LES MEROVINGIENS
"Quatre bœufs
attelés, d'un
pas tranquille et
lent, "promenaient
dans Paris, le monarque
indolent.
Boileau
Le trait marquant de cette sombre période, l'image des Rois Fainéants, nous est donnée par Boileau dans ce vers célèbre mais l'analyse est plus dédaigneuse qu'objective. Dans leurs chevauchées sur les terres d'Occident, Clovis et ses fils avaient soumis bien des adversaires, mais sans forger un Etat, loin s'en faut.
Le pouvoir gagné dans les batailles allait "s'effilocher" lentement dans les jeux subtils de la politique tandis que l'effet pervers des successions laissait grande ouverte la porte aux intrigues. Le phénomène va justifier l'émergence d'un gouvernement de fait échappant à toute action concertée. Les derniers des rois Mérovingiens étaient davantage des figurants manipulés par les humeurs de cour que les Fainéants dépeints par l'Histoire.
LE CONCORDAT
Sous Gratien et Théodose, l'église avait mené sa première entreprise politique en obtenant des instances impériales la condamnation des cultes antiques. Ce succès acquis par ses intrigants lui avait donné un certain pouvoir avec l'introduction des évêchés dans les cités fortes du Bas-Empire. Mais ces acquis majeurs obtenus dans les couloirs du palais disparaissent avec l'institution impériale. Tout est à refaire.
Le pouvoir appartient désormais à ces Cavaliers qui chevauchent dans les campagnes et s'installent sur les terres agricoles mais la société chrétienne manifeste à leur égard une aversion profonde. Il faut un bon siècle de contacts et de compromissions réciproques pour que ces barbares païens soient jugés fréquentables. La démarche est surtout évidente chez les commerçants et artisans des Cités qui ont, par nécessité, de constants rapports avec l'environnement rural dominé par les Cavaliers Germaniques. Il était donc logique que l'idée d'un rapprochement, d'un Concordat, naisse dans une grande cité septentrionale, chez les Rènes. Saint-Remi en sera l'artisan et Clovis le comparse. Les deux partis ont des révisions déchirantes à réaliser mais grand intérêt au bon fonctionnement de l'entente.
Nous avons vu en temps les premiers effets de ce Concordat bien maîtrisés par les deux personnalités complémentaires de Clovis et Rémi. L'entente était bien appropriée au contexte de l'époque mais ses modalités d'application à long terme ont sans doute échappé à toute réflexion. Une fois les divergences d'esprit mises en parenthèse, il fallut fixer le rôle et les prérogatives de chacun; ce fut la naissance des pouvoirs spirituels et temporels.
Si nous dégageons un article premier, il concerne la légitimité acquise par le nouveau pouvoir en échange de sa conversion et cette règle appliquée à la famille Mérovingienne allait faire d'elle une monarchie héréditaire. Que pense de cela les Cavaliers maîtres des campagnes ? Ils voient là sans doute des prétentions singulières manifestées par une grande famille. Cependant le soutien que lui accorde la société chrétienne en fait une institution que chacun peut critiquer à souhait mais que tous tolèrent ne sachant pas ce qu'il adviendrait sans elle. Les petites gens voient là un recours de la conscience populaire contre les violences et les exactions des puissants et ces derniers un cadre institutionnel supportable dans la mesure où il reste accessible aux intrigues. L'équilibre précaire qui caractérisera l'époque Médiévale prend forme au Mérovingien.
LA REGLE DE SUCCESSION
Chez les Francs pratiquant déjà le droit de l'aîné dans leur succession privée, le partage du royaume de Clovis peut surprendre mais ce choix politique répondait à la situation réelle de l'époque.
Nous avons dans le temps des Cavaliers donné un croquis représentant la part approximative de l'occupation Franque sur l'hexagone puis tenté une estimation des populations soumises à leur système socio-économique. De cette manière, nous pouvons aborder le problème des majorités absolues et relatives détenues dans les diverses régions, phénomène qui doit logiquement peser à terme sur l'évolution politique des territoires concernés, voire mettre en cause un pouvoir obtenu par le succès des armes. Pour résumer, nous dirons que la caste équestre Franque sur qui repose la monarchie Mérovingienne est majoritaire avec le pouvoir au Nord de la Seine, minoritaire mais avec le pouvoir entre la Seine et la Loire, vers l'Ouest, et enfin minoritaire sans le pouvoir au Sud de la Loire et en Bourgogne. La côte Méditerranéenne restant aux mains des Visigoths et des Ostrogoths.
Ceci admis, nous constatons que le partage du royaume à la mort de Clovis répondait à des réalités que le sort des armes ne pouvait masquer longtemps. En laissant sous suzeraineté la Bourgogne et l'Aquitaine, le roi protégeait ses acquis d'une réaction armée que son décès pouvait susciter. D'autre part, le partage des terres septentrionales en quatre domaines correspondait sans doute à un calcul plus subtile. Thierry devenait roi de Metz, Clodemire roi d'Orléans, Childebert roi de Paris et Clotaire roi de Soissons, ainsi chacun des jeunes loups n'ayant qu'une trop modeste part à leur goût partirait guerroyer sur les terres périphériques plutôt que de mettre en cause une couronne accordée à l'aîné. Clovis connaissait bien ses rejetons, ils se comporteront comme prévu.
Thierry s'engage Outre-Rhin et fait la conquête de la Thuringe, les trois autres s'entendent pour se jeter sur la Bourgogne. Là ils capturent l'un des rois du pays et le massacrent avec toute sa famille. Clodemire fut tué au cours d'une seconde campagne en Bourgogne et ses deux compères firent assassiner ses héritiers pour se partager son domaine. Ici la perversité foncière du système apparaît pour la première fois.
Clotaire, roi de Soissons, le plus sage, survécut à ses frères et à ses neveux. En 558, il recueille tous les domaines naguère partagés plus les acquis de ses frères. C'est le couronnement posthume de l'œuvre de Clovis. Prince intelligent mais cruel, Clotaire meurt trois années plus tard, en 551. Le royaume est de nouveau partagé mais les parts sont plus conséquentes. Gontran reçoit la Bourgogne acquise en 534 ainsi que les terres périphériques. Sigebert reçoit les provinces de l'Est et l'Outre-Rhin enfin, Caribert, hérite de la Basse-Seine du Val de Loire et des provinces de l'Ouest. Seul Chilpéric reçoit une modeste part couvrant le Soisonnais et les terres du Nord.
De leur expédition d'Espagne destinée à secourir leur sœur maltraitée par le roi des Visigoths, son époux, Childebert et Clotaire avaient acquis un traité dont les clauses accordaient deux princesses de Tolède comme épouses aux fils de Clotaire. Brunehaut devint la femme de Sigebert et Galswinth celle de Caribert. Ce dernier n'apprécia pas cette nouvelle compagne que l'on retrouvera bientôt morte dans son lit. Devenu veuf, le roi de l'Ouest épousa une fille roturière et ambitieuse, Frédégonde; ces deux femmes allaient ébranler la monarchie Mérovingienne.
Le règne de Clotaire Ier marque l'ultime avantage de la règle de succession imaginée par Clovis et sans doute acceptée par l'Église dans sa diversité. Dès sa mort, survenue en 561, les zones de fractures évoquées précédemment vont se révéler. Au Nord de la Loire les terres à minorité et à majorité Franque se distinguent, c'est la naissance de la Neustrie et de l'Austrasie. D'autre part, sur les terres entre Paris et Soissons, où se situent les grandes demeures de la monarchie, se constitue une zone Palatine. Elle va se trouver au cœur des querelles, et celui qui la possède entend revendiquer l'héritage de Clovis.
LES HOMMES DE ROBE
Parmi les avantages que l'Église entendait tirer du Concordat, figurait l'action des éducateurs religieux qui devaient modeler l'esprit des jeunes héritiers. En leur donnant accès à la cour, Clotilde fit beaucoup pour leur assurer une large pénétration dans les familles Franques. Les plus avertis furent bientôt convaincus, à juste titre, que la gestion d'un grand royaume où le souvenir de Rome demeure présent, demandait une éducation et une discipline de l'esprit bien différentes des us et coutumes hérités de Germanie.
Certes ces quelques bribes de culture latine, ainsi que la connaissance des usages et convenances de la société chrétienne qui gagne peu à peu l'esprit des puissants, ne peuvent éviter les excès. Cependant, chez le guerrier, chemine maintenant une nouvelle et subtile notion du bien et du mal ainsi que la conscience d'une responsabilité qu'il faudra assumer face au regard des autres. D'autre part, ceux qui n'ont pas reçu le message voient maintenant dans les yeux de leurs proches, comme dans celui de leurs victimes, plus que la peur suscitée par le Maître mais une lueur critique qui les interpelle au-delà de leur humeur et de leur certitude.
Les hommes de robe polissent la société mais lui rendent également des services qui vont peser sur les comportements sociaux. Ils rédigent d'abord de simples lettres puis des protocoles d'accord et enfin des actes de succession. Ainsi les scribes s'introduisent peu à peu dans tous les actes importants qui règlent la vie de la société Germanique. Les problèmes qui se traitaient naguère par serment devant témoins d'honneur se rédigent maintenant sur parchemin. C'est apparemment plus précis. Les Gallo-Romains préfèrent et les Francs vont rapidement apprécier. Il y a là de l'ouvrage pour ceux qui savent manier la loi salique traduite en Latin et les textes du Bas-Empire auxquels se réfère la société Gallo-Romaine.
Ces premiers actes furent sans doute rédigés sous seing privé mais, très vite, les grandes familles et la monarchie Mérovingienne vont réaliser tout le parti que l'on peut tirer de ces hommes de robe. Ces serviteurs seront sans doute parmi les plus fidèles et les plus fourbes à la fois, l'humeur des Maîtres étant si changeante que l'honnêteté intellectuelle est mal venue.
Nous ignorons à quel rythme ces scribes et conseillers venus de l'Église vont s'introduire dans les rouages de la monarchie Mérovingienne. Dès Clovis, des assistants délégués par Remi et ses successeurs sont là pour veiller à la bonne application du Concordat mais les monarques sont toujours entourés d'une bande de fidèles et c'est au sein de cette petite troupe, entre deux beuveries d'hiver, que se discutent les affaires du Royaume. Les scribes ne font qu'enregistrer. Cependant les paroles s'envolent et les écrits restent, les piles de rouleaux qu'ils accumulent seront de plus en plus consultées.
Le premier monarque à déléguer des charges importantes à des gens n'étant pas issus de la caste équestre fut Dagobert. Il confia de grandes responsabilités à son orfèvre-argentier, un bourgeois Limousin Saint-Eloi, le brave et pieux Saint-Ouen assurant l'action diplomatique du monarque. C'est sans doute sous son règne que les hommes de robe et leurs rouleaux de parchemin furent pris en compte. Ce sont eux désormais qui apportent "très humblement", au roi et à ses conseillers, les dossiers en cours avant de suggérer quelques bonnes solutions. Mais préparer un dossier c'est déjà maîtriser les tenants de l'affaire.
En 635, nous avons vu Dagobert instaurer le Comté de Corbie au profit de l'un de ses familiers, Gultland, et ceci en échange de services militaires. L'évêque d'Amiens qui se voyait ainsi privé d'une bonne part de ses revenus fut-il dédommagé ? Ce sont là des problèmes que les scribes devaient traiter. Nous avons vu également Bathilde assurer une dotation foncière considérable à l'abbaye de Corbie. Dans ce patrimoine se trouvaient cinq gros villages dont Fouilloye et Aubigny et sans doute quelques grandes propriétés appartenant à des Francs à qui il fallut accorder des compensations. C'était chose courante à l'époque et ces marchandages étaient affaire de scribes.
Désormais l'action de ces hommes de robe fera des heureux et des mécontents parmi l'entourage du roi. Ceux qui se jugent perdants au jeu subtile des intrigues peuvent fomenter des réactions violentes et les scribes encourent le risque d'être chassés à coup d'épée au nom de l'honneur Germanique qui sommeille toujours chez bien des Cavaliers. Contre ce risque il leur faut acquérir une sauvegarde, comme acheter un spadassin de premier rang qui rassemble une petite garde elle aussi intéressée et dévouée au système. Ce personnage prend un poids considérable, il n'est pas encore Maire du Palais, nous dirons chef des gardes, officier de cour.
LE TEMPS DES INTRIGUES
Au cours de leur prime jeunesse, les princes sont l'objet de nombreuses attentions et les amitiés qui s'offrent à eux sont souvent intéressées. Cet entourage de fidèles flatte la vanité naturelle du jeune homme mais elle peut le servir également dans les phases aventureuses de sa vie. Une fois couronné, il subit de pressantes sollicitudes qu'il doit satisfaire pour préserver sa cour de fidèles afin que jalousies et intrigues ne le mettent pas en péril. Voyant les bénéfices ainsi obtenus, les tempéraments avides infiltrent la cour à leur tour et s'intéressent au jeu de l'intrigue. D'autre part, depuis la mort de Clotaire Ier, les Cavaliers de Bourgogne, une partie des Aquitains et ceux du Val de Loire, qui ne sont pas de race Franque se voient gratifier d'un roi qu'ils n'ont pas choisi. Contraints de l'accepter, ils peuvent cependant intriguer, infiltrer la cour et se glisser dans l'entourage d'un prince qui sera flatté comme il convient et mis sous influence. A l'heure où le jeune homme énonce ses préférences, qui peut dire quelles furent les motivations de son choix ?
A ce jeu, les hommes de robe qui sont les éducateurs peuvent être d'un précieux concours. Certes ils sont hommes d'église et à ce titre doivent respecter quelques règles essentielles. Cependant les instances catholiques, très unies en un temps où il fallait imposer le Concordat et se débarrasser des prélats Ariens installés par les Visigoths, sont à nouveau divisées. Un évêque Aquitain voit l'intérêt de l'église d'Aquitaine, un Bourguignon raisonne de même et tous doivent également prendre en compte les intérêts de leur propre cité, et pour l'heure, ce sont eux qui forment et délèguent la majorité des gens de robe qui peuplent la cour. L'Église est donc divisée dans le choix de ses intrigues tandis que les Irlandais, peu enclins à ce jeu, battent la campagne et dressent les petites gens contre un épiscopat trop bourgeois à leurs yeux. Enfin les Bénédictins artisans du grand dessein de Grégoire tissent patiemment leur toile mais sont encore trop peu nombreux pour peser sur la situation politique. Dans ces conditions, l'Église demeure ferme sur quelques grands principes mais doit négocier avec divers courants qui portent à l'intrigue.
Les caractères de l'institution monarchique aboutissent donc à "un jeu stérile dans un cadre mal bâti" et c'est un phénomène qui se nourrit de lui-même. Pour que les grands puissent intriguer il leur faut le concours des petits et, dans un tel enchaînement, tous succombent à ce jeu puéril où rien n'est jamais acquis. Les bénéfices des intrigues d'un jour peuvent être ruinés le lendemain.
Hommes de robe, officiers du Palais, ainsi que les gardes eux-mêmes sont maintenant impliqués dans des tractations occultes sans fin mais les recours à la violence sont fréquents et ce sont finalement les hommes d'armes qui sont les arbitres. Cependant, pour se protéger des dissensions internes ils doivent à leur tour se vouer à un Maître dont la situation devient enviée mais précaire. Cette emprise de la caste Palatine sur la monarchie connaît des rémissions. Dagobert Ier semble "balayer" dans sa cour mais le dernier des Maîtres du Palais, Ebroïn, deviendra tout puissant. Il proclame roi, Thierry III, de son propre chef, et mène des campagnes militaires personnelles.
Le caractère franc parfois violent mais aussi rigoureux n'apprécie ni l'intrigue ni le désordre, encore moins la fourberie. La réaction viendra donc des terres de l'Est, des régions où les Cavaliers de la race sont majoritaires. La Neustrie, domaine de la caste Palatine, et l'Austrasie sanctuaire de l'esprit Franc, vont désormais se distinguer et dominer le jeu politique.
LA ZONE PALATINE
Clovis et ses fils, davantage Cavaliers couronnés que monarques, avaient privilégié un certain nombre de grandes demeures situées entre Soissons et Paris. Là se rassemblaient comme de bons amis le roi, ses proches et ses familiers ainsi qu'un petit nombre de grands propriétaires terriens du voisinage. Parties de chasse, banquets et beuveries liaient intimement ces hommes. C'est là que le roi trouvait les Cavaliers et leur suite de combattants à pied pour les opérations militaires impromptues. Le cas échéant, ce noyau de 400 à 800 hommes pouvait battre un rappel plus large, rassembler des Cadets sans avoir venus des domaines situés entre Somme et Seine, soit 1500 à 2000 combattants en toute occasion et 3 à 5.000 pour les grandes opérations concertées.
La troupe de fidèles, basée sur une centaine de grands domaines, se trouvait périodiquement conviée dans une dizaine de résidences royales parmi lesquelles nous citerons Chelles-sur-Marne et Clichy en région Parisienne, Soissons, Compiègne, Senlis et Verberie plus au Nord, sur l'Oise et sur l'Aisne.
Senlis est une propriété royale incluse dans la cité Gallo-Romain et conservée sans doute pour l'espace de chasse voisin de la forêt d'Halatte. Quant à Soissons, l'emplacement du Palais est controversée. Le petit castrum Bas-Empire de 50 x 50m, situé au Nord/Est de l'enceinte était bien incapable d'accueillir les grandes réunions de Cavaliers conviés par le roi, et parmi les propriétés des rives du fleuve, aucune ne se distingue dans les textes. Il est question de Soissons et nous pensons naturellement au vaste ensemble qui deviendra Saint-Jean-des-Vignes. Il est à proximité de l'amphithéâtre où les monarques Mérovingiens donnaient des spectacles de cirque. Les autres résidences royales sont, nous semble-t-il, de grands domaines Gallo-Romains restaurés et trois d'entre eux, Compiègne, Verberie et Clichy se trouvent en même condition, le long d'un grand fleuve. Seul, Chelles-sur-Marne semblait occuper sur la hauteur un ancien castrum Gallo-Romain. Lui aussi était prisé pour la grande forêt toute proche.
Les terres où se trouvaient ces résidences royales et celles de leurs familiers constituaient une province Palatine et celui qui régnait sur ce domaine coiffait la couronne majeure et pouvait revendiquer l'héritage et le patrimoine de Clovis.
Après l'effacement des Mérovingiens, puis le déplacement vers l'Est et la déchéance des derniers Carolingiens, ce sont les lointains descendants des premiers fidèles de la couronne, les propriétaires des grands domaines de la Zone Palatine qui vont se rassembler dans les murs du château de Senlis. En ce lieu déjà chargé d'histoire ils vont proclamer roi l'un d'entre eux, mais ce n'est plus une couronne Franque, c'est déjà la monarchie Française.
LA NEUSTRIE
Après la triste période où s'affrontent les factions menées par Frédégonde et Brunehaut, le règne de Dagobert Ier, injustement brocardé, apparaît réconfortant. Les Francs ont repris confiance en la monarchie et la campagne de Thuringe avait permis aux Cadets de renouer avec les grandes chevauchées guerrières, mais le ver était dans le fruit. A la mort du roi, survenue en 638, Clovis II lui succède. Il règne de plein droit sur la Neustrie et reçoit la couronne d'Aquitaine et de Bourgogne. Sigebert III reçoit, lui, la couronne d'Austrasie. Clovis II sera le premier des Rois Fainéants et Saint-Léger, évêque d'Autun, le dit également débauché et cruel. Sa meilleure action fut sans doute d'épouser Bathilde mais rien de marquant ne se distingue dans son règne. Les affaires du Palais, comme celles du royaume, sont aux mains d'Erkinoald un homme animé sans doute de toute la fourberie et de la duplicité convenant à sa charge mais il admet et respecte l'institution royale. A la mort du roi survenue en 656, il soutiendra la reine Bathilde qui exerce la régence au nom de son premier fils, Clotaire III.
Comme nous l'avons parfois souligné, ces cartes sont pratiques mais leur lecture peut prêter à méprise. il ne s'agit pas d'étals au sens où l'époque moderne l'entend mais d'une limite d'emprise de la caslc équestre Germanique sur une terre demeurée profondément Gallo-Romaine. Selon la coutume ancestrale. Clovis a partagé les terres conquises. Thierry, roi de Metz, reçoit la plus grande part avec le moyen cours de la Meuse, de la Moselle et du Rhin. Clotaire devient roi de Soissons avec, pour domaine, l'essentiel des terres Franques. Childcbcrl, roi de Paris, ne reçoit que la Normandie quant à Clodemire, il doit gérer l'ancien domaine de Syagrius avec, pour capitale, Orléans. Les Burgondes préservent leur domaine et les Aquitains reprennent peu à peu le contrôle du Massif Central. Enfin, Ostrogoths et Visigoths occupent la cote Méditerranéenne. Avec le jeu des successions, c'est Clotaire qui rassemble les terres d'Occident et concrétise l'oeuvre de Clovis mais il partage à nouveau son royaume. Sigebert reprend la part de Thierry et Chilpéric celle de Clotaire. Caribert reçoit les côtes de la Manche, le Val de Loire et l'Aquitaine. Gontran règne sur la Bourgogne. C'est l'apogée du pouvoir Mérovingien. A la mort de Caribert, Chilpéric hérite de ses domaines mais doit renoncer à l'Aquitaine. Le vaste ensemble ainsi formé va bientôt affronter celui de Sigebert pur femmes interposées: c'est le temps de Frédégonde et de Brunehaut. Les Bizantins ont repris l'Italie du Nord, les possessions de la côte Méditerranéenne se morcellent.
Après quelques années, la soldatesque qui s'active dans le Palais n'apprécie plus d'être gouvernée par une femme et les intrigants craignent la portée de ses édits et de ses réformes. Un aventurier de petite naissance, Ebroïn, comprend le profit qu'il peut tirer de la situation. Vers 664, il commandite l'assassinat d'Erkinoald et se fait nommer à sa charge. Peu de temps après il exile la régente dans le monastère de Chelles-sur-Marne qu'elle avait précédemment fondé, probablement vers 665. Cette manœuvre entraîne la défection de l'Austrasie qui se donne Chilpéric II pour roi tandis que les affaires de la cour sont confiées à Wulfrade.
Avec Ebroïn, la caste des aventuriers de tout poil qui détient le pouvoir à la cour Mérovingienne a franchi un pas critique. Comme aux heures les plus sombres de l'Empire Romain, c'est maintenant la soldatesque qui dicte sa loi. Les scribes et les intrigants doivent s'incliner. Sigebrand évêque de Paris qui tente de s'opposer à cette dérive politique est assassiné et quand Clotaire III, souverain fantoche qui couvre tous ces excès meurt en 673, Ebroïn fait proclamer roi son jeune frère Thierry III, sans consultation préalable. Le clergé, la noblesse comme la cour elle-même, sont mis devant le fait accompli.
Saint-Léger évêque d'Autun s'insurge contre cette politique et ses exhortations engendrent une levée de force en Bourgogne. La troupe marche sur Paris et reçoit le renfort de bon nombre de mécontents de Neustrie. Devant cette menace, la soldatesque du Palais abandonne ses Maîtres et dépose les armes. Saint-Léger qui veut éviter toute effusion de sang fait enfermer Ebroïn dans le monastère de Luxueil et Thierry III à Saint-Denis. Mais le brave évêque de Bourgogne manque de sens politique et le roi, Childéric II, qu'il a fait proclamer à la tête des trois royaumes se montre tout aussi incapable, tyrannique et violent que l'aventurier qui vient d'être délogé du Palais. Saint-Léger renouvelle ses remontrances au monarque qui n'apprécie pas et le fait arrêter puis enfermer dans le monastère de Luxueil avec Ebroïn. Childéric II meurt assassiné dans la forêt de Chelles, en 675, par un noble Franc qu'il avait fait battre de verges comme un manant. Ebroïn et Saint-Léger sortent ensemble d'exil et n'ont d'autre solution que de libérer Thierry II de Saint-Denis pour le remettre sur le trône.
L'aventurier Maître du Palais retrouve tout son pouvoir. Lui ne pardonne pas à Saint-Léger et le fait assassiner après l'avoir assiégé dans son évêché d'Autun. Plus puissant que jamais, Ebroïn veut mettre au pas les Austrasiens qui ont fait sécession depuis longtemps. En 680 il engage une force Austrasienne commandée par Pépin d'Heristal entre Laon et Soissons à Latofao et gagne la bataille mais ne peut concrétiser son avantage. Il sera assassiné l'année suivante, en 681, par un grand propriétaire terrien qu'il avait dépossédé de ses biens. Ce personnage fourbe et violent avait dominé la cour Franque durant 17 années (664/681) et l'avait également déconsidérée dans l'esprit de la majorité de la caste équestre.
Les évènements que nous venons d'évoquer sont pris en compte par la plupart des Historiens traitant le sujet mais à l'heure de conclure les uns appuient sur la dégénérescence de ces rois tandis que d'autres préfèrent insister sur l'appétit féroce des grands du royaume. Ces deux phénomènes sont évidents mais il nous semble plus symptomatiques que moteurs. Nous préférons insister sur la perversité intrinsèque d'un système monarchique portant sur plusieurs têtes couronnées et coiffant trois Etats aux aspirations contradictoires. Le fonctionnement d'un tel système devait nécessairement mettre en évidence les personnages les plus intrigants, les plus fourbes et enfin les plus violents.
L'AUSTRASIE
Devant la crise qui sévit à l'ombre de la couronne majeure de Neustrie, les Cavaliers Francs des terres de l'Est, réservés par nature à l'égard des systèmes monarchiques, voient leurs pires craintes confirmées. Parmi les hommes à la recherche d'une réforme satisfaisante, citons Arnoul (Saint-Arnoul) riche personnage laïque investi de responsabilités politiques puis religieux, et enfin évêque de Metz avant de finir en ermite. Comme bien des personnages de cette époque, son état dans la société est ambigu. S'agit-il d'un politique qui décide de se servir de l'Église ou d'un esprit profondément religieux que la naissance porte à la politique ? Cette seconde définition nous semble plus appropriée à son égard.
Mort en odeur de sainteté, vers 643, dans un ermitage de la forêt Vosgienne, il doit naître vers 580. A l'âge adulte, il est appelé à la cour d'Austrasie. C'est le temps où la reine Brunehaut, déjà âgée, règne sans partage sur l'Austrasie et la Bourgogne, mais au nom de ses petits fils: Theodebert et Thierry. C'est une femme de caractère, intelligente mais dont l'énergie frise parfois l'excès. Son mode de gouvernement tranche singulièrement sur le désordre qui règne alors à la cour de Neustrie. Elle s'est rapprochée de la société urbaine et reçoit deux conseillers d'origine Gallo-Romaine: Protadius et Claudius. Son action diplomatique bien menée la met en contact avec Grégoire le Grand, le Pontife au grand dessein qui fait à son égard des commentaires élogieux. Son administration est efficace, clairvoyante. Elle fait restaurer les voies Romaines et aménage ou restaure des sites et des forteresses qu'elle confie à des fonctionnaires de la couronne, enfin les missionnaires Bénédictins qui se dirigent vers la Germanie bénéficient de son soutien.
Arnoul se trouve d'emblée plongé dans un climat de gouvernement éclairé et sa personnalité en est marquée. La reine régente l'apprécie également et lui confie, vers 610, le gouvernement administratif de sept provinces d'Austrasie, le cœur du pays Franc. Ce gouvernement de Brunehaut qui s'installe en force est bien fait pour séduire la caste équestre ainsi que les villes épiscopales mais quelques grands personnages du royaume n'apprécient guère d'être évincés du droit de regard sur les affaires du pays. C'est le cas notamment des Burgondes qui voient là un danger à terme pour l'indépendance de leur province. Ce sont eux, sans doute, qui vont fomenter un mauvais coup à l'encontre de la reine. Les rebelles s'emparent de Brunehaut lors d'un déplacement qu'elle fait dans sa villa d'Orbe, près du lac de Neufchatel, et la livrent au roi Clotaire II qui lui fait subir le triste sort que l'on sait. C'était en 613.
Clotaire s'accorde alors la couronne d'Austrasie et Arnoul, prudent, préfère s'effacer. Il se replie dans la ville de Metz où il a de bonnes relations politiques et prend l'habit religieux, se mettant ainsi à labri mais à l'écart de la grande politique. Les habitants de Metz l'apprécient et le nomment évêque, l'année suivante, en 614. Désormais notre homme va substituer à son pouvoir politique perdu une entente politico religieuse tendant à préserver l'esprit de gouvernement imaginé par Brunehaut. Les Bénédictins qui voient là une bonne application du grand dessein imaginé par Grégoire soutiendront cette réflexion.
Sur un court règne de dix années, Dagobert 1er, rassemble sous son sceptre toutes les terres d'Occident. C'est apparemment un grand royaume mais le pouvoir concédé au monarque est très relatif. Il ne se mêle guère des affaires et assure la cohésion de la caste équestre en remmenant guerroyer en Germanie. C'est a lui que Ton doit l'introduction de responsables civils et ecclésiastiques dans les rouages du Palais. Les Lombards chassent les Bizantins de l'Italie du Nord. A la mort de Dagobert, le partage se fait à nouveau. Sigebert III reçoit les terres de l'Est, les vallées de la Meuse, de la Moselle et du Rhin plus les terres de Thuringe. Ces possessions englobent le Nord de la Bourgogne ainsi l'Austrasie affirme ses caractères . De son côté, CÎovïs II, le premier à recevoir le triste qualificatif de "Fainéant" règne sur le Nord, sur la vallée de la Seine, le Val de Loire et une bonne part de la Lyonnaise. Les faiblesses du pouvoir permettent aux Visigoths d'Espagne de reprendre pied au Nord des Pyrénées. Sur les vingt années qui suivent, le maigre pouvoir du pauvre Clovis II disparaît peu à peu et les cavaliers, ainsi que la caste Palatine, se donnent un maître a cheval; le Maire du Palais. Cette dérive qui lent à palier au pouvoir royal défaillant gagne également l' Austrasie qui vient de perdre le contrôle de la Bavière et de la Thuringe. Arnoul, diplomate, qui a fait ses premières armes avec Brunehaut, met aux affaires militaires Pépin de Landen l'ancêtre des Carolingiens.
L'institution monarchique est sans doute une bonne chose mais les aléas de la succession héréditaire laissent la porte ouverte aux intrigants et la ruinent de l'intérieur. L'Église doit donc affiner sa politique, soutenir la couronne tout en mettant la cour et le gouvernement aux mains d'hommes de confiance, choisis par elle, et dont la charge ne serait pas héréditaire, mais est-ce possible en ces temps troublés?
A la mort de Brunehaut, Clotaire II règne sur l'Austrasie. Est-ce la fin d'une politique ? Sans doute pas, une éclipse seulement. Bientôt, les puissants des régions de l'Est manifestent leur mécontentement devant l'introduction des coutumes du royaume de Neustrie. Le jeu de l'intrigue aidant, ils obtiennent pour roi le fils aîné de Clotaire, Dagobert, né en 603. Il arrive à Metz à l'âge de 20 ans, en 623. Comme son tempérament le porte à gouverner seul et sans pression extérieure, l'esprit qui règne en Austrasie n'est pas pour lui déplaire. Acquis à sa cause, ceux qui ont bien servi Brunehaut peuvent lui permettre d'écarter les intrigants, et notamment ceux de Bourgogne, qui entendent avoir un droit de regard sur les affaires d'Austrasie.
En 629, Dagobert Ier coiffe la couronne des Francs et des Burgondes puis celle d'Aquitaine en 632 à la mort de Caribert. Le caractère acquis par la cour d'Austrasie semble préservé. Arnoul, que sa position épiscopale contraint à la réserve, a introduit dans les instances du Palais vers 635, Pépin de Landen (probablement son fils). Ce sera le premier Maire du Palais dévoué à la cause monarchique et docile aux suggestions de l'Élise.
Avec Dagobert, les Francs pensent que la triste époque qui a marqué la fin du siècle précédent n'est plus qu'un mauvais souvenir. Arnoul partage cette opinion et se prépare à finir ses jours dans un ermitage de la forêt Vosgienne. Pépin de Landen a, lui aussi, des accès de mysticisme. Il fait souvent retraite dans le monastère de Nivelles fondé par sa femme et dont sa fille est l'Abbesse. En 640, il laisse sa charge de Maire du Palais à son fils Grimoald. Dagobert étant mort en 639, le jeune homme peut exercer le pouvoir effectif sous le falot Sigebert III, tandis que la couronne majeure (Neustrie) vient de passer sur la tête du détestable Clovis II.
A la mort de ce dernier, en 656, et sous la régence de Bathilde l'Austrasie confirme son indépendance politique. Sigebert III étant mort en 656, Grimeoald pense pouvoir écarter du trône l'héritier légitime Dagobert II et place la couronne sur la tête de son fils, Childebert. Sans légitimité et sans caractère, le petit roi d'Austrasie semble supporté de tous mais, en l'année 662, son comportement ou celui de son entourage jugé trop ambitieux par les Burgondes déclenche leur colère. Grimoald et son fils sont surpris par une bande armée, capturés et mis à mort. Un certain Wulfrade se distingue parmi les conjurés et reprend la charge de Maire du Palais d'Austrasie. Dagobert II retrouve sa couronne mais la fonction est devenue symbolique.
En 673, Ebroïn qui sort de prison avec Saint-Léger remet Thierry III sur le trône de Neustrie et le monarque entend aussi détenir la couronne d'Austrasie. Les Francs de l'Est s'inquiètent. En 677, une révolte de Palais assassine Dagobert II et nomme Pépin d'Héristal, petit fils de Pépin de Landen, comme Maire du Palais. Ebroïn qui gouverne à l'Ouest comprend vite le danger que représente pour lui ce nouveau gouvernement de l'Est et engage une campagne militaire contre l'Austrasie. Pépin d'Héristal, surpris, est battu à Latofao (Laffaux) petite agglomération située entre Soissons et Laon mais il ne peut exploiter son succès. Le tyran de Neustrie meurt en 680 et sa disparition laisse un grand vide. Trois personnages sans envergure vont se succéder à sa charge: Waralon, son fils, Gislemar et enfin son gendre Berthaire. C'est ce dernier qui mène la troupe de Thierry à la bataille de Testry (Tertry) contre la force d'Austrasie commandée par Pépin d'Héristal. Ce dernier sera vainqueur et cette bataille annonce l'avènement de la dynastie Carolingienne.
LA BATAILLE DE TERTRY
Les Francs s'engagent résolument dans les conflits qui mettent en jeu l'avenir de leur nation. Les Cadets sans avoir partent avec enthousiasme dans les chevauchées qui peuvent leur procurer richesses et domaines mais les querelles politiques au sein de la famille royale, que les Cavaliers acceptent mais n'apprécient guère, ne doivent pas motiver la société en profondeur. Ainsi la bataille de Tertry, violente et lourde de conséquences pour l'avenir, ne fut sans doute qu'un engagement de modeste envergure. Pour la Neustrie y participeront les hommes d'armes dépendants du Palais, les grands personnages intéressés par l'avenir de la couronne et les combattants qui leur sont attachés. Ajoutons à cette troupe quelques centaines de Cadets sans avoir se trouvant là sans raison profonde et nous devons atteindre le chiffre de 1200 à 1500 hommes. La cause d'Austrasie est sans doute plus populaire dans la société Franque et là les recrues seront plus nombreuses, mais les forces du palais étant en moindres quantités, l'équilibre numérique se rétablit. Cependant, l'engagement est jugé d'intérêt privé en Neustrie et d'intérêt national en Austrasie, un état d'esprit qui sera pour beaucoup dans l'issue des combats.
Les populations Franques restées neutres n'apprécient pas que l'on brûle leurs fermes et saccage leurs terres, fut-ce pour une cause monarchique. L'axe de marche choisi par Pépin n'abordera pas l'adversaire au cœur de son domaine, sur l'Aisne et l'Oise, mais plus au Nord, sur la Somme. C'est une terre où les Francs sont solidement implantés mais hors la zone Palatine. Les reconnaissances menées ont révélé à Pépin d'Héristal qu'il serait bien accueilli sur le chemin choisi, sous conditions sans doute.
Ces tractations ont du filtrer puisque la troupe de Bertaire arrive très rapidement sur les lieux. Une mention sur la Forêt Charbonnière, un vaste ensemble boisé qui se détache de l'Ardenne et couvre les sources de l'Oise semble indiquer que Pépin arrive de Bavai et marche sur Vermand par l'ancienne voie Romaine. La bataille se situe à 2 km au Sud de la grande voie Amiens/Vermand et à 10 km à l'Est du cours de la Somme, sur les rives d'un petit affluent de cette dernière l'Omignon.
Pour juger d'une bataille, il faut estimer le nombre des combattants engagés et suivre l'évolution des forces sur le terrain afin de mettre en évidence les contextes tactiques auxquels chacun se trouve confronté. Ensuite, et pour cette époque, prendre en compte l'engagement personnel du chef et la conviction des combattants. Pour les forces engagées nous confirmerons notre hypothèse préalable d'un effectif global voisin de 3.000 hommes avec, peut-être, un avantage numérique pour les Austrasiens. Par contre, l'origine Palatine des forces de Neustrie doit donner un fort pourcentage de Cavaliers 25 à 30%, tandis qu'il n'est que de 15 à 20% dans les levées plus larges effectuées sur base de lances communes.
Pour l'action sur le terrain, nous accepterons comme satisfaisante l'excellente étude réalisée par notre collègue et ami, R. Ambry de la Société Archéologique de Péronne.
Au cours de la marche d'approche, Pépin arrive par le Nord, Berthaire par le Sud. En fin de journée, les deux forces sont à vue l'une de l'autre sur les deux rives de l'Omignon. Chacun forme son camp et prépare son bivouac. La bataille sera pour le lendemain. Pépin, bon tacticien, juge qu'un engagement frontal dans la dépression serait défavorable à sa cavalerie. Il décide alors d'engager Berthaire sur la rive Sud et entame, en fin de nuit, un vaste mouvement tournant. Afin de ne pas éveiller les soupçons de l'adversaire, ses alliés dans le pays le guident vers une petite passe peu caractérisée située à 3 km à l'Est de Tertry. La distance est suffisante pour préserver le secret. La troupe de Pépin marche dans le plus grand silence. Les Cavaliers mènent leur monture par la bride pour éviter les hennissements d'inquiétude. Une fois sur la rive Sud, les hommes qui ont franchi la passe en file Indienne se rangent en ligne de bataille et gravissent la hauteur de Trescon avec l'espoir de surprendre l'adversaire à son réveil. Ils viennent de faire 5 km, soit 2h 30 de marche délicate et prudente.
Berthaire a fait le même constat que Pépin. Un engagement frontal dans la dépression handicaperait sa forte Cavalerie. Il a donc fait lever le camp en fin de nuit et, dès les premières lueurs de l'aube, ses hommes descendent sans bruit dans la vallée et commencent à franchir la rivière avec l'espoir de surprendre leur adversaire sur le plateau Nord avant sa mise en formation. Sans doute dès le départ de cette marche le rideau de Cavaliers en vedette qui protégeait le campement de Berthaire fut levé.
Dès que Pépin débouche à vue de Tertry, il est agréablement surpris de trouver son adversaire non en ligne de bataille mais engagé dans un délicat franchissement. Ses hommes et lui saisissent cette occasion et dévalent la pente au galop pour les Cavaliers, au pas de charge pour les Fantassins. Les derniers de leurs adversaires à franchir la passe sont naturellement les combattants à pied. Surpris dans le désordre, ils subissent, dès le premier choc, de lourdes pertes. Berthaire ordonne demi tour à ses hommes mais la traversée du hameau de Tertry lui fait perdre du temps, enfin le débouché du pont lui est particulièrement défavorable. Ceux qui le franchissent sont pris en tenaille par de courtes charges de Cavaliers tandis que les Fantassins achèvent les hommes tombés à terre. Berthaire doit abandonner tout idée de victoire. Il confie à ses fantassins survivants la mission de défendre le pont et le petit hameau de Tertry afin de sauver sa Cavalerie en la repliant vers le Nord. Mais les fantassins sacrifiés se débandent et dans une poursuite sans quartier, les Cavaliers de Pépin taillent en pièce les forces adverses qu'ils rattrapent. Dans cet engagement Berthaire perd la vie et les rares survivants s'égayent vers le Nord.
Après cette victoire décisive, Pépin d'Héristal descend vers le Sud, occupe les grands domaines de la couronne et se fait respecter comme Maître des deux royaumes. Cependant, la neutralisation de la zone Palatine, située au Nord de la Seine, n'implique pas la totale soumission de l'ensemble des forces qui se sont imposées entre Seine et Loire. D'autre part, le déséquilibre d'occupation Franque qui a engendré l'esprit de Neustrie (les anciens états de Syagrius) subsiste toujours.
La bataille de Tertry se déroule en Picardie, sur les bords d'un petit affluent de la Somme, non loin de Péronne. Pépin d'Héristal arrive par la voie Romaine de Bavai à Vermand et s'engage sur la Chaussée du Santerre pour se présenter sur la rive Nord (A) Berthaire, lui, vient de la zone Palatine et se trouve au Sud du cours d'eau (B). La dépression (C) n'est pas favorable à la cavalerie. Pépin remonte la rivière (D), la traverse sur la passe (E) et se présente sur les arrières de Berthaire (F). Ce dernier a fait le même raisonnement et s'engage sur le passage (G). Surpris en pleine manoeuvre ses forces sont "taillées en pièces". La défaite est sans appel.
LES PREMIERS CAROLINGIENS
PEPIN D'HERISTAL
Au printemps de l'année 688, Pépin d'Héristal occupe les grands domaines Mérovingiens de la vallée de l'Oise et de l'Ile de France. Il a le pouvoir que donnent les armes mais en politique rien n'est acquis. Parmi les hommes qui résident ou gravitent autour des grands palais comme Soissons, Compiègne, Verberie ou Clichy, perplexité et attentisme sont de rigueur. La poignée de Leudes et leurs hommes qui avaient suivi Berthaire à la bataille de Tertry s'effacent, se replient dans leurs domaines ou gagnent une retraite plus sûre dans le Val de Loire. La grosse majorité des hommes d'armes quitte simplement la cour du palais. Enfin, scribes et serviteurs font allégeance au nouveau maître, mais avec cette caste Palatine avide et servile, rien n'est définitivement acquis, tout est affaire d'intérêts et de diplomatie.
D'autre part, Pépin qui n'était que Chef de guerre avant la bataille de Tertry fait maintenant figure de Maître pour les Francs d'Austrasie et bon nombre de chefs de famille ainsi que de cadets sans avoir sont maintenant prêts à le suivre. Les plus entreprenants se mettent à disposition ce qui assure définitivement la position du nouveau Maire du Palais mais la zone Palatine du Val d'Oise n'est pas la France. Sur les trois grands duchés où il entend exercer son pouvoir, Pépin a de bonnes cartes mais pas tous les atouts. Il est de haute lignée. Son père Ansegisel est le fils de Saint Arnoul illustre évêque de Metz et sa mère, Bigue, est la fille de Pépin de Landen. La noblesse de la vallée de la Meuse lui est acquise comme celle du pays des Eburons (Tongeren), la plus ancienne et la plus puissante implantation Franque. Agriculteurs et bourgeois du pays des Rèmes, capitale céréalière du Nord, penchent en sa faveur et l'évêque de Reims doit entériner ce choix. D'autre part, les notables de Metz, le grand marché du fer, lui font confiance comme à son grand-père. Il est donc installé dans le domaine de Clovis mais demeure l'homme de l'Austrasie et le précise davantage. Lui que l'on nommait Pépin le Jeune prend le patronyme d'Héristal. Il peut, si besoin est, rassembler 3 à 5.000 des meilleurs guerriers Francs et de ce fait nul n'ose contester sa position mais se rallier à sa politique est bien différent.
CHEZ LES FRISONS
Après plusieurs succès, l'armée Franque poursuit le roi Radbod et ses hommes, franchit le Waal et arrive dans la région d'Utrecht. La noblesse et les familles demeurent païennes, mais des moines de la discipline Irlandaise ont déjà fondé quelques petites églises parmi la population laborieuse, cependant, faute de structures d'ensemble, leur oeuvre est sans lendemain. En 690, ces premiers foyers de christianisme ainsi que la présence des Francs incitent un illustre moine anglo-saxon, originaire du Northumberland, Willibrord, à gagner la Frise. Il vient de passer douze années en Irlande du Nord au cœur de l'église Celte où il a converti de nombreuses populations à l'obédience Romaine. Il est donc l'homme de la situation. Pépin d'Héristal lui confie la charge religieuse de la région d'Ultrecht avec le titre d'évêque. Cependant, Willibrord pénétré de l'esprit Bénédictin fera le voyage de Rome pour obtenir la confirmation du Souverain Pontife.
Utrecht dispose maintenant d'une population de commerçants et d'artisans soucieuse d'ordre, d'une abbaye-cathédrale et d'un évêque qui a l'aval de Rome. Ces atouts conjugués à la présence des Carolingiens, la puissance montante du siècle à venir, donnent à la ville le rang de capitale religieuse de la Frise. Mais le roi Frison n'a pas dit son dernier mot. A la mort de Pépin d'Héristal, le roi déchu, Radebord, replié sur les îles côtières rassemble des troupes, marche sur Utrecht et détruit toutes les installations religieuses. Willibrord doit fuir dans un autre monastère de sa fondation à Echternach, au Luxembourg. Mais avec l'appui de Charles Martel, il reprendra sa place et reconstituera définitivement l'église d'Utrecht.
SUR LE DANUBE
Au début de notre ère, Rome domine la Méditerranée et occupe la Gaule mais les populations des hautes vallées Alpines demeurent insoumises et agressives. Leur menace a imposé la mise en défense des nouvelles cités de la vallée du Pô. Auguste règle le problème en portant la frontière d'empire sur le Danube. Cependant, dans la période trouble des années 250/275, nous voyons à nouveau ces peuplades venues de Réthie ravager les riches villes d'Occident sous l'étiquette d'Alamand. Elles sont alors conduites par un personnage de sinistre mémoire, Crocus. Au temps de Clovis, elles s'infiltrent dans la vallée du Rhin et s'installent sur les hautes terres bordant le fleuve; le roi Franc les arrête à Tolbiac. Au VII°s, pris en mains par une caste équestre implantée dans la boucle du Danube, nous les connaissons sous l'étiquette de Bavarois. Très sommairement soumis par Clotaire Ier vers 560, ils s'émancipent à nouveau un siècle plus tard et menacent le domaine Franc d'Austrasie. Pour stabiliser durablement cette région que les campagnes militaires ne peuvent soumettre il faut prendre le contrôle du site de Salzbourg commandant les débouchés naturels des voies venant de Carinthie et de Styrie.
Là vit modestement Saint Ruper, ancien évêque de Worms, à qui le duc Théodon a confié la très délicate mission d'évangéliser les populations des rives de la Salzach et notamment celles de la petite agglomération installée au pied de l'oppidum de Juvanum. L'implantation des Francs va grandement servir sa mission. Il construit plusieurs églises, crée une zone de droits où artisans et commerçants du sel viennent s'installer. La ville basse ainsi formée prend le nom de Salzburg. Cependant cette action a davantage servi l'église et la caste équestre implantée dans la boucle du Danube que la nation Franque. C'est Charlemagne qui fera définitivement plier l'aristocratie de cette région.
En conclusion, sur un règne de 27 années, Pépin d'Héristal a consacré l'essentiel de ses efforts militaires à conforter les assises de l'Austrasie au-delà du Rhin, mais il n'a rien fait pour se rallier définitivement la Neustrie où les grands n'ont pas digéré leur défaite de Tertry. Au cours de cette longue période, ils ont eu tout loisir de méditer leur revanche mais ce sont leurs héritiers qui s'en chargeront. Quant à l'Aquitaine, elle a eu toute liberté de restaurer son indépendance qui s'affirme chaque décennie davantage, seuls les Burgondes ont concédé à l'Austrasie une neutralité bienveillante d'autant que les actions de Pépin d'Héristal, en Bavière, les ont dégagés en partie de la menace des raids Alamands sur leur frontière de l'Est, à la porte de Bourgogne.
A la mort du premier des Carolingiens, nous sommes toujours très éloignés de l'image cultivée par les historiens du XIX°s., cependant l'Austrasie vient de rassembler, puis de développer l'essentiel de la nation Franque, ce qui servira grandement la nouvelle dynastie.
LA GRANDE AUSTRASIE
En prenant le contrôle de la vallée de l'Oise et de la région Parisienne qui deviendra à terme le cœur du Royaume Français, en dégageant les abords de la plaine Rhénane qui sera ultérieurement la base de l'Empire Germanique, en débarrassant de la menace Frisonne la route des Francs, Cologne, Bavai, Soissons, et enfin en imposant aux Burgondes une frontière qui suit le seuil du Bassin Parisien, Pépin d'Héristal a donné à la nation Franque les limites d'un État.
Ce cadre politique bien établi possède d'excellents facteurs socio-économiques. Là, nous trouvons la grosse majorité des nouvelles implantations Franques ainsi que les vastes exploitations céréalières assurant la sécurité alimentaire. Ces domaines ruraux forment également les cadets sans avoir avec leur accompagnement à pied, fondement de l'armée Franque.
Entre ces deux pôles politiques que sont l'Ile de France et la vallée Rhénane, nous trouvons deux grandes voies économiques: la Meuse et la Moselle. Elles demeurent distinctes dans leurs caractères mais amorcent toutes deux une prise de conscience, facteur déterminant pour le développement à venir. Avec les implantations Franques la vallée de la Meuse passe de l'élevage à la polyculture et se développe harmonieusement. Une civilisation dite Mossane va se distinguer deux ou trois siècles plus tard. De son côté, la Moselle exploite sa grande richesse minière, Metz capitale du fer est la seconde ville septentrionale après Reims.
Cependant il faut que la gestion politique évite que ce puissant bastion des nouveaux Francs ne se distingue de leur terre d'origine située sur le moyen cours du Rhin et sur la vallée de la Lahn. Cette rupture se concrétisera à la fin de l'époque Carolingienne, ce sera la naissance du Royaume de France et de l'Empire Germanique.
Enfin, sur le vaste territoire de l'Austrasie, nous trouvons une trentaine de vieilles cités Gallo-Romaines toujours cernées de murailles où les intérêts politiques et religieux sont gérés par un évêque issu des familles bourgeoises. C'est un compromis très satisfaisant mais sans grand caractère. A l'heure des décisions importantes, le prélat et les notables s'engagent dans des conciliabules sans fin et la décision prise est le plus souvent un trop subtil compromis dont les effets sont parfois désastreux. Ce sera le dilemme de l'Eglise Franque à la mort de Pépin d'Héristal survenue en 714. Doit-on accorder la reconnaissance royale à cette famille montante dont les caractères essentiellement Austrasiens risquent de froisser la Neustrie, la Bourgogne et l'Aquitaine ou bien faut-il préserver la couronne des descendants de Clovis au risque de livrer le pays aux guerres intestines ?. Finalement l'Église Franque choisira le statu quo et c'est l'intrigue et le glaive qui régleront la succession.
LA MORT DU CHEF
A la fin de sa vie, Pépin d'Héristal, dont les deux fils étaient morts avant lui se rapproche de sa famille et respecte la règle de succession Franque. Il confie la charge de Maire du palais d'Austrasie à son petit-fils Théodebald, mineur, tandis que son épouse Plectrude, une maîtresse femme, assure la régence. De fait, c'est la famille d'Héristal toute entière qui gère la succession afin de préserver les positions acquises. Les grands d'Austrasie pensent sans doute que le choix d'un enfant est inopportun mais ils auraient fait de même et, par convenance, ils acceptent la décision. Parallèlement la lignée de Clovis est respectée. Les derniers Mérovingiens, toujours plus figurants, se succèdent à un rythme accéléré. Durant les 27 années du gouvernement de Pépin d'Héristal, quatre monarques ont occupé le trône: Thierry, 675/691, Clovis III, 691/695, Childebert III, 695/711, et Dagobert III, 711/715. Avec quelques raisons, l'Église pense que la couronne préserve l'unité Occidentale de principe quant aux grands personnages de Neustrie, de Bourgogne et d'Aquitaine, ils viennent souvent rendre hommage aux figurants couronnés et intriguent à leur profit. Les plus subtils ou les plus médiocres viennent également demander des titres et faveurs que le fantoche régnant leur accorde avec complaisance.
Ces tractations se passent de manière sournoise dans les palais d'Ile de France et les grands personnages de Neustrie sont les ordonnateurs de ces conciliabules. Parmi eux, certains pensent qu'il suffirait d'une expédition militaire énergique pour briser la puissance montante de la famille d'Héristal. Cette action serait en principe dirigée contre la Régente dont les fidèles doivent se compter tandis que quelques préalables diplomatiques devraient calmer la susceptibilité des grands d'Austrasie. L'avenir va prouver que c'était méconnaître l'esprit Franc.
LE REVEIL DE LA NEUSTRIE
Les caractères de la Neustrie dont nous dessinons négligemment les contours sur nos cartes historiques se conçoivent mal à la lumière de la grande histoire et c'est une analyse socio-politique rétrospective qui doit nous aider à mieux comprendre les engagements qui vont suivre. Malgré les folles chevauchées de Clovis, et les compromis diplomatiques obtenus par ses successeurs, la société Occidentale se modifie peu et lentement.
A l'intérieur d'un vaste polygone délimité par les métropoles religieuses de Chartres, Orléans, Bourges, Poitiers, Angers et Le Mans, seule la ville de Tours s'est imposée grâce au franchissement qu'elle propose et à la navigation sur la Loire dont elle tire profit. La région est donc majoritairement exploitée de manière Celtique avec de petites propriétés de 3 à 7 ha., tandis que commerçants et artisans se concentrent dans des bourgs qu'ils ont fixés et développés. C'est cette articulation économique disséminée qui prive le pays de métropoles régionales. Dans ce milieu la caste équestre non Franque préfère s'installer en position d'emprise sur des lieux jugés favorables. Le noble et sa famille secondé par une petite troupe de mercenaires à pied vit de prélèvements divers établis au nom de la protection qu'il assure. C'est l'antithèse de l'aristocratie Franque qui vit sur de grands domaines mis en valeur au profit du Maître mais également de ses serviteurs dont le rôle est reconnu.
Cette caste noble de Neustrie confie sa haute politique aux plus puissants des siens. Les comtes de Blois, de Vendôme et de Châteaudun, se distinguent déjà. Cependant, certaines de ces terres sont favorables à l'exploitation céréalière et les Francs s'y sont fixés. Leur modèle agricole gagne du terrain. Ces nouveaux cavaliers refusent de s'inféoder aux "hommes de proie" du voisinage et se réfèrent à la couronne Franque. C'est cette évolution de la caste noble qui, à terme, doit supprimer la Neustrie de la carte d'Occident et la réaction menée contre la famille d'Héristal sera la dernière.
LA SUCCESSION OUVERTE
Après sa victoire de Tertry, Pépin d'Héristal avait géré les intérêts d'Austrasie comme un digne cavalier Franc, secondé par une ou deux douzaines de Leudes, ses amis, et disposant ainsi de 100 à 200 lances soit 4 à 500 cavaliers et 2 à 3.000 hommes à pied dans les plus forts rassemblements. Il gouvernait donc à cheval et non dans un palais entouré de serviteurs et de courtisans comme les derniers Mérovingiens.
L'hiver se passait en réunions, banquets et beuveries au cours desquels on se remémorait les bons souvenirs des campagnes passées, tandis que les parties de chasse permettaient de maintenir en forme les hommes et les montures. La belle saison venue, les chevauchées reprennent et le nombre de lances appelées est fonction de l'objectif à atteindre. Cependant, le chef et sa suite doivent se montrer en divers lieux stratégiques afin de soutenir leur rang. Les 15 à 20.000 combattants à pied, bien entraînés, bien armés, que l'Austrasie pouvait aligner ne participaient pas à ces opérations ordinaires. Cependant, si les intérêts de la nation Franque sont mis en cause, ils seront présents.
Dans un tel contexte, la mort de Pépin d'Héristal et la régence confiée à une femme et un enfant, ont créé une cassure. Les plus âgés des compagnons du Chef ont rejoint leurs terres et les plus jeunes qui ne retrouvent plus la chaude ambiance et la fraternité d'arme des années précédentes prennent également quelques distances avec le service dû au Maire du Palais, charge maintenant vacante selon eux. Cependant, Pépin laisse un fils illégitime, Charles, né d'une concubine nommée Aupaïs. Il est maintenant âgé d'une trentaine d'années et c'est un garçon solide, énergique et fidèle à l'esprit Franc. Il a maintes fois suivi son père dans ses campagnes et ainsi gagné l'amitié et la confiance de ses compagnons de chevauchée. Son ascendant sur la troupe ne fait aucun doute et à l'instigation de la veuve Plectrude désireuse de préserver l'héritage de son petit-fils, la famille d'Héristal avait cru bon de faire emprisonner Charles sous de fallacieux prétextes.
Devant ce flottement dans les instances dirigeantes d'Austrasie les grands de Neustrie décident de passer à l'action. Avec la complaisance d'un nouveau roi Mérovingien, Chilpéric II, ils installent un Maire du Palais à leur convenance, un dénommé Rainfroï et sous le couvert de cette légitimité pénètrent en Austrasie. Au cours de la saison 715, l'aristocratie équestre qui avait servi Pépin d'Héristal reste démobilisée et les troupes de Neustrie occupent les grands domaines du val d'Oise et de la région Parisienne. L'hiver suivant, les anciens compagnons de Pépin d'Héristal se ressaisissent, se souviennent du fils illégitime de leur chef, vont le délivrer et le mettre à leur tête. Charles dit Martel, commence sa brillante carrière.
CHARLES MARTEL
Mis en confiance par leur succès de l'année 715, les nobles de Neustrie maintenant installés dans les palais du Val d'Oise, décident de pousser plus avant afin d'obtenir un engagement décisif avec un adversaire déclaré, mais l'année s'achève sans que cet objectif soit atteint. Lors de la campagne de 716, ils conçoivent l'audacieux projet d'agir de concert avec le roi Frison Radbod naguère vaincu par Pépin d'Héristal. Les engagements se déplacent alors vers le Nord. Comme nous l'avons vu, les Frisons commencent par détruire les fondations ecclésiastiques d'Utrecht puis font leur jonction avec Rainfroï. S'ensuit une série de petites batailles à l'issue incertaine où Charles Martel prend part mais sans avoir la maîtrise des opérations. En fin de saison, il a rassemblé suffisamment de fidèles pour manœuvrer à sa guise et attaquer en force les troupes de Neustrie. Ces dernières se sont aventurées dans la vallée de l'Ambléve, au sud de Liège, au cœur des possessions de la famille d'Héristal. Le lieu de l'affrontement est incertain mais les forces d'Austrasie gagnent la bataille, et leur adversaire reflue en désordre.
Les opérations de l'année 717 sont mal connues. Certains chroniqueurs font état d'une bataille livrée à Soissons mais il y a sans doute confusion dans les dates. L'ultime engagement eut lieu à Vinchy (probablement Inchy sur la voie Romaine Le Cateau/Cambrai), le 21 mars 718 et permit à Charles et à ses hommes de refouler des terres d'Austrasie toutes les forces de Neustrie. Au cours de ces trois années d'engagement, celui qui n'était que le bâtard, a su s'imposer comme chef des forces Franques. Il a également convaincu les grands dignitaires de ses aptitudes à gérer l'héritage de Clovis. Cette conviction imposée lui permet d'occuper les palais du Val d'Oise et d'en chasser la grosse majorité des occupants qui s'était révélée versatile et infidèle, puis il confirme sa prise en mains en déposant le roi. Cependant, dès 721, il juge prudent pour sa diplomatie de nommer un nouveau monarque à sa convenance, ce sera Thierry IV.
Le nouveau maître des Francs a su éviter les erreurs de son père. Il a violemment poursuivi les forces adverses sur leurs terres et sans doute occupé les places fortes dont les maîtres furent à l'origine de l'invasion. La Neustrie disparaît durablement de l'échiquier politique. D'autre part, Charles a réduit considérablement le nombre des serviteurs et courtisans gravitant autour du monarque, supprimant ainsi tout danger d'intrigue mais si ces actions énergiques font de lui le maître incontesté de la Neustrie et de l'Austrasie, l'unité de l'hexagone est loin d'être acquise. Les Burgondes admettent ses responsabilités militaires mais elles ne s'exercent que si besoin est, l'aristocratie de la province réservant son autonomie politique. Quant aux Aquitains, leur soumission est de pure forme. Ils ont retrouvé toute leur indépendance et gèrent leurs affaires à leur guise sachant bien qu'une action militaire des Francs à leur encontre serait mal vue de l'Église et de la majorité des populations méridionales. C'est l'invasion Musulmane du Sud de la France qui va donner à Charles Martel l'occasion de s'imposer.
La régence confiée à une veuve et à un enfant incite les nobles de Neustrie à lancer une action militaire destinée à briser la puissance montante de la famille d'Héristal. En 715 ils occupent les Palais d'Ile de France. En 716, ils marchent vers la Meuse et font alliance avec les Frisons. En fin de saison, ils sont battus dans la vallée de l'Amblève. 717 se passe en engagements mineurs. En Mars 718, Charles inflige aux forces de Neustrie une sanglante défaite à Vinchy (Inchy). Ensuite, il occupe la zone Palatine et poursuit ses adversaires sur leurs terres.