts de Bâle, ils suivent la vallée du Doubs, un espace resserré et toujours défavorable pour eux. Ils vont donc bifurquer vers le Nord afin d'atteindre les grandes plaines septentrionales là où leur cavalerie peut donner sa pleine mesure. Pour cela il leur faut encore franchir les passages contraignants des monts formant le seuil du Bassin Parisien, à la hauteur de Langres, puis ils débouchent dans les grands espaces aux environs de Troyes.

La masse d'hommes et de chevaux est telle que chaque tribu installe son propre campement et les Cavaliers partent en razzia afin de ramener fourrage et nourriture. Dans leur chevauchée ils brûlent tout sur leur passage et tranchent les têtes qu'ils rencontrent. Ceux qui ont vu ces sauvages venus du bout du monde tout en sauvegardant leur vie témoignent de l'horreur vécue et, de villes en villages, une grande frayeur se propage en Gaule, bien au-delà des espaces ravagés.

Les campagnes assurent la subsistance mais le butin précieux promis par le chef se fait rare. Où le prendre? Dans les villes certes, mais elles sont cernées de murailles et ces Cavaliers d'une grande hardiesse dans la chevauchée et la charge rechignent à mettre pied à terre pour se transformer en assaillants face aux courtines garnies de défenseurs.

Arrivés devant Sens, les Huns découvrent une ville forte de 26 ha environ avec une population régulière de 12 à 14.000 personnes mais elle s'est gonflée des réfugiés venus des environs et 20 à 25.000 individus s'entassent derrière la puissante muraille de 10m de haut sur plus de 2m d'épaisseur. Les 6 à 7.000 hommes répartis sur les courtines s'apprêtent à défendre leur vie et leurs biens avec l'énergie du désespoir. De surcroît, l'agglomération forte est cernée d'un petit cours d'eau artificiel obtenu par dérivation de la Vanne. Il peut alimenter l'espace extra-muros et subvenir aux besoins des manufacturiers et des ménages. L'eau alimentaire étant, semble-t-il, toujours fournie par l'aqueduc de la Vanne dépourvu d'ouvrage d'art, donc peu exposé. Ces petits cours d'eau périphériques renforcent considérablement la défense. Il ne sont pas profonds mais 10 à 15m de large avec des rives fangeuses interdisent la tactique traditionnelle des Cavaliers Huns qui, de coutume, s'approchent au grand galop de l'obstacle, lancent des fagots et des bottes de paille puis les enflamme afin d'enfumer les défenseurs et de faciliter les travaux d'approche. Enfin, les traditionnelles flèches enflammées lancées sur les toitures par dessus les muraille n'ont ici que très peu d'effet sur les couvertures en tuile.


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Après 275, la population se replie derrière une puissante enceinte couvrant 27 ha dont l'un des petits côtés donne sur le pont (A) menant vers Orléans et sur le port fluvial (B) sans doute établi artificiellement à la période faste. La Vanne, modeste affluent de l'Yonne dont le débouché naturel se trouvait plus au Sud sera détournée par un barrage afin d'enserrer la cité forte (C,D). Les crues d'hiver gonflent le cours qui conserve des rives fangieuses, excellente protection contre toute action brutale. En 451, Attila et sa horde Mongole jugent la position d'importance et les 25.000 personnes réfugiées dans les murs montrent toute leur détermination. Après avoir brûlé les constructions périphériques (E,F,G) ainsi que le quartier du port (H) et les demeures d'artisans installées dans l'Ile (J) il commence les préparatifs d'un assaut mais demande également tribu. Les habitants acceptent de livrer leurs richesses et la horde se retire puis se dirige vers Orléans.

Ces divers facteurs font réfléchir le Mongol. L'assaut n'est pas impossible mais l'affaire sera rude. Une bonne partie des deux ou trois premières vagues sera sacrifiée ce qui représente 3 à 5.000 morts ou mortellement blessés, une part négligeable si les assaillants sont bien au nombre de 500.000, mais ce n'est pas le cas. 5.000 hommes perdus représenteraient sans doute 6 à 10% de l'effectif et réduirait l'ardeur de la troupe. Après quelques actions de force démonstratives où il prend la mesure de l'obstacle, brûle le quartier du port et l'ensemble des bâtisses d'artisans qui se trouvent sur l'île, Attila décide de demander tribut et les habitants de Sens vont s'exécuter. Tout le numéraire et les objets de valeur sont livrés aux assaillants. Ce butin semble leur suffire puisque les Huns quittent la ville et se dirigent vers Orléans. Les richesses de 12 à 14.000 citadins ainsi que celles apportées par les réfugiés pouvaient satisfaire 50 à 70.000 Cavaliers, pas 500.000 hommes. Le faisceau de présomption se resserre, les chiffres de Grégoire de Tours sont fantaisistes.

LE SAC D'ORLEANS

Après avoir partagé leur butin, les Huns reprennent la route et se dirigent vers Orléans en suivant la Chaussée Romaine. Les chariots des tribus forment de longues files qui se succèdent tandis que les Cavaliers s'égayent dans les champs environnants et saccagent tous les villages rencontrés. La traînée sanglante ainsi formée peut faire 30km de large. D'autres groupes de Cavaliers lancent des opérations de pillage et de reconnaissance profonde au Nord comme au Sud. Attila peut être surpris de ne rencontrer aucune troupe organisée et cela lui fait craindre, à juste titre, que de grosses concentrations se préparent. Mais d'où viendra l'adversaire? Un bon éclairage du terrain lui est indispensable. Ce sont ces avancées profondes qui feront souffler un vent de panique sur la région parisienne. Sainte-Geneviève qui gère ses oeuvres parmi les habitants de la colline qui portera son nom, reçoit des réfugiés en grand nombre. Leurs récits accentuent encore la frayeur qui se propage. Cependant Geneviève interroge des témoins oculaires, fait la part du réel et du fruit de l'angoisse et garde son sang froid. Confortée par une idée objective du danger, elle pense que la ville peut et doit résister. Des fuyards en désordre seraient naturellement plus exposés.

L'autonomie régulière d'un Cavalier en reconnaissance ne dépasse pas 60km, et comme le déplacement de la horde de Sens à Orléans a duré une petite semaine, les éclaireurs avaient trois jours pour chevaucher et venir saccager la région Parisienne. Ainsi les Huns ont, au mieux, atteint Melun mais Paris n'a pas été abordé. Attila avait besoin de tout son monde à Orléans et dans ce type d'action les renseignements obtenus sont précieux et doivent être rapatriés d'urgence. Sainte-Geneviève fut donc raisonnablement courageuse et le reste de sa vie témoigne de la sûreté de ses jugements.

Lorsque les Huns découvrent Orléans, la population environnante s'est repliée derrière les murs et la cité est mise en état de défense. L'agglomération fermée constitue un rectangle de 530m par 460 environ, soit une surface de 24ha et les fugitifs repliés derrière les murailles sont en quantité équivalente à ceux de Sens, 12 à 14.000 habitants réguliers plus 10.000 personnes venues du quartier Saint-Aignan et des environs, ce qui permet de porter 6 à 7.000 défenseurs sur les courtines. Mais l'un des grands côtés de la cité, celui donnant sur la Loire, est difficilement accessible par les assaillants, ce qui augmente le nombre d'hommes disponibles sur le périmètre menacé. Ils sont ici plus de quatre au mètre linéaire contre trois à Sens et c'est une valeur optimum. Enfin, si les Senons pouvaient craindre la disette en cas de long siège, les Orléanais sont, eux, persuadés de s'approvisionner par le fleuve. Ce facteur leur donne confiance et sans doute refusent-ils tout compromis avec l'envahisseur, d'autant que l'arrivée des troupes menées par Aetius doit être connue dans la ville.


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Depuis 275/300, la ville d'Orléans s'est repliée derrière une puissante muraille en quadrilatère qui préserve le maillage urbain. La voie Nord/Sud, (B,C), évite la cité et le castrum (D) protège le pont Romain (E). Ancien pont Gaulois (F), digue Gauloise (G) pont moderne (H). Le franchissement ainsi que la voie sur berge amènent un potentiel économique important et les activités extra-muros dont l'essentiel se situe en aval (J) bénéficient sans doute d'une protection légère (K). En amont les installations sur berge (L) et celles de la route de Sens (M) ont engendré un faubourg (N) avec une église (P). Saint-Aignan y sera inhumé en 453. En 451, à l'heure du siège, la rive de Loire (Q) est difficilement accessible tandis que les faces Est (R) et Nord (S) semblent dégagées grâce à des voies périphériques (T,U). Par contre, le côté Ouest encombré de constructions offre une meilleure approche aux assaillants, ce fut sans doute le choix d'Attila.

Cependant, ce bilan est trompeur. Orléans est beaucoup plus exposée que Sens. La muraille tout aussi puissante n'est pas protégée par un fossé régulièrement alimenté en eau ce qui facilite l'approche des Cavaliers. D'autre part, la face Ouest de l'agglomération, celle contiguë à la voie menant vers le pont, est alors flanquée d'un important faubourg sans doute partiellement protégé qui, brûlé et rasé, offrira de nombreux matériaux à entasser au pied de la muraille et beaucoup de bois pour les feux d'intoxication. C'était déjà la partie faible de l'agglomération à l'époque Gauloise et l'endroit choisi par César pour son assaut. Ce quartier sera le premier cerné d'une muraille additive lors du développement ultérieur de la cité.

Dans les villes fortes du Moyen Age, ces constructions médiocres mais nécessaires établies hors la muraille sont la hantise des conseils de défense. Les Prévost tentent de les interdire et parfois les font détruire mais elles renaissent régulièrement à chaque période de paix relative, seules quelques bâtisses bordant les voies rayonnantes sont tolérées, mais à la première menace sérieuse, tout est détruit sur une profondeur correspondant au jet des machines de guerre, soit 60 à 90 m. Souvent lassés de ce jeu de massacre commerçants et artisans établis hors les murs finiront par se regrouper dans un faubourg caractérisé et distinct de l'agglomération qui deviendra une ville parallèle avec sa propre muraille. Là les dispositions intérieures sont parfaitement conformes aux besoins des activités économiques. En région Parisienne le marché de Meaux fut un cas exemplaire.


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Devant le refus des Orléanais qu'il juge comme une provocation, Attila décide d'attaquer. A cette époque il n'a encore aucune information sur les forces levées à son encontre et sur leur ordre de marche. Les assauts menés par les Huns contre la muraille vont rencontrer une résistance farouche. Attila doit se résoudre à d'importants travaux d'approche mais ses hommes ne sont guère expérimentés en la matière et les préparatifs traînent en longueur. Le chef Mongol qui pensait gagner la partie en deux ou trois jours voit deux semaines passer sans grand résultat. Dès la troisième semaine, le volume de matériaux divers accumulés contre la muraille, ainsi que la confection de rampes et d'échelles, permet d'envisager un assaut en bonnes conditions, mais ses Cavaliers sont entrés en contact avec les avant gardes d'Aetius et l'arrivée des Germaniques paraît imminente. Il semble cependant qu'une partie de la ville fut submergée et brûlée. S'agissait-il du faubourg aval ou de la ville forte elle-même cela reste incertain. De bons îlots de résistance subsistent, et notamment la citadelle contiguë au pont, ce qui permet aux forces de secours venant du Sud, en majorité des Visigoths d'Aquitaine, de franchir le fleuve sans encombre. Le départ des Huns est précipité et les chariots retardent leur marche de repli vers l'Est. A la hauteur de Sens, ils sont harcelés par les Burgondes arrivant sur leur flanc Sud, ce qui infléchit leur marche vers le Nord. Venus de Troyes, ils seront finalement interceptés à Chalons sur Marne.

AETIUS

Le Byzantin qui va lever les Germaniques d'Occident contre l'envahisseur connaît bien les Huns. En 423, jeune officier à Ravenne, il se range aux côtés d'un usurpateur et, sans vergogne, va, pour son compte, lever des mercenaires Asiatiques dans la cuvette Danubienne. De retour en Italie avec une forte troupe de Cavaliers Huns, il s'aperçoit que son maître de circonstance a été renversé et assassiné. Il fait alors soumission au nouveau pouvoir. En ce temps là les grands de Byzance n'ont guère de conscience et c'est parfois un gage de survie, voire de promotion. Vers 427/428, Placidia fille de Théodose le Grand dont il est l'amant fait de lui un général et c'est avec le titre de commandant en chef qu'il gagne l'Occident en 429. Nous l'avons vu appliquer scrupuleusement la ligne politique imaginée dans le palais de Constantinople, jouer des antagonismes en Europe et se servir des Huns pour contenir les Germaniques loin de la Méditerranée et hors des quelques terres d'Occident restées fidèles à Byzance. En 443 nous l'avons vu utiliser les Mongols pour dégager les Burgondes de la vallée du Rhin mais c'était un service empoisonné. Depuis 438, depuis que le jeune Attila a coiffé la couronne des Mongols, ce peuple échappe totalement à la stratégie impériale.

Quand Aetius apprend qu'Attila a mis en branle une force considérable et que son axe de marche le mène sans équivoque vers l'Occident, où l'emprise impériale est très relative, il a tout lieu d'être inquiet. Dans le Nord, les Francs agissent à leur guise et pénètrent souvent jusqu'aux rivages de la Seine. En Aquitaine, les Visigoths à qui l'empire avait confié le bassin de la Garonne grignotent chaque année davantage les possessions impériales du Sud de la Loire. Enfin le petit peuple Burgonde naguère chassé du Rhin se trouve maintenant solidement installé dans la vallée de la Saône et son emprise politique est admise par la population Gallo-Romaine. Il y a là l'amorce d'un nouveau royaume indépendant. Dans ces conditions, si Attila ravage le Val de Loire et le Bassin Parisien comme il semble vouloir le faire, puis s'en retourne sur les rives du Danube à la fin de la saison, Francs, Visigoths et Burgondes occuperont le terrain, ce sera la fin des possessions impériales au Nord des Alpes.

Dès que l'objectif des Huns se confirme, Aetius chevauche rapidement et gagne le Bassin Parisien mais il est démuni de moyens. Si son territoire administratif couvre encore les 3/4 de ce pays où l'on dénombre sans doute dix millions d'habitants, les forces qu'il peut rassembler sont en nombre dérisoire. Il lui faut faire appel à des alliés de circonstance, les Germains. Dans le Bassin Rhodanien, les Burgondes dont le Nord du territoire fut écorné par les envahisseurs, le roi Gondion (436/463) répond à l'appel du Romain et entreprend la levée de ses forces. Étant donnée la nature du péril, des Gallo-Romains vont sans doute se joindre à lui. Au Nord, chez les Francs, la menace est mal perçue mais les jeunes Cavaliers qui rêvent de s'aventurer vers le Sud sont tout disposés à partir en campagne. Mérovée, roi de Tournai, 447/457, prend la direction des opérations et cet engagement va grandement favoriser l'ascendant de sa famille sur le peuple Franc. Son jeune fils, Childéric, doit l'accompagner. Enfin, chez les Visigoths d'Aquitaine, le vieux roi Théodoric, 419/451, qui a toujours voulu étendre son domaine voit dans cette opération une excellente occasion de se poser en défenseur des terres Gallo-Romaines ce qui ne peut que favoriser ses ambitions territoriales. Son action sera clairvoyante et courageuse malheureusement il perdra la vie dans l'engagement des Champs Catalauniques. Ajoutons que Visigoths et Burgondes ont eu connaissance des raids menés par les Huns contre leurs frères d'Outre Rhin ce qui renforcera l'engagement personnel de chacun des guerriers.

Quel est le nombre de combattants Germains engagés contre les 50 à 70.000 envahisseurs Mongols?. L'estimation est difficile mais nous pouvons imaginer une distribution des participants comme suit: les Visigoths, les plus nombreux semble-t-il, peuvent engager 40 à 45.000 hommes, les Burgondes ne doivent pas aligner plus de 15 à 20.000 hommes et les Francs une quantité légèrement moindre, soit 10 à 15.000. A cela il faut ajouter les quelques forces que le Romain a pu convaincre de le suivre dans l'aventure, ce qui fait entre 70 et 80.000 hommes, soit un nombre légèrement supérieur a celui des envahisseurs, mais les Germains vont sans doute bénéficier d'un avantage tactique en acculant leurs adversaires à la plaine marécageuse de la Marne, un espace où la cavalerie Mongole sera handicapée. L'essentiel de la bataille, qui semble se concentrer sur les deux rives d'un petit affluent de la Marne, doit se dérouler entre combattants à pied.

LES CHAMPS CATALAUNIQUES

Cette bataille qui fut la plus importante des temps Mérovingiens et dont les conséquences politiques seront considérables se déroule à proximité de Chalons sur Marne, d'où le nom de Champs Catalauniques qui lui sera donné. Cependant le lieu même de l'engagement ne fut jamais fixé ni même proposé dans le cadre d'une hypothèse satisfaisante. Pour ce faire, plantons le décor de l'action.

Les Catuuellauni ou Catalloni sont présents sur la carte politique de la Gaule dès l'époque de César avec, pour voisins, les Rèmes au Nord et les Tricasses au Sud. Ils gèrent un vaste territoire de forme rectangulaire que nous pouvons estimer à 50 par 90 km de côté. Dès l'époque de la Tène, les agriculteurs qui cultivent les plateaux ont recours aux artisans installés sur les bord du fleuve. Les traversées favorables sont rares sur le cours marécageux de la Marne et le plus couramment utilisées et formées par le prolongement d'un éperon peu caractérisé mais toujours visible sur la courbe des 100m. Une ville Gauloise s'installe alors dans une île artificiellement stabilisée, ce sera la métropole économique des Catalloni.

Dès la Conquête, les Romains admettent cette ville comme d'autres mais elle est loin d'avoir l'importance et le prestige de la métropole des Rèmes toute proche. La Chaussée d'Agrippa qui monte vers Boulogne suit la vallée de la Marne et le tracé semble passer sur la rive Nord-Est, négligeant ainsi la cité des Catalloni. C'est pratiquement l'actuelle N 44, mais certains historiens préfèrent choisir une voie Romaine bien conservée qui se trouve sur la rive Sud-Ouest.

Les ingénieurs Romains exploitent et aménagent le franchissement déjà en place. Mais, dès le siècle d'Auguste, l'important trafic économique qui suit la Chaussée engendre une agglomération nouvelle et régulièrement urbanisée. Elle se développe au Nord/Est sur le carrefour formé par le franchissement et la Chaussée d'Agrippa, c'est Durocatalauni. Son importance nous est inconnue mais nous pouvons l'imaginer de taille moyenne, 60 à 80 ha. Elle disparaît dans la tourmente de 250/275 et l'ensemble de la population se replie sur les îles de la Marne plus facilement défendables. C'est le retour au site Gaulois phénomène maintes fois constaté. Cependant, l'orientation de deux lieux de culte, Saint-Loup et Saint-Jean, témoignent encore des coordonnées du maillage antique de la ville Augustéenne.

Ce schéma se retrouve à Arras ainsi qu'à Troyes. Pour ces trois cités la cathédrale se situe dans l'île de repli du Bas-Empire, celle d'Arras disparaît à la fin du XVIII°s.

En 451, l'essentiel de l'agglomération se trouve toujours concentré sur une surface de 20 ha bien protégés par les divers cours de la Marne et sans doute par une digue défensive surmontée d'un ouvrage du genre murus gallicus, tandis que l'ensemble des activités artisanales s'est fixé sur une île voisine avec une moindre protection. Cette agglomération qui regroupe 12.000 personnes plus un nombre important de réfugiés s'est mise en état de défense et la cité verrouille le franchissement. Sur plusieurs kilomètres en amont et en aval, les basses terres sont encore aménagées par des maraîchers et de petites exploitations qui assurent l'alimentation de la ville en produits frais. Ces gens travaillent avec de grandes barques à fond plat, sur de multiples petits canaux de service, c'est donc une zone difficilement franchissable où les rares passages aménagés sont faciles à garder ou à détruire, il suffit de brûler le pont avec des fagots de bois. C'était donc un obstacle très sérieux, voire un piège pour la horde Mongole, Aetius qui manquait de conscience mais pas de talent avait fort bien coordonné l'action des Germaniques.

Dans ces conditions, nous pouvons imaginer la situation d'Attila et son comportement logique. Il a perdu 3 à 5.000 hommes dans les durs combats d'Orléans et se sent menacé sur ses arrières par les forces des Visigoths dont la cavalerie le harcèle déjà. D'autre part, les avant gardes Burgondes sont toujours présentes sur son flanc Sud. Depuis quelques jours il voit donc la majorité de ses adversaires sur sa droite et doit abandonner le projet de rejoindre la vallée du Danube par la porte de Bourgogne. Sa marche s'est infléchie vers le Nord et doit le mener vers le cours moyen du Rhin qu'il pense atteindre et franchir avant d'être contraint par les regroupements adverses. C'est ce raisonnement qui l'a dérouté sur Châlons-sur-Marne. La région est bien dégagée, sans obstacle et, à priori, favorable au déploiement de sa cavalerie. Mais il n'y a pas de route directe entre Sens et Chalons, et les petits itinéraires qu'il a empruntés avec ses chariots chargés de butin ont ralenti sa marche. Aux portes de Chalons, où les passages faciles lui sont fermés, il se trouve rejoint par le gros des forces adverses et de surcroît il découvre la cavalerie Franque sur la rive Orientale de la Marne. Il lui faut donc engager le combat en conditions difficiles et les Champs dits Catalauniques nous semblent désigner les jardins et pâturages qui se développent sur une dizaine de kilomètres en amont de la ville.


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Chez les Cataloni, le franchissement de la Marne et les voies sur berge (A,A'-B,B') ont engendré un lieu d'échange puis une petite agglomération. Elle sera négligée par le tronçon de la Chaussée d'Agrippa Reims/Langres, (C,C) mais le potentiel économique se développe et une ville ouverte (D) s'installe sur le carrefour (E). Elle disparaît au Bas-Empire et la population se replie sur le site Gaulois pour former une cité (F) et un bourg artisanal (G). Les ouvrages de franchissement ont engendré un marais amont (H) exploité en pâturages et en potagers. L'espace est desservi par de nombreux chemins (J) et des ponceaux (K). Les Mongols arrivent de Troyes (L) poursuivis par les Visigoths (M) tandis que les Burgondes (N) les assaillent sur leur flanc. Voyant le pont bloqué par la cité forte, les Huns décident de franchir la rivière à hauteur des champs amont (Cataloniques). Ils longent la Coole (P) arrivent sur les berges, déploient une ligne de défense (Q) avant d'entamer le franchissemnt sur des ouvrages de fortune. Mais des Cavaliers francs interceptent les arrivants sur l'autre rive (R). Les Mongols doivent former des ronds de chariots (S). Visigoths et Burgondes (T,U) tentent de percer la ligne des Huns (V) et la Coole devient rouge de sang. Au soir de la bataille les Mongols, dont Attila, sont réfugiés derrière leurs ronds de chariots (W) à la merci des Germaniques mais Aetius ordonne l'arrêt des combats.

L'ENGAGEMENT

Nous pouvons imaginer le déroulement de la bataille comme suit: arrivée à 15/20 km de la ville, la horde retrouve la voie Romaine venant de Troyes mais en vue de Chalons, le Mongol réalise toutes les difficultés de passage. L'agglomération est en état de défense et l'accès direct est protégé par deux courants d'eau de bonne largeur, le plus simple est de contourner l'obstacle par le Sud mais les petits ponts des chemins qui serpentent dans les prairies sont brûlés et les Francs venus de Reims patrouillent sur l'autre rive. En tout lieu et sur un large front, les coulettes et espaces fangeux rendent le passage délicat. Aujourd'hui tout cela est recouvert, amalgamé par d'importants dépôts fixés par les ponts et surtout par l'obstacle des moulins du Moyen-Age.

Les chevaux qui s'engagent sans rechigner sur un haut fond ou à la nage redoutent instinctivement les espaces marécageux. Le passage s'annonce donc long et délicat pour la horde des Huns que les Visigoths et Burgondes engagent déjà sur ses arrières et sur son flanc Sud. Le Mongol donne l'ordre à une partie de ses hommes de mettre pied à terre et de se retrancher derrière le petit cours de la Coole avec, pour protection, une ligne de chariots destinée à bloquer les charges de cavalerie adverse. Ce front doit maintenir les Germaniques un temps suffisant pour permettre le passage d'une bonne part des forces Mongoles sur de petits ouvrages rapidement aménagés.

Deux heures plus tard, les 30.000 hommes qu'il a laissés en flanc garde sont pris à partie par 40.000 Visigoths et Burgondes tandis que 5.000 cavaliers Mongols encore sur la rive Sud-Ouest s'opposent aux opérations de débordement. L'engagement des fantassins se fait sur le cours de la Coole qui devient la rivière rouge de sang décrite dans les textes. Peu à peu chariots et cavaliers Huns franchissent les bras de la rivière sur des ouvrages improvisés faits de fagots, d'arbres abattus et de matériaux divers amenés des faubourgs de la ville. Parfois des chariots envasés servent de base aux ouvrages provisoires. L'avancement de ces travaux améliore peu à peu les conditions de franchissement, mais ceux qui arrivent sur l'autre rive sont pris à partie par les cavaliers Francs déjà déployés le long de la voie Romaine. Ils doivent se protéger dans des cercles de chariots.

Sur les bords de la Coole ce sont les Visigoths, sous la conduite de Théodoric, qui fournissent l'effort principal. S'ils réussissent à bousculer cette ligne de fantassins et à les poursuivre dans les passes difficiles, ce sera un grand massacre à bon compte. L'engagement fut donc total dans les deux camps et bientôt des morts innombrables jonchent le terrain, 20.000 nous dit un chroniqueur. Mais ce sont sans doute ceux hâtivement dénombrés sur le champ de bataille de la Coole, les hommes mortellement blessés ou victimes des cavaliers Francs sur l'autre rive étant hors de compte. 30.000 victimes serait une estimation vraisemblable, la grosse majorité étant des Huns dont l'engagement s'est fait dans les plus mauvaises conditions.

Les Visigoths qui comptent leur roi parmi les morts au combat veulent traverser la rivière à leur tour et massacrer tout ce qui se trouve dans les ronds de chariots établis sur l'autre rive. Là se trouve Attila en personne et en bien mauvaise posture mais Aetius qui voit déjà le prestige acquis par les Germaniques et les conséquences politiques qui peuvent en découler s'oppose à cette action ultime et, curieusement, il est obéi. Le chef Mongol peut donc rassembler ses hommes dispersés, reformer sa colonne et prendre la direction du Rhin par la vallée de la Moselle. La route de Bourgogne représente un risque trop grand pour lui. Sur la route choisie, le verrou de Trêves est encore sous le contrôle d'Aetius mais la garnison ne bougera pas.

Ce descriptif n'est qu'une hypothèse mais il convient bien au terrain considéré. Nous la proposons donc comme telle et jugée satisfaisante.

Les égards que le Romain a eus pour le Mongol seront sans effet durable, l'empire d'Orient qu'il représente est totalement déconsidéré et les Germaniques sont vus maintenant comme les sauveurs du pays qu'ils avaient naguère envahi. Pour l'honneur militaire de la Gaule, espérons qu'il y avait un petit nombre de Gallo-Romains d'origine sous les bannières des Germaniques.

LA NOUVELLE DONNE POLITIQUE

Attila ne fut nullement reconnaissant à Aetius de lui avoir laissé la vie sauve, l'année suivante il ravagera encore l'Italie du Nord puis mourra empoisonné, dit-on, par une concubine Germanique qu'il avait enlevée aux siens. Aetius disparaît également assassiné trois années plus tard, en 454, enfin, Mérovée, le Franc, meurt en 458. Aegidius qui remplace Aetius à la tête du petit domaine Gallo-Romain fait pâle figure dans le jeu politique. Il perd le contrôle de la vallée du Rhin avec la chute de Trêves occupée par les Francs une année après sa prise de pouvoir en 455 et finalement meurt en 464.

Lorsque Syagrius lui succède les terres qu'il contrôle effectivement se limitent au Bassin Parisien et au Val de Loire. Au Nord, les Francs ont acquis le contrôle de Cambrai en 432 puis d'Amiens et d'Arras. Ils sont sur la Somme avant 450. Dans les villes fortes, les changements de régime semblent se faire sans heurts, les campagnes environnantes et les produits indispensables à la vie de la cité sont maintenant sous contrôle des cavaliers Francs et les commerçants et bourgeois ont admis de traiter avec les Germaniques. La passation de pouvoir s'effectue en bousculant la petite garnison d'obédience Romaine, une présence qui ne sera pas regrettée.

Au Sud, les villes du littoral Méditerranéen, Narbonne, Béziers et Nîmes sont acquises par les Visigoths dès 460 et l'ensemble du Berri, du Massif Central ainsi que les Cévennes, tombent sous leur contrôle avant 475. En 476, les possessions du roi Euric (466/484) sont alignées sur le cours de la Loire, seuls les diocèses d'Orléans et de Nevers demeurent liés à l'empire. Quant aux Burgondes, partis de leur base de la Saône, ils ont acquis le contrôle de toute la vallée du Rhône et sont au contact des cols alpins. Ainsi une carte de l'Occident tracée à l'horizon 480 se révèle défavorable aux Francs, leur domaine est encore bien modeste et Syagrius leur fait obstacle.

Des problèmes religieux vont se greffer sur le contexte politique: Visigoths et Burgondes sont chrétiens Ariens tandis que la majorité des évêchés demeure fidèle à Rome. Leur situation devient difficile. Déjà chez les Visigoths de France et d'Espagne, les évêques fidèles à Rome sont chassés de leur siège et exilés. En l'année 480, tout peut basculer mais les hommes choisis par le destin sont au Nord.


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LE NOYAU FRANC EN GAULE BELGIQUE

Les années 250/275 ont ruiné les grandes exploitations céréalières de plateau. Mis en place par la bourgeoisie Gallo-Romaine dont la trop grande emprise sur la société rurale fut sans doute responsable des troubles et des Jacqueries, ces domaines seront laissés à l'abandon. Les survivants vont s'installer dans les vallées et la misère des temps leur impose de petites exploitations, les rares terres de plateau sauvegardées de la futaie seront transformées en pâturages. Les Germaniques, mercenaires libérés ou envahisseurs intégrés, s'intéressent à ces terres abandonnées, ce sont des gens modestes pour qui 15 à 20 ha de bonnes terres représentent le patrimoine idéal. Cependant la vague Germanique amènera ultérieurement des nobliaux, des Junkcrs, suivis de leur petite troupe de fidèles qui, eux, sont séduits par l'esprit du grand domaine. Leur installation première ne se fera pas nécessairement sur les fondations Gallo-Romaines mais sur le site afin de bénéficier du terroir et de son infrastructure. Les maîtres de la troupe se font construire une vaste demeure et l'articulation das bâtiments annexes va tout naturellement retrouver la disposition optimum des grandes fermes Gallo-Romaines, avec deux cours, l'une pour les maîtres et les Cavaliers, l'autre pour le personnel en famille qui assure la gestion des bêtes à cornes. Nous avons ainsi une cellule aristocratique de base qui doit traverser les siècles.

Ces Junkers qui furent hissés sur le pavois dans les périodes de guerre seront ensuite desservis par la coutume Franque qui veut que chaque Cavalier soit libre hormis ses engagements militaires. Le domaine se transforme alors en village. Cependant, certains patrimoines bien gérés permettront aux nobliaux de développer leurs biens personnels ce qui leur assure une position et une situation privilégiées en cas de mise sous les armes.

C'est parmi ces personnages en vue que les villes Gallo-Romaines vont choisir leur interlocuteur. Clodion, dit le Chevelu, dont les propriétés jouxtent la ville de Tournai sera admis et traité royalement par la cité puis par le Romain Aetius et ses descendants vont s'imposer comme tel dans l'opinion Gallo-Romaine. Une autre grande famille développera son patrimoine et son prestige à quelques distances de Tongres et s'imposera ultérieurement sous le patronyme des Landen puis d'Héristal, ce sont les Carolingiens.

LES ROIS DE TOURNAI

A la mort de Mérovée, l'un de ses fils, Childéric, reprend ses charges et prérogatives sans problème apparent. Le nouveau roi est un garçon de haute stature, 1m 80, et de tempérament paillard. Lors de ses beuveries avec ses compagnons, il trousse les servantes ce qui est dans l'humeur du temps mais les choses se gâtent quand il s'en prend aux filles de bonne famille de son entourage. Les frères et les pères de ses victimes le poursuivent avec la ferme intention de lui fendre le crâne. En 459, il doit fuir à bride abattue et sa chevauchée le mène au-delà du Rhin, en Thuringe, sur les terres d'un parent de la famille. Il se calme un temps mais bientôt ses humeurs le reprennent, il séduit la jeune femme de son hôte et, en 463, il doit fuir à nouveau.

Sa famille négocie son retour à Tournai où il s'installe avec sa compagne de Thuringe dont l'histoire fera une princesse. Elle lui donnera plusieurs enfants et le roitelet des Francs semble assagi. Sans doute pour occuper son temps se livre-t-il aux jeux coutumiers de sa race: beuveries d'hiver et chevauchées violentes sur le domaine Gallo-Romain de Syagrius, dès la belle saison revenue. Ses rêves ont également pour objectif de chasser de leurs terres des Gallo-Romains afin d'installer de jeunes agriculteurs Francs. Ces actions ne plaident pas en faveur du roi de Tournai mais elles ne touchent pas les villes où s'écrit l'Histoire.

Le personnage fut mis en lumière par la découverte de son tombeau le 24 mai 1653, lors de la reconstruction des bâtiments de l'hospice Saint-Brice, à Tournai. Le corps avait été placé dans un cercueil de bois ferré et inhumé dans une grande fosse maçonnée avec les armes, les trésors et les insignes de fonction du défunt, mais l'anneau gravé Childerici Régis ne doit pas faire illusion, l'usage du latin ainsi que les insignes de Général Romain prouvent que l'homme était considéré comme tel par ses interlocuteurs latins, rien de plus. Ses attributs lui servaient également face aux cités fortes où l'humeur était toujours latine, c'était plus des arguments à l'égard des Gallo-Romains que des marques de pouvoir reconnues par les Francs.


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La ville de Bavai mise en place par le programme impérial ne connut pas le développement espéré et le potentiel économique se porte vers les berges de l'Escaut: c'est la naissance de Tournai. La ville Augustéenne (A) disparaît au Bas-Empoire et la population se regroupe derrière une muraille légère (B) dont l'empreinte est toujours visible. Le pont Romain (C) demeure en place mais l'obstacle formé par la ville génère une déviation (D) qui justifie un nouveau franchissement (E). L'artisanat se fixe sur les rives amont (F) et aval (G) tandis que la composante agricole et maraîchère s'installe au-delà du fleuve où elle retrouve l'ancien tracé Romain (H) -le tracé moderne figure en pointillé (J) - Une grande famille Franque dont les terres se trouvent sur cette rive vient fixer sa demeure aux portes de la ville (K). Leur sépulture est installée en (L). La future église Saint-Brice figure en (M). Les engagements de Clodion puis de Mérovée auprès des Romains les feront considérer comme rois de Tournai. Au temps de Childéric, le patrimoine familial est devenu très important et le domaine purement agricole a laissé place à une résidence de caractère noble où s'activent 200 à 250 personnes dont 20 à 30 Cavaliers et une cinquantaine de chevaux. Les bâtiments s'articulent autour d'une vaste cour des équipages (N). Il ne manquent que l'église et la salle du Conseil pour obtenir le plan du palais Carolingien.

Ce trésor aujourd'hui disparu en partie nous est bien connu grâce à l'étude rigoureuse menée à Bruxelles par J.J. Chiflet. Cet érudit né à Besançon était alors médecin personnel de l'archiduc Léopold Guillaume, fils de l'empereur Ferdinand II et Gouverneur des Pays-Bas. A cette époque les Francs enterraient leurs défunts à la manière Germanique. Le caveau maçonné était recouvert de terre, formant un petit tertre artificiel entouré d'arbres et situé un peu à l'écart du domaine; le palais des rois de Tournai se trouvait donc sur l'autre rive de l'Escaut, face à la cité forte. Au siècle dernier, les émigrés Anglo-Saxons partis à la conquête du Nouveau Monde enterraient pareillement leurs morts à la limite de leur propriété.

Childéric, ce personnage haut en couleurs et sans doute plus fastueux qu'efficace dans son gouvernement, laisse plusieurs enfants parmi lesquels Clovis qui s'impose rapidement comme successeur de son père. Mais fils d'une princesse de Thuringe et sans attache avec l'aristocratie Franque de la région, il doit batailler dur et fendre quelques crânes pour s'imposer, il lui faut également se distinguer sur les champs de bataille puisque chez les Francs la valeur militaire prime toute autre qualité.

CLOVIS

Né vers 464, le garçon a vécu ses jeunes années dans le domaine familial. Les terres de son père sans doute trop importantes pour être gérées d'une seule exploitation ont été réparties en diverses fermes confiées à des serviteurs ou compagnons d'aventure et l'ensemble résidentiel de Tournai est à mi-chemin entre la villa Gallo-Romaine et le palais Carolingien. Une cour noble, avec le logis des maîtres, des écuries pour les chevaux de monte et des bâtiments pour les serviteurs et palefreniers forment le cœur du domaine, puis vient une seconde cour pour les hommes d'armes, leurs montures et les chariots. Il y a là 200/250 personnes et 50 à 70 chevaux, c'est un univers de cavaliers où la narration des faits de guerre, des ripailles et beuveries rythment les journées de repos. Le jeune Clovis est curieux. Au contact des voisins il a acquis quelques bribes de latin et, souvent, il traverse le pont, pénètre dans la cité fermée et découvre un autre univers: le commerce, l'artisanat et surtout la vaste collégiale avec son Chapitre, lieu de culture et de méditation où les informations arrivent de France et d'Europe. Là, germe dans l'esprit du jeune homme l'idée qu'un grand roi doit gérer le pouvoir des Cavaliers mais également s'appuyer sur les cités, ne pas les considérer uniquement comme des richesses à piller.


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Arrivé en Occident vers 464, Syagrius trouve une situation critique et ambiguê. Son domaine s'étend de la Somme à la Loire mais le contrôle du Rhin lui échappe et son pouvoir est très aléatoire. Les villes fermées demeurent des bastions sûrs de la Romanité mais les notables refusent tout engagement hors les murs, quant à la soldatesque bien installée dans ses cantonnements et qui vit du droit du glaive, clic est peu enclin aux engagements à risque. Les Germains profitent de cette situation. Sous Théodoric II (451/466), puis sous Euric (466/484) les Visigoths partis d'Aquitaine ont occupé l'ensemble des territoires situés au Sud de la Lpirc. De leur côté, les Burgondes sous la conduite de Chilpéric le Grand (476/491) ont acquis l'ensemble des terres du Bassin Rhodanien. Enfin les Alamands se sont installés sur la vallée du Rhin moyen. Au Nord, Syagrius a réussi à maintenir les ambitions des Francs en flânant le vaniteux cl jouisseur Childéric (458/481) mais à sa mort le plus violent et le plus intelligent de ses rejetons, Clovis, prend le pouvoir et entreprend des incursions vers le Sud. Syagrius se doit d'intervenir. Il rassemble quelques forces et se dirige vers Soissons afin de bloquer ce qu'il prend pour une incursion ordinaire mais il perd la bataille en 486 et c'est la fin de l'ordre Romain en Occident. S'en suit une chevauchée effrénée des Francs à la poursuite de Syagrius et de ses derniers fidèles. Face à cela les villes ferment leurs portes et regardent passer.

Vers 482/484, entouré d'une bande de jeunes à l'esprit aventureux à qui il a promis monts et merveilles, Clovis lance des actions violentes dans le domaine de Syagrius, autant sans doute pour se valoriser aux yeux des siens que pour fuir les coups de francisques vengeurs des amis et parents de ses victimes. Ses rêves aventureux passent par Soissons, où l'ancien pont de la Chaussée d'Agrippa franchissant l'Aisne est toujours en place. Une de ses chevauchées le mène à Reims, non dans la puissante cité fermée de murailles mais sur la hauteur Sud, là où se trouvait la vieille agglomération Gauloise qui fait maintenant figure de faubourg chrétien. Les défenses en sont modestes, les églises nombreuses et les richesses tentantes. Parmi le butin des Francs se trouve un vase qui va marquer l'Histoire. A l'heure du partage qui se fait à Soissons dans la boucle de la rivière dont le cours semble marquer la limite des terres sous contrôle Franc, Clovis demande que lui soit attribué ce vase auquel Rémi, futur évêque de Reims, tient beaucoup. La suite fait partie de l'Histoire et le geste du guerrier montre bien que les prérogatives de Clovis n'excèdent pas celles du Chef élu. L'épisode est anodin mais il témoigne des bonnes relations que le jeune Franc entretient déjà avec le haut clergé Gallo-Romain et ses rapports détermineront grandement la suite de l'Histoire.

LA BATAILLE DE SOISSONS

La ville de Soissons qui couvrait une bonne centaine d'hectares à l'époque Augustéenne n'est plus qu'un modeste réduit de 12 ha environ, installé sur le côté est d'un vaste méandre de l'Aisne. La Chaussée d'Agrippa qui justifia l'agglomération demeure très fréquentée et le pont qui franchit la rivière à 1400m de la cathédrale est important pour l'économie de la cité, notamment pour ses échanges avec les terres agricoles du Nord. Mais l'ouvrage est totalement isolé, non gardé et libre d'accès. D'autre part, il est sans doute le dernier en état sur une bonne partie du cours de la rivière et les Cavaliers Francs l'utilisent à leur guise. Les implantations Franques doivent être nombreuses sur la rive droite puisque le partage du butin se fait là, avant que les forces ne se dispersent et que chacun rentre chez soi. Ainsi, pour les Gallo-Romains qui gémissent auprès de Syagrius, Soissons représente la porte des incursions Franques. Vers 484/485, à l'initiative du jeune chef, elles doivent se multiplier puisque le Romain décide d'intervenir. Il le fera en 486 en installant des troupes autour de Soissons. C'est une provocation pour les Francs et une aubaine pour le jeune monarque qui n'a mené jusqu'ici que des actions de piètre envergure.

Cette bataille d'un grand retentissement fut sans doute un engagement de moyenne importance. Le Romain entretient là 4 à 500 hommes dont une garnison de 250/300 soldats casernés dans l'enceinte qui marque l'angle Nord/Est de la cité et c'est une lourde charge pour les 6.000 habitants. A la belle saison, où les Francs ont coutume de s'engager, Syagrius se rend sur place avec 3 ou 4.000 hommes tandis que le Franc qui a promis à ses amis une opération fructueuse rassemble 5 à 6.000 combattants dont 2.000 cavaliers. C'est peu en rapport des masses d'hommes engagées aux Champs Catalauniques mais personne n'imagine encore les conséquences à venir.

Le développement de la bataille nous permet d'imaginer l'engagement initial. Si Clovis avait vu les troupes du Romain alignées pour la défense de la rive, il n'aurait pas risqué un franchissement en force toujours très coûteux. Les fantassins auraient fourni l'essentiel de l'action et les cavaliers n'en auraient tiré que peu de mérite. Si telle avait été la tactique du Romain, les Francs avaient tout intérêt à glisser le long de la rivière pour obtenir un franchissement par surprise et utiliser ensuite toute la puissance de leur cavalerie sur la rive Sud. De son côté, Syagrius pense qu'une victoire purement défensive ne ferait que différer le problème. Il Préfère sans doute un dispositif de caractère apparemment défensif établi autour de Soissons afin d'inciter le jeune guerrier présomptueux à franchir l'obstacle. Il lui suffira ensuite de l'acculer à la rive pour tuer ou capturer un grand nombre d'adversaires. Semblable dispositif ou chacun des deux protagonistes décide de jouer son va-tout, aide à comprendre la suite des opérations.


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Au Bas-Empire, la ville ouverte (A) disparaît et la population s'enferme dans la cité forte (B) mais les quartiers périphériques sont nombreux: Saint-Jean (C), Saint-Wast (D), et Saint-Médard (E). Cette disposition laisse sans défense les principaux ponts (F,G) et le passage est libre pour les Francs. Les forces de Syagrius doivent prendre du recul (H) avec l'intention de contre attaquer et de rejeter l'adversaire à la rivière (J), mais les Francs sont vainqueurs grâce à un débordement de cavalerie (K). C'est la débandade des Romains (L). La ville ferme ses portes et laisse faire.

Nous pouvons imaginer le choc des 10.000 combattants dans les basses terres qui se situent entre le pont d'Agrippa et la ville. Les 2km carrés qui s'étendent de part et d'autre de la Chaussée permettent amplement la mise en oeuvre d'un tel affrontement. Les Francs exploitent sans doute un débordement de cavalerie, leur atout majeur, et submergent rapidement les mercenaires sans conviction qui forment les rangs du Romain. Les vaincus s'égaillent comme une volée de moineaux et la ville de Soissons, prudente, ferme ses portes aux fugitifs. Avec quelques fidèles Syagrius doit fuir et dans l'implacable poursuite qui s'ensuit, il croit trouver refuge chez les Visigoths qui sont ses alliés de principe et les adversaires tout désignés d'une pénétration Franque vers le Sud. Ce subtile raisonnement à l'Oriental semblait juste mais il était dépassé par l'Histoire; les Germains entendaient désormais régler leurs querelles en famille et Syagrius connut la triste fin que l'on sait. Que sont devenus les 15 à 20.000 fonctionnaires de tout poil qui permettaient au Romain d'assurer son emprise sur le Bassin Parisien et sur le Val de Loire. Ils vont s'évaporer ou se réfugier avec leurs précieux biens dans les villes Gallo-Romaines et se faire tout petits.

Dans le Nord, chez les Francs, la nouvelle connaît un retentissement considérable. Des dizaines de milliers de jeunes Cavaliers sont désormais prêts à suivre Clovis mais la bataille de Soissons engendra sans doute un autre phénomène aux conséquences plus profondes. Des milliers de jeunes ménages sans terre, vont charger biens, outillage et semences sur des chariots et partir vers le Sud où les leurs sont désormais les maîtres. Les habitants des cités qui raisonnent encore à la Romaine voient du haut de leurs murs les Germaniques chevaucher et s'installer en tout lieu. Que sera l'avenir? C'est l'église qui va prendre les choses en mains et le mieux placé pour traiter ces problèmes est Rémi, maintenant évêque de Reims. Il connaît bien le nouveau maître et semble avoir sa confiance. Dans les négociations qu'il mène avec les autres évêchés, il développe un argument de poids: il faut s'entendre avec le Franc qui n'a pas encore choisi de religion puisque Visigoths et Burgondes sont maintenant Ariens et risquent de chasser tous les prélats qui se réfèrent à Rome. La grosse majorité de la Gaule reste d'obédience papale, les chroniqueurs du temps disent de rite Trinitaire et Romain.

SAINT-REMI

Selon toute vraisemblance, Rémi est né sur l'oppidum de Laon lieu de repli du Bas-Empire maintenant bien peuplé et fortifié. Sa famille y demeure et l'un de ses neveux deviendra évêque de la cité lors du démembrement du trop vaste diocèse des Rèmes. Le futur évêque a sans doute fait son premier parcours ecclésiastique dans le bourg chrétien qui deviendra ensuite colline Saint-Rémi dès qu'il y fut inhumé. Mais, pour l'heure, il gère la destinée de la grande cité forte qui couvre plus de 50 ha et doit compter 30.000 habitants; c'est la plus grosse agglomération forte du Nord de la Gaule et son poids sur l'échiquier politique est considérable.

Si les Rèmes échaudés il n'y a pas si longtemps par les actes inconsidérés du triste et naïf Nicaise ont confié leur destinée à Rémi, c'est que l'homme est intelligent et clairvoyant, qualités essentielles en ces temps incertains. L'avenir leur donnera raison. L'analyse objective qu'il fait de la situation lui permet des conclusions sans ambiguïté. Les temps impériaux sont définitivement révolus. L'Occident doit accepter les Germains et le pouvoir des Cavaliers. Si l'église veut garder ses prérogatives politiques il lui faut donc sacrer un roi barbare et en faire un chrétien Romain avant qu'il ne décide d'embrasser l'arianisme comme l'ont fait Burgondes et Visigoths. Le jeune roi de Tournai semble tout indiqué pour cette consécration mais il faut agir de manière subtile et en profondeur. Syagrius avait fait de son père un roi de parade en lui offrant bijoux et breloques, pour le fils il faudra lui donner certes une couronne mais également un instrument de gouvernement qui soit d'obédience ecclésiastique Mais avant toute chose, il faut lui trouver une épouse chrétienne qui fera de ses enfants de bons serviteurs de l'Église. Une jeune princesse Burgonde, Claut ou Clotilde, qui a beaucoup souffert semble tout indiquée pour cela. C'est une bonne chrétienne et ses ascendants lui permettront à terme de revendiquer la couronne Burgonde pour ses enfants. Peu à peu la toile se tisse. Clovis a sans doute conscience du stratagème mais la combinaison n'est pas dénuée d'avantages pour lui, le petit bâtard Franc serait ainsi reconnu roi et protecteur dans un domaine six à huit fois plus grand que celui de son père.

LES BURGONDES

Après leur fuite éperdue le long de la chaîne des Vosges et dans la vallée du Doubs, vers 443/444, les 15 à 20.000 fugitifs dont les rangs vont grossir à la faveur de la panique provoquée par les Mongols, arrivent enfin dans la vallée de la Saône. Ils sont alors 20 à 25.000 mais le nombre de guerriers qui les encadre n'a pas évolué. Pour l'heure ce sont des fugitifs et leur seule ambition est de trouver des sites de refuge propres à réorganiser leur vie. Ils se répartissent sur un espace de forme elliptique long de 200 km sur 150 km de large bordant le Nord de Lyon. La troupe se répartit en petits groupes de 600 à 1200 personnes qui vont s'installer sur une trentaine de sites dont les caractères sont généralement constants. Mis à part quelques vastes domaines établis au Sud de Dijon, ce sont des lieux de refuge faciles à défendre et situés en pays de collines ou de moyennes montagnes. L'environnement rural est favorable à l'élevage et à la petite polyculture. Les Burgondes retrouvent là un habitat semblable à celui qu'ils viennent de quitter sur le pourtour de la plaine Rhénane et ceci nous confirme dans l'opinion que nous avons émise à leur égard. Parmi les points de repli choisis, citons la butte de Gourdon aujourd'hui dépeuplée mais dominée par une belle église romane, le site peut convenir à 4 ou 600 personnes. Ils occupent également un site dit de Crotenay. Il peut s'agir du village proche de Champagnoles, mais plus sûrement de l'oppidum des Chaux qui peut accueillir 1.500 à 2.000 réfugiés sans surcharge pour la population en place.


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Après leur défaite face aux Mongols (A) les guerriers Burgondcs fuient vers le Sud (B) à l'abri de la forêt Vosgienne entraînant dans leur sillage de nombreux fugitifs apeurés. Ils suivent ensuite la vallée du Doubs (C) puis se fixent discrètement sur des sites de hauteur entourant la vallée de la Saône. Ils sont alors 20 à 30.000 dont 3 à 4.000 guerriers. En 451, Attila qui ravage le Nord de la Bourgogne (D) permet aux chefs Burgondes de rassembler d'importantes forces locales. Les 15.000 vainqueurs revenus des Champs Catajoniques seront à l'origine de l'expansion Burgonde.

Les misères que les Burgondes viennent de connaître ont justifié l'émergence d'une caste de guerriers solidement encadrée de Cavaliers et ces gens ont quelques difficulté à se remettre au travail. Dans les années qui suivent leur arrivée, ils chevauchent dans les vallées, tournent autour des villes Gallo-Romaines qui parfois les acceptent en tant qu'individus mais ferment leurs portes aux troupes armées. Cependant, ces hommes de guerre vont proliférer et sans doute retrouver de jeunes gens d'origine Germanique dont les familles s'étaient égarées lors de la période 406/410. Ils enrôlent également des Gallo-Romains plus désireux de vivre l'épée au côté que la charrue entre les mains. Dans ces périodes troubles toute structure militaire organisée fait des recrues et de 436 à 463, la petite organisation Burgonde se développe sous la conduite du roi Gondion. Sa participation à la bataille des Champs Catalauniques, ou il a commandé plus que les forces proprement Burgondes, lui vaut un satisfecit de la part des villes et des bourgades Gallo-Romaines.

De 463 à 476, Gondemar Ier gère la destinée des Burgondes et profite de la dynamique créée par son prédécesseur mais ce monarque ne laissera guère de traces dans l'Histoire. Ensuite, vient Chilpéric le Grand 476/491 qui va porter le domaine Burgonde à son apogée. C'est lui qui fait face à Clovis après sa victoire sur Syagrius et la limite entre les deux domaines s'établit sur la ligne de collines qui sépare le Bassin-Parisien de celui du Rhône. Cette frontière forme une légère courbe qui va de Sancerre sur la Loire jusqu'à Épinal dans les Vosges. Pour l'instant, chacun des deux peuples admet cette limite.

Ces rois Burgondes vivent toujours à la Germanique dans de grands domaines ruraux entourés d'une forte troupe de fidèles et nous n'avons aucune preuve qu'ils aient participé à la gestion d'une ville, acquis une capitale traditionnelle. Leur puissance se mesure à l'étendue des domaines qu'ils contrôlent et au nombre de lances que le roi peut rassembler. A la mort de Chilpéric le Grand, ses fils vont se déchirer et le plus féroce mais aussi le plus intelligent, Gondebeau, s'impose bientôt de manière violente. Pour assurer sa tranquillité, il juge bon de faire assassiner son frère, puis ses deux neveux qui seront décapités et jetés dans un puits, enfin il fait noyer l'ancienne reine, sa belle-sœur. Seules les deux filles ont échappé au massacre, sans doute aidées par des Gallo-Romains compatissants. L'une d'elle Clotilde, accueillie à Genève embrasse la foi dite Trinitaire ou Romaine. Rémi de Reims et Geneviève de Paris connaissent l'infortune et les convictions de la jeune fille et décident d'en faire la promise de Clovis. Désormais Église met tout le poids de ses intrigues pour nouer ce mariage. Il faudra naturellement l'accord du roi des Burgondes qui sera imprudemment donné. La cérémonie du mariage eut lieu à Soissons en 493, maintenant Clotilde dans le lit de son époux et Rémi dans ses combinaisons politiques ont environ 3 années pour convertir Clovis si nous acceptons la date de 496 pour le baptême de Reims.

PARIS

Après la défaite de Syagrius, les Cavaliers Francs ont chevauché en tout sens dans leur nouveau domaine. Les agriculteurs se sont installés sur des terres à leur convenance, tandis que les villes Gallo-Romaines regardent avec méfiance et laissent se développer un phénomène qu'elles ne peuvent contrôler. A l'heure du mariage de Clovis, leur comportement demeure dubitatif. Que faire à l'égard de ces gens? Les agriculteurs sont acceptés sans problème comme partenaires dans les échanges économiques mais à condition de se comporter en civil. Pour les Cavaliers dont l'évêque Remi dit le plus grand bien, certaines bandes isolées demeurent incontrôlables et ne se privent pas de piller. Ainsi, dans les villes, la méfiance est de règle. Toute approche de troupes en armes est considérée à juste titre comme une menace, les portes se ferment les courtines se garnissent de curieux en armes et, dans le meilleur des cas, les deux camps engagent des pourparlers, la troupe royale ne fait pas exception. Ce phénomène est sans conséquence pour la plupart des cités qui n'ont pas grande importance sur l'échiquier politique mais Paris qui occupe une position stratégique sur le cours de la Seine demeure toujours d'une extrême méfiance, voire hostile, et ceci gène les mouvements des troupes Franques.

L'ordre Romain venu de Méditerranée avait fait du Bassin Rhodanien sa voie de pénétration et de la Chaussée d'Agrippa Lyon/Boulogne, l'axe Nord Sud principal des Gaules mais, depuis la fin de l'Empire, le pays retrouve peu à peu une articulation économique plus traditionnelle et les liaisons se concentrent maintenant sur un tronçon majeur Amiens, Paris, Orléans. C'est lui, notamment, qui relie les deux grandes voies navigables du Nord, la Seine et la Loire et, dans les temps troublés du Bas-Empire, la navigation fluviale demeure la plus sûre. Paris est donc un site de première importance.

La cité forte des Parisii, établie sur l'Ile de la Cité, représente 11 ha environ, soit un habitat potentiel pour 5.000 personnes mais ce n'est que le cœur de l'agglomération. Le faubourg Nord, celui des mariniers (des Nautes) se presse le long des deux voies Romaines qui deviendront les rues Saint-Denis et Saint-Jacques. C'est un quartier très important pour l'économie de la cité et là sera établie la première défense additive au XI°s. La population du quartier des Nautes doit représenter 3/4.000 personnes qui, logiquement, se replient dans l'Ile en cas de danger. Dans ces conditions, les 8/9.000 occupants peuvent porter sur les 1.600m de courtines 2.000 combattants. C'est peu mais suffisant avec la protection du fleuve qui évite toute action de surprise. D'autre part, l'approvisionnement est assuré par bateaux arrivant sur le débarcadère qui deviendra l'Ile aux Juifs.


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Les Parisiens puissamment installés dans la cité (A) tiendront la dragée haute à Clovis durant plusieurs annnées, l'obligeant à négocier chacun de ses passages. Par contre le roi Franc est mieux reçu dans le bourg chrétien de la colline (B) où règne Sainte-Geneviève, naguère protectrice de Clotilde. A cet endroit vivent 5 à 6.000 personnes. Elles sont installées le long de la voie (C) aujourd'hui rue Saint-Jacques, avec quatre lieux de culte (D,E,F,G) mais surtout autour de l'ancien forum (H) qui apparut comme un refuge défendable en 451. Clovis qui tient à contrôler les deux verrous se trouvant sur la route d'Aquitaine se fixe à Paris sur la fin de sa vie, non dans les casernements Romains (J) où il serait contraint dans ses mouvements mais sur la butte de Sainte-Geneviève. Ses hommes se taillent de grands domaines sur les abords de la route d'Orléans et le roi et sa famille doivent installer leur palais aux abords de la butte. Clotilde fera construire une grande église (K) qui deviendra ultérieurement abbaye Sainte-Geneviève avec les bâtiments des oeuvres (L) un cimetière (M) et la chapelle funéraire (N) qui deviendra Saint-Etienne du Mont.

La position est donc très forte et les Parisiens qui en sont persuadés font preuve d'une certaine arrogance dans leurs pourparlers avec Clovis. Le Franc irrité fait plusieurs tentatives en force mais la surprise est impossible avec les faubourgs Nord et ses déploiements d'intimidation sont sans effet. Les insulaires savent très bien que les Francs n'ont pas les moyens de construire des engins d'assaut flottants et s'ils s'avisaient d'installer un chantier les bateaux des Parisiens auraient tout loisir de l'incendier. Les autres franchissements sur la Seine sont eux aussi inaccessibles aux Francs. En amont, celui de Meaux est également bien défendu et, en aval, le prochain se situe à Rouen. Ainsi les troupes de Clovis doivent "gentiment" négocier leur passage en armes, vers le Sud, avec les Nautes et c'est une contrainte désobligeante.

L'agglomération Parisienne comporte également un village chrétien installé sur la colline Sud sur les ruines de la ville Romaine. La petite bourgade qui doit compter 4 à 5.000 personnes réparties sur cinq paroisses est, elle, beaucoup plus exposée et ne semble pas sérieusement protégée, au mieux un mur léger appuyé à l'ensemble du forum enserre le cœur de l'agglomération. Ses approvisionnements venant en majorité du Sud, par charrois, sont également précaires et le comportement politique de la population doit en tenir compte. C'est le domaine où Sainte-Geneviève a installé ses oeuvres charitables et sa personnalité s'est imposée à la population.

Avec ces trois sites distincts, Paris forme un verrou sur une voie économique majeure et ce caractère a sans doute motivé le choix ultérieur de Clovis qui installera là sa résidence principale, sa capitale.

Vers 495/498, dans les années où Clovis accepte l'idée du baptême, la situation se détend entre le roi et les cités fortes, grâce notamment à la diplomatie de Remi et sur la foi des garanties que le Franc donne pour faire plaisir à Clotilde. C'est l'époque où ses actions sont dirigées au Sud de la Loire, en Poitou et Saintonge, en plein domaine Visigoth. Elles doivent assurer de nouvelles implantations d'agriculteurs et la base de départ se situe à Tours. C'est une ville bicéphale ou le bourg Saint-Martin semble acquis à la reine tandis que la cité forte reste sur ses gardes. Mais le baptême de Reims va aplanir les incompréhensions et difficultés qui s'étaient développées entre les cités et le roi.

LA CONVERSION DE CLOVIS

Sur les années 496/500, la chronique du royaume des Francs est très incertaine et la date de Noël 496 pour le baptême du roi, à Reims, est admise mais non assurée. Ce sont des textes chrétiens, ultérieurement exploités par Grégoire de Tours qui semblent régler l'Histoire. Y figure l'enthousiasme de Clotilde lors de sa première visite à Saint-Martin de Tours, en 495 et la prière de Clovis à Tolbiac en 496. Mais pour de nombreux historiens ce déroulement paraît trop rapide et surtout chargé de symbolisme. Enfin, la chevauchée en Poitou et la bataille de Tolbiac sur la vallée du Rhin au cours d'une même saison paraissent peu probables. Pour ce baptême aux lourdes conséquences historiques, une date située entre 497 et 499 semble plus logique, cependant, admettons l'accélération des évènements imposés par la date de Noël 496.


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Le plan de l'ancienne église Sainte-Geneviève démolie au début du XIXème siècle fut scrupuleusement relevé et les témoignages ainsi conservés, joints aux dessins de l'époque, nous permettent de retracer l'historique de l'édifice et de retrouver l'emprise de l'église Mérovingienne. La dernière campagne d'aménagement portait sur cinq travées (1,2,3,4,5) gothiques du XIIIème siècle avec une façade austère (A). Le gauchissement de l'oeuvre témoigne des embarras existants. Cet additif prolongeait une courte nef de quatre travées (6,7,8,9) et le déséquilibre des piles (B) ainsi que l'absence de colonnes engagées externes (C) indiquent d'une reprise de l'élévation dans une enveloppe existante. Nous pouvons la dater fin Xlème, début Xllème. Cette enveloppe avait conservé son croisillon Nord d'origine (D), celui du Sud avait disparu pour laisser place au clocher (E). Côté sanctuaire, la vaste crypte voûtée (F) et le modeste déambulatoire qui l'entoure (G) constitue un aménagement début Xllèmc. Les chapelles rayonnantes, disparates (H,J,K,L) furent ajoutées ultérieurement et dans le désordre. La position de l'hémicycle correspondait à une abside simple de la Haute Epoque. Nous avons ainsi les éléments d'une restitution (Fig. II). La nef (M) recevait une élévation basilicale (N). Le transept était débordant (P) et l'abside simple, en hémicycle. Sainte-Geneviève y fut inhumée dans une crypte rapidement aménagée (Q) et voûtée en berceau, accessible par un modeste escalier (R). L'aménagement du Xllème avait pour objet de faciliter la dévotion des fidèles, l'emplacement du sarcophage (S) restant inchangé.

Les facteurs qui vont stimuler Clovis dans son engagement religieux sont de deux ordres. Privés d'abord, Clotilde est une militante convaincue et sans doute très convaincante et la maladie de leur enfant apparemment sauvé par les prières de sa mère a du marquer le roi. D'autre part les intérêts politiques de cette conversion s'imposent chaque jour d'avantage à son esprit. Lors de sa première chevauchée dans l'Ouest en 495, villes et bourgades regardent les Cavaliers Francs comme des envahisseurs et les informations données par Remi lui font comprendre que derrière les murs les catholiques Romains subissent pressions et contraintes de la part des Visigoths Ariens. Au prix d'une conversion, les Francs pourraient devenir des libérateurs et l'impression se confirme davantage lors de la chevauchée de 496 qui pénètre plus profondément dans le domaine Visigoth.

LA CEREMONIE DE REIMS

Depuis les fouilles réalisées dans les années 1920/1930 par H. Deneu sous le pavement de la cathédrale du XIII°s, nous connaissons les plans des édifices qui se sont succédés et notamment la crypte de la cathédrale de Nicaise mise à jour et récemment ouverte au public. D'autre part, le développement du transept et l'emprise de la nef sont bien identifiables. Nous pouvons donc dessiner un plan assez précis de la cathédrale ou fut baptisé Clovis. Seul problème en suspens, celui du baptistère. H. Deneu pensait l'avoir trouvé au Nord de la cathédrale sous une forme circulaire et traditionnelle, le responsable actuel des fouilles propose de le situer sur le parvis, à l'intérieur de l'atrium mais la structure en question se trouve au lieu présumé du martyr de Saint-Nicaise et H. Deneu voyait là le mémorial consacré aux martyrs, lieu qui sera ultérieurement marqué d'une dalle dans la cathédrale gothique, dite rouelle de Saint-Nicaise. Que penser de cette controverse?

Le baptistère circulaire établi hors l'édifice correspond bien à la coutume du temps mais il se prêtait mal à une importante et fastueuse cérémonie comme le baptême du roi Franc. Ainsi le mémorial de Saint-Nicaise transformé en baptistère pour l'occasion semblerait une hypothèse satisfaisante. Il suffisait de quelques travaux et d'une écuelle d'eau bénite pour créer un cadre optimum à la cérémonie qui se serait déroulée à l'intérieur de l'atrium en contact direct avec la nef. C'est l'explication que nous retiendrons.

Dans ce décor nous pouvons imaginer le baptême collectif. Les Francs arrivent à cheval aux portes de la ville, laissent leurs montures et leurs chariots dans les nombreux espaces libres qui servent de coutume aux équipages des chrétiens du Diocèse venant à la cathédrale. Les Francs à pied rentrent dans la cité par la porte des chrétiens, celle qui fut malencontreusement ouverte par Nicaise en 406. Elle est à 70m environ de la porte de l'atrium et le roi Franc parcourt la distance sous les acclamations des Rèmes massés sur son passage. L'évêque a bien fait les choses.


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La Renaissance Constantinienne a permis la sauvegarde de nombreuses voies antiques, telles (A,B,C) et (D) le cardeau, ainsi que (E,F,G,H). En perpendiculaire, sont également conservés les tracés (J,K) et (L) le decumanus ainsi que (M,N). Le grand forum (U) sera détruit en 250/275, le marché Constantinien (V) est beaucoup plus modeste. Le Bas-Empire rectifiera le tracé du decumanus sur le tronçon (W). L'enceinte elliptique s'appuie sur la porte de Mars (Q) sur la porte de Trêves (R) la porte Basée ? (S) et la porte de Soissons (T). Les tronçons (F,G,H) semblent indiquer que la reconstruction du IVème siècle était entreprise avant la fixation du tracé elliptique. Les édifices chrétiens antérieurs à 600 sont: cathédrale et baptistère (1) vers 390 - évéché (2) -Sainte-Marie (3) IVème siècle - Saint-Pierre (4) Vème siècle - Saint-Hilaire hors les murs (5), Vème siècle - Saint-Martin (6) vers 480 - Saint-Crespin et Saint Crespinien (7) vers 450 - les Saints-Apôtres (8) vers 300 - Saint-Etienne (9) vers 480 - Sainte-Marie la Ronde (10) vers 300 - Saint-Martin hors les murs (11) vers 450. Le jour du baptême, Clovis et ses Cavaliers mettent pied à terre dans les espaces (U',V') utilisés de coutume part les chrétiens de l'extérieur puis rentrent par la porte (W) et marchent vers l'accès de l'atrium (X) avant d'entrer dans la cathédrale.

Une fois dans l'atrium, le roi accompagné de Clotilde rayonnante de joie suit la galerie qui se trouve isolée de la partie centrale par des tentures et se dirige vers le baptistère. Ses proches et ses dignitaires le suivent et la galerie sert de vestiaire. Le baptême proprement dit se déroule dans la nouvelle cuve installée sur le lieu symbolique du martyr de Nicaise et c'est Remi qui officie en personne. Pour le roi et les grands dignitaires, la cérémonie est agrémentée de chants et les choristes se trouvent dans la partie centrale de l'atrium, au-delà des tentures qui protègent du froid et créent le mystère nécessaire à l'éveil d'une nouvelle conscience. Ensuite Clovis et sa suite pénètrent dans l'église où résonne un chant d'accueil plus léger, réservé au chœur des vierges. Tentures et cierges sont en abondance et le roi entend sa première messe. Grégoire de Tours nous dit que 2.000 guerriers l'ont suivi dans sa conversion, les 950 m2 utiles de la cathédrale pouvaient contenir la foule annoncée mais pas plus. La légende chrétienne nous dit que le roi, impressionné par la cérémonie, se crut un instant au paradis promis. A Remi de l'en dissuader et de lui promettre mieux encore dans un autre monde. Même si ce cadre nous paraît limité en rapport aux colossales cérémonies que permettaient les grandes basiliques de Rome, c'était pour Clovis la découverte d'une cathédrale et d'un cérémonial bien réglé, toute chose que les palais Mérovingiens ne pouvaient lui offrir.


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Sur le plan où figurent l'ensemble des fondations découvertes, nous pouvons dégager la cathédrale de Nicaise. C'est un édifice de caractère basilical très classique. L'abside en hémicycle (A) couverte sur charpente (B) est largement éclairée de cinq grandes fenêtres (C) La crypte (D) découverte et restaurée reçut une voûte à trois vaisseaux (E) maladroitement intégrée dans l'hémicycle. Ce fut sans doute un aménagement légèrement postérieur. Le transept (F) à croisillons débordants (G) est de facture très classique et lui aussi couvert sur charpente (H). La nef (J) avec simples bas-côtés est très conforme au parti basilical. Le rapport au sol de 30 X 23m avec des bas-côtés d'une portée de 4,50m et un entrecolonnemcnt de 13m pour la nef nous permet d'imaginer six travées (K) de 5m. L'élévation avec archivoltes (L) était portée par des colonnes monolithiques de 4,m50 à 4,m80. Ce sont des supports courants en récupération dans une grande ville Augustéenne. Une composition bien équilibrée nous donne une hauteur sous charpente de 16 à 17m et 18 à 20m pour le transept, en hauteur relative. A l'Ouest, l'importance des campagnes ultérieures nous prive de témoignages fiables mais nous allons admettre l'existence d'un atrium de structure avec charpente (M) sur architraves de bois (N). Il enfermait le mémorial de Nicaise (P) recouvert d'un édifice en forme de baldaquin (Q) lui aussi très léger. C'est cette disposition qui va inciter Rémi à placer, là, le baptistère du cérémonial afin de lui donner plus d'unité.

La conversion de Clovis lui fut sans doute davantage dictée par l'intérêt que par les élans de sa conscience et les avantages ainsi obtenus étaient nombreux et variés. Devenu chrétien, il vivait en paix dans son ménage et allait bénéficier du regard bienveillant de ses enfants élevés très chrétiennement par leur mère mais il avait surtout acquis pour eux l'assurance d'être soutenus comme monarques légitimes. C'était l'amorce d'une lignée héréditaire, chose inconcevable dans la coutume Franque mais que l'esprit Gallo-Romain des terres conquises devait assurer aux siens. Enfin, dans l'immédiat, il avait le soutien sinon la bienveillance des cités fortes Gallo-Romaines lors de ses opérations militaires et cet avantage va se révéler très précieux à Tours qui servira de base de départ pour les opérations d'implantation Franque en Poitou, Aunis et Saintonge, terres dont les Visigoths de Toulouse revendiquent le contrôle politique depuis 430.


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Les fouilles menées sous le dallage de la cathédrale de Reims par H. Dcncux, de 1920 à 1930, montrent que les cathédrales successives furent établies sur le même lieu et selon le même acte avec la croisée du transept en guise de point permanent. Rares sont les programmes où l'édifice est réalisé au cours d'une seule et même campagne et le transept se révèle le mieux placé pour assurer la liaison des travaux. A Reims, dès l'Edit de Théodosc, en 392, Nicaisc construit une première cathédrale de caractère basilical avec une nef (A) flanquée de bas-côtés (B), un transept débordant (C,D) et une abside en hémicycle installée sur une crypte (E). Au Nord, nous trouvons un baptistère (F). La cathédrale était sans doute précédée d'un atrium. Après 406, un mémorial est élevé sur remplacement du martyr de Nicaisc, face au parvis (G). La campagne suivante date de l'époque Carolingienne mais l'oeuvre est difficile à identifier. Nous trouvons des murs (H) dont la fonction est incertaine, au mieux pouvons nous imaginer une nef prolongée au détriment de l'atrium et une nouvelle abside profonde (J). Le transept est également renforcé (K,L). La troisième grande campagne correspond aux Xlème, Xllèmc. La nef est entièrement reprise avec des tours de façade (M,N) et un chevet à grand développement (P) comportant cinq chapelles rayonnantes sur 160°, nous le daterons milieu XII°?.

LA VILLE DE TOURS

Les premières implantations Franques sur les terres de l'Ouest peuvent dater des grandes invasions de 275. Elles seront renforcées par de nouveaux venus en 406/410 mais leur nombre et leur densité ne leur permet pas de se constituer en structure politique, les individus doivent donc accepter l'autorité des maîtres Gallo-Romains puis des rois Visigoths mais la contrainte est parfois pesante. C'est le cas sur les bonnes terres de la vallée de la Charente qui se trouvent sous contrôle d'une forte garnison Visigothique installée sur l'oppidum d'Angoulême. Les deux campagnes de soutien menées par les troupes de Clovis, en 495 et 496, n'ont fait que tendre la situation. L'affrontement entre Francs et Visigoths paraît inévitable et pour Clovis, le libre passage sur la Seine à Paris et sur la Loire à Tours, est primordial.

Sur les deux siècles de la Pax Romana, la capitale des Turons s'est considérablement développée. La ville de caractère Augustéen avec maillage régulier fut primitivement installée en parallèle à la vieille cité Gauloise mais celle-ci sera finalement englobée dans le programme urbain. En 250, c'est une très vaste cité de 130 ha établie en bord de Loire. Comme tant d'autres, elle sera détruite dans la crise de 250/280 et la société Gallo-Romaine se replie alors derrière une enceinte de survie de 9 ha, accolée à l'amphithéâtre transformé en citadelle. Cette cité fermée contrôle également le grand pont Romain sur la Loire. Cependant, le pont suivant sur le Cher est demeuré au niveau de l'ancienne agglomération Gauloise, d'où un itinéraire de franchissement désaxé qui utilise comme tronçon central l'ancien decumanus Romain. Voyageurs et marchandises franchissant la vallée doivent donc suivre ce tracé et commerçants et artisans se sont installés sur les bords de la voie. D'autre part, une forte population de petites gens a repris possession du site de l'ancienne agglomération Gauloise qui donne accès au port fluvial, à l'Ouest: c'est le bourg chrétien. La ville a donc un caractère bicéphale que l'on retrouve souvent à cette époque.

Parmi les voyageurs et marchandises légères (à forte valeur ajoutée) qui transitent en Occident, une bonne proportion s'engage vers la vallée du Rhône et, là, les itinéraires offerts sont nombreux et diffus. Une petite quantité franchira le pont d'Orléans pour se diriger vers le Massif-Central, la troisième et grosse fraction concerne les provinces de l'Ouest et l'Aquitaine avec concentration et franchissement de la Loire à Tours. A l'époque moderne, la distribution des réseaux de chemins de fer réalisée sous Napoléon III, ainsi que celle des autoroutes récemment construites, n'échappe pas à cette règle. Ceci explique en grande partie l'intérêt des Mérovingiens, puis des Carolingiens, pour la ville et les ponts de Tours. Enfin, sur les quinze siècles qui vont suivre, le trafic qui évite la cité fermée sera exploité par le bourg chrétien et le tombeau de Saint-Martin justifiera une halte pour les voyageurs et pour les pèlerins.


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Nous ne retiendrons pas l'hypothèse d'une métropole des Turons située sur la rive Nord de la Loire L'agglomération Gauloise se trouvait sans doute sous le bourg Saint-Martin et l'urbanisation Romaine se développe primitivement plus à l'Est. La nouvelle ville est desservie par le pont sur la Loire (A) tandis que le franchissement du Cher reprend le tracé Gaulois (B). En 250, l'urbanisation maillée couvre l'ensemble des zones habitées. Au Bas-Empire, la population se sépare. Une cité bourgeoise très forte liée à l'amphithéâtre (C) contrôle le pont Nord (D) tandis que commerçants et artisans retrouvent le site Gaulois avec l'usage du port fluvial (E). L'abbaye Saint-Martin s'impose dès 470 avec la construction d'une grande abbatiale (F). Ce caractère bicéphale dégage un franchissement hors enceinte (G,HJ,K) qui fera la fortune de l'agglomération en justifiant un important faubourg intermédiaire sur les anciennes voies romaines, (L,M).

L'ancien centurion qui vivait à sa guise parmi ses amis à Ligugé après sa mésentente avec Saint-Hilaire de Poitiers sera nommé évêque de Tours, le 4 juillet 371, avec l'appui des chrétiens du bourg mais contre l'avis des habitants de la cité. Les relations se gâtent bien vite et Martin reprend ses pérégrinations dans le Val de Loire pour mourir à Candes (Saint-Martin) le 8 novembre 397. La ferveur populaire est déjà grande à son égard et les chrétiens d'Angers lui offrent une riche sépulture afin d'accueillir la dévotion des fidèles. Les Turons se sentent lésés et, très rapidement, enlèvent ses reliques pour les ramener chez eux. Le voyage se fait à mi-novembre par bateau sur la Loire et au passage du cortège le soleil brille, les arbres reverdissent et les oiseaux chantent: c'est l'été de la Saint-Martin. Arrivées à Tours, les reliques de l'évêque sont placées dans une première église construite au centre du bourg chrétien et la communauté des fidèles prend en charge l'organisation et le développement du culte qui deviendra l'un des plus grands pèlerinages d'Occident.

En 470, une grande église est élevée sur le tombeau de Saint-Martin, Grégoire de Tours évêque de la cité dès 573, nous la décrit grandiose et superbe. C'est ce contexte de ferveur que Clotilde découvre dès son premier voyage à Tours, en 495, mais son mari resté païen est tenu à l'écart des cérémonies et elle en souffre. Nous pouvons considérer que la ville va jouer un rôle non négligeable dans la conversion de Clovis et certains historiens pensent qu'il prit, en ce lieu, l'habit des catéchumènes. Dès son baptême, le roi et sa troupe sont chez eux au bourg Saint-Martin et sa campagne de 498 en pays Visigoths et Arien, semble obtenir de meilleurs résultats que les précédentes. Ses Cavaliers atteignent les abords de Saintes et les rives de la Gironde, mais l'armée Franque n'est pas encore prête pour la grande confrontation. C'est le comportement Arien et sectaire du roi Visigoth, Alaric II, 484/507, qui, en exilant les évêques de rite Romain, donnera le bon prétexte à Clovis. La campagne de 507 prendra donc des allures de guerre de religion.

Avant cela, Clovis doit intervenir dans les nombreuses querelles qui opposent Francs et Burgondes au sujet des terres du Nord de la Bourgogne. En 500 il lance une action sur le domaine de Gondebeau, roi des Burgondes de 500 à 516 et l'engagement qui se déroule au Nord de Dijon est favorable aux Francs, mais la puissance Burgonde n'est pas entamée outre mesure et le différend s'apaise.

LE GRAND ROYAUME VISIGOTH

Pour les Francs, l'adversaire principal est le roi Visigoth Alaric qui maltraite leurs frères de race installés dans l'Ouest et Clovis se doit de défendre la cause de son peuple. Mais la tâche s'annonce rude. L'adversaire dispose, en théorie, d'une puissance considérable. Partis de la vallée de la Garonne qui leur fut confiée en 419, les Visigoths ont, peu à peu, conquis toutes les terres situées au Sud de la Loire. Le Poitou, en 430, le Bassin de l'Adour en 440, la Narbonnaise en 460, le diocèse de Rodez en 470 et le Limousin et le Berri en 472, enfin l'Auvergne et le diocèse de Mende en 475 et 476. Peu après 476, ils ont acquis la Provence et donnent ainsi la main aux Ostrogoths installés en Italie. A l'heure où Clovis doit les affronter, leur frontière politique suit le cours de la Loire. Cependant cette énumération est trompeuse, la surface territoriale acquise, le nombre de villes contrôlées ainsi que la richesse relative de l'Aquitaine à cette époque ne sont pas nécessairement à l'avantage des Visigoths.


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Après l'invasion de 406, brutale et généralisée, les villes renforcent leurs murailles, les cellules armées se reforment mais les villages et bourgs qui ont le plus souffert vont mettre quelques temps à se relever. Le pouvoir Byzantin, lointain, ne réagit que faiblement et des poches Germaniques s'organisent: les Burgondes sur la vallée du Rhin moyen, les Francs dans le Nord et les Visigoths en Aquitaine. A ces derniers, l'empire accordera sa reconnaissance en 419. Venus pour la plupart en célibataires, les Scandinaves ont pris femme sur le terrain et, dès la seconde génération, les héritiers, de nom et de coutumes Germaniques, réagissent déjà en Aquitains. Dès 430, ces jeunes Cavaliers occupent l'Ouest, puis le bassin de l'Adour en 440, la côte méditerranéenne en 460, le Limousin et le Berri en 472 et le Massif Central de 470 à 476, Ces grandes chevauchées n'engagent pas plus de 8 à 12.000 hommes ce qui est suffisant pour bousculer les garnisons Romaines qui excèdent rarement le millier de combattants. La ville qui voit venir les assaillants négocie et la passation des pouvoirs se fait sans grands dommages, les Visigoths chassant les Romains du château avec, généralement, la bienveillance des habitants. Ensuite, les notables font soumission au nouveau pouvoir ce qui leur permet de gérer la cité selon leurs intérêts, seules quelques agglomérations d'importance stratégique reçoivent une puissante garnison sous bannière Visigothique, telles Carcassonne et Angoulème.

La société Occidentale du Bas-Empire se réorganise selon ses intérêts et sur une articulation traditionnelle. Chaque ville renoue des relations économiques avec son environnement rural et sa politique en tient compte. La chape monarchique mise en place par les Visigoths est admise, sans plus. D'autre part, les prétentions d'ordre religieux manifestées par le roi qui veut absolument imposer des évêques Ariens dans les cités se heurte à une violente opposition des notables qui ont déjà pénétré le Chapitre afin d'en faire un instrument à leur guise. Un évêque Arien nommé par le roi les priverait de leur pouvoir sur la cité et ce serait contraire à leurs intérêts.

Les Visigoths sont arrivés là en majorité célibataires et depuis cinq générations les unions avec les Gallo-Romains de sang et de coutumes ont donné naissance à une petite aristocratie terrienne où la raison et le sentiment Aquitain l'emportent sur l'esprit régnant à la cour de Toulouse. Le chef de famille porte un nom Visigoth, cultive encore le souvenir de ses pères mais vit et régit son domaine selon ses intérêts bien pensés dans le cadre provincial.

Ce phénomène va se prolonger longtemps. En 761, deux siècles et demi plus tard, Pépin le Bref fait le siège de Clermont-Ferrand, défendu par le duc d'Aquitaine, et le personnage s'appelle Waïfres, un nom bien Visigoth. Ce détail prouve également que les Aquitains avaient parfaitement préservé leur emprise sur la province malgré la défaite de Vouillé et la fuite en Espagne de la famille régnante. La victoire Franque fut donc facile et illusoire.

LA CHEVAUCHEE DE 507

Grâce à la diplomatie de l'Eglise, les informations circulent vite et bien. Clovis est avisé du mécontentement et de l'inquiétude des évêques de rite Romain installés en terre Visigothique. Ils informent également le roi Franc que leur ville ne serait pas hostile à une descente en force destinée à chasser la haute aristocratie et le roi Alaric. Les évêques du Nord qui reçoivent et transmettent ces missives pressent Clovis d'intervenir et la reine partage leur avis. En 507, la petite armée Franque qui vient de gagner Tours franchit la Loire, et s'engage vers le Sud. Le roi Visigoth averti de ces projets ne semble nullement surpris il a déjà rassemblé ses forces en Poitou, à moins de 150 km de Tours. L'affrontement eut lieu près d'une agglomération nommée Vouillé. S'agit-il de celle située aux abords de la route Poitiers/Nantes ou bien de l'autre plus au Sud? Les historiens du XIX°s. ont tranché en faveur de la première mais ce n'est pas une certitude.


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Les agriculteurs Francs, installés sur les bonnes terres de l'Ouest ont développé une forte production céréalière qui fait des envieux sur les terres pauvres du Centre, d'où une forte pression politico-économique à leur encontre. Trop disséminés pour former un état structuré, ils font souvent appel à leurs frères du Nord mais Syagrius contrôle le terrain. Dès la chute de l'Etat Romain, les francs installent une base à Tours et leurs interventions dans l'Ouest prennent des allures de campagnes militaires menées par Clovis en personne. Elles sont engagées en 495/496, puis 498 mais dans les villes et les bourgades, les Francs sont toujours vus comme des envahisseurs. Dès 500, le baptême de Clovis et l'Arianisme que tente d'imposer Alaric II changent les données du problème. Les évoques du Sud menacés d'exil préparent la population Aquitaine à une intervention des Francs qui doit se faire au nom de l'Eglise trinitaire et romaine. Les Visigoths informés attendent l'adversaire en Poitou et la rencontre eut lieu à Vouillé? (A ou B). Alaric est tué dans rengagement et les Francs victorieux descendent jusqu'aux portes de Bordeaux (C) mais Clovis ne croit pas à une victoire décisive. L'année suivante, il repart en campagne (D) avec des forces plus importantes et arrive rapidement aux portes de la ville de Toulouse (E) qui négocie son ralliement avec de nombreuses arrières pensées. Les Francs marchent ensuite vers la Méditerranée mais rencontrent d'importants contingents adverses sous les murs de Carcassonne (F). II y a là des Ostrogoths venus d'Italie (G). Clovis rejoint Tours (H) après avoir détruit les remparts d'AngouIème (J).

L'importance des forces engagées ne doit pas être considérable, 2 à 3.000 cavaliers et 5 à 7.000 hommes à pied pour chacun des deux camps nous semble une estimation raisonnable. L'affrontement fut sans doute d'une extrême violence, mais la cavalerie Franque, mieux disciplinée, va frapper droit au cœur du dispositif adverse et Alaric qui devait se trouver protégé par une importante garde personnelle se trouve directement engagé et tué dans l'action. Désemparées ses troupes se débandent et les Francs sont vainqueurs.

Clovis ne croit pas à une victoire décisive. Il se contente de nettoyer les provinces de l'Ouest et lance une marche de reconnaissance jusqu'à Bordeaux. Là il reçoit confirmation que sa progression sera admise mais à condition bien sûr de ne pas toucher aux villes, cependant le Franc reste prudent et préfère attendre des renforts.

L'année suivante, en 508, l'annonce de sa victoire lui a permis de rassembler des forces plus nombreuses, il peut marcher sur Toulouse en suivant la vallée de la Garonne. La marche se révèle facile. La mort du roi Visigoth a totalement désorganisé la monarchie de Toulouse et la caste équestre sollicitée pour la défense ne manifeste guère d'empressement.

TOULOUSE

Grande ville antique puis capitale politique du royaume Visigoth, l'histoire de la ville rose est cependant mal connue. La meilleure approche, nous semble-t-il, se trouve dans l'article de P. Salies et G. Baccrabère, paru dans le fascicule des Cent Villes en 1980. Les auteurs résument les origines de la cité avec le texte d'Ausone (Tolossa la Quintuple) et c'est la démarche de base.

Entre son confluent avec l'Ariège et celui du Touch, la Garonne serpente sur des dépôts de sable et de gravier qui la rendaient facilement franchissable en période d'étiage. L'archéologie nous confirme la présence de plusieurs guets ainsi que l'existence de quatre sites d'occupation plus ou moins distincts. Dès la conquête, le plan d'Agrippa prévoit un itinéraire menant de la Méditerranée à Bordeaux et le tracé touche la Garonne sur le tronçon en question, restait à fixer le point de franchissement optimum. Il fut établi à Tolossa III où la courbe des 135m s'écarte sur 1.400 m environ laissant ainsi aux eaux du fleuve une vaste surface de débordement. Là se trouvaient sans doute une multitude de cours secondaires aujourd'hui disparus qui allaient faciliter le franchissement. Le carrefour ainsi créé va justifier la formation d'un marché (forum) puis d'une agglomération de caractère Augustéen. Ensuite, et sur trois siècles, les quatre sites voisins vont se vider de leur potentiel économique et de leurs habitants au profit de la cité nouvelle.

Une catastrophe survenue au V°s. va détruire en partie les traces du maillage urbain mais ces coordonnées subsistent dans l'axe du pont et dans l'orientation des deux lieux de culte majeurs du Bas-Empire: la cathédrale et l'abbatiale Saint-Sernin. Enfin, l'aqueduc, dit de la reine Pédauque et l'ouvrage de la Dorade (le château d'eau) confirment cette hypothèse. A la fin de la Pax Romana, l'agglomération très riche couvre environ 130 ha et doit compter 50.000 habitants.


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Depuis son confluent avec l'Ariège (A) la Garonne voit son cours se décélérer et le fleuve dépose de nombreux bancs de sable et de graviers (B,C,D). Le phénomène facilite le franchissement en période d'étiagc ce qui engendra plusieurs sites notés par Ausone et que l'archéologie moderne qualifiera de Tolosa de I à V. C'est à Tolosa III que la courbe des 135m (E), s'écarte au maximum laissant de nombreux cours auxiliaires (F,G,H) destinés à absorber les crues de printemps. Les Romains qui tracent une voie stratégique sur l'entre deux mers (J,K) choisiront cet endroit pour leur ouvrage de franchissement et le carrefour ainsi créé donne naissance à une ville nouvelle qui va rapidement vider les anciens sites de leur population.

La région et la ville semblent peu souffrir des grandes invasions mais la crise économique sévit malgré tout. A la période Constantinienne, Tolossa retrouve une bonne part de ses habitants qui demeurent fidèles au culte antique. Les chrétiens se rassemblent dans le faubourg Nord-Ouest autour de leur nécropole où sera inhumé Saint-Sernin (Saturnin) martyrisé vers 250.

Cette vaste agglomération néglige les bonnes règles d'urbanisme, encombre ses berges, sur les deux rives, avec de nombreuses installations artisanales et condamne également les passages de sécurité qui pouvaient subsister sur la digue traversant la plaine de débordement. Ces aménagements semblent dompter le cours du grand fleuve mais toute sécurité a disparu. La catastrophe survint sans doute au début du V°s. La montée des eaux charrie et amène des masses de bois provenant des installations du rivage et le tout s'entasse contre un ouvrage à moulin situé en amont. Le niveau monte de 5 à 6 mètres et la rupture brutale de l'obstacle forme une vague déferlante qui arrache les îlots de cailloux. Les matériaux divers ainsi charriés vont recouvrir les 2/3 de l'agglomération et le lit de dépôt atteint 1 à 2m selon les cercles de diffusion et les obstacles rencontrés.

La cathédrale nouvellement construite, sans doute après les édits de Théodose, se trouve au niveau 140/142m et n'a que peu souffert. Le quartier Saint-Sernin, hors de la dynamique de la vague sera lui aussi, épargné. Ce sont des espaces où l'ancien plan urbain est sauvegardé et les édifices rapidement réparés. Par contre, tous les bas-quartiers, ainsi que la partie du centre ville forum compris, sont détruits et amalgamés dans un dépôt qui rend impossible toute reprise du maillage ancien. Il faut tout reconstruire sur un niveau de remblai qui fait disparaître le plan Augustéen, la ville trouve alors son réseau de voies du Moyen Age qui forme un épi à partir du château Narbonnais, puissante construction qui garde le nouvel accès issu d'une voie sur berge. Cet itinéraire est plus conforme aux besoins économiques que le décumanus Romain arbitrairement tracé. La nouvelle urbanisation empirique sera fermée par l'enceinte, relevée par G. Baccrabère.


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La voie Romaine, Carcassonne/Agen, et le franchissement (A) établi en bonnes conditions donne naissance à un forum (B) puis à une vaste agglomération régulièrement urbanisée qui englobe Tolosa III. Le développement de cette cité Augustéenne nous est inconnu mais nous proposons une limite Sud/Est au niveau de la porte Narbonnaise (C) et celle du Nord/Est à quelques centaines de mètres de la métropole chrétienne (D) qui recevra la dépouille de Saint-Sernin. Enfin, sur Taxe de franchissement l'agglomération avait pour le moins l'emprise de la ville forte qui lui succéda. L'ensemble représentait plus de 130 ha. L'énorme crue du Vème siècle engendrée par une rupture de barrage et dont les effets seront amplifiés par l'absence d'écoulement de sécurité (E), voit son effet dynamique limité à la courbe des 135m. Elle détruit donc tout le centre ville ainsi que les installations portuaires. Le quartier de la cathédrale (F) a + 142m, ainsi que le bourg Saint-Sernin (G), situé hors du flot seront épargnés. Il faut reconstruire et l'humeur du temps n'est plus aux programmes maillés et aux villes ouvertes. Le nouveau réseau de voies au tracé empirique formera un épi (H,J,K,L,M,N) partant de la porte Narbonnaise (P). Cette base correspond à une voie sur berge (Q) plus usitée que la voie Romaine (R). Enfin, l'agglomération est cernée d'une puissante muraille de caractère Gallo-Romain (S). Au centre ville (T) s'installe le domaine administratif puis le palais Visigoth. Le quartier Saint-Sernin (U) doit recevoir également un mur léger (V). L'enceinte du XIIIème (W) sera plus vaste et donnera à la ville sa forme de coeur.

L'inondation a détruit la ville mais pas ruiné son assiette économique et la reconstruction se fait rapidement. Les Gallo-Romains qui la peuplent sont à la tâche mais les Visigoths déjà installés dans la cité gouvernent. Le siège du pouvoir est probablement installé dans un vaste ensemble fermé situé au centre ville sur l'emplacement de l'ancien forum: le Capitole. Les monarques Visigoths assurent des transferts de richesse et la reconstruction sera sans doute achevée deux générations plus tard, soit vers 470/490. C'est donc une ville totalement nouvelle que Clovis va découvrir, la superficie intra muros est voisine de 95 ha et celle du bourg Saint-Sernin de 25 ha. La population urbaine, concentrée et dense, 4 à 500 habitants à l'hectare, atteint à nouveau 50.000 habitants. C'est pour l'époque une agglomération considérable, sinon la plus grande des Gaules.

LA CAMPAGNE DE 508

Lorsque l'armée Franque partie de Saintonge au printemps 508 arrive devant Toulouse après une série d'engagements mineurs, elle n'a rien perdu de sa puissance. Plus nombreuse que l'année précédente elle peut compter 4 à 5.000 cavaliers et 10 à 12.000 hommes à pied. Face aux Francs, les 3.200m de muraille qui enserrent la ville de Toulouse sont gardés par un effectif qui représente 1/5 de la population, soit 12.000 hommes et 4 combattants au mètre linéaire. Avec l'approvisionnement assuré par le fleuve, la position est donc très forte et si les Toulousains l'avaient voulu, ils pouvaient mettre l'armée Franque en échec, mais ce n'était pas leur intention. Pour les notables et bourgeois de la cité, un roi Franc vaut bien un roi Visigoth d'autant que le premier allait sans aucun doute rejoindre ses domaines du Nord et leur laisser plus de liberté que le précédent monarque.


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La bonne restauration de caractère médiéval (XIIIèmc siècle) laisse peu de place aux rares vestiges de l'enceinte du IVcmc siècle. L'oppidum dessiné par la courbe des 130m formait un site remarquable déjà occupé à l'époque Gauloise. H permettait de contrôler la haute vallée de l'Aude. Le haut fond qui justifiera le premier franchissement, ainsi que les travaux d'aménagement ultérieurs (A,B), formeront divers cours (C,D,E) ainsi que des ilôts (F,G,H). En 275, la population se replie sur l'oppidum qui reçoit une première défense. La restauration Constantinienne engendre, elle, une ville basse (J,K). Il semble que ce soient les Visigoths qui fondent le château (L) et renforcent la muraille (M). La position limite un temps leur domaine coté Méditerranée. En 508, c'est là que les forces Goths barrent la route de la Méditerranée à Clovis et les Francs se retirent.

La ville refuse de s'engager et la caste noble liée à la cour Visigothique, soit quelques milliers de personnes au maximum, doit fuir la ville par le fleuve. Ils se dirigent vers le Sud avec l'intention de gagner l'Espagne où les leurs sont installés. Les fugitifs ne sont pas très nombreux, 4 à 6.000 personnes dont un millier de combattants, nous semble un chiffre probable. Clovis fait donc son entrée dans une ville soumise mais pas acquise; l'histoire à venir le confirmera.

Après cette victoire brillante mais peu conséquente, l'armée Franque poursuit sa route vers la Méditerranée mais, dès la vallée de l'Aude et sous les murs de la cité de Carcassonne, Clovis se heurte à des forces Visigothes venues de Provence et renforcées par les premiers contingents Ostrogoths arrivés d'Italie. Ses hésitations de l'année précédente lui ont fait perdre le précieux effet de surprise. Pour accéder à la mer il lui faut enlever la célèbre forteresse qui ne possède alors qu'une ligne de murailles mais semble redoutable. D'autre part, les Francs, hardis cavaliers ne sont pas des spécialistes du siège en règle.

Clovis qui ne veut pas gâcher les résultats obtenus par un échec que de nombreux notables Aquitains non engagés pourraient considérer comme un défaite, décide de se replier. D'autre part, les Toulousains qui ont ouvert leur porte à un vainqueur pourraient les fermer devant des combattants déconsidérés. Les Francs reprennent la route du Nord et détruisent au passage les murs d'Angoulême afin que la ville ne serve plus de repaire aux adversaires des agriculteurs Francs de Saintonge.

CONCLUSION

A la fin de la saison 508, l'armée est de retour sur la Loire auréolée de gloire mais la situation politique n'est pas celle d'un grand royaume unifié. Les bourgeois et les évêques de rite Romain restent maîtres dans leur cité et gèrent la province à leur guise, indifférents sans doute à de petites coalitions aristocratiques qui se reforment dans les campagnes. Deux siècles plus tard, il y a toujours un duc d'Aquitaine et une armée d'Aquitains pour affronter les Carolingiens de Pépin le Bref, en Auvergne. Le royaume Franc Mérovingien n'existe que dans l'esprit des historiens monarchistes et comme les républicains admettront cette conception au nom de la nation une et indivisible, la majorité des avis fera la règle.

L'ARMEMENT DU CAVALIER FRANC

Des temps Gaulois au Moyen-Age finissant, les armes dont disposaient Cavaliers et Fantassins n'ont guère changé et ce sont les conditions d'engagement tactique, du combat singulier aux heurts en formation, qui détermineront les armes et protection choisies par les combattants à l'heure de l'affrontement. Voyons les conditions d'engagement du Cavalier. L'homme n'a que deux bras et même si une bonne monture répond surtout aux sollicitations de la voix et du talon, il faut néanmoins conserver une main pour les guides, reste un bras pour le mouvement de l'arme. Mais que choisir?

La lance, connue depuis la plus haute antiquité se révèle, aux mains du Cavalier, très efficace contre les combattants à pied. Elle permet de frapper l'adversaire tout en restant au-delà du champ d'action de son épée, mais le fantassin ainsi pris à partie va, lui aussi, s'armer d'une lance et le Cavalier perd son avantage. D'autre part, cette arme aux mains du combattant monté n'est guère efficace contre des fantassins dans une mêlée, elle reçoit alors une pointe acérée au pied de la hampe ce qui permet de donner des coups en retro. Dans un engagement singulier de deux cavaliers, la lance convient fort bien mais la protection légère faite de cuir et le petit bouclier rond sont insuffisants. Dans le heurt de deux hommes au galop, la pointe acérée acquiert un tel impact que les deux combattants risquent de s'embrocher mutuellement. Pour parer à cela les Chevaliers du Moyen Age renforcent leur protection et choisissent un grand bouclier de forme ogivale, mais ainsi bardés de 40 à 45kg de cuir et de métal, ils sont faciles à désarçonner. Une fois à terre, l'homme a perdu toute efficacité et ne doit sa sécurité qu'aux auxiliaires à pied qui l'accompagnent.

Soucieux de préserver sa liberté protection légère et au petit bouclier rond passant facilement de la droite à la gauche. Il va donc privilégier la grande épée qui le caractérisera au cours de l'Histoire. Mais si d'aventure il rencontre un combattant armé d'une lance il sera en difficulté, d'où le choix de la francisque. C'est une hache qui peut être lancée sur l'adversaire, et sera récupérée grâce à une cordelette reliée à la selle. Si l'arme touche l'adversaire elle le blesse grièvement, si elle se plante dans le bouclier celui-ci peut être arraché des mains du combattant une fois la cordelette en tension. Enfin c'est un engin de petite taille facile à ranger dans une fonte.


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La tombe de Tournai nous renseigne sur l'équipement du Cavalier Franc mais il faut restituer les objets dans leur état initial. La longue et lourde épée Germanique (A) était portée dans un fourreau de cuir maintenu par un baudrier. Le bouclier (B) était constitué de lattes de bois croisées et collées avec garniture de cuir, en marche il se porte sur le dos. La francisque (C) doit se trouver dans une fonte liée à la couverture de selle. La lance (D) est classique avec une pique (E) destinée aux coups en retrait (dans une mêlée). Enfin la sépulture contient un angon (javelot) que le Cavalier devait utiliser occasionnellement. A cela il faut ajouter les protections de cuir qui se limitaient sans doute à un plastron court et à une manchette pour l'avant bras droit.

L'épée au fourreau et la francisque sur la selle, donnent beaucoup de liberté de mouvements au Cavalier. Ainsi équipé le Franc se révèle prompt et polyvalent dans ses aptitudes au combat mais ces avantages disparaissent en partie dans l'engagement de groupe. Nous trouvons donc dans les tombes Franques la panoplie complète des armes de l'époque. Bien entendu le Cavalier ne peut tout emporter à la fois mais tout est disponible au sein du groupe d'hommes qui l'accompagne. C'est l'origine de la lance, unité tactique, formée de trois ou quatre Cavaliers et de huit à douze hommes à pied. Le chef détermine le mode d'engagement et chacun des combattants monté emprunte à ses suivants l'arme la plus adéquate pour l'action, grande épée et bouclier rond restant de dotation permanente.

Cependant, l'évolution historique changera les données du problème. La formation des Principautés et des Etats permet l'engagement d'un nombre toujours plus grand de fantassins et ces combattants à pied développent leur équipement et peaufinent leur tactique. Pour obtenir la décision les Cavaliers doivent apprendre à rompre une ligne d'infanterie, la lance revient à l'honneur et la protection se renforce. La cuirasse de poitrine se garnit de plaques de métal puis s'allonge afin de protéger les cuisses et les épaules. D'autre part le casque retrouve son intérêt dans les corps à corps. Ce sera l'évolution des temps Carolingiens.

Cependant les Cavaliers seront toujours à la recherche de l'équipement le plus polyvalent. La francisque trouvait sa place à main droite mais, avec le développement des armures à écailles, elle laisse place à la hache de guerre avec un petit tranchant qui procure un meilleur impact et une pointe acérée qui se glisse entre les écailles et perce le cuir. Enfin le XIII°s. verra apparaître la masse d'arme dont le choc peut désarçonner un Cavalier ou lui arracher son heaume.

Nous trouvons également dans les tombes Franques une longue pique à fixer sur un manche, c'est l'angon, une arme semblable au javelot du fantassin Romain, le pilum. Il est typique de l'infanterie. Les Cavaliers Francs l'ont sans doute emprunté à l'armée Romaine et pouvaient s'en servir pour désorganiser une ligne d'infanterie avant l'assaut à la lance. En conclusion, à l'heure décisive sur le champ de bataille, le combattant a bien de la peine à faire son choix et c'est le chef de guerre, le tacticien, qui, en donnant le cadre de l'engagement fixe l'équipement optimum.