GERGOVIE

La situation géographique des deux grandes batailles d'Alésia et de Gergovie qui ont marqué l'ultime campagne de la guerre des Gaules, en l'année 52 avant notre ère, divise les historiens. C'est une querelle qui germe depuis fort longtemps mais les recherches du milieu du XIX° vont précipiter les parti pris. Après son coup d'état manqué, à Boulogne, en 1840, Louis-Napoléon prisonnier politique au fort de Ham, en Picardie, trompe son ennui avec les textes de César. Le livre VII, qui traite des grandes batailles de Gergovie et d'Alésia, l'intéresse particulièrement. Le futur empereur est un esprit rationnel, il tente naturellement de crayonner sur une carte les mouvements des légions pour situer leurs engagements sur le terrain et, ô surprise, les auteurs qui traitent du sujet depuis plusieurs siècles sont incapables de positionner ces cités. Les hypothèses sont aussi nombreuses que contradictoires. Pareille lacune lui paraît aberrante.

Dès son accession au pouvoir, l'historien frustré qu'il était, ouvre sa cassette et décide de lancer des campagnes de prospection. Ce seront les premières fouilles archéologiques rationnellement menées en Occident, mais où les entreprendre? Pour l'oppidum des Arvernes, les historiens s'affrontent sur deux sites: le grand plateau de Merdogne au sud de Clermont et l'oppidum des Côtes, à l'ouest de Montferrand. La majorité des notables de la ville qui se passionnent pour l'histoire des Arvernes, optent pour le plateau de Merdogne devenu depuis plateau de Gergovie. Le site choisi est plus imposant, certes, mais les fouilles menées ultérieurement ne seront guère convaincantes.

La première localisation de Gergovie sur le plateau de Merdogne est due à un humaniste florentin, Gabriel Siméoni, qui vivait à la cour de Guillaume Duprat, au XVI°. Ses sources sont purement littéraires. Il s'appuie sur des chartes du cartulaire de Sauxilanges signalant une ferme du nom de Girgoi ou Girgoetta au pied de la pente sud-est du plateau (P.Eychart). Les fouilles furent confiées au commandant Stoffel lui aussi passionné par la conquête des Gaules. Il disposait pour cela de terrassiers civils et aussi de nombreux soldats de la garnison de Clermont. L'empereur subvenait largement aux frais.

Pour le grand et le petit camp, Stoffel fait des sondages et trouve parfois des témoignages qu'il juge convaincants. Il recouvre alors les excavations et marque l'emplacement d'une borne. Ensuite, il exploitera ces repères pour reconstituer les plans et la bataille mais bon nombre de bornes furent déplacées, semble-t-il, pour donner une épure correspondant mieux aux commentaires de César. C'est ce que nous dit P. Mathieu, historien clermontois et témoin oculaire de cette affaire.


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Le site de Merdogne forme un plateau bien caractérisé de 1.500m de long sur 550m de large, soit 90ha environ. Sa surface exploitable délimitée par des murs de soutènement correspond pratiquement à la courbe des 700m, c'est donc une position très forte mais son isolement de la chaîne des Dômes le prive d'une alimentation en eau régulière. Gorgé d'humidité lors des précipitations et très sec en été ,il ne peut convenir à une agglomération dense de 15 à 20.000 personnes. Les fouilles archéologiques confirmeront son état d'oppidum de la Haute Epoque qui vécut avec une population pastorale fluctuante de 4 à 6.000 personnes et un très nombreux cheptel durant l'hiver, mais seulement 2.000 à 2.500 personnes durant l'été. D'autre part, le site ne comporte pas d'enceinte réduite ni de zone favorable pour une implantation basse qui aurait fait de lui l'acropole d'un ensemble homogène. Dès l'hypothèse admise, le commandant Stoffel chargé des fouilles par Napoléon III imagine le grand camp (A) sur la Cerre d'Orset et le petit camp sur la Roche Blanche, les hauteurs occupées par les Gaulois sont naturellement celles établies à la base de la chaîne des Dômes. Cette disposition offre tous les éléments décrits dans les Commentaires mais ne permet guère l'application convenable du plan de bataille décrit par César. Ce sera l'origine de cartes d'opérations diverses et toujours contradictoires. Ainsi face à Merdogne/Gergovie, nous n'avons pas d'objection majeures mais seulement un faisceau de présomptions contraires et l'hypothèse se discrédite si nous la comparons à celle beaucoup plus satisfaisante de l'oppidum des Côtes de Clermont.


Pour confirmation, il restait à fouiller le plateau et trouver la cité forte des Arvernes. Cette opération fut rapidement menée, bâclée même diront certains contemporains. Les tessons céramiques de la Tène finale (Tène III) qui furent trouvés seront considérés comme preuves irréfutables. Les fouilles reprises en 1942/1943 confirmeront ces caractères discutables. Certes le plateau a livré des témoignages du siècle précédant la conquête et des traces d'occupation laissées par les bronziers romains de l'époque d'Auguste mais pas la puissante enceinte réduite qui caractérise les oppidum gaulois. Les métallurgistes s'installaient alors sur les hauteurs pour bénéficier du vent dans les manches à air, ce moyen d'activer les foyers était déjà utilisé au temps de Salomon, dans le golfe d'Akaba.

Ces témoignages bien minces furent l'objet d'une exploitation tendancieuse et, aujourd'hui, des milliers de personnes visitent le site de Gergovie avec confiance et conviction. Comment en est-on arrivé là? Par l'enseignement et son effet de masse, tout simplement.

L'historien doit travailler en chercheur honnête. Après avoir rassemblé le plus grand nombre d'éléments, il les projette sur diverses hypothèses et choisit celle où l'enclenchement est le plus satisfaisant. Mais ce faisant, il sait très bien qu'il exploite la connaissance en un instant donné. Tout élément nouveau doit être intégré et si la synthèse porte à de nouvelles conclusions, il faut les admettre. Chacun peut connaître cette remise en cause. Si la révision est déchirante pour celui qui croit savoir pour avoir beaucoup appris, une nouvelle analyse qui débouche sur une découverte est de nature à enthousiasmer celui qui cherche.

L'universitaire est naturellement porté vers une démarche différente. Il enseigne et, pour cela, il lui faut des certitudes. Comment refuser un parchemin à un élève si l'on n'est pas intimement convaincu d'avoir prêché la juste cause, délivré les bons arguments et fourni des justificatifs sans faille. Dès lors, la démarche cesse d'être analytique et devient doctrinale. Dans ce climat les chercheurs liés au système seront naturellement portés à privilégier les arguments confirmant les thèses admises et à négliger les découvertes qui ne sont pas conformes à cette "vérité". L'éducation de masse n'est sans doute pas compatible avec une analyse rationnelle.

LA BATAILLE SUR LE PLATEAU DE MERDOGNE

Au milieu du XIX° siècle, avec Napoléon III, la France se passionne pour la conquête des Gaules. Cependant, si les historiens et les militaires s'efforcent de demeurer objectifs, un vaste mouvement d'opinions prend forme. Déjà nourrie de feuilletons la seconde vague pensante transforme vite les évènements en roman historique. Vercingétorix fait figure de héros national et le décor des évènements devient nécessairement grandiose. Gergovie doit être une énorme cité cernée de hautes murailles dominant fièrement la plaine et la bataille devient le choc de deux mondes dont le héros chevelu sortira vainqueur. C'est aussi l'époque où la culture de masse fait ses premiers pas triomphants et aller à l'encontre de l'opinion est une mauvaise politique.

Après ces premières fouilles et la fixation du grand et du petit camp, le commandant Stoffel doit maintenant développer sur le terrain les phases de la bataille et les difficultés rencontrées n'ont pu lui échapper. C'est sans doute ce qui explique le flou qui ressort des premières illustrations diffusées. La belle gravure sur cuivre qui va régner près d'un siècle sur nos manuels scolaires donne la position des légions mais pas leurs mouvements, ainsi les incohérences les plus flagrantes demeurent inavouées. Comme le responsable des fouilles n'est pas le traîneur de sabre imaginé par les journalistes, il n'ose présenter à Paris un plan de développement des combats qui ferait sourire les militaires, à cette époque chacun d'eux sait encore ce que représentent les difficultés de terrain dans les assauts d'infanterie. Le schéma suggéré apparaît donc stratégiquement et tactiquement acceptabl

En bonne logique, Stoffel et le cercle de passionnés rassemblés autour de l'Empereur proposent de faire partir l'attaque principale des Côtes Blanches, mais hors le camp. Il n'est pas raisonnable d'imaginer 24.000 hommes concentrés dans cette petite enceinte. L'opération de diversion, elle, doit remonter la vallée de l'Auzon, contourner le plateau par Opme et faire croire à une attaque dirigée sur l'accès naturel de l'oppidum. Là les abords sont les moins abrupts donc, à priori, les plus faibles. Ce faisant, la légion chargée de la diversion va se frotter aux Gaulois occupés à la fortification du puits de Rissat qui protège la source basse, vitale pour les défenseurs. Cette zone du col des Goules qui forme une légère dépression à l'ouest de l'oppidum, est aujourd'hui encore truffée de petites résurgences. Ce schéma d'opérations était satisfaisant à un détail près, tout ce qui se situait à droite selon les Commentaires se trouvait maintenant à gauche mais les textes de César furent si souvent recopiés qu'une petite confusion a pu se glisser. Les opérations se situent à droite mais des Gaulois.


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LE DEVELOPPEMENT DES COMBATS

Selon Napoléon III et le cercle de militaires passionnés par l'opération, les informations données par Stoffel permettaient de restituer la bataille comme suit: l'attaque partait des abords du petit camp (A) menée par trois légions (B,C,D) elles devait aborder le grand mur (E) par le sud, trompant ainsi les Gaulois occupés à regarder I arrivée de la légion de diversion (F) qui avait fait le grand tour par Opme. Ils faisaient alors volte face et contre attaquaient (G) (de ce côté pas trace de la porte signalée par César). Les 18.000 hommes entamaient alors leur repli sous la pression adverse et s'inquiétaient de la menace représentée par les Gaulois (H) revenant de la colline du Rissat. Les Eduens (j) qui manoeuvrent parallèlement à ces Gaulois sont également pris pour des adversaires et César qui se trouve à la tête de la X° légion (K) imagine les forces de Vercingétorix venant des Dômes. Il donne l'ordre de repli à l'ensemble du dispositif. L'opération profite de la contre-attaque de Sextius (L) pour se replier dans la plaine. Ce développement de la bataille qui paraît satisfaisant sur le plan tactique place, à gauche, plusieurs opérations que César signale sur la droite et ces incohérences vont engendrer des révisions qui n'arrangeront guère les tenants de la thèse. Enfin la position du grand camp met les mouvements de César (M) sous la menace d'une sortie des Gaulois (N).


Cette hypothèse était donc satisfaisante sur le plan militaire mais, historiquement inconvenante ainsi sera-t-elle très vite négligée et les nouveaux schémas d'interprétation vont fleurir en grand nombre.

Un siècle plus tard, vers 1950, le célèbre guide Michelin propose aux visiteurs qui se pressent maintenant nombreux sur le site un plan radicalement différent. L'attaque principale démarre du grand camp et c'est l'opération de diversion qui part des Roches Blanches et remonte vers l'accès à l'oppidum en passant au plus près par le col des Goules.

Dans l'assaut mené, il s'agit de faire monter trois légions, soit 18.000 hommes sur une distance de 2.600m et 300m de dénivellation, et cela bien en vue de l'oppidum, tout en surprenant les défenseurs qui n'ont que 800m à faire pour se trouver en bonne position. Pareil détail fait sourire les militaires mais ne choque pas les historiens pas plus que la majorité des visiteurs, le tourisme de masse est fort peu critique et beaucoup demeurent conditionnés par leur scolarité. Seuls les esprits qui privilégient l'analyse se posent des questions mais ils sont peu nombreux.


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LE DEVELOPPEMENT DES COMBATS

Un siècle après les travaux de Stoffel, le jeu des polémiques a fortement érodé le plan de bataille péniblement échafaudé sous Napoléon III. L'attaque toujours menée par trois légions (A,B,C) part maintenant du grand camp (D) et les 18.000 légionnaires doivent" parcourir 2.500m sur 300m de dénivellation et cependant surprendre les Gaulois occupés à regarder la légion de diversion qui vient de sortir du petit camp (E). Après avoir pris contact (F) les trois légions d'assaut entreprennent leur repli (G,H,J) et sont poursuivies par les Gaulois. Ces derniers bénéficient du renfort (K) venant de la colline du Rissat et qui poursuit la légion de diversion (L). Les Romains prennent également pour adversaire les Eduens (M) qui montent en position sur la gauche du dispositif. C'est dans cette confusion que les cohortes de Sextius (N) auraient contre attaqué. Cette vision des choses est encore moins convaincante que celle imaginée au siècle dernier. D'autre part, dans cette configuration comme dans la précédente, les mouvements des Romains (P) partant du grand camp risquaient de se voir attaqué de flanc par des sorties gauloises venant de l'oppidum (Q) ou de la chaîne des Dômes (R).


Pour celui qui prend son temps, va s'asseoir sur l'herbe au pied du village du Crest, les Commentaires de César d'une main et ses jumelles de l'autre et consacre là, le temps d'un bel après midi, les questions sérieuses ne manquent pas. C'est finalement le premier schéma imaginé sous Napoléon III qui paraît le plus satisfaisant, si ce n'est la question de la droite et de la gauche. Pour une confrontation honnête, avec l'oppidum des Côtes, il fallait rappeler cette première approche.

GERGOVIE SUR L'OPPIDUM DES COTES

De 1965 à 1975, un petit nombre d'archéologues indépendants et d'esprit critique, reprennent l'hypothèse de Chanturgue abandonnée après les fouilles menées sous Napoléon III. Les nouvelles investigations conduites par P. Eychart vont livrer un grand nombre de découvertes troublantes, convaincantes même. Ces travaux seront publiés dans "Chanturgue, camp de César devant Gergovie. P. Eychart Editions Volcan 1975". L'ouvrage ne bénéficie que d'une diffusion réduite mais la polémique s'engage. Reprenons l'enquête à la base en un temps où les chapelles n'avaient pas encore construit leurs monuments de vérité.

Après avoir remonté la vallée de l'Allier, César découvre l'énorme acropole de Gergovie qui se dresse au couchant, il a tôt fait de juger sa situation. Un cirque de petites montagnes barre le paysage vers le sud tandis qu'une plaine s'étend largement vers l'est comme au nord. C'est là un excellent terrain de manouvre pour ses légions en cas de revers, un espace de sécurité qu'il faut impérativement garder libre. Les Romains vont donc installer leur camp à bonne distance et à l'est de la citadelle gauloise, la surface nécessaire pour ces 40.000 hommes est de 50 ha environ.

Dans son hypothèse, que nous admettons à priori, P. Eychart identifie ce camp avec la ville de Montferrand. C'est apparemment logique mais la position en question se trouve précisément sur la latitude ultérieurement suivie par la Chaussée d'Agrippa qui joint Lyon à Saintes. La coïncidence serait singulière. Nous préférons voir là un camp de chantier puis une première agglomération établie 20 à 30 années plus tard et déplacer l'installation militaire de César de 800 à 1.000m vers le nord. Elle se trouverait ainsi parfaitement visible de l'oppidum, mais à 3km environ, situation conforme aux Commentaires. Le site de Montferrand est, lui, partiellement masqué à la vue de l'oppidum des Côtes par la colline de Chanturgue.


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L'oppidum des Côtes de Clermont (A) long de 2100m et large de 600m en moyenne offre une surface urbanisable de 115ha environ qui se situent au niveau + 580m. Les abords sont moins caractérisés qu'à Merdogne mais sa situation face à la chaîne des Dômes est la même et les carences en eaux tout ausssi criantes. Lui aussi a donc connu durant les millénaires précédant la Conquête une occupation pastorale fluctuante selon les saisons, mais cette fois nous avons trace d'une enceinte réduite destinée à l'habitat permanent tandis que la surface reçoit les activités essentiellement agricoles. D'autre part, le cours de la Tiretaine, situé au pied de la hauteur peut fixer un artisanat au sein d'une agglomération basse (B) qui donne à l'oppidum ses caractères d'acropole. L'hypothèse qui plaçait là, Gergovie fut abandonnée au XIX° puis reprise récemment par P. Eychart et l'option est séduisante. L'auteur fixe le grand camp à Montferrand (C) et le petit camp sur la colline de Chanturgue (D). Dans ces conditions le plan de bataille décrit par César s'adapte convenablement et la pérennité du site sera ultérieurement confirmée par la grande cité romaine d'Augustonemetum. Ce contexte socio-économique favorable est sans doute le meilleur argument mais la concordance du grand camp avec le parallèle Lyon/Saintes qui servira de tracé directeur à la Chaussée d'Agrippa est troublante. Nous proposons donc de voir là un camp de chantier et déplacerons l'ouvrage de César de 1.000m vers le nord (E).


Dans les jours qui suivent l'installation du camp, les légions manouvrent au pied de Gergovie, autant pour provoquer l'adversaire que pour se familiariser avec le terrain. César circule au milieu de ses hommes et juge la situation. Tous les sommets de cette chaîne que la vue découvre sont occupés par des troupes et présentent un aspect terrible nous dit-il. Cette vision ne peut s'appliquer qu'au mamelon qui marque le bas de la chaîne des Dômes et se trouve à 3km en moyenne du point d'observation. C'est tout ce que la vue permet de découvrir. D'autre part, il y a là, également, 30 à 40.000 réfugiés venus de Limagne qui n'ont pu trouver place sur l'oppidum. A la distance où il est, César ne peut guère distinguer les combattants du petit peuple qui les entoure.

La pénétration des forces romaines dans les vallées de la Tiretaine et du Bédat, demeure nécessairement limitée; c'est un terrain qui devient vite accidenté et les légions y perdent leur aptitude au mouvement qui fait leur suprématie. Ainsi les communications et les échanges resteront constants entre les forces gauloises de l'oppidum et celles installées sur les hauteurs de la chaîne des Dômes. César nous dit clairement qu'il n'envisage pas l'investissement de la place.

Au cours de leurs reconnaissances, les Romains découvrent les faiblesses du système de défense de la petite colline de Chanturgue qui flanque le vaste oppidum par le sud. Abords insuffisamment dégagés et absence de rondes méthodiques, sans doute. L'occasion semble belle et César va tenter une action peu commune pour ses légionnaires. Les hommes vont gravir la pente de nuit, dans le plus grand silence et livrer un assaut qui n'a sans doute pas la rigueur des opérations coutumières. L'engagement est sévère mais les Gaulois lâchent pied. L'armée romaine a désormais une base d'assaut relativement bien disposée face à Gergovie. La distance qui sépare les deux murs est au minimum de 1.000m et la dénivellation à gravir après une petite dépression est de 80m X 600m, soit une pente de 16% en moyenne, avec, sur le parcours, un ouvrage improvisé de 2m de haut. Les difficultés imposées à la vague d'assaut seront donc sérieuses mais pas insurmontables.

La butte de Chanturgue devient dès lors une position permanente pour une légion et le petit camp dans la terminologie de César. Les soldats occupent les jours qui vont suivre à préparer, face à l'adversaire, une nasse qui doit assurer une protection satisfaisante face aux incursions adverses, comme un débouché rapide pour les cohortes qui formeront la vague d'assaut. Cette nasse de 120 pieds est l'un des arguments majeurs de l'hypothèse P. Eychart.

Si l'armée romaine arrive en vue de Gergovie le 5 mai, l'ensemble des actions préliminaires peut s'achever vers le 10 ou le 12 du mois, c'est alors que se situe l'affaire des Éduens.

LA COLONNE EDUENS

L'alliance de cette tribu qui contrôle le sillon rhodanien est d'un intérêt primordial pour César, aussi a-t-il confirmé tous les traités établis de longue date entre les deux peuples et dans les troubles récents qui ont secoué la société Éduens, il a fait preuve de beaucoup de mansuétude à leur égard. Aux termes des accords conclus, les états se doivent mutuelle assistance et pour l'heure c'est la puissance romaine qui sollicite de son allié l'envoi d'une colonne d'infanterie. Les 10.000 hommes qui la composent se sont mis en marche vers Gergovie après avoir franchi la Loire, mais les divergences politiques qui secouent la tribu se manifestent également parmi les chefs de la colonne. Il y a là de jeunes ambitieux partisans d'un renversement des alliances et ceux qui entendent rester fidèles à la parole jurée à Rome. La troupe s'est donc arrêtée à 30.000 pas, soit 45km environ de Gergovie, et grâce à des harangues enflammées les partisans de l'unité gauloise tentent de rallier les hommes au parti de Vercingétorix.

Informé de ces évènements César est inquiet non de la défection de 10.000 hommes, mais des conséquences politiques qui peuvent en découler. Il décide alors d'intervenir au plus vite. Après avoir laissé la garde du grand camp a deux légions, sans pour autant modifier le périmètre de défense, il part avec les quatre autres unités très légèrement équipées. Où se trouvent les Éduens? Nous l'ignorons. Mais selon leur axe de marche, et compte tenu du puissant massif de la Madeleine qu'il valait mieux contourner, nous pouvons estimer leur position dans la région de Vichy. La route est donc facile pour César qui doit la parcourir en moins de deux jours.

Les Éduens sont surpris et décontenancés par l'arrivée de 25.000 légionnaires quant à César, alors inquiet des nouvelles qu'il reçoit de Gergovie, il est peu enclin à de longues palabres. Les Gaulois comprennent vite qu'ils doivent se soumettre et respecter leurs engagements sous peine de se voir exterminer sur place. Ils déposent les armes et seront désormais sévèrement encadrés par les légions. La troupe au complet peut reprendre le chemin de Gergovie.

Au pied de l'oppidum des Arvernes, la situation s'est dégradée. Vercingétorix informé du départ de César avec quatre des six légions a compris la faiblesse du grand camp. Les 3.000m de merlons qui cernent les 50 ha de la position sont maintenant à la garde de 6 à 8.000 fantassins, plus les auxiliaires, soit moins de 12.000 hommes. Les autres forces sont à Chanturgue qu'il faut également défendre. Les légionnaires doivent se battre à moins de 3 hommes au mètre linéaire dans la position principale et c'est insuffisant. Soutenus par le tir des balistes qui font de grands ravages dans les rangs adverses, ils tiennent bon mais la pression qu'ils subissent est constante. Attaqués de jour, harcelés de nuit de tous côtés, les défenseurs s'épuisent rapidement. César et sa troupe doivent regagner Gergovie au plus vite.

Nous sommes au printemps, les jours sont plus longs et le légionnaire qui marche au rythme solaire de la deuxième à la onzième heure avec deux heures de pose pour le repas de midi, consacre alors dix de nos heures astronomiques à la progression. D'autre part, comme ils ne portent que leur armement, ils allongent le pas tout en respectant la cadence, de 70 pas minute. La distance franchie passe alors de 3.300 à 3.600m par heure et les étapes peuvent atteindre 35 km. A ce rythme, l'armée romaine a rejoint Gergovie en une journée et demie. Au matin du deuxième jour, vers la quatrième heure, les légions peuvent se trouver en dispositif de bataille face au grand camp. Les Gaulois n'insisteront pas, telle une volée de moineaux ils regagnent les hauteurs de la chaîne des Dômes. Les Commentaires ne mentionnent pas le moindre engagement à cette occasion et, dès le lendemain, les adversaires ont repris leurs positions réciproques. César peut faire le point sur la situation et les nouvelles qu'il reçoit ne sont pas bonnes.

Chez les Éduens, les partisans de Vercingétorix persuadés du ralliement de la colonne à leur cause ont massacré les négociants romains. Ils trouvent chaque jour de nouveaux partisans et sont en voie de briser les bonnes relations politiques traditionnellement menées avec Rome. Dans le bassin parisien, Labienus qui ne dispose que de quatre légions trouve, face à lui, des forces nombreuses et bien organisées et n'obtiendra pas de résultats décisifs.

En de telles conditions, César pense que mieux vaudrait pour lui disposer de toute l'armée établie à proximité de ses alliés fidèles les Rèmes, les Tricasses et les Lingons. Avec ses 75.000 fantassins de ligne, et le soutien assuré de 100 à 120.000 guerriers que peuvent lever les peuples du nord, sous la pression des autres tribus Gauloises, il aurait là toutes les chances de maîtriser la situation. Mais peut-il quitter la place de Gergovie sans rien tenter? Ce serait affligeant pour son prestige. Alors, il prépare une opération dont il est difficile de cerner le programme mais avant d'aborder l'assaut proprement dit, voyons les forces en présence et le théâtre de l'engagement.

L'OPPIDUM

Les Côtes de Clermont constituent un plateau de 2.100m de long sur une largeur moyenne de 600m. La surface urbanisable est donc de 120ha environ. Le promontoire est coupé de la chaîne des Dômes par une profonde dépression et sa viabilité ne vaut guère mieux que celle du plateau de Merdogne. Les quelques résurgences exploitables au centre du terrain sont très saisonnières et la seule source permanente disponible se trouve hors de l'enceinte, entre la pointe du nord-est et la petite colline du Var. Après la perte de la colline de Chanturgue, les assiégés vont fortifier cette colline pour protéger leur approvisionnement en eau. Il est donc hors de question d'imaginer sur ce site une grande agglomération urbanisée comme Avaricum par exemple. C'est un oppidum hérité de l'époque Celtique, il faut le voir comme tel.

A sa grande époque, le site recevait sur une courte période hivernale 8 à 12.000 occupants dont 2 à 3.000 dans une agglomération proprement dite et la majorité des troupeaux était parquée sur les pentes mais, dès la belle saison venue, les bêtes s'égayaient dans les pâturages environnants et la population tombait à 3.000 personnes. L'approvisionnement en eau était donc suffisant. Avec le développement agricole qui caractérise la Tène finale, la richesse se trouve alors dans la plaine et les marchandises circulent sur la voie traditionnelle nord-sud qui passe au pied de l'oppidum et mène aux terres du Languedoc par la passe de la Bastide. Pour profiter du transit, commerçants et artisans descendent dans la vallée et développent une agglomération très ouverte qui doit compter 10 à 12.000 personnes. La ville haute, l'acropole, perd de son importance économique mais conserve ses prérogatives politiques et militaires, voire religieuses, 3 ou 4.000 personnes y vivent encore dans de petites exploitations disséminées le long des voies de desserte, tandis que l'ancien village, sans doute tombé aux mains d'une caste militaire, fait maintenant office de citadelle. A l'époque de la guerre des Gaules, ces petits seigneurs ont préservé leur titre mais doivent se plier à la discipline sénatoriale. Vercingétorix est l'un d'eux.

Dès l'arrivée des Romains, le cavalier Arvernes a pris en mains les destinées du site et fait brûler la ville basse, vaste agglomération ouverte dont les constructions légères et fonctionnelles vont pratiquement disparaître. La totalité des populations de la vallée se réfugie alors sur l'Acropole. Il y a là maintenant 20.000 personnes environ qui peuvent dégager 4 à 5.000 combattants à répartir sur les 5.000m de murs. C'est insuffisant pour assurer une bonne défense. Vercingétorix place donc là 10 à 12.000 combattants ce qui porte leur nombre à 15.000, soit 3 par mètre linéaire. Les occupants du plateau sont maintenant au nombre de 26 à 30.000 ce qui représente 250 personnes à l'hectare. C'est tout ce que permettent les disponibilités en eau.

Pour protéger la précieuse source aval, Vercingétorix envoie tout son monde travailler à la fortification de la colline du Var mais l'espace est modeste, 6 à 8 ha environ, et 1.000m de mur suffisent pour l'ouvrage. Avec 4 à 5 hommes au mètre linéaire qui arrachent transportent et empilent les pierres, nous arrivons vite à la saturation du chantier. Le chef Arvernes a envoyé là tous les hommes de sa garde prétorienne qui se trouvaient sur l'Acropole, ceux sans doute à qui il avait fait découvrir la pelle et la pioche ainsi que les rudiments de génie militaire au camp proche d'Avaricum, quelques semaines plus tôt. Restaient donc dans la place le jour de l'assaut romain 8 à 10.000 combattants, en majorité concentrés sur le périmètre nord et très occupés à regarder les mouvements de la force de diversion. Cette distribution des combattants explique pourquoi ce jour là les 1.000m de défense faisant face à Chanturgue avaient été abandonnés à la garde des femmes.

LES FORCES EN PRESENCE

Le nombre des personnes et des combattants impliqués dans ces opérations est très difficile à cerner. Les historiens antiques qui traiteront du sujet ne sont pas des témoins oculaires, ils le feront dans des cercles intellectuels à Rome et ailleurs et si leur rhétorique est belle leur sens critique est souvent inexistant. La palme revient à Florius qui parle des 80.000 hommes défendant Gergovie tout en donnant les caractères topographiques d'Alésia. Il a lu les Commentaires mais confond les pages. Le seul observateur rigoureux de cette affaire est César lui-même. L'homme est honnête et s'il ne donne pas le chiffre de ses adversaires gaulois, c'est pour la bonne et simple raison que ses observations et les informations reçues ne lui permettent pas une estimation satisfaisante.

Pour les occupants de l'oppidum, nous maintenons donc notre chiffre de 25 à 30.000 personnes: 12 à 15.000 combattants, dont 5 à 6.000 issus de la garde prétorienne de Vercingétorix, les autres sont demeurés avec le chef. Les non combattants sont en majorité des femmes qui assurent l'intendance, préparent les repas et éventuellement agrémentent le repos du guerrier. Les corvées ne manquent pas. Comme l'essentiel des besoins en eau est assuré par la source aval, nous pouvons faire une rapide estimation. Avec le contenu d'un seau pour trois personnes et par jour, il faut affecter 8.000 personnes à la tâche. Comme le temps de se placer à la source, de remplir le seau et de dégager la place représente environ 6", le débit est limité à 600 personnes à l'heure. Nous devons donc assister à un défilement constant, l2h par jour. Si chaque femme porte deux seaux, le nombre de corvées diminue mais le temps d'opération reste sensiblement le même.

Il nous reste à fixer le nombre d'individus en perpétuel mouvement sur les hauteurs de la chaîne des Dômes et dans la vallée du Bédat, deux zones que les Romains ne peuvent observer simultanément. D'autre part, dans cette masse humaine qu'ils surveillent à plus de 2.500m en moyenne, comment discerner le nombre de combattants potentiels de la foule en mouvement? Nombreux sont les réfugiés qui attendent là de décider s'ils fuiront vers l'arrière pays en cas de défaite ou descendront dans la vallée pour participer à la curée en cas de victoire. Enfin, si le légionnaire représente une valeur militaire constante, celle des combattants gaulois est infiniment variable, voire indéterminable.

Parmi les troupes de Vercingétorix, nous trouvons les petits seigneurs venus avec leurs hommes d'armes. Ils sont parfaitement équipés et formés au combat singulier, en de telles conditions, ils valent un légionnaire. Cependant la majorité des combattants est faite de jeunes hommes qui rêvent de jours glorieux et sont venus là avec un équipement sommaire et sans entraînement. Il y a enfin les hommes valides issus de la masse des réfugiés, tous armés, certes, mais de fortune. Avec la hachette de la cour de ferme passée à la ceinture, avec une pique rapidement forgée et emmanchée sur un long bâton, peut-être des faux redressées comme le feront plus tard les révolutionnaires de 89. Ils s'engagent sans protection de corps, simplement munis d'un bouclier de bois rapidement confectionné avec des lattes ligaturées.

Enfin les motivations des combattants sont très diverses. Les chefs traditionnels entendent gérer la guerre et se réservent l'encadrement, les réfugiés en arme ne s'engageront que pour défendre directement leur famille ou participer à la curée finale, seuls les jeunes prétendants guerriers sont capables d'un héroïsme plus ou moins sensé. Enfin chacun de ces combattants peut représenter une valeur militaire très variable selon les conditions d'engagement.

Résumons nous. Face à César qui dispose de 35.000 fantassins de ligne plus un petit nombre d'auxiliaires (il en a laissé à Agedincum mais également à Noviodenum) les Gaulois peuvent aligner au mieux: sur la chaîne des Dômes, 40 à 45.000 combattants qui sont là en célibataires mais dont la valeur est inégale, 10.000 à 15.000 Arvernes en armes, montés de la vallée avec leurs familles. A cela il faut ajouter les 12 à 15.000 combattants de la place. Le total obtenu dépasse les 75.000 mais, parmi eux, à peine 25.000 guerriers bien équipés et bien entraînés fournis par la garde prétorienne de Vercingétorix et les contingents des tribus.

Ainsi les Gaulois disposent d'une supériorité numérique indéniable mais les fantassins susceptibles de soutenir un engagement méthodique face aux légionnaires sont inférieurs à ces derniers. Les forces romaines ne courent pas grand risque si elles demeurent dans la plaine tandis que les gaulois sont en sécurité sur les hauteurs de la chaîne des Dômes ou sur l'oppidum. L'affrontement prend alors des allures de danse guerrière et les deux chefs comprennent que le premier à quitter la place sera le vaincu de l'histoire. César qui refuse ce rôle médite alors une opération rapide et sans grand risque qui lui donnerait le beau rôle. C'est à demi mot ce qu'il nous dit dans les Commentaires.

L'ATTAQUE DU GRAND CAMP

Au sujet des forces gauloises et de leur valeur, César nous livre l'évolution de sa pensée. De prime abord il juge la force adverse rassemblée sur les Dômes impressionnante puis, au fil de ses reconnaissances et grâce aux informations qu'il reçoit, il se persuade qu'il y a peu de combattants qualifiés dans cette masse en mouvement. Cette conclusion l'engage à partir avec quatre légions à la rencontre des Éduens, laissant ainsi la garde du grand camp à 8 ou 10.000 légionnaires, au mieux. Mais la masse des assaillants gaulois fera preuve d'un acharnement qu'il n'avait sans doute pas soupçonné.

Le grand camp est une installation classique avec un merlon de terre de 8 à 10 pieds flanqué de deux fossés. L'ouvrage est alors défendu par trois hommes au mètre linéaire. Côté Gaulois nous pouvons imaginer le dispositif suivant: 6 à 8 hommes au mètre linéaire pour assurer un investissement hermétique, nous avons donc 25.000 combattants, 5 à 8.000 vont protéger le théâtre d'opérations si d'aventure les légions romaines revenaient à l'improviste, tandis que 10.000 hommes parmi les plus enthousiastes, bien encadrés par les chefs de guerre, formeront les colonnes d'assaut. Nous arrivons donc à 40.000/45.000 hommes au mieux. C'est à priori la masse de manouvre dont dispose Vercingétorix pour un engagement en rase campagne.

Au sein des vagues d'assaut, profondes de 20 à 30 rangs, le combattant est naturellement conditionné, serré à droite comme à gauche par ses compagnons et poussé par les suivants. Il doit inexorablement avancer et si le hasard de sa position lui permet d'aborder le merlon, il lui faut enjamber les cadavres de ses prédécesseurs et engager le fer avec le légionnaire qui se trouve face à lui. A ce jeu de massacre, la valeur ne compte guère. Le jeune dont c'est le baptême du fer peut fort bien embrocher de sa pique un légionnaire romain expérimenté mais occupé à parer le coup d'un autre assaillant, cependant le plus grand risque pour lui est de se retrouver au fond du fossé la poitrine percée d'un javelot.

Il est peu probable que les Gaulois aient mis en oeuvre des engins même improvisés, comme des charettes garnies de claies de protection. Tous ces assauts seront repoussés mais la pression gauloise qui se maintient sur trois jours est bien de nature à épuiser les défenseurs. César avait sans doute sous estimé les risques courus par le grand camp.

L'ATTAQUE SUR GERGOVIE

Avec le petit camp de Chanturgue, les Romains disposent d'une bonne base de départ qui vient d'être aménagée à cet effet, avec une nasse de 120 pieds. Mais une attaque frontale serait coûteuse et César ne peut se le permettre. En Gaule, il est comme Hannibal en Italie du Sud, disposant d'un superbe instrument de combat mais sans grande possibilité de relève, tandis que l'adversaire qui n'a que de médiocres troupes peut compter sur un réservoir d'hommes quasi inépuisable. Le Général Romain ne veut pas connaître en Gaule la fin de l'illustre stratège punique. L'opération qu'il va lancer échoue par l'indiscipline de quelques uns de ses hommes mais nous la croyons très astucieuse. Voyons d'abord la mise en place.


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Depuis les fouilles très rapidement menées à l'instigation de Napoléon III, c'est l'ancien plateau de Merdogne qui est admis comme site de Gergovie; il a même changé de nom à cet effet, mais bon nombre d'érudits locaux défendaient déjà l'hypothèse des côtes de Clermont et celle-ci vient d'être reprise avec de très bons arguments par P. Eychart. Dans ce cas, le petit oppidum celtique de Chanturgue qui défendait les abords est du site des Côtes devint, pour 10 ou 15 jours, le camp de la 13ème légion de T. Sextius et dut servir de base d'assaut pour l'attaque. Parmi les arguments très généraux à l'appui de cette thèse, citons l'identification (très probable) du grand camp avec Montferrand qui sera ensuite confirmé par la voie romaine nord-sud venant de Riom. Mais sur le site même nous trouvons un autre argument de poids: la nasse de 120 pieds de base (A) qui fait face à l'oppidum des Côtes.
Ce plateau de l0ha environ fut sans doute aprement défendu par les combattants Arvernes mais les Romains vont s'y implanter et sur une courte période tenteront de donner quelques caractères rationnels à ce qui n'était qu'un champ de décombres. La ligne de défense externe sera maintenue sur les crêtes déjà aménagées (B). Une via principalis (C) est tracée au centre du plateau et justifie un ensemble bien coordonné (D) et un autre qui ne l'est pas (E). La zone (F) reçoit des cantonnements très sommaires tandis que la zone ouest, qui fait face à la position Arverne, sera laissée en l'état. C'est là qu'est aménagée la nasse (G). Si une petite agglomération gauloise subsistait au centre du plateau, ses ruines fournirent sans doute les matériaux pour les aménagements du camp.


César consacre une légion plus sa cavalerie et des muletiers déguisés en combattants à une vaste opération de diversion qui doit se développer dans la vallée du Bédat. S'agit-il de porter les défenseurs de l'oppidum sur la face nord? C'est peu probable. Ils n'ont que 600m à parcourir en terrain plat pour se présenter sur la courtine sud tandis que les légionnaires ont 1.000m à franchir et 80m à gravir ainsi qu'un muret de 6 pieds à escalader pour arriver à la défense principale. S'ils y arriveront avant le retour des Gaulois c'est un pur hasard. César se méfie surtout de la masse des combattants rassemblée sur la chaîne des Dômes. Ils ont moins de 2km à parcourir pour arriver à la hauteur de l'oppidum, ce sont eux qu'il faut emmener vers la vallée du Bédat. Le stratagème a sans doute bien fonctionné. Malgré leur mise en difficulté, les Romains ne verront pas arriver la masse gauloise venue des montagnes. Confirmation s'il en est besoin, César et sa X° légion se tiennent à l'ouest du champ de bataille qui s'étend entre l'oppidum et le petit camp afin de guetter le moindre signe d'un déferlement Gaulois arrivant des Dômes.

Voyons maintenant le dispositif romain et les forces engagées. La majorité des auteurs place les six légions sur "l'échiquier", mais rien ne permet de l'affirmer, bien au contraire. Dans la bataille qui se déroule entre l'oppidum et le petit camp, nous trouvons trace de trois légions tandis qu'une quatrième fait diversion. Nous pouvons donc imaginer que les deux autres sont en réserve près du camp, à cela une bonne raison. Si la diversion fonctionne trop bien, et que 15 à 20.000 Gaulois fondent sur les 6.000 hommes engagés du côté de la vallée du Bédat, il serait bon de les appuyer dans leur retraite, d'autre part, ces deux légions tel qu'elles sont placées peuvent également remonter la vallée de la Tiretaine et s'engager face à la masse Gauloise si d'aventure elle évente le stratagème et fait un prompt retour de ce côté. En amortissant le choc, ces 12.000 hommes permettront à leur chef de rassembler en bon ordre les éléments qui se trouvent hors du petit camp.

Les forces directement engagées sont donc au nombre de trois légions. La première est affectée à l'assaut, la seconde est maintenue dans le petit camp avec le légat Sextius et la troisième est hors du camp, à la main de César. Les évènements qui vont suivre semblent confirmer ce dispositif.

Le front d'assaut optimum, face au terre-plein qui sépare le premier muret de la défense principale, là où Teutomate a planté sa tente, représente 900m environ. Pourquoi y lancer 18.000 hommes, soit 20 rangs de profondeur?. Une telle force est difficilement contrôlable dans l'action et les hommes risquent de se piétiner. C'est une absurdité tactique indigne de César. 6.000 hommes, par contre, sont en mesure d'effrayer l'adversaire et d'obtenir ainsi ce que leur général attend de l'opération, une fois la retraite sonnée, comme il est dit. Nous verrons la justification stratégique ultérieurement.

Les forces romaines se trouvent au pied d'un mur de 4m sans aucun moyen d'escalade. Il faut qu'un centurion intrépide et désobéissant demande l'aide de ses compagnons pour se hisser sur l'ouvrage et haranguer ses hommes. Pareille mise en oeuvre est-elle concevable de la part d'un chef de guerre qui vient de déployer les énormes moyens que l'on sait face à Avaricum?

Devant ce mur de 4m les moyens nécessaires étaient relativement légers. Avec des rampes de 3 X 8m, pesant environ 300kg chacune, et amenées par 12 hommes (25kg chaque) il était possible de porter sur la défense adverse des colonnes d'assaut en rang de trois mais César ne pouvait prévoir que la diversion marcherait au-delà de toute mesure raisonnable. Pourquoi n'a-t-il pas envisagé l'assaut? La raison en est simple.


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L'ASSAUT

II faut croire César quand il nous dit que la légion d'assaut devait se replier au signal de trompe. Les hommes qui se sont présentés au pied du mur de Gergovie sans moyen d'escalade devaient inscrire leur action dans un astucieux stratagème visant à faire sortir les Gaulois de leur position. Mais l'indiscipline de quelques centurions fit échouer l'opération et César fut sans doute plus vexé que vaincu. Dans le dispositif d'ensemble, deux légions (A,B) restent à proximité du grand camp (C), une troisième avec la cavalerie entreprend une vaste opération de diversion dans la vallée du Bédat (D). L'assaut sera mené par une légion (E) partie de Chanturgue tandis que la seconde (F) demeure dans le camp, enfin César avec la Xème légion (G) entend gérer le flanc gauche de l'opération. Arrivée au pied du grand mur, la vague d'assaut doit attirer à elle les Gaulois (H) occupés à regarder l'opération de diversion et doit ensuite se replier en bon ordre. Ce faisant, elle amenait les forces adverses lancées à sa poursuite dans la dépression (J) où elles étaient prises en tenaille par la montée des Eduens (K) et la Xème légion de César (L). Celle-ci était bien placée pour observer un débouché de grosses forces gauloises venant de la chaîne des Dômes (M) si d'aventure la diversion n'avait pas fait son effet. Il y avait là une excellente occasion d'exterminer quelques milliers de Gaulois.


Si le plateau n'était pas urbanisé comme certains l'entendent, les demeures, les étables, les granges entrecoupées de bosquets et haies vives constituaient un espace où les légionnaires ne pouvaient guère exploiter leur sens tactique. La conquête du terrain se serait développée telle une multitude d'engagements, voire de combats singuliers, occasionnant de lourdes pertes. Enfin, condition aggravante, l'adversaire aurait reçu, sans compter, des renforts frais venus de la chaîne des Dômes. C'était une opération à haut risque. Napoléon a sans doute perdu sa guerre d'Espagne dans les ruines de Saragosse et l'armée Allemande sa campagne de Russie dans les décombres de Stalingrad. Récemment les Israéliens ont eu la sagesse de ne pas s'engager pareillement face à Beyrouth.

Que dit César? Le retour des Gaulois fait comprendre aux légionnaires qui n'ont pas entendu le signal de trompe le délicat de leur situation. Il leur faut maintenant se replier sous la pression de l'adversaire et la porte de la cité qui va s'ouvrir laissera place à une colonne de contre-attaque dont l'effet pourrait coûter cher. Un centurion se sacrifiera pour retarder de quelques instants le déboucher des Gaulois. Pareille péripétie était-elle concevable si les Romains avaient disposé, là, de trois légions, soit 15 à 18.000 hommes en ordre compact sur 20 rangs? Certainement pas.

Nous confirmons donc notre hypothèse sur le dispositif mis en place. Une légion de diversion, deux en réserve stratégique aux abords du camp et trois en opération face à l'oppidum, une menant l'assaut, une en réserve dans le petit camp et la troisième à la main de César.

LE REPLI

Parmi les dix cohortes de la légion d'assaut, certaines avaient sans doute perçue le coup de trompe et amorcé leur repli mais voyant bon nombre de leurs compagnons toujours au contact, ces hommes se sont inquiétés et sans doute arrêtés à mi-pente. Ainsi lorsque les 2.500 à 3.000 hommes qui s'étaient attardés sur le terre-plein commencent leur repli, l'ensemble de l'unité se trouve en disposition éclatée difficile à coordonner pour les centurions, c'est donc une troupe très vulnérable que les Gaulois sortant en masse de l'enceinte trouvent devant eux.

Pour comble de malchance, ces hommes voient déboucher sur leur droite les forces gauloises qui viennent de la colline du Var. La situation devient délicate et c'est sans doute l'affolement lorsque ces Romains découvrent également sur leur droite une très puissante colonne de Gaulois que, dans leur frayeur, ils prennent pour des adversaires: c'étaient les Éduens qui montaient en ligne selon le dispositif prévu. Les estafettes émettent des informations alarmantes. César les perçoit et s'en inquiète. S'agit-il d'une force de 15 à 20.000 Gaulois venus de la chaîne des Dômes et qui auraient contourné l'oppidum? C'est peu probable mais de sa position le Général Romain ne voit absolument pas ce qui se passe sur l'autre face de Chanturgue. Alors, par prudence, il admet le repli.


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LE REPLI

Par l'indiscipline de quelques centurions la légion d'assaut décroche avec 10' de retard et descend la pente (A) dans le plus grand désordre poursuivie par plusieurs milliers de Gaulois (B). Les centurions ne peuvent reformer le dispositif et l'affaire se corse lorsque cette troupe en mauvaise posture voit déboucher sur sa droite 4 à 5.000 Gaulois (C) revenant de la hauteur du Var. Condition aggravante les Romains prennent également pour des adversaires les 8 à 10.000 Eduens qui montent en ligne (D). Ces nouvelles alarmantes sont alors communiquées à César qui se met en place avec la Xème légion (E). Il craint alors l'arrivée d'une très puissante colonne gauloise (F) venant de la chaîne des Dômes et admet la retraite. Sextius lance une contre-attaque (G) partant du petit camp (H) ce qui permet à la légion en difficulté de se reformer et de glisser sur sa gauche (J) sous la protection de la Xème légion. César reforme alors un dispositif avec l'ensemble des troupes situées à l'ouest de Chanturgue (K) et gère un repli organisé vers la plaine (L). Les Eduens se replient à leur tour (M) tandis que la légion de diversion (N) qui n'avait pas insisté face à la colline du Var rejoint également le grand camp. Dans sa relation, César passe sous silence l'échec de son stratagème et se contente de commenter les événements, sans plus.


détail ci-dessous


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La légion d'assaut qui commence à se reformer dans la légère dépression séparant l'oppidum de Chanturgue, s'imagine toujours sous le coup d'une menace considérable venant de sa droite. Elle entame donc un mouvement sur sa gauche d'autant qu'elle voit de ce côté les hommes de la Xéme légion de César susceptibles de les soutenir au combat. Sur ces entrefaites, Sextius a reçu l'ordre de sortir du petit camp avec quelques cohortes et d'engager une vigoureuse contre-attaque. Après ce coup d'arrêt et devant la menace de la Xème légion qui manouvre pour les prendre de flanc, les Gaulois s'inquiètent à leur tour et marquent un temps. Ce flottement permet à César de lier à son aile les cohortes en repli et son dispositif reformé il entame alors un mouvement organisé vers la plaine. De l'autre côté du champ de bataille, la situation s'est stabilisée, les Éduens ont bloqué la force adverse en mouvement et attendent la suite des évènements comme ils en avaient reçu l'ordre.

S'agit-il d'une défaite sous le poids d'une charge écrasante? Certainement pas. Les forces gauloises comptent alors 4.000 hommes venant de la colline du Var et 5 à 7.000 au grand maximum venus de l'oppidum. Elles restent donc nettement inférieures au dispositif romain qui totalise plus de 25.000 hommes. Pour César c'est donc l'échec de son stratagème et c'est affligeant pour un homme de son envergure, d'autant que la grande menace qu'il avait craint, l'arrivée de plusieurs douzaines de milliers de Gaulois venus en renfort de la chaîne des Dômes ne s'est pas produite. Mais, à ce sujet, il faut préciser que l'ensemble de la bataille n'a sans doute pas excédé une heure. C'était nettement insuffisant pour la mise en branle de l'énorme dispositif maintenu en réserve par Vercingétorix.

CHRONOLOGIE DE L'ENGAGEMENT

Nous avons admis 4' pour le débouché d'une légion par la nasse de 120 pieds. A la 6ème minute, la première vague, formée de cinq cohortes doit être en ordre de bataille au pied de Chanturgue, à 300m du camp. Il leur reste 700m à parcourir sur une dénivellation de 80m pour atteindre le grand mur, soit une marche de 12' environ. Les premiers engagements au pied de l'oppidum peuvent donc se produire à H + 18'. Viennent ensuite quelques minutes de simulacre d'assaut qui doivent provoquer la réaction adverse mais ce sont les femmes gauloises qui en assurent la charge. Déjà les coureurs sont partis informer les combattants installés sur l'autre face. La distance à parcourir est de 700m environ. Comptons 4' pour le trajet, 5/6' pour trouver les responsables de groupe et les convaincre de prendre la décision et les premiers à faire volte face vont mettre 10' pour parcourir le chemin dans les rues étroites de l'acropole. Le changement de dispositif a donc demandé 18/19' environ. Si les observateurs placés face à Chanturgue ont réagi 5/6' après l'heure H, dès qu'ils ont vu la première vague d'assaut se former dans la dépression, les premiers combattants gaulois arriveront sur la face sud à H + 24. Voilà donc 6' que les centurions ne voyant que des femmes sur la courtine s'imaginent pouvoir prendre la place d'assaut. La trompette de la retraite a du sonner à H + 20, dès que les observateurs de César ont vu la première vague se déployer à la base du mur.

A H + 26', commence la réaction gauloise. Les premiers arrivés lancent leurs traits sur les légionnaires et 2/3' plus tard, une vague d'un millier d'hommes s'apprête à déboucher de la porte. Vers H + 28/30, la première vague romaine commence son repli sous la pression adverse. Ils ont 10' de retard sur le programme. Commence alors un délicat repli de 700m à effectuer sur un terrain en forte pente et sous les coups des Gaulois. C'est là sans doute que les Romains auront la majorité de leurs pertes qui s'élèveront à 6/700 hommes.

La descente demande 15', c'est donc à H + 45' que la légion d'assaut est de retour à son point de départ. Il lui reste 20' pour manouvrer sous la protection de la Xème légion et se retrouver dans la plaine au sein du dispositif reconstitué par César. Au pied de l'oppidum la plaine (relative) se trouve au niveau + 400m. L'essentiel de la bataille peut donc tenir dans l'heure.

Les Éduens qui se sont engagés à H + 40 seront sans doute plus longs à décrocher, quant aux forces de diversion qui n'ont reçu que tardivement l'ordre de repli, nous pouvons estimer leur retour au grand camp 2h 30 après le commencement des opérations.

Ce minutage peut paraître fastidieux mais il permet d'expliquer pourquoi les 40.000 Gaulois stationnés au pied de la chaîne des Dômes ne sont pas intervenus. Il fallait que les chefs prennent conscience de la situation, rassemblent leurs hommes, fixent un plan de bataille. Cela représentait déjà une bonne heure dans le désordre coutumier régnant chez les gaulois. Ensuite, il leur fallait une seconde heure pour parcourir les 3km qui les séparaient du point d'affrontement. Ils avaient donc toutes les chances d'arriver après la bataille et de rencontrer l'armée romaine rassemblée dans la plaine au pied du petit camp. C'eût été pour eux les plus mauvaises conditions de rencontre. Vercingétorix le savait, il a donc refusé cette éventualité.

LE PLAN DE CESAR

Au cours de ce développement une question vient naturellement à l'esprit. Pourquoi avoir fait monter une légion d'assaut jusqu'à l'oppidum pour la rappeler 2/3' après son arrivée? Chez tout autre militaire c'eut été une simple incohérence mais nous ne ferons pas cette affront au génie de César. Le plan était judicieux et la configuration du dispositif le prouve. Si la légion d'assaut s'était bien repliée au son de la trompe, dès H + 20, elle pouvait se trouver rangée en ordre de bataille au niveau de la dépression 10' plus tard. Les Gaulois sortis de l'oppidum et lancés à leur poursuite en dévalant la pente avaient toutes les chances de crier victoire. Ensuite, dès que cette force de 4/6.000 hommes se serait trouvée à leur contact, la légion devait se scinder en deux pour donner le change mais également amorcer un enveloppement et c'était la contre-attaque de Sextius qui devait bloquer les Gaulois. Ils étaient alors pris au piège, maintenus par 6/8.000 Éduens sur leur gauche et frappés sur leur flanc droit par la 10ème légion de César qui s'était réservé la part belle. Il y avait là une excellente occasion d'anéantir quelques milliers de Gaulois et peut-être de pénétrer dans la ville à l'occasion de la poursuite qui devait suivre.

Dix minutes de retard et de désordre ont donc brisé cette belle mécanique et César résume bien la situation quand il dit à ses soldats qu'ils ont eu bien tort de se croire plus intelligent que leur général.

Le lendemain, le proconsul, plus vexé que vaincu, jette à nouveau son regard sur l'ensemble de la Gaule et les nouvelles qu'il reçoit de chez les Éduens comme de Labienus lui dictent des considérations de plus vaste envergure. C'est le trait des grands chefs de guerre: distinguer l'essentiel du détail, peu importent les vexations d'amour propre.