LA MISE EN ŒUVRE

L'ARMÉE EN CAMPAGNE

La théorie républicaine du peuple en armes et la formation militaire systématique des conscrits, assurent à Rome une armée nombreuse, à lever selon les besoins, selon les classes d'âge. Il restait à trouver l'articulation optimum et les modalités d'engagements tactiques.

Dans les armées des régimes monarchiques, le roi mène l'action et les princes et grands seigneurs se partagent les corps de troupe parfois levés à leur charge. L'ordre de bataille est alors constitué de grosses masses d'hommes, diversement armés et, si une disposition est prise au départ, elle est vite rendue caduque par le mouvement. Dans le feu de l'action, chaque chef essaye de se mettre en valeur en faisant de sa troupe le vecteur du combat, l'instrument de la victoire. Mais les estafettes sont impuissantes à transmettre les renseignements et les directives nécessaires à une manouvre stratégique. Les engagements se limitent donc à des chocs de masse. Dans l'armée romaine, par contre, l'organisation à base de centuries l'incite à former non de gros corps, mais de petits carrés, et les centurions qui ne font guère confiance aux légats venus de Rome vont imaginer un ordre de base et des manouvres longuement répétées en exercice qui seront engagées d'un geste ou d'un mouvement d'enseigne. Le moment venu, ils pourront ainsi amorcer une action ponctuelle ou exploiter l'instant de flottement constaté dans la ligne adverse.

Cette mise en oeuvre et l'aptitude à saisir la moindre opportunité à l'échelon des centuries est une invention romaine. C'est l'action tactique, qui sera longtemps l'atout principal des fantassins romains.

Tout se passe comme si les centurions avaient admis l'incapacité des stratèges et leur absence totale de sens stratégique. Lorsque Jean Lartéguy identifie les officiers français, sortis d'Indochine, à de nouveaux centurions, la qualification est lourde de sens et de souvenirs historiques.

LES TROIS LIGNES

Ces officiers de terrain vont rapidement comprendre que la formation systématique et l'entraînement poussé sur le Champ de Mars peuvent préparer le combattant mais pas transformer l'homme. La troupe peut se distinguer sous trois formes. Les novices, généralement jeunes, pour qui la guerre n'est que l'application d'un jeu maintes fois pratiqué. C'est là que l'on trouve les héros, mais ils sont aussi prompts à la panique. Il y a ensuite les vétérans qui connaissent bien la guerre, ses lauriers mais aussi ses souffrances. Pour eux, c'est un jeu dangereux qu'il faut pratiquer avec intelligence et méthode, mais sans panache excessif. Rien ne sert de briller, il faut gagner. Il y a enfin les hommes d'un certain âge, la réserve. Ils ont laissé femme et enfants à la maison et sont là par devoir. Ils connaissent les mécanismes de la bataille mais ont la ferme intention de rentrer au foyer. Méthodiques, avec un brin de sagesse, ils ont une grande aptitude à la défense dès qu'ils sont forcés à l'engagement mais leur intérêt à la manouvre est des plus minces.

Cette analyse du combattant va porter les centurions à classer leurs troupes et à les placer sur le champ de bataille en fonction de leur aptitude: les jeunes fougueux en première ligne, les vétérans en seconde et les réservistes en troisième. Mais, première et deuxième lignes seront amenées à coopérer étroitement dans les manouvres tactiques.

LES ORIGINES DE LA LEGION

Au combat, la ligne se dispose généralement en cinq rangs de profondeur, ce qui fait 15 rangs pour les trois lignes, mais ce dispositif doit manouvrer et le chef d'armée, le stratège, délègue, derrière le front des troupes des "officiers" chargés de faire appliquer la manouvre ou d'articuler la défense. Ces commandements de secteurs peuvent difficilement coiffer plus de 300m de front. 300 x 15 font 4.500, ce sera l'importance moyenne de l'unité tactique. Cette division imposée dans la ligne de bataille donnera naissance à la légion.

Dans des manouvres plus vastes, ou lors des marches de concentration avant la bataille, chaque unité peut être engagée isolément ou soumise à des harcèlements de cavalerie. Elle se rassemble alors en rangs serrés, en dispositifs fermés, et les 4.500 combattants peuvent tenir sur 10.000m2 environ, avant de se déployer à nouveau.

Le principe républicain du peuple en armes a de nombreux avantages, mais il laisse la nation désarmée en temps de paix. Il faut donc préserver une petite troupe de métier qui servira à la formation des cadres et constituera le noyau de la grande armée populaire. Après la mauvaise surprise du sac de Rome, par les Gaulois, le Sénat romain maintiendra sous les armes une troupe permanente répartie en quatre légions. Ce sont ces forces d'active qui, intégrées à la seconde ligne, seront à l'origine des premières manouvres d'importance. En période de paix, ces unités permanentes vont se comporter comme des armées de taille réduite, ce sera un facteur de progrès tactique

Dans cette longue mutation, où la légion devient l'instrument de grandes manouvres stratégiques, deux facteurs nouveaux vont jouer : la bonne maîtrise de l'unité déployée en ordre de marche et la meilleure aptitude à organiser un carré de défense. Ces deux facteurs limiteront l'importance de la légion à 6.000 hommes plus les unités de soutien. Les auxiliaires marchent avec la légion mais ne lui sont pas toujours directement affectés.

Comme les forces romaines, la division, unité tactique de l'époque moderne, souffrira d'une tendance à l'embonpoint. De 4.500 hommes à l'époque Napoléonienne, elle passera à 20.000 hommes et plus au cours des deux dernières guerres : 14/18- 39/45.

L'ARMEMENT DU COMBATTANT A PIED

En combat singulier, l'homme tient son glaive dans la main droite et se protège des coups de l'adversaire avec le bouclier à main gauche. Dans ces conditions, l'épée est longue, le bouclier est petit, léger et maniable afin de bien parer aux coups avec une forme ronde pour amortir et dévier le fer adverse. Lors des premiers engagements de groupe, la deuxième ligne utilise arcs et flèches qui obligent le combattant de première ligne à agrandir son bouclier afin de protéger convenablement un homme accroupi. Lorsque les protections au corps (les armures), deviendront plus efficaces, le combattant réduira de nouveau l'importance de son bouclier, ou en modifiera la forme.

A l'origine, le légionnaire a connu ces alternatives; les premiers boucliers étaient ronds et grands, mais la formation en rangs serrés au sein des centuries poussera le combattant à réduire l'importance de sa protection. D'autre part, cette disposition interdit pratiquement l'épée longue et le légionnaire choisira le glaive court. Cependant, l'arc qui n'est pas une arme de décision disparaîtra rapidement de la panoplie du soldat italique, et c'est au contact des guerriers puniques et ibériques, utilisant de manière intensive des arcs plus performants, que les romains adopteront systématiquement le bouclier rectangulaire capable de former, sur deux rangs superposés, un véritable mur de protection continu.

Ce bouclier romain trouvera ses caractères définitifs à la faveur de divers compromis. En combat singulier, il doit protéger l'homme du menton aux genoux, à charge pour celui-ci de baisser la tête à l'arrivée du projectile; en largeur, il doit correspondre au volume d'un homme serré dans le rang. Son mode de fabrication et son poids varieront donc tout au long de l'histoire.

LES ARMES DU LEGIONNAIRE

En combat singulier il doit être léger, 2 à 3kg environ, et bien équilibré. C'est alors le bois qui s'impose. Le bouclier romain, lui, qui s'intègre dans la protection collective se pare de métal et devient beaucoup plus lourd. D'une surface légèrement supérieure à 50dcm2 et garni de plaques forgées de 0,8 à 1mm d'épaisseur, avec bordure et couvre-joints de cuivre, il dépasse alors les 6kg et son maniement est difficile en parade. Par contre, le métal évite que le javelot adverse ne se plante et gène la manœuvre à suivre.

Au choc des premières lignes, force et vaillance peuvent s'équilibrer et l'infanterie romaine va préparer l'assaut à l'aide d'une arme de jet lourde: le javelot. C'est une longue tige de fer de plus de deux pieds (75 cm environ) forgée au carré, avec une pointe acérée, et emmanchée d'un bois de 3 pieds environ. L'arme bien équilibrée pèse 4 livres et représente un impact redoutable. Dans les manipules, les trois premiers rangs s'accroupissent à moins de 10m de la ligne adverse et les 4ème et 5ème rangs lancent leurs javelots sur l'adversaire, juste avant l'assaut. Il est impératif de profiter, au mieux, des trois secondes qui suivent le jet et de récupérer les javelots, si possible.

Lancé à la main de manière traditionnelle, le lourd javelot romain le pilum, voit sa portée limitée à 20/30m mais avec une lanière de cuir savamment roulée pour former poignée, la portée peut atteindre 60m. Il est alors utilisé en tir de préparation par les lignes arrières, juste avant l'assaut.

LES PREMIERES MANOEUVRES

Le choc frontal est de caractère puéril et les succès ainsi obtenus sont souvent fort coûteux en hommes. Le combattant va donc rechercher une subtilité d'engagement et l'initiative viendra une fois encore des centurions qui connaissent bien les phénomènes propres à l'action. Le contexte qui donne confiance et mène à la victoire ainsi que les avatars qui créent la panique sont à analyser et à maîtriser.

La première manœuvre tactique exploitera un phénomène évident. En rangs serrés, au coude à coude, le soldat est confiant mais une fois débordé il perd une bonne part de ses moyens, isolé il est perdu. Il faut donc rompre la ligne adverse en y enfonçant un coin et cette tactique de base sera encore en vigueur lors des guerres napoléoniennes.

Deuxième constatation faite au combat. Le soldat en ligne n'a pas de côté, par contre, dès que la troupe est en formation de coin, au contact de l'adversaire, la colonne qui mène l'assaut se protège bien à main gauche mais se trouve particulièrement exposée à main droite, côté glaive, notamment aux javelots adverses. D'où l'idée de flanquer le coin, côté droit par une autre ligne plus dense progressant à boucliers jointifs, en action purement défensive. C'est l'origine de la manipule. Deux centuries parfaitement entraînées à manœuvrer de concert se partagent les rôles : le coin et le flanquement. Si la ligne adverse change de densité ou d'ardeur au combat, la centurie de flanquement s'engage en coin et l'autre passe en flanquement. Dans ces manœuvres il faut impérativement maintenir l'axe de progression, ce sera le rôle des princes qui marchent en tête de colonne. Ce sont des hommes de grande taille, comme le veut la règle de disposition mais ils sont surtout les plus dignes de responsabilité; des soldats de première classe en quelque sorte. Lors des défilés et des triomphes, c'est parmi eux que sont choisis les porte-enseignes. Marchant au pas de parade, en tête de cohorte, l'homme a fière allure

Si le coin s'enfonce bien, la deuxième ligne suit en élargissant la brèche et la troisième réduit les isolés restés en arrière, mais le même système peut être affecté à la défense. Face à l'assaut adverse, les manipules se forment en redent et l'ennemi qui s'engage dans les espaces intermédiaires sera harcelé sur ses flancs et notamment sur sa droite par la deuxième ligne. Si celle-ci se trouve bousculée, elle manoeuvre pour confirmer les ailes mais doit contre-attaquer à l'instant où la troisième et dernière ligne est au contact

Toutes ces manœuvres essentiellement d'ordre tactique seront mises au point par les centurions et maintes fois répétées sur le Champ de Mars. Avec une troupe bien entraînée, le procédé fonctionne parfaitement, même si le commandement en chef est d'une totale incapacité ce qui était souvent le cas à l'époque républicaine.

L'armée romaine accordera une totale confiance à la valeur tactique jusqu'au jour de la mémorable bataille de Canne où elle va s'enferrer misérablement face à la capacité de manoeuvre des forces d'Hannibal, génial stratège punique. Tout au long des siècles, cette bataille sera analysée comme le heurt de la superbe machine de guerre contre la subtile pensée stratégique. Ce fut le choc du programme contre le génie, mais le programme se met en place et le génie ne se programme pas.

LA BATAILLE DE CANNE

L'armée romaine avait longuement mis au point sa tactique du coin. Improvisé d'abord et méthodique ensuite. Exploité à grande échelle le procédé avait donné de bons résultats; il fallait s'y tenir. Si l'armée échouait dans son entreprise, c'était la faute des soldats, celle des Centurions ou bien alors de la pluie ou du beau temps, mais certainement pas des savantes directives données.

Après les désastreuses charges à la baïonnette des premiers temps de la Guerre de 14/18 la puissance de feu s'était imposée sur un champ de bataille devenu statique. Le Maréchal Foch, qui en avait tiré enseignement, dira "c'est le feu qui tue, c'est le feu qui doit être mis à la base de toute action militaire". Dès lors, le front continu va se hérisser de bouches à feu et l'infanterie condamnée à s'enterrer dans des fortifications de campagne perd toute initiative et subit de lourdes pertes. Cette théorie de la puissance de feu dominante fut ridiculisée en 1940 par l'action des panzer division mais dans ses volumineuses mémoires, le Général Gamelin affirmait que nos lignes de bataille avaient été parfaitement conçues. Il se demandait pourquoi la 9ème armée, installée sur la Meuse, position forte par excellence, avait été si rapidement bousculée. Le Général Corap, Chef de ce corps, fut tout naturellement désigné comme responsable.

Ce problème est vieux comme le monde. Il est toujours facile d'imaginer un dispositif militaire comme on construit un empilage de cubes. Mais il est difficile, par contre, de maîtriser le mouvement. Il faut juger très vite et anticiper largement; c'est ce que fera Hannibal à la bataille de Canne. L'armée romaine partira à l'assaut selon les règles mais, dès la bataille engagée, celui qui avance est-il en voie de bousculer l'adversaire ou bien s'enferme-t-il dans une nase? C'est la maîtrise du mouvement, la stratégie qui le dira. A ce jeu, la quantité ne compte guère. Comme disait Clausewitz (1780/1831) "il importe seulement d'avoir la supériorité à l'endroit décisif et à l'instant décisif".

A Canne, l'armée romaine, fidèle à sa tactique, est bien partie mais les forces d'Hannibal qui avaient attendu, provoqué même son assaut, useront sa force vive par une action de retardement frontal et la déborderont par les ailes. Dans l'histoire militaire des deux derniers siècles, ce principe sera repris dans une multitude de plans de batailles et notamment par le Chef des Opérations du Grand État Major allemand, le Comte Schlieffen (1833/1913). C'est ce plan qui sera appliqué par l'armée allemande en 1914, lors du déferlement par la Belgique mais le Général de Moltke (le jeune), enfermé dans son école de briques rouges de Luxembourg, fut incapable d'exploiter la manoeuvre pourtant bien amorcée. Ainsi ne fut-elle jamais mise en cause. En 1940, le grand État Major Allemand était persuadé obtenir la décision par un mouvement enveloppant de même nature et la percée de l'armée blindée Von Kleist, sur la Meuse, n'était pour lui qu'un atout supplémentaire, cependant, Von Rudstedt, maître du panzerkeil (coin blindé) en décida autrement.

L'UNITE TACTIQUE

La bataille de Canne avait montré la suprématie de la stratégie sur le programme. Les Romains ne pouvaient pas créer de génies mais ils pouvaient modifier l'instrument de bataille pour le rendre plus apte à des manoeuvres sinon subtiles, du moins complexes, et la légion, de par sa structure, se prêtait fort bien à cette mise en oeuvre. L'évolution sera longue mais constante, jusqu'à l'heure où César lui donnera sa dernière touche avant de l'intégrer dans de géniales manoeuvres. Ensuite, ce sera la stagnation et même une insidieuse sclérose due, notamment, au long cantonnement sur le Limes septentrional, une ligne Maginot à la romaine.

Pour aboutir à l'unité tactique, instrument de la manoeuvre, la manipule à double centurie, remarquable cadre d'engagement, sera conservée, mais la légion sera décomposée en dix unités intermédiaires, les cohortes, comptant chacune trois manipules, ce qui fait 60 centuries. Comme ces dernières sont censées être à effectif complet, la légion compte maintenant 6.000 fantassins et non 4.200 comme au III° siècle avant J.C. Marius, grand stratège, qui va en 103 avant J.-C., mener bataille contre les Teutons, près de la colonie d'Aquae Sextiae (Aix en Provence) passe pour être le promoteur des cohortes. C'est lui également qui démocratise l'armée en acceptant le service des prolétaires.

La légion va vers une autonomie complète. On lui attribue une unité de cavalerie chargée d'éclairer le terrain, 300 cavaliers d'abord, puis 600 lors des campagnes septentrionales. D'autre part, les vélites, ces fantassins très légèrement équipés, choisis parmi les bons coureurs à pied, naguère chargés du guet autour du camp de l'armée, seront affectés à la légion par petites unités. Leur rôle est de marcher sur les flancs de la troupe en mouvement, à une certaine distance, pour parer à toute surprise. Les hommes du génie, charpentiers, pontonniers, avec leurs outils et leurs auxiliaires, seront aussi affectés, par petits groupes, à la légion. Enfin, la baliste de campagne, qui a fait de grands progrès au dernier siècle avant notre ère, s'intègre dans les dispositifs de combat. La légion en reçoit une unité où le nombre d'engins est variable mais supérieur à 60.

Désormais autonome, la légion reprendra à son compte la bonne vieille coutume du camp. Il sera formé chaque soir et cerné d'une levée de terre garnie d'une palissade, constituée à l'aide du pieu réglementaire.

L'INFANTERIE ROMAINE

L'infanterie romaine a longtemps préservé les caractères spécifiques des hommes engagés. Les novices sont de règle affectés à la première ligne, mais il ne faut pas les confondre avec les hastats, terme dérivé de hast "la lance" et qui semble désigner les hommes de première ligne établis sur le merlon du camp. Choisis parmi les plus adroits ce sont eux qui sont chargés de lancer les javelots sur l'assaillant.

Les vétérans occupent la seconde ligne. Mais la tactique du coin, mise en oeuvre par les première et seconde lignes, est généralement confirmée par une unité d'élite comme la vieille garde napoléonienne. Enfin la troisième ligne où se trouvent les combattants les plus âgés est souvent cantonnée dans un rôle de spectateur ou d'ultime barrage, ce sont les triaires. Ils avaient fini par prendre des caractères essentiellement défensifs avec de grands boucliers pour bien se protéger et de longues lances en lieu et place de javelot. Ces dernières qui hérissaient la ligne de front lui permettaient également de protéger les ailes du dispositif contre les débordements de cavalerie. Ce sont eux également qui devaient absorber et protéger les premier et second rangs en cas de déroute. Ainsi, la décision s'obtenait presque toujours avec une fraction de l'armée, ce qui n'était pas rationnel.

Dans le cadre de la légion, l'engagement doit se faire toutes forces réunies et le fantassin devenir un pion uniforme et polyvalent. Les 6.000 hommes de la troupe, pareillement équipés, seront "broyés" au même entraînement intensif mais il faut préciser que l'armée romaine s'orientera de plus en plus vers une force de métier et les soldats sont en majorité dans la fourchette d'âge des 18/30 ans avec cependant un petit nombre de vétérans, plus âgés, destinés à structurer la centurie de l'intérieur.

Le même processus se retrouvera dans l'histoire des armées modernes. Après le grand désordre qui régnait dans les équipements des soldats de la Renaissance, la standardisation s'imposera, peu à peu, dans le sillage des bataillons suisses et des régiments français. C'est la diversité des armes blanches qui gênait le progrès tandis que les arquebusiers et les mousquetaires restaient des troupes distinctes. Le fusil d'infanterie donnera à l'armée son caractère homogène et le phénomène ira croissant jusqu'en 1914 où la Nation en armes se comptait en millions de baïonnettes, sous lesquelles toute différence d'âge et de caractère devait disparaître.

UNE CITE FORTE EN CAMPAGNE

A l'origine, le camp romain est celui de l'armée toute entière. Il sert de base d'opération et contient les équipages, les bagages et le ravitaillement. Là séjournent également les auxiliaires du génie avec parfois leur machine de guerre et l'administration politico-militaire avec scribes et parchemins sans oublier le trésor de guerre. Cet espace urbanisé comme une cité reçoit 80.000 hommes et plus et peut servir plusieurs mois, voire une saison. Les auxiliaires qui gèrent l'aménagement interne ont monté de nombreuses tentes de toile disposées selon un ordre conventionnel et très strict. Enfin, l'ensemble est entouré d'un fossé parfaitement construit dont les déblais forment une levée de terre garnie d'une palissade de pieux plantés dans le sol. L'ensemble formait ainsi une véritable ville fortifiée en campagne.

Les opérations seront naturellement conditionnées par cette base lourde et les engagements se feront après une longue concentration sur un champ de bataille qui se veut bien choisi de la part du défenseur. L'assaillant qui découvre le dispositif à affronter prend également tout son temps pour effectuer sa préparation. S'il échoue dans le choc frontal où les pertes sont toujours nombreuses, il aura beau jeu de saccager les arrières adverses. Le défenseur, quant à lui, sera incapable d'exploiter sa relative victoire retenu qu'il est par son dispositif essentiellement défensif.

Toutes les stratégies militaires échafaudées au cours de l'histoire furent confrontées à ce dilemme : articulation dans la lourdeur qui se veut puissante ou action rapide dans un appareil léger? La première option va des grands camps romains à la Ligne Maginot, la seconde sera illustrée des grandes marches de César au déferlement des Panzer Divisions qui vont précisément déborder la fameuse Ligne Maginot, en 1940.

Les esprits clairvoyants, en petit nombre, savent bien que l'action défensive n'a jamais emporté la décision mais la multitude aime à se persuader du contraire. L'histoire du camp romain reflète parfaitement ces tourments de l'esprit. Après les grandes masses en armes, manoeuvrant autour d'une ville militaire en campagne, la troupe s'organise en unités tactiques et la légion s'oriente vers une autonomie complète. Ce sera fait au temps de César et d'Auguste. Mais une fois l'empire assuré, la troupe s'installe dans un cadre confortable et l'armée se fixe progressivement dans les camps du limes septentrional. Enfin, triste déchéance, la fonction militaire longtemps révélatrice des valeurs nationales romaines, sera laissée à des mercenaires d'origine étrangère, baptisés citoyens romains pour l'occasion. Dès lors, l'échéance ne faisait aucun doute.

LE CAMP LEGIONNAIRE

A chaque étape, la légion organise son camp de manière quasi rituelle. Le soir, après la longue marche, en un lieu choisi pour le campement, et dont les abords ont été éclairés par la cavalerie et mis en surveillance par les velites, le légat, entouré de ses tribuns militaires, fait défiler les cohortes devant lui. C'est l'occasion de compter la troupe. A chaque cohorte, les porte-enseignes saluent et déclament leur numéro d'ordre. Malgré la fatigue de la journée, les légionnaires s'astreignent généralement au pas de parade, trompettes et caisses sourdes donnant la cadence.

Après avoir rendu les devoirs, les manipules se disposent en rectangle : trois et trois sur les côtés, deux et deux pour fermer le rectangle. Ensuite, la troupe se met sur six rangs et chaque légionnaire prend ses distances en mettant sa main sur l'épaule du prédécesseur; rituel toujours en vigueur aujourd'hui. Ensuite, chacun range armes et équipement sur une ligne intérieure et prend la pelle ou la pioche pour établir la levée de protection. L'ordre initial, en six rangs, donnera sur le rectangle de défense, toujours plus grand, environ cinq hommes par mètre linéaire. Ces valeurs qui ne sont jamais mesurées sont à prendre de manière approximative, mais les écarts sont faibles.

Dans l'heure de terrassement qui suit la mise en place, chaque homme doit manoeuvrer 3/4 de mètre cube de terre ce qui fait 4 mètres cubes au mètre linéaire. L'ouvrage forme alors un fossé profond de 6 à 7 pieds et une levée de 12 pieds de dénivellation, environ 3,50m. Au sommet de l'escarpe, la terre battue forme une allée de circulation de 10 pieds de large environ; c'est là que seront installées les palissades mobiles avec un léger décalage linéaire ou angulaire pour permettre le lancer du javelot. Les balistes sont placées à espace régulier sur le périmètre défensif et bénéficient d'un merlon plus large. L'ouvrage est achevé, les guetteurs peuvent s'installer sur le chemin de ronde et la troupe aller à la soupe et au repos.

Ceci est l'organisation théorique mais la réalisation n'est pas rigoureuse à l'excès, cependant le système est parfaitement pensé puisque dessin et périmètre sont donnés par la troupe dont le nombre peut varier. Ainsi la surface interne disponible par homme restera pratiquement constante. En outre, la surface estimée tient compte du train des équipages qui suit la légion en campagne. Mais il se limite au minimum, bagages et auxiliaires étant généralement laissés dans le camp précédent ou dans une position qui sert de pivot stratégique à l'armée.

Voyons les dimensions. Avec un camp de six rangs, les trois cohortes des grands côtés déploient leurs 1.800 hommes sur 300m environ et ceux-ci construisent leur levée de terre sur 330/340m. Deux cohortes d'extrémité, pareillement déployées, fourniront des distances de 200 à 220m, ce qui donnera un rectangle de 7ha utiles, soit 10 à 12 m² par homme. L'ensemble sera défendu par 5 combattants au mètre linéaire, 3 en position, 2 en force d'intervention, c'est le retranchement optimum, le meilleur rapport capacité de défense/confort d'installation.

Ce que nous venons de voir est le camp journalier; les camps d'hivernage sont plus grands, et mieux aménagés, avec plus de confort. Leur base de formation est de 3 rangs, ce qui donne 14 à 16 ha et une surface, par homme, voisine de 25m².

LES PLANS AU SOL

Le dessin camp est rarement rigoureux. Si une manipule doit s'aligner sur un terrain inégal, si elle est gênée par un talus ou un obstacle quelconque, elle peut modifier légèrement son alignement. D'autre part, la valeur des angles est estimée et non mesurée, ce qui donne parfois un léger gauchissement. Aux quatre coins, la disposition angulaire peut être comprise de diverses manières. Enfin, si le nombre de soldats n'est pas constant dans les cohortes, le rattrapage effectué n'est pas toujours rigoureux. Dernière remarque, une fois le rang rompu, seuls les faisceaux dressés à l'intérieur du rectangle de formation, témoignent du tracé et les terrassements qui commencent à une cinquantaine de pieds à l'extérieur peuvent se déplacer légèrement si le contrôle d'alignement n'est pas constant.

Les deux objectifs essentiels du système sont la rapidité d'implantation et une surface interne optimum pour le nombre d'hommes. Ce procédé peut fonctionner dans un environnement hostile. Pour la sécurité, il suffit de prélever un à deux rangs, de les porter à l'extérieur du chantier et de les installer derrière les palissades mobiles. Les secteurs de palissade, généralement de 4 pieds sont facilement portables par deux hommes. Ils seront ensuite rapatriés sur le merlon.

LES PORTES ET LA NASSE

Le camp militaire romain est desservi par deux voies majeures qui se croisent à angle droit et forment l'équivalent du cardeau et du decumanus. Les accès se font donc par quatre portes généralement flanquées de deux tours à baliste de trois étages. Les structures de ces tours maintiennent la porte de bois qui est sans doute très proche de celle aménagée dans les camps de cavalerie U.S du siècle dernier et popularisée par le cinéma. A ces 8 tours il faut ajouter les 4 situées aux angles ainsi que 8 autres en intermédiaire. Nous avons donc 20 tours à 3 niveaux pour les 60 balistes qui semblent constituer la dotation réglementaire. Ces portes conventionnelles conviennent aux camps établis en territoires bien contrôlés ou lors des hivernages. Au contact d'un adversaire agressif ou dans un dispositif d'investissement, (la circonvallation) il faut pouvoir sortir en force et en ordre de bataille, ce sera l'objet de la nasse.


CHANTURGUE - LA NASSE

En campagne, le camp de la Légion est largement éclairé par la cavalerie et tout mouvement de troupe hostile identifié longtemps à l'avance. L'unité a donc tout loisir de sortir de l'enceinte afin de préparer son engagement. Par contre, lors de l'investissement d'une cité, les troupes adverses sont nombreuses et proches et les temps de réaction accordés à la Légion deviennent très courts. Il faut pouvoir rapatrier, en toute urgence, des troupes malmenées et lancer tout aussi rapidement une contre-attaque de dégagement. Enfin, lors d'une attaque en règle, il faudra sortir très vite pour bénéficier, au maximum, de l'effet de surprise. A ces opérations amples et rapides, la porte traditionnelle ne convient plus, la solution, c'est la nasse, vaste ouverture indirecte dont les abords sont bien protégés. La protection avancée est confiée à une défense en arc de cercle (A) tandis que l'accès au camp forme un quart de cercle (B) sous contrôle des défenses internes (C). L'ouverture latérale est gardée par une ligne de troupe (D) en charge des faisceaux ou chevaux de frise (E). Cette ligne doit pouvoir manouvrer en rotation (F) pour dégager le passage des manipules. L'ensemble de Chanturgue correspond à des valeurs nominales de 120 pieds et c'est l'une des plus grandes connues. Lors d'une attaque programmée, les cohortes se rangent sur rangs de 20 et profondeur de 30 avec des espacements suffisants pour partir au pas léger et passer rapidement au pas de gymnastique. Bien menés par les princes et contrôlés par des serre-files, les 600 hommes peuvent parcourir les 100 à 120m qui les séparent de l'espace libre en moins de 50". Avec un espacement de 20 à 30 pieds entre chaque manipule, l'ensemble de la Légion peut se trouver en dispositif d'attaque en moins de 4'. A Chanturgue, il fallait parcourir 1200m pour arriver au pied de l'oppidum des Côtes.

C'est un dispositif complexe et très élaboré qui fut bien étudié sur les camps d'investissements de Massada mais également par P. Eychart au camp de Chanturgue et c'est l'un des arguments majeurs en faveur de sa thèse qui place Gergovie sur les côtes de Clermont. La nasse de Chanturgue est à base de 120 pieds (36m). L'ouverture dans le merlon donne sur une défense en quart de cercle et l'accès perpendiculaire est temporairement fermé de plusieurs rangs de faisceaux doublés de palissades mobiles. Cet ensemble sera dégagé le moment venu. Enfin, à 120 pieds en avant du merlon, nous trouvons une défense en secteur d'arc chargée de protéger les flancs des manipules sortantes. Une fois quittée cette protection externe, l'unité est en ordre de bataille.

La base de 120 pieds permet aux manipules d'aborder la nasse en rang sur 20 pour s'engager ensuite après 1/4 de tour à droite pour la première et 1/4 de tour à gauche pour la seconde. Au pas léger, pas intermédiaire entre le cadencé et celui de gymnastique, une cohorte sur rang de 20 et 30 de profondeur peut sortir du camp et s'engager en moins de 60 secondes. La nasse permet également la rentrée rapide d'une unité mise en difficulté à l'extérieur du camp.

LES PIEUX

La légion romaine, unité tactique par excellence, doit préserver son extrême mobilité et son indépendance d'action. Si les pieux qui forment la palissade autour du camp sont un atout tactique d'importance, ils ne doivent pas gêner la manœuvre stratégique qui est primordiale. Il faut les récupérer chaque matin, mais les charger sur des mulets ou les confier au train des équipages handicaperait le futur développement. Chaque soldat doit donc emporter son lot de pieux et cet outil de protection connaîtra une longue mise au point avant d'acquérir ses caractères optimum.

Très nombreux sont les auteurs contemporains qui ont parlé des palissades établies au sommet du merlon qui ceinture le camp, mais rares sont ceux qui les ont dessinées. Toutes les représentations, ou presque, donnent les pieux jointifs et plantés dans le sol mais bien peu se préoccupent de leur destinée dans la marche du lendemain.


LES PIEUX

Le pieu est un remarquable instrument, mais le confier à des animaux de bât au sein du train des équipages, soumet tous les mouvements de l'unité aux destinées de ce bagage. Porté par le légionnaire, par contre, c'est une charge importante mais un atout tactique remarquable. Ce sera le choix des légions, aux grandes heures des guerres de mouvement qui vont assurer la conquête de l'occident. Longs de plus de 1m 50, en bois dur et sec, souvent du frêne, ils sont assemblés en panneaux par des baguettes enfilées à leurs extrémités (A1 et A2). La mise en tension se fait avec la corde (A3) bloquée par le coin (A4). Ces panneaux de quatre pieds environ sont ensuite plantés au sol par des pieux retournés (C1) et contreventés par des pieux développés (C2), eux-mêmes maintenus en position par deux autres disposés horizontalement (C3). Ces palissades sont plantées au sommet du merlon (B1.2.3) avec un décalage permettant un lancer tangentiel du javelot sur l'assaillant. La figure B représente sur une grille métrique le volume de terre déplacé pour former la défense, le double fossé étant généralement réservé au dispositif permanent. Les pieux ont une base percée pour recevoir une pique (A5). Ainsi équipés, ils seront plantés dans le sol pour former des faisceaux (D) assemblés à l'aide d'une corde passée dans les trous du centre, voir (A3). Les fermetures mobiles des nasses sont également constituées de faisceaux de ce genre. Si le pieu est une charge non négligeable pour le légionnaire, c'est par contre un instrument très polyvalent. Nous l'avons également imaginé faisant office de bardage sur les tours à baliste transportables. Il aura aussi un rôle important dans la standardisation de l'équipement du légionnaire. Longtemps, les soldats de la troisième ligne de bataille étaient traditionnellement porteurs de lances. Placées sur l'épaule de l'homme du premier rang et maintenues du pied par celui du second rang, elles formaient obstacle aux charges de cavalerie. La tactique était exploitée pour la protection des flancs mais également pour fournir une ligne de repli en cas de recul désordonné des forces de première et seconde ligne, mais ces hommes de troisième ligne ne prenaient aucun rôle dans l'action. C'était un handicap. Avec le pieu emmanché d'un javelot, tout légionnaire peut se confectionner une lance et assurer la troisième ligne tout en restant disponible pour les opérations offensives. Dans les assauts, les hommes qui participent à l'action en coin laissent naturellement leurs bottes de pieux aux lignes arrières.

Il faut attendre la fin du XIX° et les travaux de Schulten, archéologue allemand travaillant sur le site de Numance, pour que soit mis en évidence l'exploitation de ces pieux. Le légionnaire les porte, non pour une mise en oeuvre particulière, mais en permanence; il en porte cinq et les hommes de E. Scipion vont en porter sept; c'est une punition pour ces soldats qui se sont fait "étriller" quatre fois par les Numantins. "Vous avez refusé de vous couvrir de sang et de gloire, vous serez couverts de sueur et de boue" leur a promis leur chef en les soumettant à un très dur entraînement d'hiver.

Ces pieux, d'une longueur voisine de six pieds, sont probablement ronds, du moins chacun les imagine ainsi, mais une section carrée s'ajusterait mieux tout en étant dépourvue de points faibles. Nous les avons imaginés de section ronde, mais avec un méplat pour l'assemblage. Ils seront montés par panneaux à l'aide de deux baguettes emmanchées dans des perçages, haut et bas tandis que la mise en tension est assurée par une corde glissée dans un trou central. Ces palissades obtenues avec différentes combinaisons de pieux peuvent être fichées dans le sol et maintenues obliques à l'aide d'un contreventement; l'ensemble sera déplacé par deux hommes sans difficulté.

DES APTITUDES POLYVALENTES

L'armée romaine qui manque toujours de cavalerie dans ses campagnes septentrionales, semble avoir abandonné la tactique des lignes et des carrés de lance de vieille tradition, mais les pieux constituent un excellent palliatif. Avec trois pieux liés en partie centrale, on peut former un faisceau dont une pointe sera dressée vers l'assaillant. Nous retrouvons dans des fouilles de cantonnement ou sur les sites de bataille, des pointes de métal de 25 à 30cm de long qui sont considérées comme des dards à installer au fond d'un piège. Je les vois aussi destinées à fixer un faisceau au sol, les pieux étant alors plantés à l'aide de cette pointe mobile emmanchée à leur base. Ces faisceaux, disposés en nombre devant la ligne de front, et couverts par le tir des balistes, doivent représenter un obstacle quasi insurmontable pour une charge de cavalerie.

Lorsqu'une petite unité est surprise isolément par des cavaliers adverses, ces pieux, emmanchés bout à bout par leur base, peuvent constituer des lances qui vont hérisser le carré d'infanterie. Les pointes en bois, déjà bien suffisantes, sont parfois renforcées de fer emmanché en coiffe. Retrouvée isolément, cette pointe ne se distingue guère d'un autre fer de lance. Enfin, il est possible de fixer le javelot réglementaire au bout d'un pieu pour former une lance de 3,30m environ. C'est la raison des bois de javelot à deux sections, la plus grosse située à la base et percée, permet l'emmanchement. Aux Ier et II°s. de notre ère, les soldats romains de Germanie, qui ne doivent plus porter de pieux, apprennent à constituer "la tortue" pour se protéger des charges de cavalerie.

LES BALISTES

Les premiers engins de jet, avec arc de bois, disposé horizontalement, furent utilisés sur des navires de guerre. C'étaient de grosses machines destinées à lancer des brûlots montés sur un grappin qui devait se fixer dans les voiles de l'adversaire. Ces projectiles doivent dépasser l'avant du lanceur pour être enflammés avant le départ. Ils sont donc lourds, plusieurs kilos, ce qui convient bien avec l'aptitude des arcs de bois dont la force peut être considérable mais la vitesse de ressource inversement proportionnelle.

Avec un arc de bois de 4m d'envergure, tendu à 300kg sur 1,50m à l'aide d'un treuil, on peut espérer lancer une tige de bois emmanchée d'un grappin, de 2kg environ, à une vitesse de 25 à 30m seconde et sur une distance de 100m et plus; c'est suffisant dans les conditions d'une bataille navale antique.

L'arbalète, avec un arc de bois, bien connue des romains, ne donne que de médiocres résultats; elle peut être puissante mais toujours à faible vitesse de ressource, et les combattants lui préfèreront l'arc, dont les branches plus longues, assurent des vitesses initiales nettement supérieures. Pour vaincre cet handicap, sans augmenter la longueur des branches, il faut multiplier le développement. Nos contemporains viennent de faire cette découverte avec l'arc à poulie.


LES BALISTES

La baliste romaine est un engin redoutable. Elle est constituée de deux gros madriers (A1,A2) emmanchés sur le fût (A3) qui sont mis en tension par des tresses de corde (A4) maintenues par des coins (A5) et actionnées par les branches de l'arc (A6). Une fois mise en tension par le treuil (A7), à l'aide d'élingues à crochets (A8), la corde de l'arc vient se fixer derrière les gâchettes (B1) qui sont maintenues en position haute par le crochet de détente (B2). On introduit alors le trait (B3) sous la bride (B4). Il suffit ensuite de mettre la gâchette en tension à l'aide d'un ressort à lame de bois (B5) bandé par la came (B6). L'engin est prêt à fonctionner. Le tireur ajuste sa cible à l'aide de la poignée (B7) et peut presser la tige de détente pour libérer la gâchette. La combinaison gâchette et détente a pour but de libérer la corde quasi instantanément. Le système que nous proposons est le plus classique et semble avoir traversé les âges. Nous devons sa préservation aux byzantins et aux suisses (Guillaume Tell). Richard Coeur de Lion fut tué d'un trait d'arbalète au siège de Châlus, en 1199. Moins puissante que l'arc, mais beaucoup plus précise, l'arbalète de bois sera choisie par les chasseurs et négligée par les militaires. Les cotes données correspondent à un engin de campagne de taille moyenne. La tension dynamométrique: 160/180kg, peut varier selon l'hygrométrie mais sera rattrapée à l'aide des coins. L'engin est mis en batterie sur un pied (C) porté par quatre hommes sur une barre transversale (C1). En position de tir le pied est maintenu au sol par la barre qui s'appuie alors sur les étriers de cuir (C2), et les porteurs accroupis derrière leur bouclier s'assoient sur cette barre pour immobiliser le pied. La baliste, engin remarquable, ne changera guère dans son concept, par contre, le système d'armement évoluera afin d'augmenter la cadence de tir. Au traditionnel treuil de charretier, représenté sur le dessin et qui limite la cadence de tir à 4 coups minute environ, succède un treuil à manivelle, toujours en bois, qui permet à l'engin d'atteindre 6 coups minute. Avec deux rameneurs à contrepoids, fonctionnant sur des glissières latérales, la cadence augmente encore, 7 à 8 coups minute, mais la fiabilité du treuil en bois a ses limites. Il sera alors remplacé par un axe de fer forgé sur bague de bronze mais ce sont les cordes des rameneurs qui fatiguent à l'extrême. Elles seront finalement remplacées par des chaînes Gall commandées par un engrenage. La conception des mécanismes doit limiter l'action sur chaque manivelle à 10 kg environ.


Les romains avaient adopté un tout autre système. Sur la baliste de campagne, l'énergie est fournie par deux grosses pièces de bois perpendiculaires qui sont bandées à l'aide de cordes tressées, mises en oeuvre par la branche de l'arc. La réaction des madriers est puissante et lente mais l'action se trouve multipliée par le déploiement des deux branches qui, reliées à la corde, propulsent le trait à grande vitesse sur la glissière.

Ces engins ont des capacités surprenantes. Avec des bois bien choisis, les vitesses initiales obtenues avec un trait de 60 à 80g peuvent atteindre 80-90m/s. Sans entrer dans les données balistiques complexes, disons que ce trait peut percer un bouclier et tuer ou blesser grièvement un combattant à 150m, et la précision de l'engin est suffisante pour qu'un tireur entraîné place tous ses projectiles dans le volume de la ligne adverse.

Servies par deux hommes et mises en batterie par quatre autres, ces balistes peuvent tirer 4 à 6 traits à la minute. Cette cadence de tir est faible et c'est un handicap. A Saalburg, les archéologues allemands ont retrouvé des éléments de baliste dont le treuil arrière avait été remplacé par un engrenage actionnant une chaîne Gall (chaîne de vélo), pour augmenter la cadence de tir.

Ces engins eurent une influence considérable sur la tactique du temps. César rapporte plusieurs fois que le premier rang adverse avait été décimé par les traits. Si nous l'interprétons de manière objective, cela veut dire que les balistes avaient mis hors de combat 10% de la ligne de bataille adverse, soit 3 à 4.000 combattants; pour ce faire, il fallait lancer 10 à 12.000 traits dans des rangs qui ont tendance à se disperser, ce qui implique 100 balistes à 120 traits chacune, en moins de 30 minutes.

Les cadences de tir estimées sont les suivante: 3 à 4 coups minute avec un treuil de charretier, 5 à 6 coups minute avec un treuil à manivelle mécanique et une béquille de positionnement et plus de 8 coups minute avec une chaîne métallique et un rameneur avec contre poids.

TOURS A BALISTES

Les servants d'une baliste installée sur un merlon manquent de visibilité et les espaces réservés de 4 à 5m qui représentent 25% de la courtine constituent autant de points faibles lors de l'engagement final. Aussi est-il plus judicieux de les installer en tour et sur trois niveaux. Cependant, si l'image de cette tour est admise, les dessins proposés sont très divers et parfois fantaisistes. Nous allons donc tenter de cerner le problème au plus près. Voyons d'abord la taille probable.

Avec un ensemble tronc conique, établi sur une base de 4 X 4m, nous obtenons des surfaces internes de 12 à 14m2 et c'est amplement suffisant pour le service d'une baliste par 4 ou 6 hommes. En hauteur, 2,50m pour la garde au sol nous paraissent convenables, 2,50m pour chacun des niveaux intermédiaires également enfin, nous choisirons 2,20m sous couverture. Nous obtenons ainsi des volumes utiles hauts de plus de 2,30m donc amplement suffisants pour le libre mouvement des servants qui s'activent autour de l'engin. La hauteur totale est donc voisine de 10m.


TOURS A BALISTES

Ce volume défini nous pouvons aborder le problème de la construction. Ces tours étaient-elles réalisées avec des bois trouvés sur place ou bien savamment conçues pour être démontées, déplacées et remontées à chaque changement de position? Cette dernière hypothèse semble parfaitement convenable, voyons le poids des bois nécessaires.

Il y a un demi siècle, les échafaudages en sapine ligaturés avec des longes étaient de règle sur tous les chantiers. Ces ensembles légers et de bonne tenue étaient très rapidement montés. Je me souviens avoir vu trois hommes échafauder en 7 à 8 heures un clocher de 24m de haut sur 7m x 7m à la base. Ce rythme de travail nous permet donc d'estimer qu'une équipe de 12 hommes, deux monteurs et un passeur par face puisse installer une tour à baliste telle que nous l'avons imaginée en moins de 2 heures. Nous avons là un critère de rapidité, il nous reste à concevoir la tour en question.

L'ossature est formée de 4 montants reliés par des cadres et contreventements, chacun des niveaux est doté d'un plancher et le bardage externe sera fait de pieux réglementaires prémontés par une équipe distincte. La charge sur chaque plateau constituée d'une baliste et de six servants est de 650 à 700 kg, ce qui fait 2.000 kg pour les 3 niveaux et 3.000 pour l'ensemble monté et mis en service. Nous avons donc une charge de 800 kg par pied. Comme la terre la plus meuble tient à 0,5 kg cm2, il suffit de poser chacun d'eux sur un carré de base de 0,40 X 0,40m pour assurer convenablement structures et charges. Dans notre construction, l'arrachement au vent demeure le plus grand risque. Il faudra dans ce cas assurer les bases avec des sacs de terre.

Cet engin démontable est facilement transportable. La majorité des bois est d'une longueur inférieure à 4,20m, seuls les 4 montants font 10m, mais ils peuvent être réalisés en 2 éléments de 5,60m. Ces 4 montants totalisent 220 kg, les 130m d'entretoise et de contreventement 400 kg, les planchers, les échelles et la couverture 180 kg environ. La tour démontée représente donc un ensemble fractionnable de 850 kg environ qui peut être porté par 20 hommes munis de jougs bien étudiés. En conclusion, les 20 tours nécessaires au camp légionnaire seront montées en moins de 2 heures, démontées en 1 et transportées par 400 auxiliaires. Notre hypothèse est donc raisonnable.

Toute organisation, même remarquable, qui concourt à la bonne installation d'une troupe et développe sa sécurité et ses aptitudes à la défense, peut nuire à la volonté de mouvement et à la réussite stratégique. Ainsi les tours à baliste démontables que nous avons imaginées peuvent suivre la légion dans son mouvement. C'est une bonne sécurité, mais dans un territoire bien "éclairé" il n'est pas toujours nécessaire de les installer. D'autre part, si le camp doit être laissé à la garde d'une petite unité en pays relativement hostile, les charpentiers auront tout loisir de construire des tours avec des matériaux trouvés sur place et ce sera sans doute un ensemble plus lourd, mais de même volume.


LE COIN

Comme le politique voit dans le militaire capable un tyran potentiel, le Senat romain confiait généralement la menée des opérations à des hommes sans envergure. Ainsi les centurions, comptables de leurs effectifs vont imaginer un mode d'engagement tactique capable de suppléer aux carences stratégiques de leurs supérieurs. Après le mythe du fier à bras qui tente de mener l'action avec panache il fallait former une troupe homogène et disciplinée, comme l'avaient fait les spartiates et les macédoniens d'Alexandre, mais surtout standardiser les équipements afin qu'ils puissent répondre aux besoins de l'action de groupe. La première ligne doit attaquer en front compact, à boucliers jointifs, ils deviennent donc rectangulaires et dans ces conditions, seul le glaive court est efficace. La seule arme de jet admise sera un lourd javelot, le pilum, généralement utilisé en tir de préparation juste avant l'assaut. Après l'engagement frontal, (un combat singulier multiplié à l'échelle d'une ligne de front), tactique naïve et toujours coûteuse, les centurions vont imaginer des actions de groupe, destinées à bousculer le dispositif adverse, ce sera le coin. D'abord improvisé (A), pour mettre à profit un flottement constaté dans les lignes ennemies, il sera mené par deux centuries du premier rang marchant de concert. La première menant l'action à bonne mains, (A1) la seconde assurant sa protection à boucliers jointifs sur son flanc droit (A2). Ces actions n'ont pas toujours l'énergie suffisante pour obtenir la décision mais, répétées à un rythme soutenu, elles finiront par disloquer la ligne adverse. Il faut donc améliorer la tactique, ce sera le coin méthodique (B). Sur une ligne où les manipules sont établies en quinconce (B1-B2), l'une d'elle fait une volte-face (B3) et part à l'assaut. L'action des premiers assaillants (B4) sera systématiquement préparée par des lancers de javelots (B5). Cette manipule qui forme la pointe du coin, doit être flanquée dans sa progression par les unités voisines (B6,B7). Cependant, faute d'une structure en profondeur, cette action va s'essouffler rapidement. En outre, les unités de flanquement voient leur densité se réduire au fur et à mesure de la progression; il faut envisager une combinaison plus vaste.


LE COIN 2

L'initiative acquiert la supériorité en un point et obtient toujours quelques résultats, mais il faut poursuivre si non, l'adversaire colmate la brèche. Pour obtenir une percée profonde et décisive, il faut constituer une force d'assaut (A1) soutenue par un corps d'exploitation (A2), tous deux insérés dans la ligne de bataille. Pour augmenter les chances de l'action principale, il est intéressant de préparer son effet de surprise par une diversion confiée à la force (A3). A l'heure H, les unités 7 et 8 s'écarteront pour laisser place à l'action de diversion et, dès que le dispositif adverse commence à réagir, le corps de bataille (A1) partira à l'assaut flanqué des unités 3-4 et 5-6. Au cours de la percée, le coin proprement dit (B1) progresse derrière une préparation intense de lancers de javelots. Les flancs s'étirent et les corps de seconde ligne, 12 et 13, viennent s'intercaler dans la première ligne pour maintenir la densité requise. Le corps d'exploitation (A2) se prépare à entrer en action pour faire éclater le dispositif adverse. Une fois la percée acquise, il faut pousser l'avantage. Les corps d'assaut et d'exploitation (A1 et A2) se rabattent sur les arrières de la ligne adverse, tandis que le corps de diversion achève la fragmentation de l'aile opposée, avant d'entamer la poursuite des fuyards. Dans ces manoeuvres, les 2ème et 3ème lignes doivent agir vigoureusement pour maintenir la pression, à charge pour elle de lancer des actions ponctuelles dans le dos des poches de résistance qui tenteraient des sorties en force. Enfoncer un coin dans la ligne adverse n'assure pas nécessairement la victoire mais l'action permet de prendre l'initiative des manoeuvres et toutes les forces adverses qui demeurent statiques n'auront aucun poids dans l'issue finale. Bien exploitée en profondeur, la percée du coin qui n'implique que 20% des forces engagées peut mettre en repli, puis en retraite, les 80% de l'armée adverse. Il est rare qu'une troupe bousculée en son centre puisse reprendre l'initiative mais ce fut fait à la bataille de Canne, par Hannibal. La découverte des phénomènes stratégiques va inciter l'armée romaine à se décomposer en unités tactiques afin d'éviter les grands engagements frontaux parfois risqués et toujours coûteux en hommes. D'autre part, la cohésion des dix cohortes et leur aptitude à la manouvre permet les réactions les plus promptes et les plus efficaces en cas de désordre dans la ligne de bataille. Mais pour cela il faut un chef bon stratège, ce que le Sénat romain aura beaucoup de difficultés à admettre.


LA LEGION
LA LEGION 2

L'organisation de la légion doit lui permettre de réaliser les dispositifs les plus divers, avec promptitude. Les figures développées seront nombreuses et nous en retiendrons trois. L'ordre de marche, d'abord. Derrière sa cavalerie, la légion marche en cohorte forte de 600 hommes chacune. La première forme avant-garde (A1) et doit se tenir à vue de l'unité de commandement avant (A2). Vient ensuite un corps de quatre cohortes (A3), puis l'ensemble du train des équipages (A4). Suivent quatre autres cohortes (A5) puis l'unité de commandement arrière (A6). La marche est fermée par une arrière-garde (A7) qui doit rester à vue de l'unité de commandement. Chaque fois que le terrain le permet, les cohortes choisissent l'ordre de marche optimum sur cinq rangs, chacune se développe alors sur 125/130m environ, ce qui fait 500m de long pour les corps avant et arrière. Au centre, le train des équipages doit se maintenir sur une distance égale. Ceci fait environ 1.500m de développement pour le gros de la troupe et 2.500m pour l'ensemble de la colonne. Il y a moins de 1.800m entre les deux postes de commandement, ce qui correspond au temps de galop d'un cheval et moins de 2 minutes pour la transmission d'un ordre ou 4 minutes pour qu'un groupe d'estafettes à cheval distribue des directives précises aux cohortes. Mais, en cas de surprise sur les flancs, un mécanisme préétabli peut s'enclencher sur un simple signal de trompettes. Dans cette mise en défense rapide, trois des quatre cohortes arrières (B1) vont se déployer sur le côté du train, au pas de "gymnastique". Les trois cohortes avant, (B2) feront de même sur l'autre flanc. Il reste donc, à l'avant et à l'arrière, deux cohortes (B3 et B4) qui doivent protéger le repli des avants et arrières-gardes. En fin de manouvre, les deux flancs à trois cohortes (B5 et B6) vont s'écarter pour laisser place aux unités avant et arrière qui viendront fermer le rectangle. Ce dispositif de mise en défense rapide peut être mis en place 6 à 8 minutes après le signal d'alarme. En cas de sortie en force, ce dispositif se resserre. Quatre cohortes en dégradé formeront le fer de lance, deux fois deux cohortes protégeront les flancs et les deux dernières fermeront la marche. L'engagement, dans le cadre d'un dispositif de bataille, peut prendre des formes les plus diverses. Nous avons choisi un dispositif classique à deux lignes (C) avec deux unités de réserve (C1-C2) pour des actions ou contre-attaques partielles.


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Après le grand camp établi pour l'ensemble de l'armée, véritable ville militaire en campagne qui devait affirmer l'emprise de l'armée romaine sur le terrain et servir de base de manouvre pour les opérations, voire pour une bataille, vient le temps du camp légionnaire. Il est directement issu de la disposition prise par les dix cohortes dans la mise en défense rapide (la légion en opération). Primitivement conçu pour assurer la sécurité d'une unité mise en difficulté, il deviendra de règle journalière en pays hostile. Mais en bonne stratégie il n'est qu'un pion posé sur l'échiquier et la décision doit nécessairement s'obtenir dans une bataille offensive visant à détruire les forces adverses. Il n'existe pas de victoire défensive, ce n'est qu'un répit qui se termine généralement par un réveil amer. Dans le retranchement, les cohortes semblent se mettre sur six rangs ce qui donne un rectangle de 220 x 340m à la mise en rang. Ce sera ensuite l'espace disponible à l'intérieur du merlon. Nous trouvons ainsi 7ha ce qui donne 12 m² par homme de ligne et 9 m² avec les auxiliaires. En condition d'hivernage, le dispositif place les cohortes sur 4 rangs, ce qui donne un rectangle de 320 x 460m et l'espace disponible par homme de ligne passe à 25 m², ou 15 à 18 m² avec les auxiliaires. Ce sont là, bien entendu, des surfaces obtenues à effectif complet, ce qui est rarement le cas. Le petit camp de Saalburg offre une surface utile de 6.000m², c'est le retranchement d'une cohorte (10 m² par homme) ou d'une manipule avec 30m² par homme. Le deuxième, par contre, construit en dur, est devenu un casernement permanent et correspond à une cohorte très confortablement installée avec 50m² par homme; c'est sensiblement la densité que nous retrouverons dans le grand camp de Bonn qui occupe 20ha, soit 40m² par homme.


Le camp de Folleville
Le camp de Folleville 2

Le camp de Folleville, en Picardie, découvert par R. AGACHE, offre une surface utile de 350 x 400m, ce qui représente 14ha. C'est la surface d'une position saisonnière ou hivernale, à 25m² par fantassin, et le double fossé qui l'entoure confirme ce caractère. Les accès sont toujours visibles (B,E), les branchia et les enclos annexes, sont également identifiés (C.D.G.H.K). Folleville constitue une disposition exemplaire qui illustre parfaitement les développements théoriques que nous venons de mener mais souvent les difficultés du terrain et des impératifs militaires particuliers commandent une autre disposition, c'est le cas notamment à Liercourt-Hérondelle. Ce camp romain, également identifié et relevé par R. AGACHE, vient flanquer un grand oppidum d'origine celtique comme pour surveiller sans l'occuper un lieu de haute signification politique et militaire. L'implantation paraît plus légère. La majorité du périmètre ne comporte qu'un seul fossé et la double protection n'est établie que sur deux secteurs partiels, comme si la légion avait du lever le camp avant d'avoir achevé son installation. Cependant, la surface disponible, 16 à 17ha, correspond bien à une implantation saisonnière.(Les Travaux Militaires en Gaule Romaine)


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Depuis les fouilles très rapidement menées à l'instigation de Napoléon III, c'est l'ancien plateau de Merdogne qui est admis comme site de Gergovie; il a même changé de nom à cet effet, mais bon nombre d'érudits locaux défendaient déjà l'hypothèse des côtes de Clermont et celle-ci vient d'être reprise avec de très bons arguments par P. Eychart. Dans ce cas, le petit oppidum celtique de Chanturgue qui défendait les abords est du site des Côtes devint, pour 10 ou 15 jours, le camp de la 13ème légion de T. Sextius et dut servir de base d'assaut pour l'attaque. Parmi les arguments très généraux à l'appui de cette thèse, citons l'identification (très probable) du grand camp avec Montferrand qui sera ensuite confirmé par la voie romaine nord-sud venant de Riom. Mais sur le site même nous trouvons un autre argument de poids: la nasse de 120 pieds de base (A) qui fait face à l'oppidum des Côtes. Ce plateau de 10ha environ fut sans doute âprement défendu par les combattants Arvernes mais les Romains vont s'y implanter et sur une courte période tenteront de donner quelques caractères rationnels à ce qui n'était qu'un champ de décombres. La ligne de défense externe sera maintenue sur les crêtes déjà aménagées (B). Une via principalis (C) est tracée au centre du plateau et justifie un ensemble bien coordonné (D) et un autre qui ne l'est pas (E). La zone (F) reçoit des cantonnements très sommaires tandis que la zone ouest, qui fait face à la position Arvernes, sera laissée en l'état. C'est là qu'est aménagée la nasse (G). Si une petite agglomération gauloise subsistait au centre du plateau, ses ruines fournirent sans doute les matériaux pour les aménagements du camp.



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En Germanie, la frontière administrative de l'empire correspondait au cours du Rhin, mais la ligne de défense s'est portée bien en avant du fleuve. Au niveau de Saalburg, la distance qui sépare les garnisons est de 10km en moyenne et la cohorte établie dans le grand camp nous donne un garde tous les 15m. C'est plus un "cordon douanier" qu'une véritable défense. D'autre part, si nous considérons la cinquantaine de camps établis de Koblenz à Lorch, nous aurions cinq légions, c'est beaucoup plus que le nombre fourni par les textes. La garde de ces camps était donc affectée à des auxiliaires et la légion n'était qu'une force d'intervention dans le dispositif.


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Sur le premier siècle qui suit la conquête des Gaules, la limite de juridiction fixée par l'Empire semble liée à l'obstacle naturel que constitue le Rhin. Les terres situées à l'est forment alors une marche militaire où les Germains demeurent maîtres de leurs affaires civiles mais en alliance étroite avec Rome. C'est le caractère d'un protectorat. Vers les années 50 de notre ère, les populations franconiennes et souabes établies sur une profondeur de 50 à 100 km au-delà du fleuve se jugent suffisamment romanisées et développées économiquement pour craindre les incursions venues de l'est. L'Empire confirme leur intégration par une ligne de surveillance dont la garde est sans doute confiée à des auxiliaires locaux. La frontière est alors marquée d'une palissade continue doublée d'une large allée de circulation pour les patrouilles à pied et à cheval. Les fantassins séjournent dans des tours de bois établies à espaces réguliers, c'est une défense de caractère autochtone. Ces vigiles s'organisent et construisent des camps de séjour. Celui de Saalburg semble avoir été réalisé vers 80/83. Il a été conçu à la romaine et traité selon le mode local. Ses dimensions hors palissade sont de 80 x 84m et la surface interne voisine de 6.000m² représentait un cantonnement confortable pour une manipule mais pouvait également servir de base de repos à 600 hommes, par roulement, soit l'équivalent d'une cohorte. Dans ce cas, la surface disponible a effectif complet n'était que de 10m² par soldat. Les cavaliers chargés des patrouilles avaient également leur cantonnement retrouvé à proximité. Le mur d'enceinte constitué d'une double rangée de rondins jointifs retenus par des boutisses (A) était garni de terre. C'était un murus germanicus épais de 3,50m et haut de 5m environ. Il était ponctué de 9 tours d'une base de 4,50m au carré. Leur hauteur, ainsi que leur traitement, nous sont inconnus. Les archéologues allemands les ont imaginées massives en porte-guérite (B), mais cette restitution n'est pas certaine. La protection externe était assurée par un double fossé (C) garni de pièges acérés. Ce camp de bois et de terre va durer un demi-siècle environ. Les travaux du grand camp commenceront vers 125 après J-C.


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Avec le temps, les vigiles chargés de la surveillance au-delà du Rhin vont sans doute demander le statut et les avantages du légionnaire. Ils deviennent ainsi des troupes régulières mais liées à leur fonction et sans aucune aptitude stratégique. Ces hommes vont également demander des cantonnements plus confortables, en dur. A Saalburg ce sera fait vers 130. La nouvelle installation, beaucoup plus vaste, 125 x 220m à l'intérieur du mur, représente une surface utile de 32.000m² environ, soit le cantonnement (très large) pour une cohorte en installation permanente, ou deux cohortes en repos par roulement, ce qui paraît plus plausible. L'ensemble est cerné d'un mur de pierres sur base de 4 pieds et d'une hauteur de 16 à 20 pieds. La porte principale (A) encadrée de deux tours rectangulaires en pierres est à double voie pour le croisement des chariots. Les trois portes secondaires (B,C,D) sont, elles, à accès unique, mais également encadrées de tours rectangulaires en maçonnerie. Aujourd'hui, le grand camp de Saalburg est entièrement reconstruit et nous sommes soumis à l'esprit des archéologues allemands. Ils ont imaginé le mur d'enceinte tel une courtine à la mode méditerranéenne mais nous ne pouvons écarter l'hypothèse d'un aménagement avec des hourds en bois couverts de tuiles. Au centre du camp, nous trouvons les bâtiments administratifs (E). Ils sont en dur et relativement vastes. Le responsable de garnison devait sans doute traiter de problèmes civils. Les fouilles ont également dégagé des entrepôts (F) et des cantonnements (G) constitués de baraques en bois sur base en dur. Elles ont également dégagé un four de boulanger et un petit bain de 5 x 18m au sol. Nous avons là tous les caractères d'un casernement et nous sommes très loin du premier camp de campagne. Les fouilles ont également mis à jour ce que nous allons considérer comme le parc aux chevaux (H) pour 120 bêtes environ, ainsi que la garnison des cavaliers (J) mais ici l'enclos primitif sera couvert par un cantonnement en dur (K).


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La victoire obtenue par Arminius, ancien soldat romain, en l'an 9 de notre ère sur les légions de Varus, semble sonner le glas de la présence romaine au-delà du Rhin, en Germanie septentrionale. Par contre, au sud, en Franconie, et en pays souabe, les choses se passent de meilleure manière. La frontière chargée de relier les obstacles naturels que sont le Rhin et le Danube, progresse régulièrement en terre Germanique pour s'installer finalement à 25km à l'est du Neckar.
A l'origine, la frontière est marquée d'une simple palissade (A). Elle est doublée d'une allée de circulation pour les patrouilles et des tours de guet s'élèvent à distance régulière. D'abord en bois, ces dernières seront ensuite construites en pierre pour offrir un meilleur abri aux gardes de service. Au Ile s. de notre ère, la palissade sera remplacée par un mur de pierre (B) de 2 pieds d'épaisseur et de 12 à 14 pieds de haut, établi sur la ligne des tours de garde. Les surfaces à surveiller seront déboisées sur une grande profondeur, 300 à 5O0m.
Si nous prenons exemple sur les camps aménagés successivement à Saalburg, la cohorte qui s'y trouve cantonnée doit contrôler 10 à 12 km de ligne, ce qui donne 15 à 20m par homme, mais nettement plus si nous considérons les tours de garde nécessaires. Ce n'est donc pas une véritable défense mais plutôt un contrôle de frontière, comme cela peut se pratiquer en temps de paix. Par contre, à la ligne de surveillance constituée par la palissade avec divers accès, succède un mur qui se veut hermétique. L'aménagement a sans doute pour objet le contrôle d'une forte immigration clandestine. Les images A et B qui reprennent les interprétations des archéologues allemands du siècle dernier ne sont pas sans rappeler le "rideau de fer".

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