TROIS FACTEURS DE PUISSANCE

L'homme d'arme mène les batailles, les politiques et les ecclésiastiques forgent l'humeur du temps mais ces personnages emblématiques, ces meneurs de jeu, ne sont pas à l'origine des moyens mis en oeuvre; ils font l'évènement pas l'Histoire.

Qu'il soit guerrier, ecclésiastique ou bourgeois, seigneur ou manant, le premier besoin de l'homme se trouve sur sa table, dans son écuelle et cela trois fois par jour. Encore, pour dresser la table, faut-il un toit. La volonté politique et les réflexions religieuses sont donc tributaires des moyens de cultiver et de bâtir. Des images tendancieuses nous ont montré le seigneur maniant le fouet tandis que les serfs transportaient les pierres destinées à son château fort; en anti-thèse nous avons également vu le moine usant de prières et de persuasion pour faire construire une église, une abbaye. Ce sont là des méthodes peu ou prou recommandables mais pour toute réalisation il faut disposer des moyens nécessaires.

A l'origine de toute entreprise, il y a l'artisan qui fabrique l'outillage. Premièrement l'instrument de fer indispensable à tout corps de métier, ensuite du bois charroi pour les chariots et les roues, du cuir pour les attelages, des cordes pour la manutention sur les échafaudages. Enfin ces artisans ont besoin de matière première venue de zones parfois lointaines, c'est le domaine du grand négoce géré par des commerçants spécialisés. Ils doivent maîtriser à la fois monnaie d'échange ou de paiement et moyens de transports sur longue distance. Cette chaîne économique qui va de la matière première à l'objet fini est longue, délicate et donc fragile. Qu'un seul chaînon vienne à manquer et c'est la rupture. Artisans et commerçants sont donc gens de conscience, de méthode et de réflexion. Le regard qu'ils portent sur les hommes d'arme est sans complaisance et le jugement qu'ils manifestent à l'égard des colporteurs de bonnes paroles et promesses alléchantes est tout aussi critique. En période trouble, méfiance et indifférence sont de règle chez eux. Le volume et la qualité de la production s'en ressentent et le manque de moyens accentue la pénurie. Les évènements notés par les chroniqueurs ne sont souvent que la conséquence de cet état de crise.

Où se trouve l'origine de la prospérité ou du déclin économique? Sans doute en des phénomènes très divers et subtils. Les économistes modernes analysent consciencieusement de multiples causes puis finissent par parler de climat économique. Cet argument de facilité est bien symptomatique de leur difficulté à comprendre. Les petites gens ont plaisir à accuser les grands personnages du moment mais ces derniers sont-ils les maîtres du jeu ou simplement des profiteurs bien placés? Ce serait alors de la part de tous plus une question de volonté que de moyens.

Nous abordons ainsi le troisième facteur de puissance, la conscience et l'esprit des sociétés. C'est un phénomène qui peut se gérer par spontanéité mais il est souvent livré à des penseurs professionnels générés par le contexte politique ou religieux. Cet encadrement de l'esprit peut s'accompagner de savantes manipulations afin que toute réflexion critique se trouve soumise à des critères convenus. La société en question est alors livrée sans défense à toutes les emprises intéressées. Puis, au creux de la vague, l'homme retrouve un esprit neuf et se consacre essentiellement à l'ouvrage.

Conscience et volonté de l'homme seraient-elles tributaires d'un climat où alternent périodes d'efforts soutenus et de renoncements coupables. C'est probable.