ROME
L'ESPRIT ET LA FORME
A l'époque où les architectes de Philippe de Macédoine tracent les plans de la nouvelle ville d'Olynthe, les Romains achèvent de reconstruire leur cité détruite par les invasions gauloises, 35 années auparavant. Les travaux portent alors sur l'achèvement du mur Servien qui doit les mettre à l'abri de toute mauvaise surprise. Pour redonner un toit à chacun, la reconstruction s'est faite en hâte et dans un certain désordre et les Romains sont bien loin d'imaginer une fastueuse cité ouverte comme le font les Macédoniens. Chez eux, le maillage urbain régulier apparaît tardivement avec les fondations de caractère colonial.
L'origine de cette option est incertaine et de nombreux historiens exploitant la chronologie de nos découvertes affirment que ce plan est issu du camp militaire. Le rapprochement paraît convaincant mais est-ce bien satisfaisant? Le quadrilatère régulier n'est pas nécessairement la meilleure façon de disposer une troupe en terrain hostile. Les positions avantageuses se trouvent sur des sites dominants, parfois bordés de cours d'eau, et les oppidum ainsi que tout plateau au découpage crêté, se prêtent mal au déploiement en quadrilatère régulier. Si l'armée s'impose cette discipline, c'est que l'esprit est d'une autre origine. D'autre part, le petit camp légionnaire qui respecte également cette disposition est une option tardive. Elle apparaît avec le découpage de l'armée en unités tactiques et l'une et l'autre trouvent leur justification dans les opérations de mouvement menées en terrain dégagé. Nous pouvons donc suivre la naissance des formes selon les besoins, mais l'esprit est ailleurs.
Les Romains qui avaient supporté la monarchie dans la première et difficile période de leur histoire vont bientôt créer un système politique plus conforme à leurs aspirations: la République. Ce faisant, ils condamnent également l'armée de métier, l'instrument du tyran. Ils entendent confier la défense de leurs intérêts à des contingents levés dans les tribus. La décision sera prise par le Sénat romain mais en bonne démocratie il faut qu'elle soit ratifiée par les instances provinciales. Chaque sénateur rejoint sa tribu, explique aux Sages qui l'ont délégué les raisons et l'intérêt de la guerre à mener ensuite, les orateurs sont chargés d'expliquer la décision au peuple assemblé. Il faut également motiver les hommes en âge de porter les armes. Ce sont des réunions de masse qui se présentent comme un Comice. Propriétaires, représentants des castes et personnalités prennent place selon un ordre strict et ce phénomène de masse engendre un enthousiasme où le patriotisme s'enflamme, où l'on oublie vite les risques que la guerre implique. "Galvanisées" les populations forment des centuries de volontaires qui seront confiées à des vétérans: les Centurions. L'armée est sous les ordres d'un Légat désigné par le Sénat mais l'encadrement subalterne reste à la charge des cadets de la caste équestre. Avant l'action, centurions et cavaliers vont former les recrues sur le Champ de Mars.
En résumé, et selon l'esprit républicain, rien n'a été préparé. La guerre est l'affaire du peuple qui prend les armes afin de gérer son destin. Mais, pour éviter le chaos, les contingents vont s'imposer un ordre strict issu de celui qui régnait dans les Comices tributes. Ces assemblées politiques et militaires laissent à chaque citoyen un souvenir profond. Là réside la force du peuple.
Cette organisation rationnelle et les comportements réglés et disciplinés, qu'elle impose peut également servir de cadre de vie dans une articulation urbaine optimum. Elle imposera à tout individu une discipline aussi stricte que celle respectée dans les assemblées politiques ou dans les déploiements militaires. Tel est le caractère profond des Latins. Mais, pour qu'il puisse se dégager et s'imposer avec force, il faut que l'esprit de la nation soit trempé par une dure épreuve. Les guerres samnites et puniques seront le révélateur de ce phénomène tandis que les nouvelles terres conquises permettront la mise en oeuvre d'un urbanisme conforme à l'esprit de Rome.
Les premières cités idéalement articulées seront les villes coloniales. Elles s'installent dans un environnement demeuré hostile et les vétérans prennent une place importante dans le peuplement. A charge pour eux de maintenir et de transmettre les valeurs militaires qui font la force de la nation républicaine. Les fils des Centurions feront souvent carrière dans l'armée et prendront ensuite la relève du père au sein de la cité. La République trouve ainsi une pépinière de cadres qui, par vocation, entraînent sur le Champ de Mars les jeunes tentés par le métier des armes. Cette préparation militaire permettra la levée des Centuries le cas échéant. De ce fait, la colonie gardera longtemps son esprit "sous les armes", même dans les temps pacifiés où le commerce et l'artisanat se sont imposés. La Rome républicaine est une nation en ordre, en arme, et en marche. C'est l'état d'esprit que tentera de restaurer la République Française, au siècle dernier ensuite, dans notre conquête du Monde, nous allons aussi fonder des colonies, tandis que la monarchie anglaise maintiendra l'aristocratie locale en place.
Dès leur cité reconstruite, vers 380, les Romains partent en campagne vers le sud afin d'imposer leurs lois au pays latin. C'est un domaine modeste. Les bonnes terres qui se situent entre la mer et les monts Lepini, celles de la vallée du Liri, et celles situées au nord du Voltuno ne représentent guère plus qu'un département français et nous pouvons leur accorder une population de 300.000 personnes. Les affrontements nous sont décrits comme violents mais les Latins ont-ils engagé toutes leur forces, soit les 60.000 combattants fournis par les classes d'âge de 20 à 40 ans ou simplement les cavaliers et quelques volontaires rapidement formés, soit 6 à 8.000 hommes. Cette seconde hypothèse est beaucoup plus probable. A cette époque, l'armée de Rome n'était pas en mesure de faire mieux. La conquête s'éternise. Enfin, une bataille décisive se déroule en 340, au pied du Vésuve. Les Romains considèrent la conquête achevée et entament une nouvelle action vers la riche Campanie. Bien que bordée de colonies grecques, cette terre est considérée comme province samnite et l'armée romaine va se trouver confronter à ce puissant peuple qui occupe le centre de la péninsule.
Dans une Italie sans doute moins aride qu'aujourd'hui, les Samnites gèrent leurs troupeaux de bovidés dans les vallées et sur les pâturages de moyenne montagne, à la manière des peuplades alpines. Bons combattants et experts dans l'art d'utiliser le relief accidenté, ils vont opposer une sérieuse résistance aux Romains mais les diverses tribus se sont organiées par vallée et la nation manque de cohésion. Sur la période cruciale des engagements, vers 310/300, les Samnites pour une fois rassemblés sous les ordres d'un chef unique, Ponthius, infligent une cruelle défaite aux Romains et les vaincus doivent passer sous les fourches caudines. Après cet affront, le Sénat romain lève de nouvelles forces et le général samnite est vaincu à son tour en 291, c'est la fin de la résistance organisée. Les Romains se trouvent maintenant face aux colonies helléniques du littoral, et doivent nécessairement intervenir par terre et par mer mais, agriculteurs par nature ils n'ont qu'une médiocre flotte. Les capacités maritimes d'une nation dépendent de ses équipages, de ses chantiers navals et de la qualité des carènes, comme des équipements. Autant de facteurs en rapport direct avec le nombre de ports exploités. La flotte de Rome se limite donc à des navires de petite taille et de faible tirant d'eau capables de remonter le Tibre. Ainsi la guerre s'éternise. En 280, Pyrrhus, roi d'Epire, débarque dans le golfe de Tarante à la tête de 25.000 hommes et de 20 éléphants afin de soutenir les colons grecs. Il bat une première fois les Romains à Heraclée, en 280, puis à Asculum en 279, mais cette seconde victoire lui occasionne de telles pertes que l'avenir de son corps expéditionnaire est compromis (une victoire à la Pyrrhus). Après une dernière bataille livrée et perdue contre les Romains en 276, à Bénévent, le roi d'Epire quitte définitivement l'Italie . Rome va bientôt se heurter à la puissance carthaginoise.
Vers 300, les Carthaginois qui voient les Romains réduire les colonies grecques du sud de la péninsule, se comportent d'abord en spectateurs puis deviennent opportunistes. Ils aident indirectement les Romains en détruisant une partie de la flotte de Pyrrhus, occupent la Sardaigne et prennent pied sur les ports occidentaux de la Sicile. De son côté, le roi d'Epire quitte l'Italie en 276 permettant ainsi aux Romains d'achever leur conquête. Ils occupent la région de Tarente en 272 et progressent méthodiquement en Calabre pour arriver sur les rives du détroit vers 266. De là ils espèrent conquérir la Sicile sans grande difficulté mais les Carthaginois ont la même ambition. En 264, ils assiègent Messine espérant ainsi vérouiller l'accès de l'île aux Romains. Les Grecs appellent les Romains à l'aide; la première guerre punique commence.
Les Romains, ces terriens, affrontent maintenant une très grande puissance maritime mais les premières Opérations menées en Sicile montrent leur faiblesse en ce domaine. La République entreprend alors un vaste programme de construction navale et les équipages grecs instruisent les Romainbs à la navigation. Bientôt la Sicile est occupée, Rome tente même une incursion en Afrique qui échoue. En 242 Carthage accepte la paix. En 235, les populations de Sardaigne soumises au joug punique se révoltent. Rome intervient et occupe l'île en 230. Les Carthaginois qui ont des problèmes avec leurs possessions ne bougent pas. Vers 225, les Gaulois de la Cisalpine, qui imaginent Rome très occupée au Sud envahissent à nouveau l'Etrurie. Les batailles sont rudes mais la République l'emporte à nouveau en 220. La vallée du Pô est entièrement occupée. En 219, les habitants de Sagonte se révoltent contre leur maître carthaginois, Rome leur vient en aide mais Hannibal intervient en force. Sagonte tombe l'année suivante, c'est le début de la seconde guerre punique. Le général carthaginois rassemble une armée de 90.000 fantassins avec 37 éléphants et entreprend une folle aventure. Il traverse les Pyrénées, le sud de la Gaule puis les Alpes et arrive dans la vallée du Pô, mais il ne lui reste que 25.000 fantassins et 6.000 cavaliers. Heureusement il reçoit le renfort des Celtes. La République lève des contingents dans toute l'Italie, défend l'Etrurie mais perd la bataille du lac Trasimène. Le Carthaginois qui n'ose aborder Rome descend plus encore et gagne une grande bataille à Canne, en 216. La République a perdu là, 50.000 tués et 20.000 prisonniers et connaît la phase la plus critique de sa longue histoire mais sa volonté politique demeure inébranlable. De nouvelles levées d'hommes viennent reformer les rangs et la guerre reprend de plus belle. Le Carthaginois dont les forces s'épuisent espère le secours de son frère Hasdrubal qui franchit les Alpes, à son tour, avec 60.000 hommes mais il est battu en 207, en Ombrie. Scipion le Romain en profite pour occuper la totalité de l'Espagne et passe en Afrique. Hannibal a déjà quitté la péninsule, la deuxième guerre punique s'achève en 202 par la victoire des Romains à Zama. La troisième guerre punique 148/146, a pour objet la destruction totale de la civilisation punique.
Après la conquête du nord de la péninsule, les Romains traitent le plus urgent. La voie Aemilia Scourie qui mène en Provence par les villes portuaires est un cheminement acquis de longue date et les grands problèmes d'aménagement se trouvent en Gaule cisalpine. De Fanum Fortunae (Fano) une grande voie stratégique joint puis longe la vallée du Padus (Pô). Elle se prolonge jusqu'à Augusta Torinorum (Turin) puis franchit les Alpes. Un autre itinéraire majeur relie les cités aménagées au pied des vallées alpestres: c'est la voie Postunia.
Partant de Fanum Fortunae, point d'aboutissement de la voie Flaminia venant de Rome, le premier grand tracé stratégique du nord, la via Aemilia, joint la vallée du Pô, le longe et franchit le fleuve à Placentia (Plaisance). Ensuite il longe la rive nord jusqu'au point où le grand fleuve se forme par la jonction de quatre rivières alpestres. C'est une zone de convergence économique très favorable aux destinées d'une agglomération et le site est déjà occupé par une tribu ligure (les Torinii). La première fondation romaine date de l'époque du triumvira et prend le nom de Julia Torinorum. Elle occupe le plateau situé au confluent du Pô et de la Dora Riparia. Nous ignorons l'état de son développement mais le quadrilatère et les orientations du decumanus et du cardo sont déjà acquises. Au temps d'Auguste, en 25 avant J-C, la fondation est confirmée et prend le nom d'Augusta Torinorum. Le decumanus (Y,Y') est alors coupé par le cardo (X, X') et l'agglomération se limite à (Z,Z') soit 48 ilôts.
La trame de base que l'on peut identifier en perpendiculaire (A) respecte un pas de 84/85m environ (B). Sur ce dessin, nous pouvons imaginer un découpage en parcellaire sur base de 60 pieds. Chaque lot de 17 X 38m environ (C) permet de construire une villa traditionnelle a deux cours (D) mais également tout autre programme fonctionnel. Les rues sont étroites (5m environ) et la desserte de revers doit se présenter sous la forme d'une ruelle de 2m de large. Les Romains n'ont pas encore intégré à leur programme l'usage du chariot hippomobile qu'ils vont trouver en Gaule transalpine. L'emplacement du forum n'est pas connu mais il pourrait se trouver sous les ilôts (E,F,G,H) où la trame de base disparaît. La démolition du mur (Z,Z') et de la porte (J) permettant l'agrandissement de la cité de 24 ilôts nouveaux, fut réalisée à une date inconnue. Les fouilles ont mis à jour les fondations du théâtre (K) à l'angle nord/est de la cité. La porte nord, dite Palatine (L), est parfaitement préservée. Ce maillage romain traversera les siècles, il est toujours visible dans le plan contemporain.
De Turin, Augusta Torinorum, les voies romaines vont rayonner vers les cols alpins et ce sont désormais les difficultés du terrain qui s'imposent à la volonté de l'homme. Les cheminements aménagés sont ceux que nous exploitons aujourd'hui. De la plate-forme de Turin, une voie principale joint Suza puis emprunte le col du Mont-Cenis. Une autre, sans doute moins importante, franchira les Alpes par le col de Montgenèvre. Après la campagne de Marius, les Romains qui se sont définitivement implantés en Provence, s'imposent dans la vallée du Rhône et les Allobroges deviennent leurs alliés. Il faut une voie directe vers ces nouveaux amis de Rome. Ce sera une rocade qui longe la vallée de la Dora Baltea puis joindra Aoste et franchira le col du petit Saint-Bernard. La ville de Piémont sera sans doute une étape militaire puis un camp permanent au temps de César et enfin une ville coloniale au temps d'Auguste vers 25 a.v J-C.
Augusta Preatoria construite à la même époque que Turin en reprend le plan mais en plus modeste. Sur le decumanus (A,A') qui suit la route du col, le programme forme un carré (B,C,D,E) sans débouché pour le cardo (F,G). L'espace est ensuite découpé en ilôts par les voies (H, H' et J, J') puis en six rectangles par des voies perpendiculaires. Ceci donne 24 ilôts de forme rectangulaire dont les proportions sont voisines de 1/2. Le dessin semble tirer enseignement des programmes précédents en privilégiant les rues destinées à distribuer les façades d'ilôts. Nous proposons un plan de découpage en 14 parcelles de 72 pieds (K) avec desserte de revers (L). Ultérieurement la ville sera agrandie de 8 ilôts situés à l'ouest (voies M,N) tandis que le forum sans aménagement particulier qui devait se situer au centre du premier plan se trouve remplacé par un ensemble sur cryptoportique (P) peut-être avec basilique (Q). Enfin, les 4 ilôts nord/est sont isolés par des murs (R,S) pour recevoir le théâtre (T) et l'amphithéâtre (Q). En (V), nous proposons de voir les thermes contigus à l'ancien forum.
Dans les études qui vont présider au développement des programmes urbains, des expériences comme celles d'Arles et de Narbonne renforcent le point de vue des économistes. En Cisalpine, la grande voie de la vallée du Pô semble tout draîner mais les sources de richesse sont ailleurs. A proximité du lac de Garde, qui forme un ensemble autonome, la vallée de l'Adige constitue une grande voie de pénétration qui dessert tout un secteur alpin. Elle reçoit les apports du franchissement du col du Brener ainsi que ceux venant de Lienz et de Spittal. L'ensemble de ce potentiel économique se devait d'être traité avant sa diffusion dans la vallée. Le large méandre ou fut implantée la cité romaine constitue un bon choix, la ville sera urbanisée en petits ilôts (A) de 80 X 80m environ et sera fermée par un mur (B). Le forum (C), placé au centre de l'espace urbain est entouré de nombreux monuments, une basilique (D) deux temples (E,F), le théâtre, lui, profite du dénivelé offert par la rive opposée (G). Enfin, l'amphithéâtre (H) se situe hors le mur dans un espace propice au développement ultérieur.
Située entre le lac de Garde et celui d'Iseo, Brescia comme Vérone est en situation favorable pour contrôler un secteur de l'économie alpine avant sa liaison avec l'artère majeure que constitue la vallée du Pô. Le site est flanqué d'une hauteur stratégique qui fut sans doute à l'origine de la fixation urbaine ainsi la ville romaine établie au sud de la hauteur avait un double but: maîtriser cette position stratégique et stimuler les ressources de l'entre deux lacs. La trame urbaine apparemment "taillée" dans une agglomération existante mais sommaire est d'un dessin très irrégulier. Le pas s'écarte entre les axes 3 et 5, sans doute pour laisser la place d'un forum (A) situé sous les marches du grand temple (B) établi au pied de la citadelle (C). Le dénivelé (D) permet également l'installation d'un théâtre (E) en bonnes conditions. L'enceinte (F) englobe la nouvelle ville basse comme la citadelle et si l'accès majeur (G) se trouve dans l'axe du forum, la rampe qui mène à la citadelle (H) comme l'accès de plateau (J) sont préservés. La ville peut aborder sa période romaine fastueuse comme les vicissitudes historiques qui vont suivre. Le repli se fera sur la hauteur en cas de risque majeur.
Avant de se développer dans son vaste delta, le Rhône rencontre des hauts fonds et des émergences qui justifient son éclatement. L'une de ces dernières infléchit le cours principal du fleuve et c'est un site de grand intérêt. Là se font les transbordements entre navigation fluviale et maritime, ce sera Arelate (Arles I,A). Au cours des siècles qui précèdent la Conquête c'est une cité gauloise florissante et jalouse de ses privilèges, ainsi les navigateurs grecs dont le port d'attache se trouve à Massalia doivent traiter avec eux pour commercer avec la Gaule. Pour se débarrasser de cette tutelle ils vont installer un comptoir concurrent face au port gaulois.
Lorsque les Romains désirent établir un itinéraire stratégique suivant le pourtour de la Méditerranée pour atteindre leurs nouvelles possessions d'Espagne, le tracé s'éloigne de la côte afin d'éviter l'étang de Berre et le delta, et Arelate sera choisie pour le franchissement du grand Rhône. Dans le siècle qui suit, la ville gauloise est aménagée selon un maillage régulier (A) qui doit cependant respecter le quadrilatère de l'ancienne défense. Le pont (B) déjà en place est indépendant de l'agglomération. En ces terres conquises mais encore mal soumises, c'est une sage précaution ainsi le flux des voyageurs et marchands indigènes qui circule sur la voie nouvelle ne pénètre pas intra-muros et les marchés qui les accueillent doivent se tenir dans un espace situé au nord-est et sommairement urbanisé (C). La même précaution sera, semble-t-il, prise % Narbonne, les Gaulois l'avait également appliquée à Orléans.
A cette époque, le grand Rhône représente une largeur supérieure à 300m et son régime, ainsi que la nature de ses fonds, rendait difficile la réalisation d'un pont traditionnel ainsi les ingénieurs romains choisiront un ouvrage sur ponton. Le problème est délicat, le tablier de roulement suit le niveau des eaux et impose des rampes d'accès articulées (D). D'autre part l'ouvrage interdit le passage des bateaux, il faut donc une section mobile (E). Sur la planche technique qui suit, nous proposons une étude qui satisfait aux impératifs du programme.
AUTUN fondé dans les 15 années qui précèdent notre ère fut traité avec ampleur et faste. Les 200 ha urbanisés comportent un théâtre (A) le plus grand des Gaules, un amphithéâtre (B), des temples et un forum (C). La muraille longue de 6.000m disposait de quatre portes dont deux sont conservées (D,E). Le mur d'une épaisseur moyenne de 1,70m faisait 11 à 12m de haut. S'il s'agit d'une métropole offerte aux Eduens, le programme demeure dans l'esprit des colonies. Au siècle des Antonins, la ville étouffe dans son enceinte et un vaste faubourg se développe sur l'autre rive de l'Arroux où un théâtre fut récemment découvert (F) à côté du temple de Janus (G). Au Bas-Empire, la ville se replie sur deux enceintes, l'une côté forum (H) l'autre sur le promontoire sud (G).
Les origines de la ville de Trêves sont incertaines. La fixation du plan augustéen remonte au 1er siècle mais l'agglomération sera totalement détruite sur la période 250/275, puis reconstruite sur le plan ancien, au temps de Constantin. La muraille relevée date également de cette époque mais elle est très vaste et peu conforme au dessin de la cité, d'où l'hypothèse d'une reprise d'un mur du Haut Empire, lui même partiellement installé sur l'enclos gaulois. Si nous admettons la ville gauloise sur l'éminence où se trouve l'amphithéâtre, nous obtenons le même schéma d'ensemble qu'à Reims. (A) basilique chrétienne, (B) basilique civile, (C) thermes impériaux, (D) grand cirque, (E) amphithéâtre, (F) forum, (G) palais constantinien, (H) thermes, (J) odéon, (K) sanctuaire gaulois, (L) temple.
Peu avant la conquête des Gaules, les Silvanectes venaient de rejeter la tutelle politique de leurs puissants voisins les Suessions et les Bellovacques et le contrôle qu'ils exerçaient sur une portion de la riche vallée de l'Oise allait conforter leur situation. Les Romains qui veulent rééquilibrer les domaines politiques de cette région confirment l'état des Silvanectes. Ils auront une métropole inscrite dans les réseaux routiers qui se mettent en place. Le vieil oppidum de Toutevoie La Chaussée situé face à Sainte-Leu d'Esserent n'est guère favorable à l'édification d'une ville augustéenne, par contre, l'éperon faiblement caractérisé qui domine le confluent de l'Aunette et de la Nonette offre tous les caractères requis. Là sera Augustaumagus. Le maillage urbain, basé sur un decumanus (A) correspondant à la voie de Lutèce et comporte 36 ilôts rectangulaires de taille moyenne, environ 145 X 95m. Mais cette fois la ville est dépourvue de murailles et de portes, c'est une agglomération ouverte et les Romains appliquent là un raisonnement proprement septentrional que les Gaulois ont toujours admis. A quoi bon défendre une ville s'il faut laisser ravager les campagnes ainsi que les récoltes. La terre d'une tribu constitue un ensemble indissociable qu'il faut défendre en rase campagne avec une levée de toutes les forces disponibles. Bavay, Amiens, ainsi que Reims, seront également traitées en villes ouvertes, cette dernière recevra même quatre portes monumentales sans aucune fonction réelle. Les Romains ont du retrouver là une notion ancestrale puisque leur ville était, elle-aussi, dépouvue de murailles jusqu'à sa destruction par les Gaulois. A Senlis, nous trouvons également une autre innovation, le forum n'est plus au centre de la ville mais contigu à la limite urbaine. Bavay et Amiens, premier programme, feront de même. Il s'agit là d'une facilité offerte aux ruraux venant à la métropole avec équipage et chariots. Les villes septentrionales adopteront ensuite ce plan augustéen ouvert.
Si la ville d'Amiens n'a pas livré tous ses secrets nous en savons suffisamment pour tracer les grandes lignes de son évolution urbaine. Au début du second siècle, le premier maillage urbain (A) établi à côté de la ville gauloise (B) et sur les bords de la Somme se trouve saturé. L'urbanisation a même gagné sur les vieux quartiers gaulois (C). Cet ensemble de 1200 X 400m environ sera plus que doublé par un nouveau programme établi en parallèle vers le sud. Certaines voies se raccordent (B), d'autres pas (E). A la jonction des deux systèmes, deux îlots (F,G) sont affectés à la construction d'un grand forum (H) contigùe à l'amphithéâtre (J) probablement une reconstruction. Ce nouveau maillage semble également intégrer les thermes (K) d'importance modeste. La chaussée venant de Noyon (L) se trouve redressée par le maillage urbain (M) mais son alignement demeure dans une voie contemporaine (N). Le carrefour de l'ancienne balise (P) traversera les siècles. L'axe majeur venant de Senlis (Q) restera également présent dans le paysage urbain. Enfin, la configuration actuelle du quartier sur l'eau (R) nous permet également de restituer sa physionomie antique probable. L'agglomération marchande est desservie par un canal (S) avec des pénétrantes (T). C'est le quartier des docks, tandis que les barrages (U, V) établis par les artisans gaulois demeurent. Dans l'agglomération sur l'eau, (W) la Pax Romana a sans doute justifié un remodelage des voies (X) et des canaux (Y). Les grands coulants (Z) demeurent pour évacuer les forts débits d'hiver.
La Chaussée d'Agrippa, Lyon-Boulogne, imposait une vision impériale. Tout le potentiel septentrional se trouvait draîné vers le bassin Rhodanien, vers la Méditerranée. Cependant les articulations naturelles ont la vie dure. Dès la fin du siècle d'Auguste, le tronçon Amiens, Paris, Orléans qui joint la Manche aux deux grands fleuves retrouve toute sa vitalité. Ce trafic va servir Lutèce et la nouvelle bourgeoisie Gallo-Romaine fait construire une vaste ville ouverte avec un forum (A) un théâtre-amphithéâtre (B), un Odéon (C) et des Thermes (D). Les églises du premier millénaire (E,F,G,H,J,K,L) témoignent de la persistance des coordonnées urbaines.
L'Agedincum celtique ne correspondait sans doute pas avec l'agglomération romaine, mieux vaut la situer à 1200 m en amont à proximité du confluent de la Vanne. C'est vers ce point que s'aligne le tracé de la voie romaine venant d'Orléans. L'agglomération nouvelle qui succéda peut-être au grand camp dont parle César comporte au nord de la voie X,X' un maillage régulier délimitant des îlots carrés (A). Au sud du nouveau franchissement (B), les ilôts (C) qui représentent une extension vers l'agglomération gauloise deviennent rectangulaires (D). L'amphithéâtre (E) se situe en limite d'agglomération. Enfin, comme le cours de l'Yonne est peu favorable aux manoeuvres d'accostage et que l'ancien port gaulois se trouve au confluent de la Vanne, Agedincum aménage un port artificiel (F) dont les terrassements faciliteront la future déviation du cours (G) destinée à mieux protéger la muraille du Bas-Empire (H). Ce fossé deviendra un véritable bras. Au début du XIX0 s. la métropole des Senons est toujours incluse dans la muraille du Bas-Empire.
Au temps de la Conquête, les Lémovices, se trouvent bien installés sur le moyen cours de la Vienne. La Chaussée d'Agrippa venant de Lyon et se dirigeant vers les côtes de l'Atlantique atteint le fleuve à proximité d'une hauteur caractérisée (A) sans doute occupée par les Gaulois. Le franchissement oblique qui la dessert sera négligé et la nouvelle ville Augustoritum sera construite sur un plan augustéen, ouvert, établi à cheval sur le decumanus X,X'. Le cardo Y,Y', semble, lui, desservir la cité gauloise. Nous connaissons un théâtre (B), un forum (C) et un amphithéâtre (D). Au Bas-Empire, la population se replie sur l'ancienne ville gauloise qui devient la cité.