ANNEE 52 - LES PREMICES

En automne de l'année 53, César a de bonnes raisons d'être inquiet. Ses brèves incursions de la campagne d'été lui ont révélé une Gaule hostile et de surcroît beaucoup plus mobilisée que les années précédentes. De paisibles populations agricoles se sont armées, organisées en petites troupes maintenant aptes à l'engagement. Devant cette situation nouvelle, le Conquérant qui doit partir pour l'Italie comme chaque hiver, choisit pour ses troupes un dispositif de sécurité établi en triangle capable de répondre à toute éventualité.

Deux légions sont installées aux confins du pays des Trévires, entre Meuse et Moselle, et peuvent ainsi parer à toute action menée par les Éburons ou les Germains dont les mouvements doivent logiquement suivre les vallées de ces deux rivières. Six autres légions sont installées à Sens face aux coalitions que pourraient organiser Parisiis et Bellovaques. Là semble résider le danger majeur, 60% des forces y sont consacrées. Enfin, deux légions prennent position chez les Lingons, ce sera le point de concentration en cas de repli.

Ce dispositif en triangle montre clairement l'état d'esprit de César ainsi que les grandes options stratégiques qu'il envisage pour l'année 52. Nous pouvons les résumer ainsi. Première configuration: la levée en masse voulue par certains chefs Gaulois ne se fait pas. Il serait alors intéressant de mener campagne vers le Nord, contre les peuples Mossans et Germains. Deuxième configuration, la levée en masse prend corps, il faut alors frapper vite et fort dès le printemps et semer la terreur pour tenter une fois encore de disloquer les coalitions. Troisième configuration enfin, la menace Gauloise est plus grave et plus précoce que prévue. La marche de concentration se fait alors vers le pays des Lingons et l'armée se replie vers la province en longeant la vallée de la Saône tout en espérant profiter d'une situation localement favorable. Tel se présente l'hiver 53/52.

Dès l'automne, les peuples Gaulois voient leur volonté s'engourdir mais une rumeur fait croire que César serait durablement retenu en Italie et cela réveille dans le pays les ardeurs des chefs de guerre et les ambitions des politiques. Les responsables fixent des points de conciliabule en divers lieux, afin de définir leurs projets et d'y engager les populations locales. Une de ces réunions se tint chez les Carnutes et fut décisive. Ces derniers obtinrent un serment solennel d'engagement pour l'année à venir, la date du soulèvement fut même fixée, mais aucun chef n'est encore choisi. A l'annonce de cette nouvelle, deux Carnutes inconséquents, Gutruat et Conconnétodum se rendent à Genabum (Orléans) ville toute proche et massacrent les commerçants romains qui s'y trouvent.

VERCINGETORIX

Dès ce casus belli, une bonne partie de la Gaule admet l'inévitable, une guerre généralisée pour la saison à venir et des candidats au Principat se lèvent dans l'ensemble du pays. L'un d'eux, Vercingétorix, jeune Arverne d'illustre famille se distingue d'emblée. Son père, Certille, avait déjà détenu la magistrature suprême mais fut mis à mort pour avoir convoité la royauté. Une assemblée se tint à Gergovie où le jeune candidat propose ses plans de campagne, mais le parti de la paix et de l'alliance avec Rome résiste à la tentation. Gobanition, oncle de Vercingétorix, le fait chasser de la place.

Le jeune cavalier n'est pas désemparé pour autant. Il parcourt la campagne Arverne et lève une troupe d'aventuriers peu recommandables. Pour assurer la formation de ces hommes, il leur impose une discipline de fer et des châtiments exemplaires à l'égard des fautifs. Avec cette petite garde prétorienne et son ascendant naturel sur les foules il rassemble de nombreux partisans. Par eux il se fait proclamer roi, un engagement qui, pour lui, signifie la victoire ou la mort mais lui permet de revenir au cour de sa tribu dont il chasse ceux qui l'avaient naguère banni. La stature de l'homme impressionne les foules et les ambassadeurs qu'il envoie lui permettent de rallier de nombreux peuples des provinces de l'Ouest, notamment les Pictons qui sont les plus puissants mais aussi que les Sénons et les Cadurques. Les Parisiis lui font également allégeance. Ces faits donnent raison à César, la menace la plus grave viendra du Centre et de l'Ouest de la Gaule.

En quelques semaines, Vercingétorix est devenu le leader potentiel de la guerre mais il ne dispose que d'une petite armée personnelle, forte de 5 à 10.000 hommes et ne peut espérer aborder l'adversaire. Il fait porter tous ses efforts sur un plan simple, interdire à César de rejoindre son armée en dressant contre lui les peuples du couloir rhodanien et notamment les Éduens qui occupent la route traditionnelle de la vallée de la Saône. Début 52 ses projets sont en voie de réussir.

LE RETOUR DE CESAR

Nous sommes alors en janvier de cette année. César rassuré sur l'avenir de la politique romaine par la fermeté de Pompée a quitté la capitale d'empire pour se rendre à Ravenne et c'est là qu'il apprend les évènements survenus en Gaule. L'homme nous livre alors ses réflexions (les Commentaires VII-VI): ou bien il fait revenir ses légions sur la province afin de lancer une offensive de printemps ou il rejoint le gros de son armée chez les Sénons mais la route est pleine de dangers. Les faits qui se précipitent vont lui dicter sa décision. De l'Aquitaine, des troupes gauloises menacent la Narbonnaise. César se rend alors dans la province où il organise la défense, lève de nouvelles troupes et fait savoir qu'il attend de puissants renforts venus d'Italie. Ce sera suffisant pour rétablir la situation de ce côté.

Confiant en l'effet de frayeur qu'il vient de causer, César rassemble une petite force constituée de ses meilleures troupes et de quelques unités de cavalerie et rejoint le pays des Helviens qui se trouve sur la rive Ouest du Rhône, à la hauteur d'Alès. De là, il pourrait suivre sa route coutumière par Vienne et Lyon mais il ferait 250km aux regards des informateurs adverses avant d'arriver au pays des Éduens devenu peu sûr. Alors il va tenter une opération difficile mais qui doit déconcerter l'adversaire. Il franchit la chaîne des Cévennes, probablement par le col de la Bastide, et tombe à l'improviste sur les Arvernes qui semblent alors au cour de la coalition.

C'est l'hiver, le col est jugé impraticable et les populations du lieu ont laissé la neige s'accumuler sur une épaisseur de 6 pieds (1,80m environ) nous dit César. Ses soldats entreprennent d'ouvrir un passage, sans doute à l'aide de grandes pelles de bois toujours en usage chez les montagnards. En faisant travailler 20 hommes en V sur des passes d'un demi-pied, il est possible d'employer 250 hommes de concert et d'avancer une tranchée de 4 à 5m de large au rythme de 6 à 700 m par heure, soit 6km sur une journée d'hiver. Mais les hommes se sont sans doute relayés une partie de la nuit et le passage du col a pu s'effectuer en deux jours. Une fois l'obstacle franchi, la troupe emprunte les routes de la haute vallée de l'Allier, naturellement dégagée par les populations locales.

A ce train d'enfer César a tôt fait de fondre sur le pays des Arvernes qui, surpris, n'offre aucune résistance. La cavalerie romaine marche de l'avant et dès Brioude, Issoire, cré une grande panique chez l'adversaire. César leur a donné pour mission de semer la terreur, sans souci d'occuper le terrain, l'infanterie suivra. Vercingétorix qui se trouve alors chez les Bituriges, occupé à négocier la levée des troupes, apprend la nouvelle avec stupeur et marche immédiatement au secours de sa tribu. C'est sans doute ce que César attendait. Il laisse les unités d'infanterie au jeune Brutus, avec mission de continuer le saccage, et gagne à grandes journées Vienne où l'attendent des unités de cavalerie fraîches qu'il a parallèlement fait monter le long du Rhône.

Reste le plus dangereux, la traversée du pays des Éduens où le parti de la révolte est bien implanté. Il le fera à marches forcées, jour et nuit, et parcourt en quelques jours les 250km qui le séparent de Langres où séjournent deux légions. Dans cette opération rapide et déconcertante, les deux adversaires se sont croisés, Vercingétorix descendait vers son pays que les romains saccageaient, tandis que César rejoignait ses troupes au pays des Lingons. La distance qui les séparait était de 100 km environ.

A cette époque César nous livre sa perplexité. Doit-il engager une campagne d'hiver où les soldats se fatiguent, où les marches sont nécessairement réduites par les courtes journées, par la recherche d'un couvert pour la nuit et par la préparation de nourriture chaude, ou bien doit-il attendre la belle saison? Faute d'informations confirmées qui lui permettront de prendre la bonne décision, il rassemble ses forces, rapatrie les six légions cantonnées à Sens sous les ordres de Labienus alors assiégée par Drappé. Il rapatrie également les deux légions stationnées chez les Trévires mais chacun dans l'entourage du maître pressent déjà la décision qui sera prise. Quand César est inquiet, il attaque avec violence et rapidité, c'est la marque des grands chefs de guerre. Cette première passe d'armes de l'année 52 s'est déroulée en plein hiver mais la chronologie en est incertaine, tentons de la fixer.

L'ÉTAPE JOURNALIERE

Pour définir au mieux dans le temps les opérations militaires de César, il nous faut une échelle de mesure qui nous donne les étapes journalières selon les conditions de marche et le terrain. Nous choisirons donc trois conditions selon trois terrains.

Si la marche se fait en pays ami ou totalement soumis, la troupe qui n'a aucune contrainte progresse en colonne par trois ou par cinq avec des haltes programmées. Les étapes seront alors de 30/35km sur les plaines et plateaux. Elles peuvent tomber à 25km en région de bocage et 18/20 en région accidentée où les chemins serpentent selon les vallées, avec de surcroît de fortes pentes à gravir. Dans ces conditions le déplacement en ligne droite est toujours inférieur à l'étape.

Ces estimations s'entendent en période estivale où les 8 heures de marche solaire généralement imposées aux légionnaires représentent environ 10 de nos heures astronomiques.

Si la progression se fait en pays hostile, avec menace latente, la légion doit souvent modifier son ordre de marche afin de prendre rapidement toute disposition nécessaire. Sur plaines et plateaux où le terrain se trouve largement éclairé par la cavalerie, l'ordre de marche demeure le même et les étapes sont de 28 à 30 km. Par contre, si le déplacement se fait en pays de bocage, la cavalerie est gênée dans son office et les vélites se chargent de la sécurité, mais sur une moindre profondeur. La menace potentielle accrue jointe aux difficultés de mouvements sur les chemins étroits bordés de haies vives, ralentit considérablement la marche; les étapes tombent à 15/18km. Le terrain accidenté n'augmente guère les difficultés et, dans ces conditions, les étapes demeurent les mêmes.

En troisième cas, voyons l'unité qui doit progresser en conditions très hostiles avec risques d'embuscades permanents et harcèlement de cavalerie. Sur terrain dégagé, les étapes se trouvent réduites à 20km et 8/10km environ dans un domaine de bocage où chaque chemin creux peut devenir un coupe-gorge. Par contre, la marche peut être plus facile en terrain accidenté si la végétation est moindre, nous dirons 10 à 14km jour.

Ce sont là des valeurs moyennes. La troupe peut toujours faire un effort particulier sur une ou deux journées mais la fatigue accumulée doit se payer ensuite. Enfin, le rythme d'avancement dans un contexte très difficile est également fonction de l'esprit du chef de guerre, certains vont ralentir leur progression par un excès de précaution mais ce n'est pas le genre de César. Lui sait bien que la victoire vient de l'initiative et cette dernière ne peut s'exercer qu'en toute liberté d'action. Il faut donc pour un temps renoncer à toute prudence, prendre l'adversaire de vitesse et acquérir sur lui une avance suffisante pour retrouver la maîtrise du jeu.

CHRONOLOGIE PROBABLE

En 53, la dernière campagne contre les Germains se passe à l'époque des blés murs, au mois d'août. Il faut ensuite 15 jours pour rapatrier l'armée chez les Rèmes, nous sommes alors le 5 ou 10 septembre. César doit traiter la conjuration d'Accon et c'est vers le 15 septembre qu'il peut disposer ses légions en trois lieux stratégiques. La manouvre est achevée vers le 25, il part pour l'Italie début octobre. Au milieu de ce mois, la nouvelle est connue dans toute la Gaule et l'agitation commence. Les deux mois qui vont suivre verront de multiples conciliabules. Les Gaulois ne se pressent guère et pensent avoir toute la saison hivernale pour se préparer et se décider. Afin d'accorder un temps convenable à ces manouvres diplomatiques où les chefs gaulois ont de bonnes distances à parcourir, nous placerons le serment des Carmutes et le massacre des Romains de Genabum vers le 12/15 décembre. Le 18 peut se tenir la première réunion des Arvernes où Vercingétorix est banni de la cité. Il lui faudra ensuite 15 à 18 jours, au minimum, pour revenir et s'imposer; nous sommes alors début janvier, le 4 ou le 5.

Dans les deux jours qui suivent, les informations sont recueillies par les agents romains mais ils savent que César ne se contente pas de rumeurs, il faut obtenir confirmation et faire la synthèse des renseignements. Les premières dépêches alarmantes doivent partir vers le 8 janvier. Le courrier va vite dans l'organisation militaire romaine, les dépêches roulées dans une fourreau de cuir sont portées par des coursiers qui se relaient tous les 8 ou 12 milles, selon le terrain, ou par des cavaliers si les relais sont pourvus de chevaux. Mais si César se trouve bien à Ravenne, comme il semble admis, il est à 800 km de Vienne et le petit sac de cuir qui doit passer les Alpes par le col de Tende, met, au minimum 4 jours, le temps pour César d'expédier les affaires en cours et de prendre sa décision. Nous sommes le 13 janvier. Il part alors pour la province et les dépêches qu'il reçoit en cours de route vont le diriger, en priorité, vers la Narbonnaise. Il longe la vallée du Pô, franchit également le col de Tende, et sur la voie Domitienne joint le Languedoc. Cela représente plus de 700 km pour arriver à Narbonne. César est un cavalier émérite et les chevaux frais ne lui manquent pas. Il ne craint pas non plus les marches forcées si nécessaire, comme au passage des Alpes, mais il est sage de compter dix jours de trajet. Il arrive donc à Narbonne le 23 ou 24 janvier.

Accordons lui 5 ou 6 jours pour prendre ses dispositions, préparer les opérations à venir et envoyer les courriers qui commanderont les mouvements de troupe nécessaires. Nous sommes alors le 29/30 janvier. Il part ensuite pour les Cévennes et 2/3 jours plus tard il est dans la région d'Alès. La marche vers le col peut commencer vers le 2 février, une journée pour que les 600 pelleteurs arrivent à pied d'ouvre sous la protection d'une avant-garde et deux jours de travail minimum pour dégager le passage. La petite troupe qui accompagne César doit donc déboucher dans la haute vallée de l'Allier vers le 7/8 février. L'hiver est rude mais court dans les Cévennes et la fonte des neiges commence souvent à mi-mars.

Après le passage du col, la troupe se trouve en territoire arvernes. Les routes sont étroites et le paysage favorable aux embuscades. Il faut donc progresser avec méthode derrière des éclaireurs et sous la protection de flanc garde. Nous imaginons des étapes journalières de 25 km, ce qui donne le 12 février pour le débouché dans la plaine de la Limagne. Les Arvernes ont déjà pris la mesure du danger, et leurs envoyés sont auprès de Vercingétorix, le temps pour lui de rassembler ses forces il marche vers le sud et s'enferre dans le stratagème de César. Nous somme le 16/17 février. Il faut maintenant trois jours aux Romains pour traverser les monts du Forest soit 110 km en pays hostile et sans chevaux de relève. Ce sera fait vers le 20 février, il reste alors 300 km de route à César pour atteindre Langres. Le pays des Éduens est peu sûr et il doit conserver une puissante escorte. Le trajet se fera au rythme de campagne, au petit trot ponctué de marche à pied pour laisser reposer la monture. Dans ces conditions, 5 jours sont nécessaires pour atteindre Langres. Nous sommes alors le 25 février.

Maintenant qu'il a rejoint son armée, César prend connaissance de la situation et dicte ses ordres. Ils arriveront au cantonnement des légions le 27. Labienus qui doit mettre en route six grandes unités bien installées en condition d'hivernage et les rapatrier sur une distance de 160 km mettra pour cela 5/6 jours. Les légions stationnées chez les Trévires ont 250 km à parcourir, soit 8 jours au minimum. César doit donc disposer de la totalité de ses forces rassemblées au pays des Lingons, ou a proximité, vers le 4 mars.

Les périodes considérées sont difficilement compressibles, notamment quand il s'agit des déplacements de César. Nous sommes même souvent à la limite de l'exploit pour un homme de 48 ans mais ses chroniqueurs ont toujours fait l'éloge de ses capacités physiques et de son opiniâtreté en opérations. Reste le calage dans le temps de cette période de 80 jours environ. Nous pouvons la reculer mais c'est réduire le temps des conciliabules menés par les Gaulois qui devaient assurer leur rapport aux assemblées des provinces et ces gens imaginaient avoir toute la saison hivernale pour conclure. Ils n'avaient donc aucune raison de se presser. Ainsi le comportement des Carnutes ressemble bien à un coup de force politique face à des assemblées qui se perdent en palabres et en projets à long terme. L'affaire de Genabum fut la main forcée à l'ensemble de la Gaule.

Nous pouvons également allonger cette période ou bien la déplacer dans le temps sur l'année 52 mais la plupart des auteurs s'y refusent puisque César dans ses réflexions nous dit qu'il a scrupule à engager une campagne d'hiver. Mais, dans son esprit s'agit-il d'un hiver astronomique, soit 90 jours après le solstice et donc une période limitée au 21 mars ou bien l'hiver de ses soldats, moment où toutes les actions deviennent pénibles. C'est la saison où les pluies sont pénétrantes, les nuits froides, et les hommes ont du mal à piocher dans la boue pour installer le camp de chaque soir, tout en consacrant du temps à la recherche du bois sec pour faire du feu et se préparer un repas chaud. Enfin le soldat est alors surchargé d'équipements qui lui permettent de supporter les rigueurs de la saison et dans les provinces du nord ces conditions climatiques peuvent se prolonger bien au-delà du solstice. César ne nous précise pas sa pensée mais nous sommes tentés de dire qu'il réagit plus en chef de guerre qu'en astronome. Nous choisirons donc la période du 4 au 5 mars pour le départ en campagne.

LES PREMIERES OPERATIONS

César nous dit qu'il avait rejoint les deux légions séjournant chez les Lingons puis rassemblé toutes ses forces en un même point (commentaires 7-9) mais il ne nous précise pas à quel endroit. Toutes forces réunies, l'armée doit représenter plus de 90.000 hommes et les environs de Langres ne se prêtent guère à un tel déploiement. D'autre part, il est là en pays ami et doit donc éviter d'occasionner une trop grand gêne au peuple Lingon. Nous devons donc rechercher un lieu de concentration adéquat pour une force de cette importance. César fait manouvrer ses hommes afin de les mettre en condition et c'est là que chacun d'eux se débarrasse du superflu accumulé durant l'hiver. Le plateau de Langres, au sud de Bar-sur-Aube, paraît un lieu satisfaisant pour cette mise en jambes.


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CONCENTRATION DE L'ARMEE DE CESAR

I - César coupé de ses légions
  1. Hésitation sur la conduite à tenir :
        a) rappeler les légions
        b) rejoindre les légions
  2. Démonstration militaire dans les Cévennes :
        a) fait descendre Vercingétorix
        b) permet de desserrer la pression exercée sur Labiénus
  3. Traversée rapide du pays éduen par César

II - Réorganisation des quartiers d'hiver en Lingonie
  1. Concentration des dix légions en un seul secteur ( in unum locum : VII, 9,5)
        a) les 2 stationnées chez les Lingons
        b) les 2 stationnées chez les Rèmes à la frontière des Trévires
       c) Les 6 stationnées chez les Sénons
        (où elles étaient assiégées par le Sénon Drappès :VIII, 30,1)
  2. Problèmes d'intendance résolus dans le pays amkles Lingons

III - Rupture de la trêve hivernale
 1. Attaque de Gorgobina ( problament Sancerre, oppidum où étaient établis les Boiens après la défaite des Helvètes en 58 ) par Vercingétorix
 2. Hésitation de César avant sa décision d'intervenir


Durant ces jours de manouvres, le stratège qu'il est fait la synthèse des informations reçues et prend sa décision. Le danger majeur semble venir des forces considérables levées par Vercingétorix dans les provinces de l'ouest mais, pour l'heure, elles sont encore en marche et en concentration. Il a vu son adversaire tenter de lui couper la voie traditionnelle du bassin Rhodanien et ne doute pas que c'est la stratégie poursuivie par le Gaulois. Il faut donc semer la terreur chez les peuples qui bordent cette voie; ce sera son choix de campagne.

En trois jours, il a rejoint la région de Sens mais l'armée lui semble toujours trop lourdement chargée en équipement. Il laisse donc l'ensemble des bagages à la garde de deux légions installées dans le grand camp près de Sens et marche ensuite sur Genabum avec les dix autres unités munies d'un équipement léger. Nous sommes le 8 mars. Si nous additionnons dix et deux, nous obtenons douze légions, ou l'équivalent en cohorte. C'est donc la valeur de deux légions que César laisse dans le grand camp et le fait se confirme quelques semaines plus tard lorsqu'il nous dit qu'il confie quatre unités à Labienus pour marcher sur les Parisiis et en garde six avec lui pour descendre en pays Arvernes. A cette époque, tout effectif confondu, l'armée romaine doit approcher les 100.000 hommes. D'autre part nous ignorons où se trouvait le grand camp établi en pays Sénon. Notre regretté collègue, Jean Nicolle, pensait que la position s'identifiait avec l'actuel Villeneuve-sur-Yonne et l'hypothèse est très séduisante. Les caractères de bastide pris par la cité au Moyen-Age ne doivent pas condamner nos investigations, Montferrand a longtemps subi le même préjudice.

Au second jour de sa marche l'armée romaine arrive en vue de Vellaunodunum (ville des Sénons). S'agit-il de Montargis qui se trouve sur la route directe ou d'un site aujourd'hui désaffecté à proximité de Chateau-Landon? Les avis sont partagés. César décide d'assiéger la place et les travaux de circonvallation demandent deux jours. Au troisième jour les habitants proposent leur reddition qui est acceptée. L'armée romaine poursuit alors sa marche vers Genabum et les 60 km sont couverts en deux jours, l'allégement des paquetages a porté ses fruits.

L'INTENDANCE D'HIVER

Des étapes de 30km en saison hivernale où l'heure solaire qui règle la vie de la troupe est plus courte que notre heure astronomique, constituent une performance que César a sans doute rendue possible par une modification de ses services d'intendance. Parmi les auxiliaires ceux affectés aux tâches domestiques se sont multipliés au détriment des porteurs d'équipement et nous pouvons imaginer l'intendance de proximité organisée de la sorte. Pour chaque centurie, une dizaine d'hommes porte les équipements nécessaires au bivouac, soit une marmite pour les repas chauds, des faisceaux et les crémaillères ainsi que du petit bois résineux pour allumer rapidement les feux. Ces petites bûchettes traverseront les siècles et nous avons conservé l'appellation du Moyen-Age, l'allumette. Ces hommes portent également dans des conditionnements adéquats le lard et les matières grasses qui vont améliorer l'ordinaire fait de blé cuit. C'est une organisation qui permet d'éviter la dispersion des corvées à l'heure de dresser le camp.

Au niveau de la cohorte, nous devons trouver le groupe de muletiers chargé de transporter les couvertures et les toiles huilées qui protègeront les hommes des intempéries. Si une bonne mule porte 40 couvertures soigneusement roulées, 15 bêtes suffisent pour la cohorte. Nous en ajouterons 20 pour les toiles huilées, les piquets de tente seront constitués à l'aide des pieux réglementaires.

Enfin, le légionnaire qui opère en région septentrionale a sans doute abandonné depuis longtemps l'équipement d'hiver fait de vêtements d'été superposés pour adopter la peau de mouton retournée que les Gaulois utilisent en cette saison. Elle est relativement longue, sans manche et retenue par des lanières de cuir sur le devant. C'est un vêtement qui remonte à la nuit des temps.

Ainsi équipée, les légions peuvent mieux exploiter le temps du jour et marcher de la première à la douzième heure, tout en gardant un temps convenable pour le repas de midi, ce qui leur accorde plus de 9 heures de marche. A ce rythme les armées romaines vont constamment surprendre les Gaulois dans leur longue mise en place, il arrive qu'une grande réussite tienne à de petits détails.

LA CHUTE DE GENABUM

A la tombée de la nuit les forces romaines arrivent en vue de la ville que César fait investir mais il reporte l'assaut au lendemain. Cependant, il se méfie du pont sur la Loire qui peut permettre la fuite des habitants et fait surveiller l'ouvrage. Genabum est une cité relativement nouvelle installée sur les bords de Loire qui tire ses revenus du commerce et de la batellerie. Le pont aménagé sur le grand fleuve lui amène également des voyageurs en transit venant du nord mais toutes les installations ouvertes qui s'allongent sur les berges du fleuve ne sont guère défendables, seule la cité au centre de l'agglomération est cernée de murailles. Nous avons estimé sa superficie à 8 ha environ et nous pouvons admettre 10/11 ha en incluant la citadelle c'est donc une position modeste. Nous trouvons là 14/16.000 habitants qui, surpris par l'arrivée soudaine des Romains se sont repliés derrière la muraille et cette encombrement gêne la défense. Les responsables décident alors que la nuit venue les non combattants seront conduits vers la rive sud dont le caractère marécageux leur assure une bonne protection. Ainsi dégagée et livrée à ses 3.000 hommes valides, la cité doit pouvoir se défendre en attendant l'arrivée des troupes envoyées par les Carnutes.


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Les premiers éléments de l'armée romaine arrivent en vue de Genabum à la nuit tombante. Si la ville est conforme à notre hypothèse développée en page 37 c'est une cité marchande où les quartiers des artisans et les marchands se développent sur 1200 à 1500m de rive et 500m de profondeur avec, au centre de l'agglomération, une cité (A) entourée de défenses (B). La surface urbanisée est proche de 70ha et la population d'environ 15 à 18.000 âmes. Les soldats, même les plus aguerris, ont scrupule à pénétrer dans un dédale de rues à la nuit tombée. Chaque fenêtre peut devenir une meurtrière et de chaque porte cochère peut déboucher une action qui les prendrait de revers. César le conçoit fort bien et reporte l'assaut au lendemain. Il dispose alors ses forces sur un large périmètre d'investissement, 2.500 à 3.000m environ, ce qui représente 25 hommes au mètre linéaire. La majorité de la troupe peut donc se reposer tandis qu'un puissant cordon reserre l'emprise. Les légionnaires allument de grands feux pour se réchauffer mais aussi pour éclairer le terrain. Les habitants des faubourgs (C,D,E) se sont repliés sur la cité. Seul un petit nombre a pu fuir en barque et il y a là, sans doute, 12 à 14.000 personnes. La ville a déjà conçu son plan de défense. Femmes, enfants et vieillards fuiront la nuit venue par le pont (F) vers les espaces marécageux de la rive sud (G) qui offrent une bonne sécurité. Les 3 à 4.000 hommes valides disposés sur le rempart représenteront alors une force .suffisante pour attendre l'arrivée en renfort des Carmutes. L'évacuation par le pont commence vers 9/10h, mais César a déjà acquis une juste vision de la cité est arrivé par l'est il a rapidement envoyé deux légions pour fermer le dispositif par l'ouest (H). Là, en resserrant l'encerclement, les légionnaires sont arrivés à 150m du pont (J). Ils ont donc perçu le bruit que faisaient les fuyards. Informé, César décide de précipiter l'action. Les feux déjà allumés face aux courtines et aux portes sont rapidement éteints et les ruines fumantes enfoncées à coups de bélier. Les soldats romains escaladent les murs avec les rampes déjà confectionnées et la ville est conquise en moins de 3h.


Peu avant minuit l'évacuation commence mais les encombrements dans les ruelles étroites de la cité et sur le pont à une seule voie sont tels que les opérations tardent et font du bruit. César en est informé et décide de lancer sur l'heure l'opération en préparation pour le lendemain. Profitant de la protection des bâtisses qui font face à la muraille, les légionnaires ont allumé de grands feux contre les courtines et les portes mais ces dernières ne sont pas encore consumées. Les soldats éteignent le brasier et les restes de l'ouvrage sont enfoncés à l'aide d'un bélier, tandis que les moyens d'escalade, sans doute des rampes déjà réalisées, sont amenées à pied d'ouvre. L'assaut est lancé. Les défenseurs qui ne peuvent se déplacer et se concentrer au point critique tant la foule est grande sont rapidement submergés. La curée commence, Genabum doit expier le massacre des commerçants Romains perpétré en décembre 53 et notamment la mort du noble cavalier Caius Fufius Cita correspondant commercial de César dans la cité. Le sac de la ville semble se terminer au petit matin. César ne nous donne pas le nombre des victimes mais si parmi les 16.000 habitants 2/3.000 ont pu fuir en barque, et un nombre équivalent par le pont, les 10.000 personnes enfermées dans la cité sont restées à sa merci. L'affaire a duré une nuit.

LA MARCHE SUR AVARICUM

Au matin du septième jour de campagne, nous sommes le 16 mars, l'armée franchit la Loire et marche sur Avaricum distante de 100 km. Le pays ne semble offrir aucune résistance, seule une ville, Noviodum, cité des Bituriges (il existe une autre ville du même nom chez les Éduens) semble représenter une menace sur les arrières des légions. Mais voyant la puissance romaine développée et le triste sort réservé à Genabum, ses sénateurs envoient une députation à César afin de faire soumission. Les pourparlers sont en bonne voie. Les centurions sont déjà dans les murs afin de veiller à la bonne application du traité lorsque les défenseurs voient l'avant garde des forces gauloises menées par Vercingétorix. Certains jugent bon de rompre le traité et commandent de fermer les portes mais les Romains plus prompts reprennent le contrôle de la cité et repoussent la petite force de cavalerie gauloise qui s'est montrée à l'horizon. Pour sauver leur ville, les Sénateurs livrent les quelques exaltés au glaive de César. L'opération a pu se passer dans le courant du jour et n'a guère retardé la marche de l'ensemble des légions. Où se trouve Noviodunum? Nous l'ignorons. S'agit-il d'un site véritablement situé sur la route comme le dit César et dans ce cas la région de la Chapelle d'Angillon conviendrait fort bien. Autre hypothèse, la route traditionnelle rejoignait d'abord la vallée du Cher et la région située entre Vierzon et Bourges serait à retenir.

Les 100 km qui séparent Genabum d'Avaricum n'offrent guère d'obstacles naturels d'importance, seuls les marais de la Sauldre ont pu retarder quelque peu la marche de l'armée romaine mais le parcours n'a guère duré plus de 4 jours. César peut donc découvrir l'oppidum des Bituriges dès le 19 mars et concevoir le plan de l'action qu'il compte mener. La ville doit être impressionnante avec sa hauteur alors mieux caractérisée que de nos jours et les vastes étendues de marais qui l'entourent.


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LUTTE POUR LE COULOIR RHODANIEN

Dès son retour à l'armée, César comprend que l'ensemble de la Gaule lui est hostile. La situation est sérieuse mais le centre de gravité de la menace est encore incertain. Le couloir rhodanien est vital pour lui il va donc prendre les meilleures initiatives pour le protéger. Après une marche de concentration il rejoint avec l'ensemble de l'armée les environs de Sens où il laisse les bagages à la charge d'un effectif important estimé à deux légions. Le 5 mars, il part en campagne et soumet Vellaunodunum, Château Landon ou Montargis. Vers le 15 il arrive à Genabum. La ville commerçante établie sur les bords de Loire ne peut résister, elle est prise d'assaut dès la nuit suivante. Le lendemain, l'armée franchit la Loire et se dirige vers Noviodunum (?). Le 19 mars, commence le siège d'Avaricum. La position est forte et bien défendue. Le siège va durer 27 jours et la ville est finalement emportée d'assaut. Début avril, une menace se précise au nord, sur la Seine, César envoie alors Labiénus avec quatre légions et mission de s'engager vers Lutèce, lui fera route vers le sud avec les six autres grandes unités. Arrivé début mai au pays des Arvernes, il investit Gergovie, un vaste oppidum où les populations de la plaine se sont réfugiées et l'affaire sera rude.


Depuis Sens, l'armée a soutenu un rythme forcé. En 11 jours elle a parcouru plus de 200 km, soumis 2 villes de moyenne importance et enlevé d'assaut, en une seule nuit, Genabum, grande cité marchande que toute la Gaule connaît bien mais, face à la métropole des Bituriges, l'affaire va se corser.

Durant ce temps que fait Vercingétorix?. Son crédit a souffert de n'avoir pu ni défendre ni sauver les trois villes abordées par César dans sa marche, mais ses forces ne sont pas sûres. Le noyau en est toujours constitué par une petite armée personnelle qui le suit depuis Gergovie, 7 à 10.000 hommes, guère plus, auxquels il convient d'ajouter les troupes qui lui sont confiées par les peuples menacés mais ces combattants perdent leur motivation dès que la guerre se déplace chez le voisin. Les désertions sont nombreuses et le chef Arvernes les déplore en toute occasion. En ces conditions il fait ce qu'il peut et suit l'armée de César comme la mouche du coche, espérant trouver l'occasion favorable mais il doit faire face à de nombreuses critiques. Pour affirmer sa position, il convoque une assemblée restreinte où figurent surtout les États concernés. Le débat est houleux. Pour convaincre, le chef Arvernes fait valoir le triste sort réservé aux vaincus de César, la mort ou les chaînes de l'esclavage, mais ces arguments portent peu et les forces qui lui sont confiées demeurent insuffisantes pour affronter son adversaire avec quelques chances de succès. Vercingétorix propose alors d'affamer l'armée romaine en brûlant les villes sur sa marche. C'est un sacrifice d'un autre âge où les Bituriges doivent payer le plus lourd tribu. Une vingtaine de villes accepteront de se livrer aux flammes du désespoir mais les représentants de la région demandent qu'Avaricum soit épargnée. Vercingétorix y consent de mauvaise grâce mais chacun sait sans doute que la grande cité confiante en ses murailles refuserait de se détruire. Certes elle sera vaincue mais son sacrifice les armes à la main marquera un tournant dans la campagne.

AVARICUM (BOURGES)

Selon son axe de marche, César doit découvrir la cité par le nord et c'est le meilleur point d'observation pour en juger les caractères. Trois petites rivières: l'Auron, l'Yèvre et la Voiselle se rencontrent et enserrent un promontoire peu caractérisé qui se lie au plateau par un resserrement étroit, et le confluent des rivières a formé un vaste marais prolongé de plaines alluviales. De sa position, le Romain voit la ville qui se dessine en contre jour sous le soleil de printemps et, dans cet écrin d'eau et de verdure où les reflets scintillent sur les étangs, la muraille basse se développe sur un vaste périmètre. Au-dessus de la défense les maisons avec de hautes toitures de tuiles et de bardeau se pressent le long des ruelles étroites. Enfin, dominant cette ville basse, se dessine le très puissant mur de soutènement qui forme la cité haute. L'image est impressionnante mais dans l'esprit du Romain il n'y a guère de place pour le spectacle et les émotions. Cette vision rigoureusement fixée se transforme déjà en pieds, en pas, en actus et ces mesures s'intègrent dans ses premiers projets d'opération.

Aujourd'hui le site est fortement surchargé par les ruines des agglomérations qui se sont succédées et sur le pied du promontoire nous pouvons estimer à 200/300m de large la couronne ainsi stabilisée. A l'époque Gauloise, la largeur de la protection offerte par le marais représentait environ 600m mais pour une bonne part c'était des pâturages et des jardins entourés de bras morts où les bateaux circulaient pour l'approvisionnement de la cité. La ville elle-même disposait d'une surface de 1000 à 1100m environ sur une largeur de 800m au mieux, soit 70ha et la muraille basse qui entoure l'agglomération ne doit pas enserrer plus de 60ha.

Avec une densité urbaine moyenne de 400 habitants à l'hectare, nous obtenons une population intramuros de 24.000 âmes. Ajoutons les artisans disséminés sur les chaussées d'accès et dans les ateliers établis en bordure des eaux courantes, soit 5 à 6.000, nous arrivons à 30.000 individus auxquels il faut ajouter un nombre de réfugiés de proximité. C'est alors 35.000 personnes qui sont prises au piège de la cité. César nous donne le chiffre de 40.000. Nous ne doutons pas de son honnêteté. C'était un homme trop rigoureux envers lui-même et les autres pour tricher de quelque manière que ce soit mais il faut prendre en compte toutes les difficultés rencontrées dans le dénombrement des foules en mouvement. Aujourd'hui encore et malgré les moyens mis en oeuvre, l'estimation des manifestants demeure très aléatoire. Ainsi lorsque l'auteur des Commentaires reçoit des estimations honnêtes mais différentes variant de 30 à 40.000, il choisit 40.000 sans arrière pensée. Aujourd'hui, nos estimations nous donnent ce chiffre comme élevé mais parfaitement plausible.

Parmi cette population il nous faut dégager le nombre de combattants. Avec une plage très large prenant en compte les hommes plus ou moins valides de 16 à 50 ans, nous arrivons à 25% de l'ensemble, soit 8 à 9.000 hommes environ. Répartis sur les 2.800m à 3.000m de courtines nous obtenons alors 3 combattants au mètre linéaire et c'est très satisfaisant. Avaricum était bien défendu. La décision de ses habitants d'affronter l'armée romaine était risquée mais pas totalement inconsciente.

A n'en pas douter, César considère tous ces paramètres dès le début du siège et passe en revue les divers plans d'attaque qui s'offrent à lui. Il sait que l'échec d'un assaut improvisé, suivi d'une sortie de l'adversaire ne serait pas une défaite mais lui ferait perdre mille hommes ou plus et le proconsul s'y refuse. La majorité de ses légionnaires le suit avec admiration, voire dévotion depuis 7 années et mérite toute considération de sa part. Les Romains vont donc mettre en oeuvre de gros moyens techniques afin d'obtenir la chute de la ville avec le minimum de pertes et les options majeures sont au nombre de deux.


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En page 38 nous avons résumé l'évolution probable des ouvrages de défense et de soutènement pour aboutir à la courtine faite de rondins avec garniture d'argile et de sable. Ce mode de construction bien protégé des intempéries donne entière satisfaction sur le plan tactique mais il est vulnérable au feu. La défense d'Orléans sera attaquée de cette manière. Comme les garnitures d'argile ou de pierres se dissocient de l'ouvrage, une bonne liaison mécanique entre poutres et parements se révèle indispensable. C'est ce que nous trouvons sur le munis galicus dernière génération, tel l'ouvrage de Bourges décrit dans les Commentaires.
Les poutres perpendiculaires (A) sont à intervalles réguliers (B) et laissent place à des pierres bien appareillées (C). Nous pouvons envisager un claveau (D) qui empêche le parement d'éclater sous une éventuelle pression. Si nous estimons que l'extrémité de la poutre exposée à l'humidité peut être protégée par un placage de briquettes (E) nous obtenons un appareillage en damiers semblable à ceux de la Renaissance. Cette garniture qui protège l'extrémité des poutres se retrouve également dans l'entablement des temples grecs arcaïques. Les dimensions que donne César sont imposantes. La défense sera surélevée à 22/23m (F) sur un ouvrage de base qui devait faire 10 X 15m. Les accès qui subissent une charge considérable sur les poutres (G) doivent être séparés en deux par un mur de refend (H). Nous avons imaginé la porte surmontée d'un réceptacle à trophées qui peut être garni d'un bouclier symbolique (J). Enfin le dallage de courtine (K) gagne à être protégé par une couverture (L). Le blocage d'argile humide gonfle et peut déchausser les claveaux (D), seul le mortier de chaux (alvéolaire) évite ce phénomène.



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A l'origine le site de Bourges était formé d'un éperon calcaire de 35ha environ (A) lié au plateau par un resserrement de 150m (B) et les marécages (C) venaient baigner le pied des falaises. L'érosion des hauteurs et les surcharges apportées par l'occupation humaine vont cerner le promontoire d'une couronne de terre bien stabilisée (D,E). C'est donc une surface de 60 à 70 ha que la ville gauloise pouvait logiquement urbaniser. Ultérieurement, la période augustéenne portera cette surface stabilisée à 130/140 ha. Au temps de César, la muraille doit cerner un espace de 60 ha environ mais un puissant mur de soutènement (F) subsiste autour de l'éperon et délimite la cité. L'agglomération compte 25.000 habitants intramuros et les réfugiés venus de la périphérie porteront ce nombre à 35/40.000, ce qui nous donne 8.000 combattants pour 2.800m de courtine. C'est une densité suffisante pour la défense. César qui dispose de la totalité de ses forces décide d'attaquer la ville par le plateau. C'est l'endroit où la muraille est la plus puissante et les légionnaires vont aménager une rampe de terre qui mettra les machines de guerre au niveau de la courtine adverse. Voyant cela les défenseurs vont surélever le mur et la rampe sera finalement portée à 24m de haut sur l00m de front (G) ce qui représente 150.000m3 de terre. Au 25ème jour de siège, l'ouvrage est terminé et le 27ème jour la ville est prise d'assaut. Après les travaux de nivellement considérables réalisés à l'époque augustéenne, la défense du Bas-Empire retrouvera approximativemebnt le tracé du mur de soutènement gaulois.


Dans un cas il faut construire une large digue sur le marais tout en préservant des écoulements pour le débit qui semble faible mais peut grossir avec les pluies. Une digue de 80 à 100m de large, avec un front d'assaut porté à 150m, aménagé au nord, au pied de la falaise, est parfaitement concevable. Mais la densité du lit de la rivière est incertaine, difficile de prévoir le volume de remblais qui sera absorbé. Cependant, une épaisseur de 5m en moyenne paraît honnête et un rapide calcul donne 150 à 200.000m3 de terre sur les 400m à franchir. C'est beaucoup et ce sera long. Le temps permettrait aux forces gauloises de se concentrer et de lancer des actions sur l'arrière des assiégeants. D'autre part, les Gaulois auraient le temps d'aménager le mur de soutènement qui enserre la cité et l'attaque romaine se heurterait à deux systèmes de défense. L'option est donc abandonnée.

L'autre option serait un assaut mené à l'aide d'une rampe de terre sur l'ouvrage commun aux deux systèmes qui défend la langue de terre reliant le promontoire au plateau. Certes la muraille est énorme. Des chiffres ultérieurement donnés par César nous permettent de l'estimer à 15/16m de haut sur 10m à la base et c'est exceptionnel pour un murus galicus tel qu'il nous est décrit. Cependant, une rampe de 1 sur 5 établie sur un front d'une centaine de mètres ne représente que 60.000m3 de terre et si le choc frontal peut être rude pour les légionnaires, la mise en place de puissants moyens d'assaut permettra d'économiser des vies romaines. C'est le choix qui est fait. Dès le lendemain, l'investissement est achevé et les travaux de la rampe commencent.

César qui a laissé l'équivalent de deux légions et de nombreux auxiliaires dans le grand camp du pays des Sénons, dispose alors de 70.000 hommes environ dont 60.000 fantassins de ligne. Il peut donc assurer la garde des 7 à 8.000m d'investissement avec 24 à 30.000 hommes (3 hommes au mètre linéaire) tout en conservant deux légions en force d'intervention. Ces dispositions militaires assurées, il peut encore consacrer 8 à 12.000 hommes aux travaux de la rampe mais cette affectation, la plus pénible, se fera bien sûr par roulement. Cependant César n'a pas prévu que les Gaulois vont surélever leur ouvrage de défense sur une hauteur considérable qui la porte à 22/23m obligeant ainsi les Romains à développer leur rampe d'accès jusqu'à 24m de haut. Le volume de terre à déplacer passe alors à 150.000m3 environ.

LA RAMPE D'AVARICUM

Au XIX° siècle, les analystes qui se penchent sur les actions de siège menées par les légions seront surpris de l'ampleur mais surtout de la promptitude des travaux réalisés et ces observations jointes à d'autres donneront naissance à une expression toujours de mise: c'est un travail de romain. Cependant, et sous condition d'une organisation très rigoureuse, il apparaît que ces réalisations demeurent dans le cadre des possibilités humaines ordinaires. A Bourges, les légionnaires vont manouvrer 150.000m3 de terre en 25 jours. Voyons pour cela une méthode satisfaisante.

A une époque récente nous avons vu des centaines de milliers de Chinois construisant à la main des barrages poids et ces petits hommes gravissaient les merlons avec des charges de terre de 30 à 40kg sur les épaules ou dans des paniers. Réfléchissons: si pour monter 40kg de terre sur un merlon il faut également monter 60kg de Chinois, l'opération est irrationnelle. La bonne formule est la chaîne où l'homme exploite sa force musculaire mais ne se déplace pas, d'où une économie d'énergie considérable.

Le principe de la chaîne est simple. Deux hommes bien campés sur leurs jambes font avancer d'un pas de 90cm environ un panier à deux anses chargé de 40 à 50kg de terre. Le rythme optimum est lent, environ deux secondes au pas, et la charge relativement faible, ce qui permet un travail en continu sur plusieurs heures. Pour ne pas perturber l'organisation, à temps choisi, le chef de chaîne donne un coup de trompe, les hommes du sommet redescendent et l'ensemble progresse d'autant. Puis les travailleurs de relève prennent la place ainsi laissée libre au départ. La manutention se fait à l'aide de paniers de toile ou de cuir qui sont ensuite confiés aux bons soins d'une chaîne parallèle, beaucoup plus légère, qui les descend par paquets de 5 à 8.

Parmi les paramètres choisis, nous proposerons les valeurs suivantes. Avec 30 paniers au m3 et un débit de 1.800 paniers à l'heure le volume transporté sera de 60m3 en fonctionnement normal. C'est un débit horaire quelle que soit la longueur de la chaîne, il suffit d'y affecter les hommes nécessaires. Dans sa configuration finale, la levée de Bourges fera 24m de haut sur 100m de front. Avec une pente de 1 sur 5, son développement au sol sera de 120m environ, ce qui représente 1.440m3 par tranche de 1m et 7.200m3 par tranche de 5m si telle est la valeur que nous affectons à chaque chaîne. Enfin, si le temps de travail journalier est de 10 heures, le volume jour transporté sera de 600m3, ce qui implique 12 à 14 jours pour les 7.200m3 de la tranche de 5m. Bien entendu il faut préparer le chantier, ouvrir les tranchées pour se procurer la terre nécessaire, assurer la protection des hommes avec des claies, mais il faudra également combler des éboulements occasionnés par les mines des assiégés. Le temps de 25 jours est donc parfaitement compatible avec le programme de travaux.


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La muraille est d'Avaricum (A) haute de 16m imposait une rampe (B) qui représentait 60 à 70.000 m3 de terre mais les défenseurs ont surélevé leur courtine jusqu'à 22/23m (C) et le volume de la rampe (D) passe à 150.000 m3, cela retarde César mais ne le dissuade pas. Cet énorme chantier de 100m de front peut être décomposé en 20 bandes de 5m (E), chacune confiée à une chaîne où des manoeuvriers travaillant par deux font progresser d'un pas de 90 cm (F) des paniers (G) de 40 litres chargés à 50 kg de terre. Le temps de manoeuvre est de 2", soit 1.800 paniers à l'heure. Avec 30 paniers au m3 et dix heures de travail journalier, le débit est de 600 m3 par chaîne, soit 12.000 m3 pour le chantier. Les chaînes s'allongent (plan de masse) avec l'avancement du chantier. Les hommes prennent les paniers préalablement chargés au pied d'un merlon de terre meuble (H) préparée par les terrassiers (J). Le nombre d'hommes est donc en progression constante et peut atteindre 11 à 12.000 en fin de chantier. En tête de chaîne, les ouvriers déversent leurs paniers à l'abri d'une palissade mobile (K) et si l'adversaire dirige des tirs de harcèlement (L) les hommes seront protégés par des palissades mobiles (M) faites de pieux (N) ou de boucliers bardés sur un châssis (P). Une fois achevé, l'ouvrage portera des rampes d'assaut mobiles (Q) et des tours équipées de Scorpion qui doivent décimer les défenseurs à courte distance.


La phase finale du siège se révèle la plus délicate à gérer et la plus épuisante pour les légionnaires. Sur le plateau la terre se fait rare, les chaînes doivent s'allonger et se développer en éventail pour atteindre les flancs du rétrécissement. La hauteur de la rampe est maintenant proche de 24m et le rythme d'avancement se réduit considérablement. D'autre part, les hommes qui déversent les paniers de terre sous la protection des palissades mobiles sont très proches de l'adversaire et la moindre des maladresses de leur part peut être exploitée par les archers gaulois. Enfin, pour ajouter à tous ces désagréments, la pluie vient à tomber en abondance, recouvrant l'ouvrage d'une boue qui englue les hommes qui sont alors au nombre maximum. Chacune des chaînes dépasse les 200m et emploie 500 personnes. Il y a donc 10.000 travailleurs sur un espace de 25.000m2 et tout mouvement désordonné aurait de fâcheuses conséquences. César témoigne de l'épuisement de ses hommes et nous dit venir souvent sur place afin de les exhorter à l'ultime effort.

Le 25ème jour, les terrassements sont achevés, les palissades mobiles de chantier laissent progressivement la place aux tours équipées de rampes d'assaut qui seront abattues sur la courtine adverse le moment venu. Face à la puissante machine de guerre déployée, les défenseurs tentent une ultime parade en mettant le feu aux engins de siège, mais le bois humide de la pluie des jours précédents se consume mal et le sinistre est vite maîtrisé. Avaricum la grande cité gauloise vit ses derniers jours.

LES REACTIONS GAULOISES

Durant ces 25 jours qui vont sceller la destinée de la métropole des Bituriges, qu'a fait Vercingétorix?. Pratiquement rien. Après avoir suivi à la trace l'armée romaine depuis Genabum, il a fixé ses forces sur les arrières de son adversaire et pour la première fois nous dit César les Gaulois ont pris la pelle et la pioche pour construire un camp organisé. C'est une position de bonne qualité défensive entourée de marais et située à 16 miles d'Avaricum. Où se trouvait le camp gaulois, nous l'ignorons. Il faut rechercher une position forte entourée de marais, située à 22/23km de Bourges, vers l'est puisque là se trouvaient les arrières de César et le chemin de ses approvisionnements venant de chez les Éduens.


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César mentionne l'usage d'un scorpion à Avaricum et cette relation nous permet de juger des performances et du caractère de l'engin. Le tireur touche à plusieurs reprises les Gaulois occupés à lancer des projectiles incendiaires sur les machines prêtes pour l'assaut. Si les rampes à abattre ont une portée de 8m, les projectiles des Gaulois devaient parcourir 12 à 14m et César nous dit qu'il furent touchés de flanc. Le tir était donc angulaire et venait d'une distance de 18 à 22m. Comme la cible en léger mouvement représente un cercle d'un pied et se dégage au-dessus de la protection l'espace d'une seconde environ, nous connaissons les performances requises.
Pour ajuster rapidement le tir, l'engin est monté en tourelle avec un socle fixe (A) et une fourche orientable (B), il est également articulé en azimut (C) Le marteau (D) et le bras de frappe (E) combinent leur action avec le premier corps (F). La détente conjuguée augmente la vitesse de frappe, donc l'énergie cinétique mais pour un bon transfert sur le trait il faut une longueur (G) importante. D'autre part le projectile qui reçoit un effet circulaire doit être guidé (H) et ligaturé (J) pour éviter l'éclatement. Le choc est amorti par une languette de cuir (K), avancée selon l'usure. Tandis que l'engin est immobilisé avec la béquille (L), le marteau est armé avec un treuil (M) et se prend dans la gâche (N). Il sera libéré par la détente (P). Avec des bois rigoureusement choisis, nous pouvons espérer lancer un trait de 250g à 40m " avec la précision requise. Le nom de Scorpion vient des grosses machines de siège (Q) dont la configuration fait évidemment penser à l'animal. Le Scorpion de campagne beaucoup moins performant que la baliste mais d'encombrement plus réduit trouve encore son emploi.


De cette position, les Gaulois harcèlent les convois de vivres des Romains. Les légionnaires manquent de blé, ils ont faim mais ces privations ne font que décupler leur volonté d'en finir au plus vite. Il eut fallu plusieurs mois pour que la disette ait des effets décisifs sur eux. L'action menée par Vercingétorix est donc dérisoire, mais peut-il faire autre chose? A son armée personnelle toujours forte de 10.000 hommes il tente d'ajouter des contingents venus des provinces environnantes mais sa stratégie de la terre brûlée qui dénote plus un tempérament de Seigneur de la guerre que de responsable politique a finalement joué contre lui. Les hommes des populations environnantes qui devaient former des milices combattantes motivées par la défense de leurs biens, sont devenus des fugitifs repliés les uns vers le sud les autres vers l'ouest et le chef Arvernes, malgré ses pressants appels, ne voit rien venir.

Certes les défenseurs de la ville ne sont pas restés inactifs durant cette période. Profitant de leur parfaite connaissance des marais qui entourent la cité et sans doute grâce à la possession de nombreuses barques, ils ont à maintes reprises organisé des sorties qui ont causé quelques pertes aux légions chargées de l'investissement, mais l'encerclement n'était pas totalement hermétique puisque les contacts entre la ville et Vercingétorix demeureront constants. Ce dernier rassemble même 10.000 hommes qu'il envoie au secours de la cité sans que l'on sache toutefois la destinée de cette entreprise. Enfin, au dernier jour de siège, les combattants d'Avaricum s'apprêtaient à réaliser une sortie en force sur les conseils de Vercingétorix mais la population de la ville, les femmes notamment, n'acceptèrent pas d'être ainsi livrées à l'ennemi. Elles poussèrent de grandes clameurs qui éveillèrent l'attention des Romains et firent échouer l'opération.

L'ASSAUT FINAL

Au 26ème jour, les machines de guerre sont en place et les cohortes prêtes pour l'assaut, impatientes d'en finir avec cette cité qui les a longtemps défiées. Avaricum n'a plus aucune chance. Pourtant la ville avait des moyens importants mais elle a fort mal géré sa défense. César note les astuces mises en oeuvre par les Gaulois mais pas un instant il ne traite de leur méthode ou de leur organisation. Le fait de surélever la muraille a multiplié par deux ou trois le volume de la rampe ce qui a fatigué et retardé les Romains dans leur travail, mais la défense s'en est trouvée fragilisée. Le sort de la ville toute entière est maintenant entre les mains de 400 défenseurs installés le dos au vide sur une étroite courtine a plus de 20m du sol et les rampes d'assaut qui vont déverser sur eux, en rangs serrés, des légionnaires ivres de fatigue et de rage, les dominent encore. Certes les Gaulois sont braves et César leur rend hommage mais ces combattants disposent d'un équipement disparate et sont sans entraînement, sans cohésion naturelle, comme cela se manifeste au sein d'une troupe longuement aguerrie. Les défenseurs d'Avaricum n'ont aucune chance de soutenir le choc et la configuration du dispositif interdit toute contre attaque.

En combat de siège, il importe d'user l'assaillant en multipliant les obstacles successifs tout en réservant des actes de contre attaque. A Bourges, il eut mieux valu laisser la première muraille en l'état et la doubler, en retrait, d'un profond fossé et d'une levée de terre. Un fossé de 10m de profondeur sur 6m de large au fond, avec une levée de terre de même volume aurait offert à l'assaillant un escarpement de 20m de haut. Des ponts légers avec partie mobile pouvaient lier les deux ouvrages, il suffisait de les abattre ou de les livrer au feu après abandon de la première ligne. Pareil ouvrage représentait 160m3 de terrassement au mètre linéaire, à réaliser sur 200m environ et ces 35.000m3 de terre à manouvrer étaient à la mesure des 8.000 hommes valides de la cité.

Dès le 26ème jour, la ville attend son sort inexorable. Il y a là matière à tragédie. Durant le siège, les 30 à 40.000 personnes de la riche cité poursuivent leur vie comme de coutume, les approvisionnements frais manquent mais chacun vit sur ses réserves et dans le confort de son habitation. Certes les hommes en armes circulent dans les rues et une certaine gravité, voire de l'inquiétude, se lisent sur leur visage mais le cadre de vie n'a guère changé et chacun peut se réconforter dans l'atmosphère de sa demeure en espérant l'arrivée prochaine d'une armée de secours. L'angoisse succède à l'inquiétude lorsque les bruits du chantier deviennent perceptibles et que l'énorme butte de terre commence à se dessiner au-dessus des toits. A cette instant la destinée de la cité est définitivement scellée, la raison doit l'admettre, les Gaulois n'ont plus que la prière pour secours.

Après la chute du mur, les défenseurs se regroupent sur une vaste esplanade toute proche, le forum, et tentent de réorganiser la défense sur une nouvelle ligne mais leur manouvre est improvisée et l'action romaine programmée sera beaucoup plus rapide. Les légionnaires se déploient le long de la muraille, à l'intérieur, et gagnent les portes de la ville. L'opération réussit parfaitement et la totalité de la population se trouve livrée à la violence des légionnaires. César ne les retient pas et estime que seules 800 personnes ont pu s'échapper de la cité.

Le sac d'Avaricum doit se situer au 27/28ème jour de siège, soit le 15/16 avril, selon notre chronologie. César vient de prendre un retard considérable sur son programme et ce fait va peser lourd sur l'avenir de la campagne.

Dans la Gaule profonde, le triste sort de la grande cité a motivé bien des combattants gaulois que les premiers rayons du soleil de printemps ont incités au départ. De longues colonnes d'hommes en armes serpentent maintenant sur les chemins de l'ouest. Ils savent où aller. Ils vont trouver l'inaccessible armée romaine sur les confins orientaux du Massif Central et ce sont eux qui vont faire basculer la fortune de la guerre à Gergovie. Quelques mois plus tard, au cours de l'été, ce sont eux également qui formeront l'énorme armée de secours présente devant Alésia. Mais ce sera en vain. Cependant César va connaître la période la plus dure de sa vie de chef de guerre.

LA MARCHE SUR GERGOVIE

Après la prise d'Avaricum, César ne brûle pas la ville et ses soldats qui trouvent là une abondante nourriture peuvent se reposer de leurs fatigues. L'armée romaine demeure plusieurs jours dans la place, trois, peut être cinq, et César projette les campagnes à venir. Il apprend également que l'armée de Vercingétorix jusque là instable et de peu d'importance reçoit des renforts conséquents, notamment de la cavalerie et des fantassins levés en Aquitaine par Teutomate, prince des Nitiobriges, peuple du moyen cours de la Garonne. Il est difficile d'estimer les forces gauloises alors sous le commandement direct du chef Arvernes, mais elles peuvent passer de 15/18.000 à 30/40.000 hommes. Ce n'est pas encore une force capable d'affronter l'armée romaine avec succès mais la menace représentée devient sérieuse. César reçoit également de fort mauvaises nouvelles de ses alliés les Éduens.

Dans ce pays au demeurant très démocratique, deux hommes d'illustres familles se disputent la magistrature suprême et leurs partisans ont pris les armes. Une guerre civile dans le sillon rhodanien mettrait l'armée romaine en grand danger. Ainsi César décide de se rendre sur place puisque la constitution de ce peuple interdit à ses magistrats suprêmes de quitter le pays. 200 km au moins séparent Bourges du cour du pays Éduen. César doit mettre 4 jours pour parcourir la distance. Si son départ se situe le 18/19 avril, il arrivera sur place le 22/23 du mois. Là, soucieux des formes, il mène une enquête sur l'élection des deux prétendants. L'un n'a pas respecté les lois en vigueur, il confirme donc l'autre dans sa charge. Nous sommes alors le 26/27 avril.

Sur les 5 jours qui viennent de s'écouler, l'armée a quitté Bourges et marche vers l'est, lorsque César la rejoint elle est donc dans le Nivernais, à l'est de l'Allier. Les nouvelles que les Romains perçoivent sont inquiétantes, des mouvements hostiles se manifestent chez les Sénons et les Parisiis et, par le jeu de leurs alliances, ces peuples sont appelés à recevoir des renforts nombreux. César sépare donc son armée en deux. Il confie 4 légions à Labienus pour marcher vers le nord, et conserve les 6 autres avec le projet de marcher sur le pays Arvernes (VII-XXXIV). La séparation se fait vers le 27 avril à Noviodunum où l'armée installe un camp permanent. César décide alors de se diriger vers Gergovie mais il lui faut repasser l'Allier et Vercingétorix a fait détruire les ponts.

Dès cette époque, nous allons trouver des incohérences considérables entre ce que dit César et les choix établis par les historiens du XIX°.

Vercingétorix qui suit l'armée de César en progressant sur l'autre rive du fleuve espère le surprendre dans les difficultés d'un franchissement mais le Romain fait un prompt retour en arrière, répare rapidement un pont mal consumé par le feu et se trouve alors sur la bonne rive, quatre jours plus tard il est devant l'oppidum des Arvernes. La distance à parcourir était donc de 100/110 km environ ainsi, avec la volte-face et le temps de franchissement nous pouvons estimer la descente sur Gergovie à 7/8 jours. L'armée romaine est donc à pied d'ouvre dès les premiers jours de mai.