ARTICULATION ECONOMIQUE

Avant la Conquête Romaine, la Gaule était un pays riche et peuplé mais d'un développement inégale. Chacune des petites provinces était organisée en relative autonomie ce qui permit aux notables d'installer un pouvoir provincial, un Sénat selon César. Au sein de ces assemblées, régnait un juste équilibre entre les responsables de l'économie, les notables et la caste équestre qui assurait l'encadrement lors des levées en armes. Les commerçants Romains venus de Méditerranée et remontant le Rhône installent des comptoirs dans les plus riches provinces. Leurs achats portaient majoritairement sur les céréales dont les villes de Méditerranée, et Rome en particulier, avaient un criant besoin. La Sicile était arrivée à la limite de ses moyens et le marché d'Alexandrie se trouvait bien éloigné. D'autre part, le développement démographique du bassin Oriental de la Méditerranée absorbait en grande partie la production du delta du Nil.

Remontant le Rhône, les commerçants Romains se dirigent naturellement vers les grandes plaines céréalières du Nord et les circuits qui s'organisent traitent sous l'égide des notables des cités. Ensuite, les grains sont acheminés par route puis par batellerie vers une artère majeure, le Rhône. Pour assurer cet approvisionnement, l'ordre Romain développe son protectorat jusqu'à la hauteur de Lyon en incluant toutes les terres situées entre le fleuve et les cols des Alpes. Avec ses nouvelles frontières, la province "Provence" constitue alors une marche vers les terres de Gaule septentrionale.

Avant la Conquête ces circuits céréaliers fonctionnent bien mais ils sont tributaires des notables provinciaux et des humeurs politiques régnant parmi le peuple Gaulois, parfois les prix flambent et les commerçants Romains n'apprécient guère. En Italie, des hommes avisés pensent qu'il serait plus simple de contrôler totalement ce vaste pays dont les forces militaires sont si morcelées qu'elles ne devraient pas représenter une opposition sérieuse. César va saisir l'argument sans l'avouer et les commerçants Romains seront ses guides sur le terrain. D'autre part, les notables des provinces céréalières qui tirent profit de ce transit régulier et qui commencent à compter en numéraire Romain, comme certaines nations le font en Dollars aujourd'hui, seront ses alliés objectifs, c'est le cas notamment chez les Crèmes.

Une fois la Conquête achevée, le commerce reprend et se développe mais la sécession du Bassin Oriental de la Méditerranée au temps d'Antoine montre aux Romains qu'ils sont devenus dépendants du marché Gaulois, d'où l'idée d'un vaste plan d'aménagement des Gaules lancé au temps du règne d'Auguste et qui se poursuivra un siècle durant.

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Au cours du 1er siècle, l'infrastructure Romaine en Gaule a pour objet de lier ce pays au commerce Méditerranéen. D'Arles, puis de Fos, une voie majeure (A) longe le cours du Rhône et de la Saône. De Langres (B) un itinéraire (C) se dirige vers le Rhin, un autre (D) dessert les riches terres céréalières du Nord (E) et touche Boulogne (F) pour assurer la liaison avec les Iles Britanniques. Enfin, de Lyon, une voie (G) traverse le Massif Central. D'autre part, au Sud, la vallée de la Garonne (H) est desservie par une voie partant de Narbonne. Au second siècle, l'objectif est le môme mais le tonnage des marchandises est devenu considérable. Mieux vaut drainer la Gaule par ses grands fleuves et accoster sur de nouveaux ports d'estuaire comme Bordeaux, Nantes et Rouen, avec de gros cargos de 4/8.000 amphores (J,K,L).


La première ossature routière articulée autour des trois grandes voies d'Agrippa va donc desservir prioritairement les zones céréalières tandis que les voies majeures de seconde génération vont doubler les grandes fleuves navigables que sont la Garonne, la Loire et la Seine. Le maillage réalisé ultérieurement doit rompre l'isolationnisme des provinces et favoriser un rééquilibrage de l'économie Gauloise. Les circuits ainsi mis en place par Rome servent donc une économie d'empire et l'artère majeure, le Bassin Rhodanien, conduisait vers les ports de la Méditerranée. Pour l'économie Gauloise, ce drainage est profitable mais le centre de gravité des transactions se trouve artificiellement déplacé vers la côte Méditerranéenne d'où l'excessive richesse de la Provence au premier siècle de notre aire.

Au second siècle, celui des Antonins, les volumes à transporter sont devenus considérables et les réseaux de collecte, puis les circuits économiques majeurs vont se porter vers les grands ports de la Manche et de l'Atlantique que sont Rouen, Nantes et Bordeaux. Leur situation au point d'équilibre des courants et marées assure des niveaux constants et l'importance des fleuves permet d'exploiter les cargos de 4 à 8.000 amphores.

Dès le Bas Empire, les échanges avec le Bassin Méditerranéen se sclérosent et la Gaule doit renouer avec des circuits mieux appropriés à ses besoins particuliers. Cependant il s'agit d'une période de récession et le volume des marchandises en question se trouve considérablement réduit, d'autre part les routes mal entretenues et peu sûres sont surtout parcourues par les personnes, les marchandises lourdes et de faible valeur sont toujours confiées à la batellerie mais le flux ne va plus vers les grands ports du littoral, il sert désormais une économie locale.

LA NOUVELLE ARTICULATION

Les mouvements et transactions économiques sont tributaires de trois facteurs qui ne sont pas nécessairement constants, d'où les mutations dans le temps. En premier, nous avons les zones de production des matières premières de grande nécessité comme les céréales, le bois de charpente, le cuir, la poterie et bien entendu un produit beaucoup plus stratégique, le fer. En second nous devons considérer les acheteurs, soit les gros marchés mis en place par les métropoles soit la demande plus diffuse venant des campagnes. Enfin il faut prendre en considération les voies de communication, les modes de transport, leur rentabilité et la sécurité qu'ils offrent, autant dire que c'est un sujet vaste et complexe. Abordons le par l'analyse la plus générale, celle des voies de communication mais sans oublier que tout est affaire d'interaction.

L'insécurité régnant au Bas Empire va pour un temps privilégier les transports par voie d'eau qui semblent plus sûrs. Face aux bandes armées qui sévissent dans les campagnes, de gros bateaux de rivière comme les gabares de la Loire sont plus à même d'être protégés que les chariots attelés. L'embarcation est dotée d'une voile mais aussi de rames qui lui permettent de manœuvrer et de changer de bord en cas de menace. Les occupants sont protégés des flèches par des bardages latéraux et quelques hommes d'arme installés dans le château avant sont à même de dissuader des agresseurs tentant l'abordage.

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Dès le second siècle, les échanges inter-province l'emportent sur le commerce avec la Méditerranée. La liaison Seine-Loire devient très fréquentée et le tronçon Paris-Orléans (A) s'impose. Paris commande un faisceau de concentration venu du Nord (B) où se distingue l' itinéraire Boulogne- Amiens-Beauvais (C) desservant les Iles Britanniques. Vers le Sud, Orléans donne accès aux circuits desservant le Val de Loire (D) le Berri (E) et l' Auvergne (F). Au Bas Empire, comme au Mérovingien et au Carolingien, ce schéma économique se confirme, les ports de l'Atlantique végètent et la vallée du Rhône (G) ne reçoit qu'un modeste trafic. L'économie Occidentale a acquis ses circuits historiques.


Ce souci de sécurité qui impose de naviguer au milieu du fleuve, dans le plus fort courant, favorisera les embarcations d'estuaire. Équipés d'un mât plus haut, d'une voilure plus performante, et d'une étrave qui se prolonge par une quille, ces navires initialement réservés pour les estuaires et le petit cabotage constituaient des flottilles basées à Bordeaux, Nantes et Rouen. Ils vont donc remonter les grands fleuves et se substituer pour un temps aux bateaux traditionnels à fond plat et double nervures. Nous retrouverons le même phénomène durant la guerre de Cent Ans et plus particulièrement sur le cours de la Seine entre Paris et Rouen.

Mais quelque soit l'embarcation, les bateliers doivent aborder en lieu sûr et les villes Gallo-Romaines cernées de murailles offrent les meilleurs marchés protégés. La nouvelle articulation va donc servir les anciennes cités.

L'AXE PARIS ORLEANS

Les bassins de la Loire et de la Seine ont toujours constitué deux ensembles économiques distincts et la jonction des deux réseaux se fait au plus près, sur l'axe Paris-Orléans, qui fut de tout temps un tronçon majeur en terre septentrionale.

A l'origine, le voyageur n'a qu'une très vague idée de la position géographique des lieux et son programme de marche se présente comme nos itinéraires de chemin de fer du siècle dernier. C'est une succession de lieux, de sites remarquables ou de villages et chacun d'eux doit donner la direction à suivre pour atteindre la prochaine étape. Ce mode de cheminement va donc privilégier les vallées qui sont les plus peuplées. Le flux des voyageurs exploite alors les chemins de liaison inter villages déjà aménagés pour les besoins locaux, c'est la voie économique .

Selon ce mode empirique, les liaisons entre le cours de la Seine et celui de la Loire doivent nécessairement passer par la vallée de l'Essonne. Mais, dès que la cité des Parisii construit ses ponts, les chariots qui sont de plus en plus nombreux empruntent ce franchissement et longent ensuite la vallée de la Seine par sa rive gauche pour atteindre l'embouchure de l'Essonne et retrouver la voie des piétons.

Au-delà de Pithiviers, qui correspond à la courbe des 100m et l'abord des plateaux, l'itinéraire devient incertain cependant deux petits cours d'eau l'Oussance et la Varenne, semblent se donner la main pour assurer le pas des voyageurs. Le tracé aborde le grand fleuve à 10km en amont d'Orléans ce qui semble confirmer une origine du site liée au premier franchissement oblique dont il subsiste la digue et 20 km de voies en prolongement. C'est l'élargissement du cours, sur une importante nappe de graviers, qui justifiera le premier passage à gué puis son aménagement.

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Dès le second siècle Lutèce (Paris) avec ses onze voies rayonnantes (A) et Genabum (Orléans) avec ses douze voies rayonnantes (B) constituent les grands noeuds routiers des vallées de la Seine et de la Loire. Ces points de concentration commandent les liaisons économiques entre les deux bassins, et une voie de caractère stratégique (C) joint les deux cités. Mais l'ancien cheminement Gaulois (D) par la vallée de l'Essonne conserve une certaine fréquentation et sera aménagé.


Avec bonne raison, les Romains jugent cet itinéraire irrationnel. Ils tracent une voie directe par Étampes (Stampa) qui ne tient aucun compte des anciens cheminements traditionnels. Cependant, de Saclas à Orléans, la voie chemine sur le plateau de Beauce tel un long ruban rectiligne et ce caractère ne convient guère aux implantations rurales, exception faite des grands domaines céréaliers. Aujourd'hui encore, le tout petit village de Acquebouille est là pour signaler un grand carrefour antique.

Cette désaffection de l'habitat entraîne celle des piétons et impose, dès le second siècle, la reprise et la rationalisation de l'ancien tracé mais avec un détour par Melun. Sur le premier millénaire, les deux itinéraires préserveront leur spécificité, chariots et cavaliers sur la voie rapide, voyageurs par l'ancien cheminement. L'époque historique confirmera le phénomène mais, dès le XVI° s. les voitures de poste assurent à nouveau la prépondérance de la route directe.

LA REPARTITION DES CIRCUITS

Au Nord de la Seine le réseau de voies romaines qui privilégiait Lutèce sera restauré par le pouvoir royal, notamment sous le règne de Brunehaut, et continuera à servir la position stratégique de Paris, phénomène bien perçu par Clovis lorsqu'il abandonne Soissons au profit de la future capitale.

Au Sud, Orléans a préservé son pont sur le fleuve ce qui permet le drainage des liaisons menant vers le Berri et le Massif Central. Là les voyageurs sont nombreux mais le volume des marchandises plutôt modeste. D'autre part, la ville fait office de port d'attache pour la batellerie navigant en amont et en aval, l'obstruction réalisée par la digue où sont installés les moulins permet de maintenir ce privilège. Enfin, la ville forte contrôle la voie sur berge qui longe le grand fleuve.

L'ensemble de ces facteurs avait déjà servi Orléans à l'issue de la période trouble des années 250/275 lui permettant de construire rapidement un vaste périmètre défensif préservant le maillage antique. Les avantages ainsi maîtrisés vont servir la cité sur plusieurs siècles. Cependant, les facilités de franchissement offertes par la ville de Tours, et le gros volume des échanges avec les provinces de l'Ouest, dérivent une partie du flux économique naguère réservé à Orléans. Cavaliers et piétons marchant vers l'Ouest franchiront la Loire à Tours après avoir emprunté la voie Romaine passant par Chartres et Vendôme, les chariots, eux, vont préférer la voie sur berge où des relais nombreux vont s'organiser.

Côté Nord, voyageurs et marchandises transitant par Paris se répartissent sur différents axes mais la voie Romaine menant vers Amiens et Boulogne, puis vers les Iles Britanniques, paraît la plus fréquentée, les Nautes Parisiens vont bien tenter de communiquer avec l'Outre Manche mais Rouen entend préserver son privilège de port maritime ainsi que le transfert de charges qui lui rapporte gros.

Ceci résume l'articulation nouvelle qui s'installe dans les provinces du Nord, l'Aquitaine organise son propre trafic sur l'entre deux mers. La voie du Rhône reçoit un bien modeste potentiel en rapport au volume de la période impériale. Au-delà, il faut considérer une multitude de liaisons diffuses où les petites rivières alimentent la batellerie des grands fleuves et où les voies Romaines continuent d'assurer les communications directes entre les villes fortes du Bas Empire, chacune d'elle ayant par ailleurs sa propre assiette rurale réservée.

LES VOYAGEURS

Dans ces périodes pauvres, les marchandises sont rares et circulent peu, les hommes, par contre, voyagent beaucoup. A l'époque Romaine, l'organisation économique palliait aux déséquilibres locaux et le numéraire stable permettait à chacun de sauvegarder quelques moyens pour subsister dans les années de mauvaises récoltes mais, avec le désordre des siècles qui vont suivre, les disettes comme les faits de guerre, engendrent de profondes misères que rien ne vient atténuer. Ainsi puisque les marchandises ne circulent plus, ce sont les ventres creux qui marchent vers les lieux de prospérité apparente. Notre époque retrouve ce phénomène sur une échelle beaucoup plus vaste entre le tiers monde et les pays économiquement développés. Au Bas Empire, ce sont naturellement les centres de transit ou de négoce qui font rêver les affamés, ils viennent là pour proposer le service de leurs bras ou, en dernier recours, pour mendier. Leur afflux engendre des problèmes que la bonne volonté et l'esprit de charité ne sauraient résoudre.

Ces pauvres ont beau circuler de ville en ville, leur situation ne saurait s'améliorer. Les plus entreprenants, les plus courageux, vont se fixer sur des terres ingrates, les défricher et participer ainsi au redressement de la situation économique mais une bonne frange de ces populations "en déplacement" continuera de demander la charité à ceux qui ont récolté quelques fruits de leur labeur. Les phénomènes de rejet vont naître et se généraliser. Les fondations charitables, ancêtres des abbayes installées hors les murs ou dans les campagnes, seront naturellement débordées, d'où l'intérêt de règles très strictes comme celles imaginées par Saint-Colomban ou Saint-Benoît, c'est un phénomène que nous aborderons ultérieurement.

LES MARCHANDISES

Le déplacement des marchandises est lui aussi victime du contexte Bas Empire. Les chariots qui, faute de ferrure, sont peu fiables et se désarticulent vite sur les routes en mauvais état et leur capacité de charge est très réduite. D'autre part, ils sont exposés aux voleurs de grand chemin qui sont parfois des mendiants en colère. Il leur faut craindre également les hommes d'armes en déplacement qui entendent vivre sur le terrain ainsi que le petit hobereau qui réclame un péage pour le passage sur les terres qu'il juge comme siennes. Ce phénomène incite les provinces et surtout les villes à vivre en autarcie. Seules circulent les matières premières hautement stratégiques comme le fer et des produits de grand négoce manufacturés en des lieux de bonne technologie, ce sont des tonnages dérisoires qu'il est aisé de protéger ou de soustraire aux malveillances. Les grains, comme les produits alimentaires, disparaissent des circuits ce qui accentue le déséquilibre économique, enferme certaines régions dans la pauvreté tandis que d'autres connaissent une relative aisance. Ce phénomène sera très long à résorber.

La capacité technique, le savoir faire des artisans, les outils de qualité et la bonne exploitation du sol permettant de remplir les ventres creux tiennent alors à fort peu de choses. Pour manufacturer de bons outils, le forgeron a besoin d'une enclume métallique constituée d'une galette de hauts fourneaux, d'un soufflet fait de bois et de cuir, de charbon de bois de qualité et d'une meule de grès taillée, montée dans un bac à eau avec une manivelle. C'est elle qui donnera le taillant nécessaire. Tout cela peut tenir sur le bât d'une mule et changer la vie de 1.000 à 1.500 habitants. A cette époque, les plus petits morceaux de fer sont recyclés, amalgamés et reforgés maintes fois et, sans le forgeron et son outillage, ils disparaissent sous l'oxydation. C'est ce besoin qui va justifier l'apparition des forgerons ambulants dont nous retrouvons les sépultures.

Ceci montre à l'évidence que la concentration des divers corps de métier confère une puissance économique certaine et c'est elle seule qui pourra justifier les apports nouveaux en matière première essentielle. Ce sont les villes fortes d'origine Gallo Romaines qui préservent et développent cette capacité artisanale et le pouvoir économique qu'elle engendre. De leur côté les artisans qualifiés sont tentés par la sécurité de la ville forte, même si une bonne part de la prémanufacturation se trouve, par principe, hors les murs, en zone très exposée. La vie des individus, comme l'outillage le plus précieux, seront facilement préservés lors d'un repli derrière les murs. Là résident les fondements de la puissance économique mais les cités sont plus ou moins bien placées pour accaparer et sauvegarder ce potentiel. Les mieux servies seront naturellement celles situées en bonne place sur les nouveaux circuits économiques.

ORLEANS CITE RICHE

Nous avons mis en évidence l'excellente position d'Orléans au sommet de la courbe de la Loire au point de convergence des itinéraires venant du Nord, du Bassin Parisien et de la Seine. Ces avantages avaient, dès avant la Conquête, permis à la cité de secouer le joug politique des Chartrains et l'ordre Romain confirmera cette indépendance. La Genabum Augustéenne connut sans doute un développement considérable selon les coordonnées qui subsisteront dans la cité du Bas Empire. La puissante muraille rectangulaire construite dès la fin du III°s. mesure 540m x 480m, soit 26 ha. Comme dans la ville Gauloise assiégée par César cette défense jouxte la voie venant du Nord et ne fait que contrôler l'accès au pont, ainsi le flot économique peut transiter par la ville sans perturber la vie de la cité, sans qu'une masse d'indésirables n'investisse les rues étroites de la ville forte. Par contre, cette voie qui mène au pont est bordée de boutiques et d'échoppes liées au faubourg contiguë. C'est une bonne manière d'exploiter les richesses en transit sans trop subir le flot des voyageurs suivant le même chemin. Les Romains furent séduits par cette articulation urbaine et l'adoptèrent dans les villes coloniales du littoral méditerranéen, à Arles puis à Narbonne. Un mur léger doit fermer la partie la plus riche de ce faubourg, celle qui touche au fleuve. Enfin, à l'est de la cité, autour de l'église Saint-Aignan, se développe un habitat ouvrier et ce faubourg préservera longtemps les traces du maillage Augustéen.

Tous ces quartiers périphériques seront brûlés par Attila mais la richesse en transit permit d'assurer une rapide reconstruction. Ce sont de modestes bâtisses construites à la manière Solognotte et faites de bois et de torchis. Elles poussent comme des champignons selon les besoins et sont abandonnées sans grand regret à chaque menace sérieuse. La ville suffisamment vaste pour accueillir ses habitants périphériques en cas de danger jugera inutile de cerner ces quartiers de défenses puissantes. C'est au Moyen Age que le faubourg Ouest, toujours le plus riche, sera définitivement englobé dans la muraille.

Si les 26 ha de la cité abritent 12.000 habitants, le repli des faubourgs peut porter ce nombre à 25.000 environ, ce qui assure une excellente défense. La ville jugea donc qu'elle était en mesure d'affronter les hordes d'Attila.

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Le cheminement traditionnel venant de la Seine aboutissait sur l'Oussance à 10 km à l'Est du site d'Orléans, c'est donc le franchissement oblique (A) qui va donner naissance à la ville. Il se renforce au cours des deux derniers millénaires et les amoncellements de cailloux destinés à fixer les bases des ouvrages finissent par constituer une digue que des moulins exploiteront. Peu avant la Conquête, la cité construit un nouveau pont perpendiculaire (B) qui prend appui sur une île artificielle (C) engendrée par la digue. Franchissement oblique et pont perpendiculaire se joignent en un point (D) qui engendre deux itinéraires l'un vers Chartres (E) et l'autre vers Vendôme (F). La ville Gauloise se trouvait-elle à cheval sur cette patte d'oie ou plus à l'Ouest? C'est cette dernière hypothèse que nous avons retenue avec cependant un faubourg ouvert à l'Ouest (G). L'aménagement Augustéen va, par étapes, se substituer à la ville Gauloise et s'articuler selon un maillage régulier (H). Après 250/275 la ville se replie derrière une muraille en quadrilatère (J) et retrouve, semble-t-il, la position de l'agglomération Gauloise (K). Le pont Romain (L) qui devait se trouver dans l'axe du decumanus (M) passe à nouveau entre la cité forte et le faubourg. Avec le potentiel économique amené par le fleuve, en amont (N), et en aval (P), et la digue (A) qui assure une rupture de charge, la reconstruction s'est faite rapidement. Le château (Q) et une fermeture (R) permettent l'ouverture de nombreuses poternes (S) dans la muraille Sud et les ilôts contigus sont propices à l'installation des artisans qui reçoivent leurs fournitures par batellerie. Parmi les voies Est/Ouest, l'une retrouve sa fonction de decumanus (T) et dessert un nouveau forum (U), c'est le quartier des commerçants-détaillants. Les ilôts du Nord, côté cathédrale (V) semblent réservés à l'habitat bourgeois. Le faubourg retrouve sa place (W) le long de la nouvelle voie de franchissement. Enfin, le quartier Est (X) installé sur les ruines de la ville antique semble réservé à l'habitat ouvrier. Là se trouve l'église Saint—Aignan (Y) le pasteur des petites gens.


Les empierrements formant la base du premier franchissement oblique vont engendrer une chute d'eau et fixer des moulins. La navigation fluviale se trouve alors décomposée en partie amont et aval, Orléans bénéficiant de cette rupture de charge. Les quais et les installations bordant le fleuve seront isolés à l'Est comme à l'Ouest et la muraille percée de nombreuses poternes. Ceci permet aux artisans de s'installer sans difficulté dans les îlots urbains bordant la défense côté Sud. La partie centrale, à cheval sur le nouvel itinéraire Est/Ouest, semble réservée aux commerçants. Là se trouvait probablement le nouveau forum de l'époque Constantinienne (J. Debal). Enfin, la partie Nord où se trouve la cathédrale, devait abriter la bourgeoisie aisée.

La ville reçoit la majorité de ses approvisionnements par le fleuve tandis que les produits verts et frais lui sont fournis par les petites exploitations agricoles installées dans la dépression qui se trouve entre la Loire et le Loiret. C'est une agriculture de proximité couvrant les besoins journaliers, les céréales étant fournies par les terres de Beauce et du Gâtinais.

Orléans, ville riche, saura profiter des avantages de sa situation tout au long du premier millénaire, c'est le contexte politique du Bas Carolingien et du Moyen Age, ainsi que la multiplication des sites concurrents sur la Loire, qui la mettront en stagnation.

EVREUX VILLE MODESTE

En guise d'antithèse à l'excellente position d'Orléans, nous avons choisi une agglomération située dans un paysage de bocage traditionnel, Évreux, où le sol cultivé selon le mode "polyculture" ne dégage que très peu de produits d'échange et aucun excédent céréalier. Dans ces conditions l'agglomération métropole ne vit que du transit routier qui permet quelques grandes foires annuelles, les échanges avec l'assiette rurale se limitant au marché hebdomadaire.

La ville se trouve dans une vallée bien prononcée où coule l'Iton, petit affluent de l'Eure et de la Seine, elle est donc liée économiquement au bassin de ce grand fleuve. La cité s'est fixée à l'extrême limite des possibilités de navigation tandis qu'en amont le cours gagne 35m en 15km, c'est le domaine des barrages et des moulins. C'était à l'époque Gauloise la métropole des Eburoviques. Les Romains accepteront ce lieu malgré ses caractères peu conformes à leurs us et coutumes puis le confirmeront avec un programme de voies rayonnantes. Cet apport routier permit un certain développement et une rationalisation du tissu urbain à partir de trois voies établies dans le sens de la vallée.

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L'agglomération du Bas—Empire s'installe sur les bases d'un maillage de caractère Augustéen (A,B,QD). La cité (E) se trouve cernée d'une puissante muraille de 220 x 310m, soit 7 hectares environ. Cet obstacle dans le tissu urbain engendre une dispersion des voies suivant la vallée (F,G,H,J). F qui longe la rivière reçoit les installations artisanales (K) établies sur la rive (L) et devient l'artère principale. Là se fixent les commerçants qui se réservent une place de marché (M) avec une halle (N) et un carreau (P). Une porte de la cité (Q) donne accès à ce domaine économique et le château comial (R) s'installe en position d'emprise. Il sera bientôt démantelé de l'intérieur mais reconstruit au Bas Moyen Age, Le domaine ecclésiastique se trouve au Sud avec la cathédrale (S) un atrium (T) une cour de service (U) et un jardin (V). Une nouvelle porte (W) sera ouverte à l'usage des paroissiens de l'extérieur. La cour (U) abritait les bonnes oeuvres du diocèse mais l'afflux des demandeurs inquiète les notables et les activités charitables sont déplacées dans un vaste ensemble (X) avec jardin (Y) et lieu de culte (Z).


Cette installation ouverte et de faible densité disparaît à la fin de l'Empire et la population bourgeoise se replie derrière une muraille rectangulaire de 200m x 300m, soit 6ha ou le quart de la surface protégée d'Orléans. De surcroît, cet espace se trouve hypothéqué par un domaine militaire à l'angle Nord-Est et un autre de caractère religieux incluant la cathédrale à l'angle Sud-Ouest. Restaient moins de 5ha pour les 2.300 à 2.500 habitants en charge de l'activité économique. Là se concentrent notables et commerçants, tandis que les artisans s'installent comme aux époques Gauloises et Romaines le long de petits cours d'eau maintenus artificiellement et qui serpentent dans la vallée. Nous avons donc 1.500 à 2.000 habitants supplémentaires, le caractère de l'étroite vallée impliquant une diffusion des artisans en amont et en aval, ces gens finiront par constituer les faubourgs indépendants, commerçant avec la métropole mais non dépendant d'elle.

Dès le VI°s., la ville se stabilise dans sa modeste condition, reçoit ses échanges journaliers par la voie sur berge et ses produits de grand négoce par la voie Romaine de Normandie, Chartres, Dreux, Évreux, Lisieux, Caen, Bayeux. C'est un itinéraire qui se maintiendra tout au long de l'époque historique. Au XI°s., la ville connaît un nouvel essor dans le cadre du jeu politique du Duché de Normandie. Une vaste cathédrale de programme Roman-Normand remplace le modeste édifice Bas Empire repris au Carolingien. Parallèlement, les activités qui transitent par la voie sur berge se développent et engendrent un quartier bourgeois centré sur une place de marché. A l'origine, cet ensemble était situé hors des contraintes de la cité forte, mais il sera cerné d'une muraille additive au Moyen Age. La surface ainsi protégée donne 4ha supplémentaires à la cité forte.

LES CENT VILLES

En choisissant ce titre pour un vaste projet qui tourna court, je fus sans doute séduit par le côté mythique du chiffre cependant, les villes incluses entre Rhin, Alpes et Pyrénées et qui vont préserver les caractères de l'Occident sont un peu moins nombreuses, 90 environ. La plupart d'entre elles étaient déjà métropoles de leur province au temps Gaulois, admises comme telles par Rome, elles reçoivent un aménagement urbain régulier et de fastueux monuments. Ceinturées de murailles au Bas Empire elles semblent s'endormir sur une longue et sombre période mais les XII° et XIII° s. les retrouve pleines de vie, travaillant à élever leur cathédrale. Parfois les malheurs de l'Histoire les mettent en péril. Politiques et militaires entendent les dominer pour les engager dans les jeux stériles du monde féodal. Mais si les Cent villes en gardent quelques cicatrices, elles demeurent bien vivantes et se renouvellent sans se renier. C'étaient les évêchés du Bas Empire, les révolutionnaires républicains convaincus mais formés aux écoles religieuses pour la plupart en feront les chefs lieux de département. La préfecture jouxte la cathédrale quand elle ne reprend pas les bâtiments de l'évêché. Il est des lieux que l'on ne peut effacer de la carte, une seule d'entre elles va disparaître sous les pioches de la soldatesque de Charles Quint, ce sera l'illustre Terrouane.

Cette permanence des villes est due à l'attachement du peuple d'Occident pour ses métropoles mais également à la qualité des sites choisis. Chacune d'elle représente plus qu'une agglomération, c'est le centre, le cœur socio-économique d'un vaste système et, brillante ou misérable, la province s'identifiera toujours à sa métropole. Pour détruire l'une, il faudrait faire disparaître l'autre.

Sur la période que nous traitons, les temps Mérovingiens et Carolingiens, les rapports entre province et métropole sont plutôt tendus, comme chez les couples en querelle. La cause de la brouille est dans la muraille qui enserre la ville et tranche dans l'unité d'intérêt formé par un ensemble où l'interdépendance est de règle. Une analyse superficielle nous dirait que c'est l'insécurité qui engendre les villes fortes mais une approche plus raisonnable nous donne une conclusion contraire. En se repliant derrière ses murs, en ne voyant que sa propre sécurité, la métropole rompt le contrat d'assistance mutuelle qui la lie à sa province et cette dernière ne fera rien pour lui venir en aide le cas échéant. La ville ouverte, par contre, recherche et préserve l'unité politique du système, chacun des deux partenaires étant conscient de ses responsabilités. Les grandes décisions sont prises par une assemblée provinciale siégeant dans la ville mais ce sont les campagnes qui vont lever des forces pour défendre l'intégrité du système et l'intérêt de tous.

Une fois mise en place, cette volonté de détachement, cet égoïsme des villes fortes va se confirmer au cours des siècles. Dès la crise de 250/275, dans une période particulièrement trouble, où les bandes armées qui font la loi battent la campagne et peuvent s'introduire dans les cités, chaque ville est défendue par une bande de spadassins qui ne vaut guère mieux que ceux qui créent l'insécurité hors les murs. Bourgeois et notables trouvent ces protecteurs avides, coûteux et pénibles à supporter. Ainsi, dès le cadre impérial disparu, les villes vont tout faire pour se débarrasser de cette soldatesque inconvenante et du pouvoir comtal qui les gère. Ces hommes seront chassés ou démobilisés et absorbés par la population. Leurs casernements seront démantelés de l'intérieur tandis que les notables rechercheront un pouvoir de substitution, ce sera l'évêque dont la charge est élective. Ils feront rentrer son siège, la cathedra, à l'intérieur des murs et l'église devient d'obédience bourgeoise. C'est toujours la communauté chrétienne qui nomme l'évêque mais l'ensemble du Chapitre est aux mains des rejetons de grandes familles et quel que soit le choix des petites gens, leur pasteur est affilié à la bourgeoisie. Dans ce milieu clos, l'humeur des boutiquiers se trouve conditionnée par l'intérêt immédiat ce qui engendre des vues à court terme, et dans l'esprit des responsables de la cité, le pacifisme de l'église et l'égoïsme du nanti se rejoignent, se conjuguent pour condamner toute intervention en armes hors les murs.

Reste la courtine à défendre. Elle sera gardée par une milice de ville qui doit encadrer la levée des hommes valides, le cas échéant. L'isolationnisme ainsi engendré apparaît payant pour la cité mais il livre la campagne aux hommes d'armes, cavaliers de tout poil. Ils semblent maîtres du jeu politique mais le sont-ils vraiment ? A l'heure de l'évènement c'est certain mais, selon une analyse plus large, et dans le temps, le pouvoir économique détenu par les cités reste déterminant puisque c'est lui qui fournit les moyens de l'action.

Ainsi les cités et le faubourg artisanal qui les flanque vont longtemps demeurer passifs et, faute de politique volontariste, subiront les évènements dont elles auront fourni les moyens.

A ce jeu puéril l'Occident va se trouver partagé. Dans les régions septentrionales où règnent les Cavaliers Francs, les agriculteurs bien installés sur leur terre joueront le jeu, laissant la ville à ses humeurs isolationnistes, traitant avec les artisans à titre individuel mais servant ainsi son potentiel économique. Cette politique est au profit de tous. Par contre, en bien d'autres régions, les hommes d'armes plus attachés au pouvoir du glaive qu'à la richesse du domaine vont vivre aux dépens de l'économie en installant des places fortes destinées à rançonner tous les mouvements de marchandises. La plupart des châteaux du Val de Loire ont été fixés de la sorte.

Cependant rien n'est jamais acquis en politique, comme en économie. Les charges imposées par les bourgeois des villes aux artisans installés hors les murs deviennent parfois excessives et la position trop exposée perd de son intérêt. Alors ces gens de métier vont quitter cette coûteuse et aléatoire protection pour gagner des lieux plus propices à leur activité: c'est la naissance des bourgades qui finiront, elles aussi, par se cerner de murailles.

Par contre, sur certaines grandes voies économiques, les contraintes et charges imposées par le château comtal sont acceptables au regard des avantages de la situation, et ces lieux fixeront des artisans désireux de fuir la ville et de se rapprocher de la clientèle rurale.

Cet éclatement du pouvoir économique ne change rien au contexte d'ensemble. Les agglomérations petites ou grandes ont totalement abandonné toute velléité de regard ou de contrôle sur leur environnement rural, abandonnant ainsi une grande part de responsabilité aux hommes d'armes; c'est le temps des Cavaliers.

Ultérieurement, ceux-ci s'organiseront, s'accorderont des titres et fixeront l'échelonnement de leurs prérogatives. Ce sera la féodalité et le système connaîtra des fortunes diverses. Mises en place au temps des Carolingiens afin de permettre aux feudataires d'assurer la levée des hommes et des moyens, ces charges ensuite considérées comme privilèges héréditaires seront la cause des querelles intestines qui vont ruiner l'empire d'Occident.

LE TEMPS DES CAVALIERS

Dans les grandes plaines du Nord, comme sur d'autres terres favorables à la culture céréalière, la politique Gallo-Romaine des grands domaines avait rompu l'équilibre naturel du monde rural avec, d'un côté, de grandes fermes de 300 à 500 ha exclusivement céréalières et, de l'autre, de petites exploitations pratiquant la polyculture aux abords des vallées. Cette majorité paysanne manquait périodiquement de grain, d'où sa grande colère au moment des troubles engendrés par les invasions Germaniques. Un retour à un meilleur équilibre s'imposait mais il se fera lors d'une crise profonde et dans les pires difficultés, ce sera une restauration longue et méthodique où les petites exploitations de caractère Franc vont se distinguer.

L'INSTALLATION DES FRANCS

La première invasion venue d'Outre Rhin avait pour objectif le pillage des objets de valeur, un butin à emporter en fin de saison. Cependant la chevauchée fut beaucoup plus facile que ces hommes ne l'escomptaient et ils projetèrent de renouveler l'opération en hivernant dans les domaines ruinés bordant la route de Cologne à Bavai. Mais, lors des actions suivantes, les Francs se trouvent en concurrence avec les bandes armées nées du désordre et vivant sur le terrain. Ce phénomène les incite à la méfiance. Les Cavaliers Germaniques vont donc organiser leur base de repli.

Après 5 ou 10 années de troubles et de guerres intestines, les grandes exploitations Gallo-Romaines reprises en mains apparaissent à terme plus intéressantes que le pillage des objets précieux dilapidés en beuveries. Les 100 à 200 ha immédiatement récupérables sont alors exploités par une bande de 20 à 30 combattants qui ont pris femme dans le pays tout en conservant une organisation quasi militaire. Le chef occupe la place du grand propriétaire et les hommes d'armes s'installent dans la cour des équipages. Il suffirait de construire une tour au centre pour avoir un château féodal selon les règles mais ce n'est pas l'objectif de la troupe.

La remise en culture s'avère difficile et les rendements demeurent modestes ainsi certains fantassins, ou ultérieurement leurs héritiers qui ont charge de famille, vont partir et chercher fortune ailleurs. Ce sera l'origine d'une multitude de petites exploitations. Par contre, dans la famille du maître où sommeille l'esprit du patrimoine, les héritiers feront tout pour préserver leur domaine. Il n'est pas interdit de penser que certains châteaux du Moyen Age ou de la Renaissance ont pour origine une ferme Gallo-Romaine.

Les terres qui offrent les meilleures conditions de remise en culture ne sont pas nécessairement les grandes exploitations spécifiques de plateau. Établi au milieu des ruines du palais Carolingien, le château d'Aramont à Verberie a intrigué les historiens. Viollet le Duc s'est servi des témoignages consignés pour illustrer son propos mais les chroniques signalent que le domaine était déjà apprécié de Dagobert au temps Mérovingien. Ce dernier avait-il créé l'ensemble de toute pièce ou simplement reçu dans le patrimoine royal une ancienne villa Gallo-Romaine dont les Francs avaient relevé les murs et reconstitué le terroir?. Cette seconde hypothèse est la plus vraisemblable. Le site qui se trouve entre le cours de l'Oise et la voie sur berge gère bien un domaine polyvalent et ce sont ces caractères que nous avons donnés pour optimum. Le palais Mérovingien de Clichy se trouvait en semblables dispositions.

La reconquête du terroir passe par une phase de polyculture avec un cheptel bovin et les domaines les plus appropriés se trouvent aux confins des terres sèches et vertes. Cette restauration de l'agriculture se fera dans le temps et sur plusieurs générations mais les grands domaines disponibles deviennent rares. Dès le VI° s., au temps de Clovis, la grosse majorité des maîtres de ferme qui constitue l'encadrement de la nation Franque doit se contenter de 20 à 40 ha avec une ou deux familles de commis. Ce sont eux qui fourniront le gros contingent des cadets sans avoir, fer de lance de l'expansion Franque.

Le développement et l'implantation de cette caste de Cavaliers se fera au rythme des avancées militaires dont l'Histoire témoigne. La phase optimum du phénomène se situe dans les 10 ou 30 années qui suivent la démonstration militaire. Le jeune cadet sans avoir quitte le domaine familial avec femme et enfants. Sur un chariot il emmène également l'outillage et le grain pour sa première mise en culture puis s'installe avec plus ou moins de délicatesse sur les terres qu'il juge appropriées. Cela faisant, il bouscule quelquefois de petites exploitations gérées selon l'esprit Celtique. Cependant, la juxtaposition des deux modes de vie se fait le plus souvent sans heurt, les partisans du mode Celtique se replient sur des terres à vocation purement pastorale tandis que les Francs s'orientent vers la reconquête des plateaux, vers les terres sèches. Les mariages mixtes aidant, un certain équilibre économique s'installe mais les Francs s'en réservent le contrôle .

Les nouveaux venus mènent activement une exploitation expansive des sols, l'alimentation est assurée, la poussée démographique suit. Mais dans ce renouveau du monde rural, les terres d'Occident seront diversement servies, d'où des lignes de fracture socio-économiques susceptibles de dégénérer en conflit ouvert.

D'une manière très générale, ce sont les "terres blanches" sur sol calcaire qui fixent les Francs. Le phénomène intéresse donc les plaines du Nord, une partie de celles situées entre Seine et Loire ainsi que le Berri, le Poitou, la Saintonge et l'Angoumois. De très vastes zones, comme la Normandie, la Bretagne et le Massif Central demeurent en exploitation de mode Celtique et prennent un sérieux retard dans la réorganisation rurale. L'Aquitaine où l'on trouve de bonnes aptitudes céréalières et qui fut prise en mains par les Visigoths, peuple de Germanie septentrionale, tient une place à part sur l'échiquier Occidental. Enfin les terres Méditerranéennes qui se sont débarrassées des grandes propriétés Romaines retrouvent le mode ancestral pour gérer le peu de bonnes terres disponibles. Le village se fixe à proximité d'une résurgence, les terres basses sont cultivées à la main en toutes petites parcelles tandis que celles arides situées sur les hauteurs sont livrées aux troupeaux de chèvres et de moutons.

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Malgré les chevauchées de Clovis et l'emprise que la dynastie obtient sur la case équestre en certaines régions, la présence Franque demeure très minoritaire. Le seul phénomène durable est mis en place par les agriculteurs qui s'installent et imposent leur mode de gestion des sols. Ainsi les Cavaliers Francs sont majoritaires avec le pouvoir sur les espaces (A) et minoritaires avec le pouvoir sur les espaces (B). Deux exceptions à cela: le couloir du fer sur la Moselle (K) et une liaison directe avec l'Ouest (L). Les terres de bocage qui bordent la Manche (C,D,E) restent en dehors de leur emprise et l'ancienne Aquitaine (F,G) retrouve peu à peu son indépendance. Enfin, des accords d'intérêt vont se nouer avec les Burgondes (H). Ainsi, dès le Carolingien, la Conquête de l'hexagone sera à refaire.


L'installation Franque sur les terres d'Occident ne se fait pas sans une certaine opposition mais son développement se stabilise quelques siècles plus tard selon un équilibre où la résistance des anciens occupants se conjugue avec le manque d'intérêt pour les terres en question. Un rapide tour de France nous permet de mieux cerner les "frontières" où cet équilibre s'installe.

LES PEUPLES DE LA MANCHE

Au Nord, la frange littorale qui se trouve entre la Seine et Boulogne, sur une profondeur de 30 à 50km s'est de tout temps distinguée des terres intérieures. La polyculture y semble plus appropriée. Dès l'époque Romaine, ces régions dites maritimes seront politiquement contrôlées par les Bellovaques au Sud et les Atrébates au Centre, seule la partie Nord préservait son indépendance sous le nom de pays des Morini, les Morins. Les Francs n'éprouvent pas grand intérêt pour ces terres mais la pression qu'ils exercent sur la frange Est, jointe aux incursions des peuples maritimes comme les Frisons et les Danois, forceront bon nombre de Morins à s'expatrier. Certains se retrouveront dans les vallées de l'Ile de France, celle du petit et du grand Morin, (Morienval vallée des Morins). Cependant les Francs laissent faire et ces phénomènes n'engendrent pas de grandes confrontations ouvertes dont l'Histoire garderait le souvenir.

Vers l'Ouest, entre le cours de la Seine et la presqu'île du Cotentin, les terres de bocage qui formeront la Normandie n'intéressent absolument pas les agriculteurs Francs. Le pays sera donc librement pénétré par les peuples maritimes mais les cours d'eau sont modestes et les possibilités de remontées très limitées. Dès le Bas Empire, un équilibre s'installe entre les navigateurs Frisons et Danois établis dans les estuaires, et les petits seigneurs fixés dans les terres. L'isolationnisme des cités Gallo-Romaines établies sur la route de Normandie facilite cette stabilisation. Ainsi, dès la fin du Carolingien, le pays sera annexé sans difficulté par la nouvelle vague d'envahisseurs maritimes venue de Norvège, les "Nordmen".

Sur ces côtes nous trouvons également les Bretons devenus très belliqueux depuis l'arrivée massive de leurs frères d'Outre Manche chassés par les Saxons. Pour eux, tout ce qui n'est pas "Celtique" est considéré comme un ennemi potentiel et la nation Bretonne va longtemps cultiver ces mécanismes de défense, mais la pression Franque sera négligeable faute d'intérêt pour leurs terres.

LES PEUPLES DE L'ATLANTIQUE

Dans l'Ouest, Poitou, Saintonge et Angoumois, offrent de bonnes terres aux agriculteurs Francs qui s'y installent méthodiquement et de manière durable. Les actions violentes menées sous Clovis, puis sous Charles Martel qui ne se contente pas de battre les Musulmans à Poitiers mais chevauche en force jusqu'à la Gironde, répondent à des considérations de grande politique. Dans ces provinces, les Francs et leur modèle agricole semblent s'imposer sans difficulté. Si frictions il y a, elles se manifesteront à l'encontre des habitants des vallées pénétrant les contreforts du Massif Central. Ensuite, un équilibre s'établit et les populations échangent leurs excédents spécifiques.

La plus forte opposition rencontrée par l'hégémonie Franque se situe en Aquitaine. Dans le Bassin de la Garonne, riche et peuplé, les Visigoths se sont bien intégrés à l'aristocratie Gallo-Romaine pour reconstituer les grands domaines et cet encadrement socio-économique devient stable dans le temps. La chevauchée de Clovis chassera le roi Visigoth et quelques grandes familles nobles, de Toulouse et de sa région, mais la plus grande part de la caste équestre, s'incline un temps pour laisser passer l'orage et se redresse sous une bannière qui n'est plus Visigothique. Ensuite et sur moins d'un siècle, cette caste noble reprend en mains une bonne part des terres situées à l'intérieur de la boucle de la Loire. En acceptant comme monarques les rejetons de la lignée Mérovingienne, ils se plient à un jeu politique mais la province demeure fidèle à elle-même.

La marche de Clovis s'était arrêtée à Carcassonne et les rois Visigoths repliés à Tolède garderont le contrôle de la Narbonnaise jusqu'à l'invasion Musulmane. Ils développeront même leur emprise sur la côte méditerranéenne jusqu'au Rhône en donnant la main à leurs frères Ostrogoths venus d'Italie du Nord.

CENTRE ET BASSIN RHODANIEN

La très vaste région que nous désignons globalement comme le Massif Central peut être considérée comme domaine de mode Celtique bien que les vallées se distinguent des hautes terres et que le cœur du pays fut parfois classé comme un sanctuaire des pré-Celtiques. Cette théorie naguère défendue par certains ethnologues n'est pas dénuée d'intérêt. Dans leurs diversités, ces populations se laissent porter par les flux et reflux de la grande politique avec, semble-t-il, une préférence affective pour l'emprise Aquitaine. Par contre, les Francs venus du Nord pénètrent méthodiquement le Berri et s'infiltrent en Limagne avec la complicité des Burgondes.

Voyons maintenant le pays Burgonde. Le petit peuple arrivé d'Outre Rhin, au Bas Empire, n'a pas modifié fondamentalement le contexte ethnique et certaines affinités liées au mode de vie et d'exploitation rurale ont même favorisé une intégration profonde. Les Burgondes sont quelque peu distincts des Francs et sur une large bande mitoyenne, correspondant au seuil géographique séparant le Bassin Parisien de celui du Rhône, les contingences de grande politique engendrent quelques affrontements. Ce sont des querelles entre frères ennemis, bien vite oubliées, qui ne doivent pas masquer les nombreuses relations établies entre les deux peuples.

D'autre part sur une vaste zone qui va des Ardennes à la Franche-Comté, donc à cheval sur le domaine Franc et Bourguignon, la population exploite le sol selon des méthodes proches du modèle Celtique mais s'installe dans de gros villages centrés sur le terroir comme les Francs. Ce sont ces affinités qui donneront naissance à la grande Bourgogne du Moyen Age par union entre la Haute et Basse Burgondie et la Haute et Basse Lotharingie.

Reste la Provence. Elle n'a jamais tenté les agriculteurs Francs mais sa situation géographique l'expose aux débouchés vers la Méditerranée de tous les peuples septentrionaux. La peur ainsi engendrée, naguère exorcisée par Marius, justifie sur le littoral, comme sur l'arrière pays, une constante susceptibilité. C'est cet état d'esprit qui portera les nobles Provençaux à s'allier aux Musulmans puis à leur livrer les villes d'Arles et d'Avignon. L'intérêt des échanges maritimes qu'il fallait maintenir malgré la présence des Barbaresqes valait bien ce prix. Cette concession à l'Islam va justifier la violente répression menée par Charles Martel.

Ce tour d'horizon nous permet de différencier l'emprise méthodique et durable des agriculteurs, des grandes chevauchées menées selon les ambitions politiques. Ce distinguo est primordial pour bien comprendre la suite des évènements.

LES POPULATIONS EN QUESTION

La part acquise par les sociétés dans le concert des nations se manifeste d'abord sur le plan militaire lors d'actions violentes qui inspirent les chroniqueurs mais, comme nous l'avons déjà dit, ce n'est que l'écume de la vague, l'origine du phénomène est ailleurs. Certains se souviennent d'une phrase apparemment pleine de bon sens lancée par un homme politique que les évènements vont bien vite ridiculiser "nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts" et de développer tous les arguments statistiques en faveur de son affirmation. La tourmente du printemps 1940 montre que la puissance qui fait l'évènement tient plus à la mise en oeuvre du potentiel qu'au volume de ce dernier.

Bien qu'elles soient majoritaires en Occident, les populations de caractère Celtique n'ont jamais brillé par leur capacité à s'imposer, le rêve des "grands Bretons" qui attendaient la renaissance ou la réincarnation du roi Arthur pour les mener à la victoire contre les envahisseurs Saxons illustre bien leurs traits de caractère. Ils attendent tout d'un homme providentiel et vont de déception en défaite.

Des Centurions Romains jusqu'aux adjudants de l'époque moderne en passant par les chefs de lance du Moyen Age, c'est le petit encadrement qui représente l'esprit et la puissance d'une force armée. Ils ont en charge la formation et la discipline et ce sont eux qui assurent la cohésion tactique sur le champ de bataille. Les Celtiques attendaient le roi Arthur tandis que les Francs et les Saxons se rassemblaient en lances.

Pour les mener au combat et les diriger dans l'action, ces hommes libres mais pétris de civisme et de discipline, vont élire un chef qui sera ensuite hissé sur le pavois, un chef dont les prérogatives disparaîtront naturellement à la fin du combat et qu'ils peuvent "laisser tomber" s'il ne donne pas entière satisfaction.

Grâce à ce petit encadrement, la cohésion de la troupe est telle que les mouvements programmés et entamés peuvent se développer sans le secours du chef de guerre. Pas de héros chez ces combattants, chacun tient sa place et sait bien que l'issue du combat dépend de la cohésion de l'ensemble. Ceci vaut pour la phase militaire mais l'articulation socio-économique se plie à la même discipline.

L'esprit d'une nation trouve son origine dans les us et coutumes des familles à l'ombre de la chaumière, ou dans la cour de ferme. Chez le peuple dit Celtique a régné de tout temps un esprit d'indépendance apparemment de bon aloi mais qui se manifeste souvent au delà du raisonnable. Chaque couple nouvellement formé entend vivre à sa guise sur ses propres terres et cela engendre un perpétuel partage du patrimoine, une décomposition excessive des bons terroirs qui sera néfaste à l'agriculture. Lors des poussées démographiques les familles doivent parfois vivre sur 3 à 6 ha, se contenter d'une chaumière liée à l'étable et, faute d'excédents négociables sur longue distance, ils ne peuvent se procurer l'outillage nécessaire à une bonne exploitation du sol. Les rendements sont médiocres et l'alimentation mal équilibrée engendre des carences.

Ainsi cette susceptibilité individuelle fait que l'homme est mal armé, privé de petit encadrement, sans entraînement au maniement des armes comme à la manœuvre disciplinée. Ses résultats dans les engagements militaires seront médiocres même si l'individu n'est pas dénué de courage.

Pour bien cultiver ces terres une charrue à soc de métal est indispensable. Pour transporter récoltes et amendements il faut des chariots dont les roues sont garnies de bandage métallique et pareil équipement demande environ 5 à 8kg de fer à l'hectare. Cette matière hautement stratégique vient, sous forme d'outils bien manufacturés, des concentrations artisanales que l'insécurité a fixées aux abords des villes fortes ou dans des sites propices à la défense. Ainsi une économie florissante suppose que l'agriculture dégage des excédents alimentaires, et céréaliers en particulier, servant de monnaie d'échange auprès des artisans et des commerçants.

Cependant les moyens performants et les bons rendements demandent une certaine surface d'exploitation, soit 20 à 30 ha, plus que ne peut traiter une famille. Un domaine de cette importance engendre donc un maître de ferme secondé par des commis et c'est, semble-t-il, cet état de dépendance que l'esprit Celtique refuse fondamentalement. Dans l'organisation Franque, le commis ne se considère pas comme servile mais intégré à un système performant dont il tire avantage. Appelés au combat, les membres de cette exploitation formeront tout naturellement une lance où la discipline acquise dans la cour de ferme se transpose sur le champ de bataille.

En 1942, les Etats-Unis mobilisent 10 à 12 millions d'hommes sans avoir les cadres militaires correspondant. Ils vont donc militariser leur encadrement civil, l'ouvrier restant soldat, le contre-maître devenant sous-officier et le patron officier, d'où l'absence des marques traditionnelles de discipline militaire qui ont tant frappé les observateurs Occidentaux et cependant la formule a donné toute satisfaction. Déjà, durant la Révolution et l'Empire, la France avait trouvé une bonne part de son encadrement militaire au sein de l'artisanat et de la petite bourgeoisie, et ces hommes sans formation spécifique, sortis du rang à la valeur, avaient donné les résultats que l'on sait.

Ajoutons à l'avantage du modèle Franc que la sauvegarde du patrimoine impose la transmission à l'aîné et met en disponibilité de nombreux cadets sans avoir, comme nous l'avons déjà évoqué. Ils se distinguent certes dans les engagements militaires mais assurent également l'expansion territoriale du modèle agricole, ce qui est beaucoup plus important à terme. Pour confirmation disons que les individus de ce caractère n'ont jamais représenté plus de 20% de la population de l'hexagone et pourtant, depuis 15 siècles, ce pays s'appelle la France. Il nous faut bien trouver et accepter une raison à cela.

L'ESPRIT FRANC

Ces maîtres de ferme, ces Cavaliers, qui seront ultérieurement les Chevaliers sont tout puissants dans leur domaine comme sur son environnement rural. Élevés dans la cour de la ferme paternelle, au contact des chevaux et des vaches, ils connaissent très tôt la valeur des choses et le respect que l'on doit au petit univers qui vous a vu naître et grandir, un univers qui fait vivre et qu'il faudra transmettre un jour à ses héritiers. Quel respect ont-ils à l'égard des habitants du village voisin? Autant que pour leur cheval et c'est beaucoup si l'on en juge par celui que leur manifesteront certains seigneurs très chrétiens du Bas Moyen Age. Le petit maître joue avec les enfants de la chaumière voisine, il joue à la guerre bien sûr et c'est peut-être ce garçon qui, demain, sera son « flancgarde » comme fantassin dans la mêlée. Cavaliers et serviteurs savent bien qu'ils seront ce jour étroitement dépendants l'un de l'autre et que la bonne compréhension, voire la fraternité, qui les lie constituera la sauvegarde de chacun.

Les grandes opérations militaires sont exceptionnelles mais toutes les installations agricoles du modèle Franc sont totalement ouvertes et les hommes en armes doivent parfois montrer leur force pour dissuader l'intrus. Là se forge l'esprit de corps nécessaire pour que la troupe puisse s'intégrer sans difficulté dans une unité beaucoup plus importante et suivre un chef de guerre vers des aventures lointaines. C'est le rêve de tout jeune cadet.

Cette époque est bien le temps des Cavaliers. Ils ont la force militaire mais que vaut leur pouvoir sans programme? Bien peu. Quant aux villes métropoles, avec lesquelles ils entretiennent des relations suivies, elles vivent comme nous l'avons vu repliées derrière leurs murailles. Frileuses, parfois peureuses, elles non plus ne proposent aucun programme digne d'encadrer cette force des Cavaliers et c'est une règle à laquelle l'église semble très attachée.

Ce sommeil politique évite que l'Occident ne se divise en principautés comme le fera l'Italie du Moyen Age. Pour parer à cette dérive, alors jugée dangereuse par elle, la communauté chrétienne entend reconnaître un roi Franc. Que vaut ce monarque sur l'échiquier politique? En règle générale guère plus qu'une potiche mais le rôle est essentiel, la place qu'il occupe, nul autre ne la prendra.

Au regard des historiens d'esprit Colbertiste, la société Occidentale de cette époque paraît sclérosée et misérable, elle nous semble plutôt anesthésiée et l'esprit de l'église n'est sans doute pas étranger à ce phénomène. Parfois, au sein de la monarchie Mérovingienne, parmi les monarques insignifiants ou fainéants, un homme de caractère se distingue, tel le roi Dagobert. Il n'a guère de pouvoir mais les Cavaliers lui proposent une grande chevauchée et le roi part en campagne Outre Rhin pour une opération sanglante mais sans grand résultat.

Dagobert fait couper 8 à 9.000 têtes en Thuringe, sous le fallacieux prétexte que les porteurs de ces têtes avaient une taille supérieure à celle de son épée. L'action sera, à terme, lourde de conséquences. Au siècle suivant, les missionnaires Bénédictins partant Outre Rhin seront assimilés aux responsables de cette violence et promptement éliminés. Les premières chevauchées Carolingiennes auront un effet tout aussi désastreux et la psychologie des Bénédictins de première vague que nous verrons ultérieurement eut sans doute une part de responsabilité dans ces échecs. Il fallut ensuite toute la force militaire de Charlemagne et la diplomatie de Saint-Boniface pour que la marche vers l'Est puisse porter ses fruits et mettre ainsi l'Europe à l'abri des grandes invasions venues des steppes.

Toute réflexion faite, il valait mieux que ces Cavaliers soient dépourvus de grandes ambitions et que leurs monarques se comportent comme des fainéants. La politique de l'église était certes dépourvue de grands projets mais elle mettait la société Occidentale à l'abri des violences inconsidérées.

Vers la fin de la période Mérovingienne, c'est un groupe de sages à la fois politiques et religieux mené par l'évêque de Metz, Arnoul, qui va imaginer l'instauration d'un chef de guerre et meneur politique au côté du roi: le maire du palais. Ce personnage choisi par l'église et défendu par elle devait pallier aux avatars des successions héréditaires, mais Charles Martel et Pépin le Bref prendront dans cette charge une telle envergure qu'il faudra bien se résoudre à les proclamer roi. Cette judicieuse organisation vécut moins d'un siècle.

LA COURBE DE POPULATION

La démographie historique est une discipline en pleine mutation, certaines analyses basées sur les textes rassemblés par région puis extrapolées, donnent des densités d'habitat particulièrement faibles. Nous sommes là, comme dans bien d'autres méthodes, tributaires des textes préservés et qui peut dire le pourcentage et la répartition des documents disparus dans les aléas de l'Histoire. Enfin, cette approche qui semble donner des résultats sur le second millénaire est totalement inapplicable sur la période qui nous intéresse.

Une autre démarche basée sur les découvertes archéologiques, essentiellement, se trouve aussi tributaire des témoignages dégagés. Au XIX° s., des analystes faisaient leurs comptes de cette manière et donnaient la Gaule pré-Romaine peuplée de 3 à 5 millions d'habitants. Longtemps ce chiffre fut tenu pour sérieux puis, avec les nouvelles découvertes, la prospection aérienne, et les hypothèses ainsi permises, ce monument de certitudes vacilla sur ses bases. Nous proposons donc, comme nous l'avons toujours fait, une autre démarche intégrant les découvertes archéologiques mais traitée dans le cadre d'une analyse socio-économique, cette dernière nous donnant les rapports optimum entre les populations urbaines et celles qui sont nécessaires à l'assiette rurale des cités. De cette manière, les critères pris en compte peuvent se confirmer sur des périodes beaucoup plus récentes où nous avons une meilleure capacité de jugement.

Nous connaissons les populations estimées en habitat ouvert, soit 150 à 350 personnes par hectare selon les anneaux de densité, ou une valeur moyenne de 250/300. Ceci vaut pour l'époque augustéenne mais, en milieu urbain fortifié, l'occupation est beaucoup plus dense, soit de 400 à 650 habitants à l'hectare, avec une moyenne de 500 mais ces gens regroupés dans l'étroit périmètre cerné de murailles ne peuvent raisonnablement traiter, là, ce qui est nécessaire à leur artisanat. La cité admet donc un faubourg où se pratique notamment ce que nous avons regroupé sous le terme pré-manufacturation. Bien entendu tout cela peut être modulé dans le détail par des considérations socio-économiques plus larges. Entrent alors en ligne de compte les rapports entretenus avec l'assiette rurale ainsi que le potentiel de richesses en transit par les voies de grand négoce.

Pour la période qui nous intéresse, dite Mérovingienne et Carolingienne, les cités d'Occident demeurent pour l'essentiel maintenues dans les enceintes du Bas Empire dont nous commençons à connaître les surfaces. Nous n'allons pas ici transcrire l'ensemble des comptes et décomptes ainsi que les pondérations appliquées et chacun demeure libre de jouer à sa guise sur ce registre délicat, voici simplement les conclusions que nous retiendrons.

Les surfaces fortifiées des 90 villes situées entre Rhin, Alpes et Pyrénées, multipliées par une densité de 500 habitants à l'hectare donnent de 400 à 600.000 individus. Nous retiendrons le chiffre moyen de 500.000. Parallèlement, les populations des faubourgs dont la disposition est bien connue grâce aux lieux de culte situés hors les murs représentent une quantité légèrement moindre, soit 250 à 400.000 habitants, nous choisirons la valeur moyenne de 300.000. En résumé, les personnes fixées intra-muros ou directement liées aux sites urbains fortifiés, seraient au nombre de 800.000.

D'autre part, il faut considérer que de vastes zones ne sont plus efficacement couvertes par les assiettes économiques des métropoles. Pour ces gens les échanges hebdomadaires se font avec une bourgade artisanale et ces nouveaux sites économiques vont monter en puissance tout au long du premier millénaire puis se cerner de murailles au Moyen Age. Les populations ainsi fixées en milieu urbain, dans les bourgades, seront estimées à 200 ou 300.000, ce qui porte le nombre total (moyen) des citadins à 1.100.000. L'estimation haute étant de 1.300.000, et la basse de 850.000.

Il nous reste maintenant à chiffrer le pourcentage de ruraux nécessaires pour faire vivre ce milieu urbain et, là encore, nous conviendrons que les chiffres sont discutables mais un rapport de 1 à 10 semble logique sur une bonne partie de la période historique récente. C'était celui admis avant Napoléon III, avant l'intervention du machinisme agricole. Cependant, en cas de période riche où les rendements agricoles sont élevés et les besoins en produits manufacturés importants, comme ce fut le cas à la période faste du Moyen Age, ce rapport peut tomber de 1 à 7. Par contre, en période de crise où les agriculteurs se contentent d'un outillage médiocre et où les rendements sont faibles, il peut monter à 1 pour 14.

La période considérée était-elle en haut ou en bas de cette échelle? Difficile à dire. Les zones d'occupation Franque sont apparemment bien exploitées mais elles sont minoritaires sur l'ensemble de l'Occident. Nous choisirons donc une estimation moyenne basse qui nous donne, pour les terres situées entre Rhin, Alpes et Pyrénées, 11 à 12 millions d'habitants, l'estimation basse ne pouvant descendre en dessous de 7, la haute pouvant atteindre 16 à 18. Nous poursuivrons donc notre analyse sur la base de 12 millions d'individus et cela sur les trois siècles considérés, soit du VI° au VIII°s. de notre ère. Cette période connaît certes des pointes et des creux démographiques mais la courbe générale nous semble légèrement ascendante.

LA PART DES FRANCS

La nation Franque eut pour révélateur les Cavaliers et Fantassins venus d'Outre Rhin en groupes organisés. Puis sur les trois siècles qui suivent les chevauchées de Clovis, ce phénomène va s'édulcorer dans un brassage de population et notamment grâce aux mariages contractés avec des femmes de la société d'origine Gallo Romaine. Par contre, les mérites de l'exploitation Franque seront vite reconnus et parfois copiés mais sans la rigueur nécessaire à la pérennité du modèle. Nous retiendrons essentiellement les territoires directement concernés par le phénomène moteur.

Les zones touchées représentent de 22 à 24% de la surface Occidentale, soit moins de 3 millions d'individus si nous faisons référence à nos statistiques de démographie historique. Cependant, l'agriculture est plus performante et nous pouvons considérer 3.500.000 individus se référant au modèle Franc. Ils se répartissent sur un domaine de bonne emprise situé au Nord de la Seine et sur des terres de moindre implication au Sud du fleuve.

Cette population peut dégager 700.000 hommes valides de 18 à 45 ans mais les jeunes de 18 à 25 ans, où l'on trouve ceux tentés par l'aventure, ne dépassent pas 180.000. Enfin, sur cette quantité, tous ne sont pas libres de leur choix, les petits domaines ont grand besoin de leurs bras, seules les moyennes et grandes exploitations dégagent des cadets sans avoir bien entraînés, bien armés et disponibles pour l'aventure. Ceci nous donne finalement 20.000 hommes armés, équipés, aptes à partir en campagne, c'est "l'active" de l'armée Franque mais les effectifs levés dans les opérations atteindront rarement ce chiffre. Enfin, estimons que la quantité des disponibles peut également varier selon les périodes riches ou pauvres. Quand la nourriture vient à manquer, les candidats à l'expatriation sont nombreux mais faut-il encore que la grande chevauchée proposée par la tête couronnée soit dirigée vers des terres dignes d'intérêt. Ce ne sera plus le cas à la période Carolingienne d'où les difficultés de recrutement rencontrées au début du IX°s.

Parallèlement à cette analyse, nous remarquerons que les autres groupes de population établis en Occident, pourtant trois fois plus nombreux, ne dégagent aucune force militaire d'envergure et ne participent pas aux péripéties historiques, exception faite pour les habitants d'Aquitaine menés par leur encadrement visigothique mais leurs actions les plus marquantes seront de caractère défensif.

L'ESPRIT DU SPADASSIN

L'homme libre doit se prendre en charge face aux difficultés et demeurer debout, l'épée au côté, face au danger, celui qui demande protection se choisit un maître et prend le chemin du servage. Ceci résume l'histoire d'une bonne part de la société Occidentale aux temps troublés du premier millénaire. C'est un phénomène qui naît avec l'anarchie militaire du III°s. La troupe Romaine essentiellement composée de mercenaires et de soldats de métier vit sur les terres d'Empire comme en pays conquis, rançonne et pille selon son bon plaisir. Le mal s'accentue à la fin du siècle où toutes les forces armées ne sont que des bandes plus ou moins bien contrôlées. Dès la restauration Constantinienne, le pouvoir qui doit miser sur l'armée de métier ne peut que traiter avec ces aventuriers en armes mais leur humeur ne change guère.

Le caractère de ces porteurs de glaive est sans doute fondamentalement présent dans l'esprit humain et c'est le contexte socio-économique qui le révèle. Ensuite, ces rapaces feront tout pour maintenir un climat d'insécurité et le besoin de protection qui justifie leur existence. Ils ne disparaissent que devant une force supérieure ou devant le peuple en colère et en armes. Cependant il ne faut pas que ces derniers délèguent leur sécurité à de nouveaux maîtres qui se montreront raisonnables pour un temps, rapaces et cupides dès les générations suivantes.

Ce sont sans doute des aventuriers en armes de cette espèce que Syagrius, le dernier des Romains, rassemble et mène vers Soissons mais comme l'arrogance de ces hommes face aux faibles n'a d'égale que leur lâcheté devant les forts, ils ne pèseront pas lourd devant la cavalerie Franque. Ensuite, ils se dispersent, s'évaporent de toutes les régions balayées par les forces de Clovis, mais nous les retrouverons incrustés sur de nombreuses terres qui n'intéressent pas les agriculteurs Francs et le site où ils vont se fixer en dit long sur leurs humeurs et leurs ambitions.

LE REPAIRE DU RAPACE

Les caractères du site occupé nous donnent l'esprit et le programme de vie choisi par le seigneur du lieu. Le cavalier Franc, nous l'avons vu, s'installe au milieu de ses terres et s'il impose à un large environnement l'ordre et la discipline requis par son programme, il reste conscient de ses devoirs vis à vis des siens. Il ne construit pas de château qui le couperait de son domaine rural, à l'extrême, en période de totale insécurité, il organise son domaine en ferme forte, ce sera souvent le cas au Bas Moyen Age. Dès l'ordre rétabli, l'exploitation retrouve ses caractères ouverts. La cour des équipages reste dans son état fonctionnel, un quadrilatère fermé, tandis que le maître se fait construire une vaste demeure avec jardin, agréable à vivre. Cette disposition fut celle des grands domaines Mérovingiens et Carolingiens.

Le seigneur rapace s'installe, lui, en un lieu stratégique, le long d'un fleuve, à proximité d'un pont, au débouché d'une vallée ou dans un passage obligé afin de prélever sa dîme sur le potentiel économique en transit. Certes il prétend apporter la sécurité à la population environnante mais cette protection vaut surtout contre les exactions de ses semblables installés à proximité.

L'homme est entouré de quelques fidèles plus attachés à sa fortune qu'à sa personne et rien n'est sûr autour de lui. Il peut accueillir un ambitieux sans scrupule qui le servira un temps avant de le poignarder pour prendre sa place. A cela peu de parade, la meilleure viendra de l'articulation de la demeure permettant au maître de se replier à l'intérieur d'une protection privée établie au sein du château, le donjon. Viendront ensuite l'esprit de caste et le serment de fidélité au maître choisi. Celui qui le rompt se rend indigne et ne peut jouir de son forfait.

A l'extérieur, le piège ainsi constitué a l'encontre des circuits économiques fonctionne un temps mais les commerçants se méfient. Ils vont échapper à la surveillance ou bien s'armer. Le piège doit évoluer, se faire plus subtil, assurer son emprise de manière indirecte. Le seigneur du lieu, toujours rapace mais plus astucieux, propose alors une protection à prix raisonnable à des commerçants et artisans qui vont s'installer au pied du château, et exploiter à leur profit le potentiel économique en transit. Cette situation bien gérée doit leur permettre de vivre mais aussi de payer le protecteur qui les surveille du haut de ses tours. Ce fut le cas de la plupart des grands châteaux du Val de Loire dont les maîtres n'eurent jamais la moindre parcelle de terre en propriété directe. Dans les meilleures conditions, nous trouverons là, quelques siècles plus tard, des bourgades, voire des petites villes. Ce sont les nouveaux sites de l'Histoire de France, bien distincts des villes fortes du Bas Empire. Nous étudierons leur évolution, en particulier, à la période de leur apogée, au Moyen Age.

Une autre excellente illustration de ce phénomène se voit dans les sites dominants la vallée du Rhin entre Coblence et Bingen, la passe est si caractérisée et le flux économique en transit d'une telle richesse que les châteaux des seigneurs rapaces se narguent les uns les autres comme ceux dits du Chat et de la Souris.

Ces gens s'affirment nobles afin de marquer le respect qu'ils accordent à la parole jurée mais cela vaut pour ceux de leur caste. Pour les petits, pour les manants pas la moindre considération.

Ces sites de bonne emprise sont rares et très convoités et la plupart de ces hommes d'armes doivent se contenter de situation beaucoup plus modeste, deux cas de figure se distinguent.

L'EMPRISE RURALE

Le château peut se trouver sur des terres agricoles où l'exploitation est essentiellement menée selon le mode Celtique. La population vit sur de tout petits domaines de 3 à 6 ha en moyenne, le plus souvent mal cultivés, ce qui la met à la limite de la pauvreté. Le protecteur s'est fixé sur la meilleure exploitation mais elle ne suffit pas à ses besoins et prétentions aussi va-t-il taxer toutes les chaumières sous sa protection. Pour cette petite paysannerie la charge est parfois lourde et les rapports avec le Maître deviennent conflictuels. Le "châtelain" juge alors que l'ensemble des terres constitue son domaine, sa propriété, et fixe ces gens sur leurs exploitations afin qu'ils ne soient pas tentés de gagner d'autres lieux plus cléments; c'est une servitude, le servage. Ultérieurement, les plus habiles arracheront au maître un contrat de partage, ce sera l'origine du métayage.

La plupart de ces petits domaines seront mis à mal dans les grandes confrontations militaires du Bas Moyen Age et bon nombre de ceux qui subsistaient seront écrêtés, démantelés, au temps de Richelieu afin de punir le Maître pour un engagement qui a déplu au Cardinal. Enfin, ces petits nobliaux verront leurs privilèges mis en cause et seront ruinés par des procédures soutenues devant des Parlements qui leur sont hostiles. Ce sera un affrontement sournois mais sans merci entre la noblesse de robe et la caste équestre. Ces derniers formeront les hobereaux du XVII°s., riches en quartiers de noblesse et pauvres en deniers.

L'EMPRISE SUR SITES

En d'autres cas, et notamment sur les terres méridionales, les villageois se sont repliés sur un site dominant installé au-dessus d'une résurgence. L'habitat s'est concentré afin de présenter un périmètre fermé mais la population est trop peu nombreuse pour défendre valablement les murs périphériques. Ces gens vont donc aménager un espace de refuge destiné à soutenir les attaques en règle et à protéger leur vie après avoir fait le sacrifice de leurs biens. Cet ensemble prend rapidement l'aspect d'un château avec un mur qui l'isole du village, une forte tour qui sert à la veille et un accès qui se fait par une porte fortifiée.

Le problème qui se pose alors à la population est critique. A qui confier la garde permanente de ce réduit? Il faut un homme de confiance issu du village et rompu au métier des armes. Cette fonction peut devenir héréditaire et les habitants ont ainsi engendré leur propre maître, leur propre tyran. Le phénomène fut sans doute courant au premier millénaire.

Le village doit sortir de ce piège. Chasser le protecteur est une opération délicate et parfois violente, mais cette réaction salutaire ne résout pas le problème de la garde du réduit. Dans les petites agglomérations de 500 âmes en moyenne, cette surface de sécurité viendra flanquer l'église qui, fortifiée, prend l'aspect d'un donjon. Dans les agglomérations plus vastes, 1.000 à 1.500 hommes, le réduit devient contiguë à la maison commune et la tour sert d'arsenal pour l'armement collectif. La garde en est confiée à un petit groupe d'hommes dont les familles demeurent en agglomération et qui sont souvent renouvelés; c'est l'origine de la milice de ville. La charge de chef devient élective et le titulaire est, lui aussi, souvent renouvelé. Ces gens qui s'entraînent mutuellement au maniement des armes doivent également former les adultes de la cité. Au-delà de 3.000 âmes, la petite ville peut envisager de construire une courtine selon les règles.

Si l'agglomération de repli fixée à la Haute Époque occupe un site de bonne aptitude économique, elle peut également trouver un équilibre satisfaisant avec la présence d'un Seigneur. La bourgeoisie qui s'est développée et enrichie accepte le domaine comtal, négocie avec le maître qui doit à son tour prendre conscience de ses responsabilités vis à vis de l'agglomération. La partie haute de cette dernière devient citadelle avec le château en guise de réduit et les activités économiques se développent en partie basse. Il faut pour cela une petite rivière ou un simple ruisseau coulant au pied des installations. Une fois articulée de bonne manière la bourgade fixe de nouveaux artisans et se développe.

Ces emprises sur site tombent en désuétude lors de la période faste des XII°, XIII° s. mais retrouvent leur fonction avec les troubles de la fin du Moyen Age. L'espace refuge va se barder de tours et les courtines sont reprises en force. Leur grande époque se situe au XV°s. mais seules les plus puissantes résisteront au courant Renaissance.

Notre sujet porte sur le premier millénaire, époque dite Mérovingienne et Carolingienne, et cependant de nombreux détails et descriptifs nous semblent illustrer la période du Moyen Age, très postérieure. La raison en est simple. Les mécanismes socio-économiques demeurent les mêmes mais les moyens mis en oeuvre à cette époque sont peu élaborés. Les murs réalisés en petit appareil maçonné à l'argile et surfacé à la chaux sont peu fiables dans le temps tandis que les couvertures en bardage de bois sont sensibles aux incendies. Un vaste ensemble ravagé par le feu et laissé quelques années à l'abandon devient une ruine difficile à restaurer, par contre, les constructions du Moyen Age avec parements bien appareillés et maçonnés au sable et à la chaux, ont une tenue bien supérieure. D'autre part elles précèdent notre période moderne et sont les dernières en date sur le site.

RESUME

Après avoir sommairement traité ce vaste sujet, résumons : Les cités fortes du Bas Empire détiendront longtemps une bonne part de la puissance économique tandis que l'église qui entend préserver l'unité religieuse et politique de l'Occident, nomme, sacre et soutient un roi sans grand pouvoir, que bien peu respectent. Par contre, c'est lui qui sera chargé de mener les grandes chevauchées militaires et, à ce titre, l'institution sera sauvegardée. Les campagnes sont alors abandonnées aux hommes d'armes, c'est bien le temps des Cavaliers mais ils sont trop divers dans leurs ambitions comme dans leurs intérêts pour représenter une volonté politique cohérente à l'échelle du pays. Enfin, à cette époque aucune structure pyramidale ne vient encore fédérer ces Cavaliers au niveau des régions, des provinces. Ce n'est donc pas un état féodal. Cette organisation sera mise en place ultérieurement, au temps des Carolingiens qui imagineront le fief pour mieux rassembler hommes et ressources nécessaires aux grandes opérations de l'Empire. Clovis faisait l'évènement avec 3 ou 4.000 hommes, tandis que les forces Carolingiennes engagées en Germanie doivent dépasser les 25.000 hommes.

C’est cette militarisation excessive et les prérogatives accordées aux féodaux qui seront la cause des grandes querelles et de la ruine de l'institution impériale, mais le phénomène n'eut sans doute pas l'ampleur que certains historiens lui accordent. Ce fut un coup d'arrêt au renouveau de civilisation plus qu'une ruine profonde. L'Occident qui avait pour un temps librement respiré, renoué avec les échanges sur longue distance et rétabli une économie florissante fut brutalement plongé en récession. Cependant cette crise sévit surtout en région septentrionale et ne toucha que les structures d'encadrement et la grande économie, le sommet de la pyramide. Elle n'eut que peu de conséquences sur la petite paysannerie. D'autre part, toutes les constructions de prestige furent abandonnées ce qui conditionne notre analyse archéologique.

Ces phénomènes du IX°s. ont totalement déconsidéré les couronnes, royales ou impériales, et cette carence du pouvoir politique permet à l'église de tisser une toile d'abbayes qui vont encadrer la vie rurale au XI° et XII° s. Une histoire à suivre.