LE CADRE ET L'ESPRIT

Dans les provinces et les villes conquises par Rome, l'économie a déjà son organisation en place et les points de diffusion et d'échange, les marchés, leur espace réservé. Mais c'est une infrastructure empirique, plus ou moins développée. Le forum Romain doit assurer un transfert de ses activités au profit de l'agglomération nouvelle qui confirmera l'emprise de Rome tout en fixant l'articulation routière mise en place dans le cadre du plan d'Agrippa.

Les Romains n'inventent pas, ils reprennent le plan des Agoras édifiées dans les villes Hellénistiques mais avec un programme couvrant au mieux l'ensemble des besoins de la Cité. La partie alimentaire comporte un marché couvert, établi sur un ensemble voûté (cryptoportique), destiné au stockage des produits frais. Ces deux niveaux sont souvent complétés par un grenier qui reçoit une certaine quantité de céréales. Il s'agit d'assurer la base alimentaire tout en évitant que le grain ne fasse l'objet de spéculation en fin de saison.

Un temple occupe le centre de l'esplanade mais c'est rarement celui de la divinité tutélaire. Cette dernière est invitée à siéger dans un sanctuaire placé en un lieu plus éminent.

La seconde partie du forum est plus difficile à cataloguer. C'est un lieu de flânerie, de convivialité, avec des tavernes et des boutiques qui proposent le luxe et le superflu. Là se font les rencontres, s'échangent les informations, se colportent les rumeurs. Pour maîtriser cette opinion publique, parfois fantasque, la municipalité fait construire une basilique. C'est un vaste espace couvert où les personnes raisonnables, les commerçants avisés vont gérer l'information avec plus de sérieux. Les nouvelles confirmées s'imposent tandis que le confidentiel circule sous le manteau. Ensuite, ce qui doit servir l'opinion publique sera diffusé par des orateurs. Occasionnellement, l'espace sert également aux harangues des contestations politiques.

Dans les grands forum impériaux, la partie alimentaire disparaît complètement et les nouveaux ensembles construits, comme le forum de Trajan, sont essentiellement destinés à la promotion de l'image du César et à la bonne information de ses fidèles.

De cette organisation très rationnelle, les pasteurs chrétiens ne retiendront que l'emprise intellectuelle permise par un ensemble clos situé au cœur de la cité et la religion révélée en a bien besoin. Ce n'est plus comme naguère une affaire privée entre l'homme et le créateur maître des forces de la nature mais un phénomène collectif géré selon le message révélé par le prophète. L'éducation du public est donc primordiale et la basilique toute indiquée pour cela.

L'abside qui recevait naguère l'effigie de l'empereur maître tout puissant, reçoit maintenant le tabernacle. La société Romaine qui vivait précédemment selon un cadre politique et sous la loi des Césars, doit vivre maintenant dans un cadre religieux défini selon les Évangiles. A l'opposé de l'abside, avant l'accès à la basilique, se trouve l'atrium, il sert de lieu de rencontres et d'échanges avant les offices. Dans les villes du Moyen Age, l'église qui se considère maître des esprits et des consciences négligera cet espace probatoire.

L'analyse rationnelle de ces phénomènes de foule et d'opinion a de tout temps permis de dégager un cadre optimum pour la mise en condition des individus. Il s'agit d'organiser un parcours où l'homme est progressivement coupé de tout contact avec l'environnement puis mis en condition de recevoir le message préparé à son intention.

TROIS PROGRAMMES OPTIMUM

Dans le temple oriental, Égyptien notamment, ce crescendo se fait en trois temps. Après avoir franchi la porte monumentale, l'individu se trouve dans l'esplanade, isolé du monde extérieur et plongé parmi les croyants. Au-delà, dans la première basilique, il est un auditeur. La seconde, plus petite est réservée à ses prières. Là il sait qu'il est sous le regard du Dieu invité à siéger dans le Saint des Saints. Cet espace inaccessible au public est réservé à des initiés selon divers degrés.

Le cadre de la basilique impériale, d'un caractère plus ouvert, procède de la même manière. L'individu accède à l'atrium par une porte monumentale. Dès lors coupé de la ville et de son agitation, il est impressionné par la grandeur du cadre. Ensuite il pénètre dans la basilique afin d'écouter la parole voulue par le pouvoir. Les historiens et orateurs qui ont pour mission de témoigner dans les autres basiliques d'empire trouveront dans des bibliothèques contiguës matière à rédiger leur texte. Les ouvrages contenus dans ces bibliothèques sont naturellement choisis dans ce but. Enfin, un temple dédié au Dieu protecteur de l'Empereur se situe au-delà des bibliothèques.

Ici le crescendo qui doit aboutir à la mise en condition de l'individu est beaucoup plus subtil mais les étapes successives sont destinées aux mêmes fins.

La basilique chrétienne destinée primitivement à l'enseignement des fidèles comporte les mêmes étapes: l'atrium permet aux chrétiens de se retrouver et de se lier d'amitié quelle que soit leur origine sociale. Ce premier amalgame effectué, ils pénètrent dans la nef pour écouter la bonne parole. Hors les offices, ils iront prier à proximité de l'abside, là où doit se trouver la tombe du martyr fondateur. Ils sont ainsi passés de la vie publique à l'intense dévotion dans un cadre qui a grandement facilité leur démarche.

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La mise en condition des individus procède de règles simples. L'homme doit tout d'abord franchir une porte monumentale qui lui donne le sentiment d'accéder dans une demeure, dans un domaine dont il lui faudra respecter les règles et les convenances. Ensuite, il se trouve dans une vaste cour (A) l'atrium, là il est isolé de la ville et de la communauté étrangère et ceux qui l'entourent ont fait la même démarche que lui, ce sont des compagnons, des admis. Après cela il pénètre dans une vaste salle couverte (B) afin d'écouter une parole satisfaisante ou digne d'intérêt. Enfin, 3ème degré d'initiation, il doit ressentir en un domaine proche et réservé la présence d'une puissance qu'il est venu solliciter. Subtil ou naïf dans ses formes, le cadre est toujours le même.