LES VILLES GAULOISES

Si l'analyse du monde rural gaulois nous a livré suffisamment de découvertes archéologiques pour que nous puissions soutenir de bonnes hypothèses à son égard et brosser de lui une représentation satisfaisante, il en va tout autrement des constructions urbaines. Là le problème est beaucoup plus ouvert et les confirmations pratiquement inexistantes.

Dans ce domaine, la métropole d'une peuplade doit être convenablement située au centre du domaine d'activités, bénéficier d'un poids politique et éventuellement d'un prestige religieux. Enfin il lui faut confirmer le bien fondé de sa promotion par des aménagements destinés à servir sa fonction économique. C'est ce domaine d'activités, et lui seul, qui va justifier la richesse à venir. Mais la province ne dispose pas forcément du site idéal pour répondre à ces multiples conditions; ainsi les métropoles seront diverses et variées.

Nous trouvons d'abord les anciens oppidum au caractère défensif très prononcé comme Langres ou Verdun. L'ensemble des activités va tenter de se maintenir sur l'éperon mais la ville doit finalement accepter une partie ouverte côté plateau ainsi qu'un petit nombre d'implantations basses sur les vallées qui l'enserrent. Certains sites trop bien défendus ne peuvent s'adapter aux besoins et doivent passer la main. Ce fut sans doute le cas d'Angoulême au profit de Périgueux et de Laon au profit de Reims.

La majorité des métropoles se fixera sur des sites de bon compromis, comme Chartres, Poitiers, Bourges et Autun, là où la mise en défense d'une partie du sommet peut aisément se conjuguer avec une installation basse propice au commerce et à l'artisanat. Ensuite nous trouvons les provinces où le facteur économique s'impose sans compromis. Les vieux oppidum trop nombreux et mal placés doivent s'effacer au profit d'un lieu de marché ouvert. Il sera en excellente situation dans le réseau des voies économiques traditionnelles, les vallées. C'est le cas d'Orléans, de Tours et de Nantes sur les rives de Loire, de Paris, de Troyes sur de grands fleuves ou bien encore, d'Amiens et d'Arras sur de modestes rivières. Cependant, dans certaines régions où la métropole économique tardait à se fixer, ce fut l'infrastructure romaine qui trancha, tel à Toulouse, Beauvais, Soissons. Enfin, certains peuples voient leur intérêt dans les facilités offertes par une rivière. Ils commercent et développent leur artisanat sur une portion de la vallée mais ne jugent pas utile de fixer un centre à ce dispositif. Ce fut sans doute le cas des régions de Saintes, Lisieux, Evreux et Redon.

Après les conditions qui vont présider à la fixation, voyons le développement. La ville tend constamment à s'organiser au mieux de ses besoins économiques mais le contexte politique va troubler le jeu. En période forte et faste, une parfaite cohésion entre villes et provinces permet d'envisager une défense dynamique en rase campagne. Les troupes levées engagent l'adversaire dès qu'il a franchi une limite jugée critique pour tous. Dans ce cas, l'aménagement de la métropole peut se faire d'une manière totalement ouverte. Par contre, si cette dernière a manqué à ses devoirs et n'est plus assurée d'être défendue par la province, elle doit se cerner de murailles et mettre ses accès en état de défense. Dans ce cas, plusieurs options s'offrent à elle.

La première solution, désiré par tous, consiste à défendre l'ensemble des biens par une muraille qui englobe la cité, les zones artisanales et les espaces où s'effectue la prémanufacturation, mais c'est le programme le plus coûteux et le nombre de défenseurs alignés au mètre linéaire de courtine devient insuffisant. Il faut trouver un compromis. Le premier consiste à mettre en défense le cœur de l'agglomération où viendront se replier les populations en cas de danger mais les artisans des faubourgs risquent de voir brûler leur demeure et leurs outils de travail tandis que la boutique du commerçant et la demeure du notable, installées sur la haute ville, seront sauvées. D'autre part, ce mode de mise en défense finit par créer deux castes dans l'agglomération, et nuit à la bonne marche des affaires. Ainsi nombreuses sont les villes qui tenteront une moyenne mesure avec un puissant réduit, voire une citadelle, et une enceinte plus vaste qui protège commerce et artisanat. Les zones de stockage situées hors les murs sont livrées à tous les risques.

Chacun de ces choix conditionne le tracé des voies qui doivent assurer au mieux le déplacement des piétons et le transport des marchandises. Il modifie également la surface affectée à chacun, donc le parcellaire, et le mode de construction. Faute de place, il faut monter en étage et construire léger puisque le transport des gros matériaux devient délicat et coûteux en urbanisation très dense. Les accès par chariot étaient devenus pratiquement impossibles dans bon nombre de centre ville du Moyen-Age, les constructions devaient donc se contenter de matériaux transportables à dos d'homme.

BIBRACTE

Affirmer que nous ne connaissons aucune métropole gauloise n'est pas de l'avis de tous. L'important oppidum du mont Beuvray situé entre Chateau-Chinon et Autun, fut fouillé au XIX° et pour donner plus de poids à leurs travaux, les responsables des recherches firent admettre qu'il s'agissait de l'illustre Bibracte, capitale des Eduens. Les universitaires accepteront cette thèse. C'est dans cette ville que se tiendront les réunions du peuple gaulois qui vont aboutir à la levée en masse du début 52 et César y séjourna durant l'hiver 52/51. La cité restera occupée épisodiquement jusqu'à la fin du Moyen-Age où l'ordre des Cordeliers y installera un couvent. Ensuite, la montagne est abandonnée et le couvert végétal reprend ses droits.

Après trois siècles d'abandon, le site réveille l'intérêt. Dès le XVIII°, les érudits de la région signalent là de très nombreux témoignages antiques ainsi que la trace de puissants remblais observés sur le sommet. Vers le milieu du XIX°, les membres de la société d'Histoire et d'Archéologie d'Autun qui se consacrent à l'étude des Eduens sont persuadés de l'importance du site. Au sein de cette assemblée se trouve un passionné, Jacques Gabriel Bulliot, qui prétend que là se situe l'illustre Bibracte alors identifiée par tous avec Autun, mais cet avis majoritaire est sans intérêt archéologique puisqu'il ne sera jamais confirmable par des fouilles. Par contre, l'hypothèse de J.G Bulliot qui porte les regards vers un site déserté donne du grain à moudre à tous les fouilleurs en puissance. Notre homme est nommé Président de la docte Société et son hypothèse est soumise à Napoléon III. L'Empereur qui travaillait de longue date sur une histoire de la conquête des Gaules entendait fixer sur des cartes les hauts lieux de cette époque où s'écrivent les premières pages de l'Histoire de France.


Bibracte

Le Mont Beuvray est un gros mamelon érodé dont le sommet forme trois points culminants: Le Porrey (A) à 821m, le Teureau de la Roche (B) à 798m et le Teureau de la Wivre (C) à 754m. L'ensemble fut fouillé dès 1867 par J.G. Bulliot et, dès 1897, par J. Déchelette. Le site a livré ses caractères généraux. L'accès se faisait du nord par deux portes, celle du Rebout (D) et de l'Ecluse (E). La voie principale issue de la porte du Rebout est bordée de constructions (F) qui semblent réserver un large accotement. Après la jonction des deux voies (G), nous trouvons au cour de la cité (H) le domaine des commerçants. C'est là également que sera construit le couvent du XV° (J). A l'ouest, le léger plateau formé par la courbe des 760m reçoit un quartier résidentiel ou noble. Enfin, la hauteur du Porrey qui a livré quelques vestiges (K) fut sans doute la citadelle. L'ensemble cerné par la muraille interne (L) comporte diverses sources (M) et engendre deux ruisseaux (N,P). Pour plus d'informations voir Archeologia N° 314.

J.G Bulliot qui a déjà mené quelques campagnes de fouilles et réalisé un certain nombre de découvertes envoie aux Tuileries un dossier séduisant. Dès 1867, il est officiellement mandaté pour des recherches, et l'identification Bibracte=Mont-Beuvray est sous entendue. Le maître des fouilles travaillera 30 ans sur le site et accumulera suffisamment de découvertes pour donner un certain poids à sa thèse. Dans ses travaux il était assisté par son neveu, J. Déchelette, qui prendra la direction des fouilles après le décès de son oncle, en 1897. C'est un homme rigoureux et de méthode. Il fait porter ses recherches sur les grands sites du Centre-Europe à l'époque du bronze et du fer et bientôt ses travaux feront autorité en la matière. Dans cette démarche, il néglige la querelle portant sur Bibracte et cette identification se trouve alors confrontée à un doute raisonnable qui s'installe peu à peu dans les esprits, mais une très récente réactivation du site va sans doute réveiller les vieilles passions d'antan.


LE MONT BEUVRAY

Cette vieille montagne érodée du sud du Morvan nous apparaît comme un énorme mamelon haut de 821m et dominant les vallées environnantes de 4 à 500m. Saint-Léger sous Beuvray se trouve à 280m. Le sommet forme un plateau très relatif où se distinguent trois hauteurs qui font respectivement 821m pour le Porrey, 798m pour le Teureau de la Roche et 754m pour le Champlain. Ces éminences sont séparées de légères dépressions qui engendrent des sources et des amorces de ruisseaux. La viabilité au sommet est donc excellente et la première occupation semble remonter au V° millénaire avant J-C.

La montagne fonctionne comme un accumulateur atmosphérique. Aux embruns piégés par le couvert végétal s'ajoute la lente montée des eaux du sous-sol qu’aucune strate étanche ne vient bloquer. La part des deux phénomènes est variable selon les saisons mais l'apport atmosphérique l'emporte en saison hivernale et la nuit. C'est un phénomène que les anciens connaissaient bien. Nous trouvons encore sur les bassins du rivage méditerranéen de gros amoncellements de pierres savamment disposés qui constituent des accumulateurs artificiels. Leur sommet est garni de plantes grasses qui assurent une bonne isolation pour un faible tribu en eau. Certains de ces accumulateurs improprement dits "puits atmosphériques" sont toujours en activité sur la presqu'île de Kertch, voisine de la Crimée.

Le phénomène requiert bien entendu un certain couvert végétal et une judicieuse préservation. L'occupation pastorale qui va régner sur le site une bonne partie du néolithique et à l'âge du fer saura préserver cette richesse. Mais, dès la période gallo-romaine, la multiplication des artisans, gros consommateurs d'eau et de bois, ainsi que l'afflux de population inconsciente vont éroder le sommet et ruiner l'approvisionnement en eau. Le Mont-Beuvray est déserté.

L'AGGLOMÉRATION HAUTE

Les premières occupations du néolithique ancien doivent se fixer de manière distincte sur les trois hauteurs qui marquent le sommet. Le Porrey révèle encore quelques traces d'une enceinte propre mais de taille réduite. A cette époque la hauteur est essentiellement un parcage hivernal, dès le retour de la belle saison le bétail est mené sur les pentes et dans les vallées. Au temps du bronze, mais surtout à l'âge du fer, le contexte change. Les quantités disponibles de ce nouveau métal sont bientôt cinq à dix fois plus importants que le précieux alliage de cuivre et d'étain et les champs cultivés apportent graines et céréales qui assurent la sécurité alimentaire durant l'hiver. La population de 1000 à 1500 personnes qui occupait le site à la mauvaise saison s'accroît et passe à 2 ou 3000, tandis qu'un petit nombre d'artisans se fixe définitivement. La nouvelle agglomération qui compte maintenant de 4 à 5000 individus dotés d'outils performants sera cernée d'une vaste enceinte de pierres qui remplace la primitive levée de terre. Soigneusement appareillé mais sans mortier, c'est le murus gallicus. L'ouvrage qui cerne l'agglomération haute se développe sur plus de 4800m et protège un espace de 120 ha environ. Une seconde enceinte, plus vaste, cerne la première mais elle semble destinée au parcage des bêtes et non à l'habitat permanent.

La conservation au sommet d'herbages et de haies vives nécessaires au phénomène d'accumulation atmosphérique, limite l'occupation à 30 ou 50 habitants à l'hectare, avec saturation à 4000 occupants. Cette population forme toujours trois villages distincts comptant chacun 600 à 800 habitants gérant un secteur de pente. Le complément est fourni par une composante artisanale établie le long des voies communes qui desservent le sommet.


Bibracte

Les accès à l'oppidum sont "raides" et la voie montante respecte des lacets importants (A). Après le raidillon qui précède la porte du Rebout (B), s'ouvre une voie montante à 10% en moyenne. C'est là que fut trouvée la plus grosse concentration d'habitats (C). Les bases découvertes sont de bonnes tailles avec des portées de ferme de 6 à 8m et supérieures à 10m sur le corps du bâtiment (D). Au sud-est de la voie (E) l'implantation est désordonnée. Ce sont, semble-t-il, des bâtiments de grange et de stockage avec un habitat modeste. Au-delà de la voie et d'un accotement large (F), les bâtiments du côté nord (G) sont mieux disposés, sans doute des échoppes et quelques boutiques. Dès le niveau 740m (H), les alignements s'écartent pour former deux voies (J,K), là se situe un terre-plein relatif qui semble être le cour de l'agglomération (L). La voie (M) rejoint une large allée empierrée (N) avec un bassin en olive (P). A cet endroit, les bâtiments sont plus vastes et s'intègrent dans des ensembles cohérents avec des portées de ferme de 8 à 10m. C'est à cet emplacement que fut construit le couvent du XV° (Q). Vers le nord, le plateau du Champlein fut sans doute un quartier bourgeois. Nous trouvons deux constructions (R,S), avec tours et galerie de liaison. C'est un plan bourguignon que l'on rencontre également dans les grandes demeures septentrionales. La porte de l'Écluse (T), ouvre sur la deuxième voie d'accès (U). C'est une zone non fouillée. Les éditions "Errance" ont publié des dessins de restitution très bien faits de J. C-L Golvin qui vont bien au-delà des témoignages découverts mais dont la physionomie est très satisfaisante.


Ces 2000 ou 2500 artisans assurent les fournitures nécessaires à 20.000 ruraux établis sur les terres environnantes et c'est ce phénomène qui donne au site son caractère de petite métropole mais, à la veille de la conquête s'agit-il encore de la capitale des Eduens? Dans le contexte de la Tène finale, ses caractères ne lui permettent guère de postuler pour ce titre. L'absence de rivière limite le développement d'une société artisanale chargée de traiter en abondance le lin, la laine et les peaux. D'autre part, l'environnement du mont ne permet pas les cultures céréalières qui peuvent servir aux échanges avec l'artisanat de la métropole comme avec le grand négoce. Autun, par contre, est particulièrement bien placé pour répondre à ces besoins économiques nouveaux qui caractérisent le siècle précédent la Conquête.

LE MURUS GALLICUS

Cette désignation, souvent utilisée par les Romains à l'égard des systèmes de défense établis en région septentrionale, montre de manière évidente, la profonde différence de principe qu'ils avaient constatée entre ces aménagements et ceux couramment réalisés en Bassin Méditerranéen. Mais l'objet de leur surprise n'était que l'aboutissement d'une longue évolution commencée avec le fossé celtique. Au XIX°, la mise à jour puis la restitution du mur de l'oppidum du Mont-Beuvray, allait diffuser une image de l'ouvrage en question, mais sans préciser sa position sur la chaîne du procédé.

Après la haie vive, surtout destinée à maintenir le bétail, la première défense bien caractérisée est le fossé celtique, mais le nombre de combattants disponibles au mètre linéaire est faible, moins de 1. Ainsi les 200 à 300 défenseurs qui forment fer de lance doivent se déplacer rapidement pour suivre et prévenir les concentrations adverses et c'est la raison d'une large allée de circulation qui court au sommet de l'ouvrage. Mais le plus souvent elle est envahie par la végétation et devient sans effet face à une attaque surprise. Alors, pour la protection de l'espace réduit où la population s'est fixée, les habitants imaginent un obstacle plus abrupt et de meilleure qualité défensive, mais au-delà d'une pente voisine de 40° la terre s'affaisse, il faut donc maintenir la levée avec des lits de fagots.


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Ces ouvrages peuvent se trouver en plaine et les deux pentes sont égales. Ils prennent ainsi le caractère de nos merlons industriels mais ils peuvent également se trouver à flanc de colline, à la périphérie d'un éperon et là ils sont exposés au ruissellement. C'est une condition plus difficile mais ce sera l'origine des progrès futurs.

En pareil cas, la simple levée de terre ne résiste pas au ravinement des précipitations. L'ouvrage garni de lits de fagots offre une meilleure tenue mais ces fascines se décomposent très vite, il faut trouver autre chose. De gros troncs d'arbre dont la partie branchage s'ancre en amont et dont les racines toujours mêlées de fagots maintiennent la pente aval, se comportent déjà mieux mais l'eau s'infiltre toujours et mine l'ouvrage. Le parement de pierre apparaît comme la bonne solution mais s'il fait barrage au ruissellement il accumule des volumes de boue liquide qui engendrent de forte poussée et l'empilage est emporté. C'est à ce point de l'évolution technique qu'intervient la réalisation du Mont-Beuvrey. Le parement de modeste pierre est maintenu par des troncs d'arbre dont la partie branchage s'ancre en amont.

Si la région le permet, la meilleure solution consiste à réaliser le mur en grosses pierres bien jointives tout en laissant à espacement régulier des fentes pour éviter les accumulations d'eau et la formation de masse de boue. C'est ce qui fut fait sans doute sur l'oppidum bourguignon de Mont-Saint Vincent où les énormes blocs (cyclopéens) encombrent aujourd'hui encore les pâturages environnants.

Cependant, l'ouvrage le plus caractérisé va se développer en plaine et dérive des expériences réalisées sur pente et en soutènement. Il s'agit d'un gros obstacle de section rectangulaire ou légèrement trapézoïdal, essentiellement constitué de rondins de bois et d'un blocage de terre ou mieux de sable et d'argile. Les faces se présentent comme une multitude de lits formés de rondins "de bout" avec en intermédiaire des rondins "de long". Ces derniers sont maintenus en place par des entailles aménagées dans les troncs longitudinaux. Ce type d'ouvrage permet d'obtenir une face pratiquement verticale.

Comme il est impossible de trouver dans la nature des troncs parfaitement rectilignes et donc juxtaposables, un certain nombre d'entre eux seulement traverse l'ouvrage et font office de boutisse, les autres, coupés à longueur de 3 ou 4 pieds, s'assurent dans le remblai interne. Les espaces protégés par des ouvrages aussi coûteux sont modestes mais le nombre des combattants disponibles au mètre linéaire s'accroît. Les mouvements deviennent moindres et la largeur de la courtine se réduit à 3/4 m contre 8/12 pour les levées de terre.

Les auteurs qui ont dessiné ces ouvrages de plaine les ont surmontés d'une simple palissade. C'est peu convaincant. Les ruissellements auraient tôt fait de liquéfier le remblai interne dont la poussée ferait éclater les parements. N'oublions pas que dans la boue le bois flotte et tous les ajustements se déboîtent. Il est possible de lutter contre le phénomène avec des ancrages métalliques, on en trouve au Mont-Beuvrey mais il est beaucoup plus simple de protéger le mur avec une couverture coiffant les hourds. La disposition offre également une meilleure défense. La palissade ne protège que des traits de l'assaillant. Elle peut être facilement escaladée avec une échelle en neutralisant ses pointes avec des paillassons. L'assaillant se trouve alors de plain-pied sur la courtine. Par contre, avec des hourds il débouche au sommet d'un toit en fort mauvaise posture. Au Moyen-Age, les tirs de catapulte et de mangonneau étaient surtout destinés à détruire ces aménagements de courtine.

NUMANCE

Si les découvertes faites au Mont-Beuvrey ne sont guère convaincantes pour nous instruire sur la ville gauloise, la cité de Numance, en Espagne, sur la haute vallée du Duero est beaucoup plus révélatrice. Cette agglomération et son peuple qui vont symboliser la résistance ibérique, face à la pénétration romaine, sera méthodiquement fouillée de 1906 à 1924, par Schulten un archéologue allemand et les caractères de l'organisation urbaine mis à jour vont bousculer bien des idées reçues.

Les Numantins occupaient les hautes terres à la réunion de trois cours d'eau de montagne formant le fleuve Duero. Leur site métropole se trouve au confluent du fleuve et de l'un de ses affluents, le Merdancho. C'est un petit plateau qui culmine à 1087m tandis que les cours d'eau environnants sont à 1005/1010m. Le sommet de la hauteur portera la cité, une agglomération fermée de 400 X 260m, soit 9ha environ, tandis que les artisans se répartissaient sur les pentes et sur les rives. Schulten, estime la population du site à la veille du siège mémorable mené par Scipion à 8/10.000 personnes environ, soit 4.000 dans la cité haute et 5/6.000 sur les pentes et sur les berges. Mais les sièges déjà menés par les armées romaines lors des campagnes de Nobilior, Q. Pompeïus et Mancinus avaient sans doute modifié les rapports d'occupation. Les saccages successifs menés de 153 à 137 avaient sensiblement augmenté la densité de l'occupation intra muros et réduit les installations basses. Un rapport de 1 à 3 serait satisfaisant.

Les 8 à 10ha de la cité haute sont desservis par un maillage urbain très régulier. Deux voies longitudinales et dix perpendiculaires forment des îlots de 60m X 20m en moyenne. Ils sont encadrés de rues d'une largeur de 4 à 6m, bien empierrées avec caniveau central. Certes nous sommes en Espagne mais la région considérée se trouvait avant la Conquête dans un espace strictement ibérique, donc hors de toute influence méditerranéenne, et trouver un maillage régulier en pareil lieu fut surprenant.


Numance

Numance se trouve sur la haute vallée du Duero, au confluent du fleuve et du rio Merdancho. Le plateau culminant est occupé par une cité fermée de murailles dont la superficie représente 9ha environ. L'espace fut fouillé de 1906 à 1924 par Schulten, un archéologue allemand consciencieux et méthodique. Nous trouvons là deux voies longitudinales, (A,B) que croisent dix perpendiculaires (1 à 10). Il fut surprenant de trouver là un maillage aussi régulier. Ce plan était de coutume reconnu comme propre à l'expansion hellénistique et aux colonies romaines. Certes Numance se trouve en Espagne, mais en terre ibérique, hors de toute influence méditerranéenne. Les voies larges de 4 à 6m délimitent des ilots rectangulaires de 20/25 X 60/70m, environ, mais le parcellaire interne est difficilement identifiable. La muraille qui réserve une entrée sud (C) et deux accès tangentiels (D,E) est formée de deux murs distants de 4 à 5m (F,G) remplis de blocage. Sur la majorité du périmètre, elle fait aussi office de soutènement et c'est sans doute l'une des raisons de sa puissance


Cette disposition que nos découvertes archéologiques situent pour la première fois à Olynthe, ville de Macédoine fondée par Philippe, père d'Alexandre, était considérée comme un plan typique de l'expansion hellénistique et des coutumes romaines. L'aménagement découvert à Numance suggère donc que le dessin était également répandu hors le Bassin Méditerranéen et pourquoi pas originaire de ces régions. Une réflexion de caractère technique peut appuyer cette hypothèse.

Si la puissance et le débit instantané des précipitations ne varient guère entre les régions septentrionales et le Bassin Méditerranéen, les demeures du sud aux puissantes assises de pierre résistent mieux que les constructions du nord où les soubassements sont de mauvaise maçonnerie. D'autre part, comme les égouts indépendants n'existaient pas encore en domaine septentrional, le maillage rectangulaire régulait mieux les écoulements que la disposition en épi qui caractérise le plan centré.

Numance n'est encore qu'une découverte isolée mais elle doit nous interpeller lors de toutes nos réflexions sur l'urbanisme gaulois et notamment face à des sites de même caractère comme Langres. Si l'hypothèse se confirmait, le plan actuel de cette ville dont nous attribuons l'aménagement au programme augustéen, aurait des origines antérieures, donc gauloises.

Les travaux menés à Bibracte et à Numance ne manquent pas d'intérêt mais ce sont des sites de hauteur, déjà fixés au néolithique et qui n'offraient pas la viabilité requise pour les nouvelles métropoles. Ce sont des faits de guerre qui ont mis Bibracte en évidence et placé Numance au centre d'un dispositif défensif, mais ces deux villes végéteront durant le siècle à venir, faute de viabilité suffisante. Ainsi, pour imaginer les villes gauloises, il ne nous reste que la démarche logique avec hypothèse raisonnable.

LES SITES DE BON COMPROMIS

Comme nous en avons admis l'hypothèse, les cinq siècles qui précèdent la Conquête voient les facteurs économiques faire jeu égal ou prendre l'avantage sur les considérations purement politiques et militaires. Ce sont donc les sites de bon compromis et non les puissants éperons barrés de l'époque antérieure qui serviront au mieux la fonction de métropole régionale. Bourges, Chartres et Poitiers en sont de bons exemples.

Nous trouvons la un promontoire faiblement marqué et des terres basses en bordure de rivière. Cette disposition permet une lente et régulière mutation selon les besoins. Le développement va du haut néolithique au siècle qui précède la Conquête mais ses étapes successives ne correspondent pas nécessairement aux âges définis par l'archéologie, et sont plutôt liées au développement du cheptel et des cultures.

Sur une première et longue période, l'éperon très largement barré par une puissante haie vive sert essentiellement au parcage d'hiver. Si troupeaux et cultures se développent, ils iront se fixer dans des enclos satellites, le long des vallées d'abord et sur les plateaux ensuite. Dans ces conditions le site n'évolue guère. L'artisanat spécifique qui se développe peu à peu forme une petite agglomération distincte de l'habitat pastoral. Les premiers traitements se font le long de la rivière mais les échoppes s'installent sur l'extrémité de l'éperon.

L'âge du bronze permet un développement de l'artisanat que l'éperon barré absorbe sans difficulté, seules les installations basses deviennent permanentes. Ces terres qui servaient primitivement au parcage puis aux cultures destinées à l'approvisionnement en légumes frais se couvrent maintenant de constructions; c'est la seconde phase.


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En troisième étape, les importantes mises en culture de l'âge du fer fixent définitivement les exploitants sur leurs terres et les déplacements saisonniers disparaissent. La partie haute, l'éperon barré, perd de son intérêt, cependant il demeure occupé par une forte composante agricole attachée au site. Ces gens cultivent les terres basses et le plateau dans un rayon de 2/3 km. Ils construisent leur ferme sur un parcellaire disposé le long de la voie centrale. L'extrémité du promontoire où seuls subsistent un petit nombre de commerçants et d'artisans peut se fermer d'un nouveau fossé et devenir réduit ou citadelle.

Sur une ultime étape, les artisans et commerçants devenus composante majoritaire dictent leurs règles. Ils se lient au grand négoce et proposent des produits très élaborés à une large clientèle. Mais pour assurer une bonne marche des affaires et la libre circulation des personnes et des marchandises, les tenants du pouvoir économique vont promouvoir une identité provinciale et un esprit qui doit veiller aux intérêts de la cité. Une composante religieuse peut également servir la notoriété, voire l'emprise de la ville sur son environnement rural. Le caractère de métropole est acquis.

Bon nombre de sites secondaires connaîtront la même évolution sur les trois premières étapes mais la quatrième sera réservée aux plus grands parmi les mieux placés.

Dans cette dernière étape, la population s'accroît selon la richesse et le volume d'échanges réalisés avec l'assiette économique. C'est la ville basse qui en tire le meilleur profit mais la ville haute se modifie également. Les agriculteurs doivent laisser la place à des citadins que les conditions d'existence de l'éperon ne gênent pas. Ce sont les notables, les commerçants et les artisans chargés de la manufacturation finale. La cité haute ainsi développée sera protégée d'une défense tandis que le réduit d'extrémité risque de tomber aux mains d'un pouvoir comtal, mais la branche politique, un aéropage de notables dont la fonction devient propriété de caste doit veiller à maintenir allégeance et discipline au sein des groupes armés fixés dans la citadelle. La ville découvre les subtilités par lesquelles s'exprime la vie politique naissante.

LA METROPOLE ECONOMIQUE

Le développement d'une ville sur deux niveaux, agglomération active en bas et cité fermée sur la hauteur, représente un handicap dans la plupart des cas. Les commerçants et nantis d'en haut ont tendance à répercuter sur les besogneux d'en bas les charges et surcoût d'exploitation liés à leur situation. Le manque d'eau, notamment, implique une domesticité plus nombreuse pour toutes les activités. D'autre part, la cassure des chaînes de production entre prémanufacturation en zone basse et finition et négoce au sein de la ville haute pénalise la productivité et engendre des frictions entre les deux niveaux économiques. S'en suit une sclérose qui peut profiter aux bourgades environnantes. Enfin, la maîtrise politique, jointe à la protection de la muraille, peut inciter les occupants d'en haut à prendre des décisions lourdes de conséquences.

Parfois également ce sont les courants économiques qui se dérivent et se fixent en un lieu plus ouvert qui revendique à son tour le titre de métropole. Ce sera le cas d'Orléans, d'abord tributaire des Carnutes puis ville indépendante grâce au transit et à la richesse que lui apporte le pont lancé sur le fleuve. Parfois également les oppidum trop nombreux et mal situés n'ont aucune chance de s'imposer. Ce sont alors les phénomènes essentiellement économiques qui fixent l'agglomération métropole. C'est le cas d'Amiens bien placé sur l'ancienne voie de l'étain menant directement du port des Parisii à Boulogne. La Chaussée d'Agrippa qui de Reims devait joindre Boulogne par Terrouane, sera dérivée par Soissons afin de rejoindre cet axe traditionnel. Le tracé primitif se poursuit vers le nord et se perd à la hauteur de Vermand.


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Si les informations que nous possédons sur le monde rural gaulois sont nombreuses, les villes, par contre, demeurent un mystère, il nous faut donc rechercher des indices pour une restitution acceptable. La ville d'Orléans semble intéressante. Son identification avec la Genabum gauloise est attestée par le franchissement tangentiel (A). Ce fut d'abord un passage à risques en période d'étiage et cela dès le néolithique. Ensuite, des surcharges de pierres et de graviers vont former des îlots. Des cordes tendues par les passeurs aideront les voyageurs en difficulté. Enfin, les artisans qui veulent de l'eau courante aménagent l'ouvrage à leur convenance. Les îlots renforcés par des pieux (B) permettent des constructions permanentes et les écoulements canalisés (C) servent au lavage des produits. Le franchissement devient soumis au bon vouloir des occupants mais les deux millénaires d'existence ont permis la fixation du carrefour (D) qui devient le cour de l'agglomération marchande. Avec le développement qui caractérise la Tène finale, les bourgeois décident de construire un véritable pont (E) accessible aux chariots et la voie sans doute hors les murs peut nous donner la limite ouest de la cité. La limite sud est naturellement fixée par le fleuve avec de larges berges (F), une île artificielle (G) facilite l'accostage par fort courant. Comme il est plus facile de descendre en charge et de remonter à vide que l'inverse, le marché principal (H) se trouve en amont. Il est hors les murs et cela nous donne la limite est de la cité. L'urbanisation romaine qui procédera sans doute par étape installe le forum (J) dans le prolongement du marché gaulois. Enfin, la limite nord peut être estimée en fonction du carrefour d'origine. Les 8 ha ainsi défendus peuvent contenir de 3500 à 4000 personnes mais la ville privilégie le commerce et l'artisanat et nous pouvons estimer la population besogneuse installée sur les axes rayonnants (K,L,M,N) à 70/75% de l'ensemble. Ceci représente une population globale de 12 à 15.000 personnes; Genabum était donc une grande ville gauloise. C'est également la population estimée à l'intérieur de l'enceinte du Bas-Empire. La démarche semble donc cohérente.

Ces villes dont le point d'origine est généralement le carrefour de la voie de franchissement et de l'itinéraire sur berge se situent sur des espaces libres d'occupation antérieures et relativement plans. Elles peuvent donc s'étaler sans contrainte sur les axes majeurs ainsi que sur les voies rayonnantes mais à la première menace grave, la mise en défense pose des problèmes déchirants. Ces villes feront donc leur possible pour rester solidaires de le pays environnant et bénéficier d'une défense dynamique menée par des combattants où se mêlent milice de ville et contingent levé dans la province. C'est l'organisation politico militaire à laquelle les armées de César semblent se heurter en région septentrionale.


LES CONSTRUCTIONS URBAINES

En agglomération, les constructions doivent répondre à des exigences des plus diverses mais toujours s'inclure dans le parcellaire et cette contrainte nous permet de dégager les grandes lignes des programmes. Dans les zones périphériques réservées à l'artisanat de première manufacturation, l'espace est relativement libre et chaque propriété se développe sur une largeur de 15/20m en moyenne. La construction de façade comporte demeure et grange avec porte cochère pour les chariots, les ateliers et hangars étant installés autour de la cour intérieure. Si la propriété est peu profonde, 30m environ, le développement ultérieur ne changera guère la disposition mais, dans le cas contraire, les partages successifs transformeront l'accès de la grange en passage collectif et de nombreuses échoppes avec logement seront installées côté cour. La façade sur rue, la plus valorisée lors du développement économique, se dotera de plusieurs niveaux. Les habitants sur passage se contenteront, eux, d'un atelier au rez-de-chaussée et d'un logement à l'étage.

Le parcellaire donnant accès à la rivière connaîtra une évolution plus confuse. Lorsque les accès directs seront saturés, viendra le temps des ouvrages en bois sur pieux qui permettent de multiplier les postes sur eau courante. Ensuite, et si la largeur du courant le permet, viendront les ateliers sur barge mais toutes ces activités doivent se disposer pour ne pas polluer les aménagements en aval. Les ateliers ou barges de rouissage, et plus tard les moulins à foulon qui engendrent beaucoup de déchets flottants, sont toujours situés en aval.

Tout ceci se conçoit en contexte hors les murs. En espace fermé la situation est beaucoup plus contraignante et seules y demeurent les activités qui peuvent se maintenir sur un espace réduit. Le parcellaire tombe à 8m, 5m et parfois moins. L'accès aux cours n'est plus qu'un simple couloir et toutes les manutentions doivent se faire à bras d'homme. Dans ces conditions, les constructions à trois ou quatre niveaux ne sont pas à exclure.

Ces contraintes sont de toutes les époques. Le Moyen-Age les a connues, et le XIX° les subissait encore. Il est donc parfaitement logique de les appliquer aux villes gauloises.

Sur ces parcellaires nous pouvons imaginer les édifices appropriés et construits selon les niveaux déjà analysés dans le cadre rural, l'image de la rue gauloise devient accessible. Mise à part l'absence de verres à vitres, de tuiles et de briques facilitant l'installation des foyers, nous sommes alors très près des conditions du Haut Moyen-Age. Ainsi, avant et après les trois ou quatre siècles marqués de la Pax Romana, la physionomie du monde occidental n'aurait que fort peu changé.