PHYSIONOMIE DE LA GAULE

Nous avons brossé à grands traits les caractères socio-politiques de la Gaule au temps de César et estimé son potentiel militaire. Mais l'esquisse doit être soutenue par d'autres traits. Cette vision du pays est également confirmée, nous semble-t-il, par l'image superposée des six premières années de campagne. La base de manœuvre quasi permanente établie au pays des Rhèmes et les diverses régions concernées par l'ensemble des opérations nous donnent la mesure de ce vaste pays selon le Conquérant mais nous pouvons également prendre en compte les soucis et les objectifs de l'homme dans le contexte politique romain de l'époque.

César est un capitaine de génie, certes, mais il a également de grandes ambitions politiques et seule la magistrature suprême le tente, cependant il sait fort bien que conquérir le pouvoir est une chose, le mériter dans l'esprit des Romains en est une autre. Toutes les actions menées peuvent s'inscrire dans un programme simple: acquérir l'estime de ses légions et se forger une stature d'homme d'État dans l'esprit du peuple. La conquête de la Gaule est un excellent moyen pour y parvenir et cela pour deux raisons: la première très futile, le peuple aime les triomphes, une autre beaucoup plus sérieuse, les approvisionnements céréaliers.

La consommation en blé de la vaste agglomération romaine et de sa région a, depuis longtemps, dépassé la production locale. Pour un temps, le blé de Sicile a fait l'appoint mais, là, également, la poussée démographique est grande et l'île n'a sans doute plus les moyens d'exporter. Restent l'Égypte et les fameux greniers de Ptolémée mais ils doivent alimenter Athènes et la route maritime jusqu'à Rome est fort longue et malgré le trafic limité à la belle saison, les pertes en bateaux demeurent importantes. Ainsi les commerçants déjà bien installés dans la province ont porté leur regard sur les riches plaines céréalières du Nord de la Gaule et vers le pays des Rhèmes, en particulier. Le commerce du blé se développe mais les voies sont encore improvisées et le contexte politique demeure délicat. Les grains montés sur chariot doivent d'abord franchir le seuil du bassin parisien par le pays des Lingons puis emprunter la batellerie de la Saône, chez les Éduens. Ainsi ce peuple fut l'objet de toutes les attentions de Rome et reçut même du Sénat le titre "d'ami du peuple romain" ce qui laissait présager un Protectorat selon les règles, mais la voie économique demeure soumise aux avatars politiques locaux. Enfin, dès Lyon, le cours du Rhône est déjà territoire Romain. D'autre part, cette voie est également la route traditionnelle de l'étain de Cornouailles qui débarque à Boulogne.

Comme le peuple Romain a des humeurs que souvent le ventre commande (du pain et des jeux), César sait qu'il peut tirer grand mérite politique d'une soumission définitive des peuples septentrionaux mais il lui faut traiter ce pays avec force et diplomatie. Ses camps d'hivernage, comme la base de toutes ses manœuvres, se situent dans les plaines du Nord, là où les milieux d'affaires lui sont favorables et les campagnes rayonnantes menées vers le Rhin doivent rassurer les intérêts Gaulois. Celles menées en Grande Bretagne ont pour objet de contrôler l'antique route de l'étain, toujours primordiale pour l'économie méditerranéenne. D'autre part, César marchera deux fois vers l'Ouest en 57 et en 56 mais les pays concernés lors de sa deuxième campagne notamment, les Eburoviques, les Lexoviens, les Unelles et les Coriosolites, sont tous riverains de la Manche. Sans doute cherche-t-il à découvrir les ports et à préparer le contrôle de l'ensemble des échanges avec la Grande-Bretagne, seuls les Venettes ont leur façade maritime sur l'Atlantique. Enfin, en l'année 56, Crassus entreprend une marche en Aquitaine sans doute pour ouvrir une voie de la province vers les Santons, amis des Romains, mais si l'opération est une réussite militaire, son échec politique est évident; les forces de ces régions seront dans les rangs de la levée en masse de 52.

Si nous ajoutons aux espaces concernés le sillon rhodanien nous obtenons une certaine physionomie de la Gaule digne d'intérêt, selon César. Il a totalement négligé les provinces du Centre et de l'Ouest qui représentent pourtant une bonne moitié des terres restant à conquérir, non que ces peuples soient considérés comme valeur négligeable par lui mais il les juge pour l'heure sans intérêt économique et surtout insuffisamment mobilisés pour représenter une menace militaire. Cependant les affaires du Conquérant traînent en longueur, ce qu'il n'avait sans doute pas prévu et ces provinces négligées finiront par lever une force énorme mais fort mal maîtrisée comme l'avenir va le prouver.

Ainsi César juge et traite la Gaule comme nous l'avons précédemment résumé et l'intérêt économique qu'il accorde aux diverses régions sera ultérieurement confirmé par le tracé des trois premières grandes voies stratégiques, les Chaussées d'Agrippa.


La guerre des Gaules

Dessinées sur un même plan, les axes des opérations menées par César durant les sept premières années de la Guerre des Gaules donnent du pays l'idée politique et militaire que les Romains s'en faisaient. Partant de la province déjà bien intégrée dans l'empire, l'armée romaine s'installe, dès 57, dans les plaines du nord avec, pour pivot d'opération le pays des Rèmes dont l'amitié avec Rome ne se démentira jamais. Les Rèmes de Rémi et les Romains de Remus et Romulus se sont vite découvert de profondes affinités. De cette base sûre, la majorité des opérations sera dirigée vers les peuples germains du nord dont les incursions seront toujours menaçantes pour la bande de terre céréalière historiquement occupée par les Francs. Elles seront également dirigées vers la Grande Bretagne pour reconnaître la route de l'étain et vers les côtes de la Manche afin de s'assurer des autres voies maritimes. Enfin, Crassus fera une brève incursion en Aquitaine. Toutes ces régions représentent moins de la moitié de la Gaule demeurée indépendante, les provinces de l'Ouest et du Centre n'auront même par le privilège d'une campagne de reconnaissance, César semble les considérer comme facteur négligeable et si le réveil de ces tribus lui occasionne quelques difficultés en 52,l'opinion des Romains ne doit guère changer. Les trois Chaussées d'Agrippa qui formeront l'ossature du réseau à venir confirment cette opinion. La première mène de Lyon à la basse vallée du Rhin (A,B),f la seconde de Langres à Boulogne (C,D) et la troisième de Lyon à Saintes (A,E) en se basant sur un parallèle géographique. Il s'agit là de toucher les riches plaines céréalières de l'ouest que les Francs, Mérovingiens et Carolingiens iront à nouveau conquérir. C'est une longue histoire où les motivations économiques demeurent.