URBANISME PROGRAMME

L'origine des maillages urbains est très incertaine. Si nous suivons l'ordre chronologique donné par nos découvertes, l'invention en revient aux Macédoniens, du temps de Philippe. Après en avoir chassé les Grecs, les conquérants établissent à Olynthe sur un modeste plateau situé sous l'Acropole un ensemble programmé comportant une demi douzaine d'îlots parfaitement réguliers. C'est actuellement le plus ancien parmi les exemples connus.

L'ensemble est encadré par deux avenues parallèles distantes de 93m à l'axe puis décomposé en îlots par des rues situées à 40m l'une de l'autre. Les rectangles ainsi formés mesurent 86m x 35m et sont découpés en dix plans carrés de 17m de côté environ. Une desserte de revers, large de 2m, sépare les deux groupes de 5. Les rues font 5,50m et les avenues 7,50m. Ces parcelles modestes, de 225m2, sont bâties de petites demeures à murs mitoyens dont les plans révèlent un certain standard. Nous trouvons des corps de logis alignés sur la desserte arrière avec probablement un comble commun et deux corps de bâtiments à usage domestique encadrant une modeste cour liée à l'accès charretier. Par contre, pour que tous les logements bénéficient du même ensoleillement, le deuxième groupe de cinq comporte des corps de logis pareillement orientés donc donnant sur la desserte. Les divergences de plans constatées sont en général motivées par cette disposition alternée.

Ces demeures de réalisation apparemment soignées, murs en moyen appareil et couvertures en tuiles avec des ouvertures nombreuses mais petites, semblent impropres à l'exploitation rurale. L'hypothèse la plus vraisemblable est celle d'une colonie de vétérans vivant à proximité de l'Acropole mais dont les revenus étaient tirés de petits domaines exploités par des travailleurs locaux et situés à la périphérie du site. Une autre hypothèse plausible est celle de logements d'artisans et de commerçants installés là pour créer un lieu d'échanges et valoriser l'Acropole dont l'occupation restait essentiellement aristocratique et militaire. Mais, pour donner du poids à cette hypothèse, il nous manque le lieu de marché, l'amorce de l'Agora.

LE CHOIX DES FORMES

Les perceptions et jugements que nous avons face à des ensembles programmés ou désordonnés sont affaire de caractère. Les uns se plaisent à flâner dans les massifs d'un jardin anglais les autres s'extasient devant la rigueur et la beauté du jardin à la française mais, lorsqu'une société toute entière opte pour un urbanisme programmé, nous devons admettre que son mode de vie l'a prédisposée à ce choix et l'articulation rurale nous donne de bonnes informations à ce sujet.

Les premiers occupants des parcelles gagnées sur la futaie et sommairement débroussaillées sont des pasteurs avec leurs troupeaux. Ils arrachent et brûlent les petits buissons qui les gênent mais le pourtour du pâturage demeure irrégulier, ovoïde généralement. Ainsi se fixe la première propriété. Lorsque toutes les surfaces sont débroussaillées, les diverses parcelles conservent leur forme première et se trouvent entourées de haies vives dominées par des arbres à fagots. Tous les 3 ou 5 ans, selon les essences, le tronc est élagué de ses branches basses, ne reste alors que le "plumet" du sommet. Leur position, généralement issues du hasard, maintient le dessin désordonné des parcelles.

Tout change avec les premiers labours. L'araire, ou la charrue, s'accommodent mieux sur une parcelle rectangulaire et les abords du champ doivent être déboisés pour que le soc des engins ne se casse pas dans les racines. D'autre part, comme il faut évacuer les récoltes, le paysage va se "peigner" avec un chemin d'accès pour chaque parcelle. La juxtaposition de ces champs rectangulaires donne un nouveau visage au terroir.

Les habitats qui se trouvent au centre des domaines et dont l'articulation remonte aux origines de l'exploitation, subissent le contexte environnant. Les enclos préhistoriques sont ovoïdes et s'inscrivent sur des chemins sinueux, tandis que les exploitations céréalières prennent des formes en harmonie avec les parcelles environnantes. Le phénomène s'accentue avec les grands domaines où nous trouvons deux cours rectangulaires, l'une pour les bêtes à cornes l'autre pour les chevaux, tandis que les chemins de desserte tendent, eux aussi, aux formes géométriques. En résumé, dire que les villes programmées sont l'oeuvre des peuples laboureurs dérive d'une certaine logique. Ces gens peuvent subir le poids du contexte, nous le verrons à Rome, mais cela ne peut que renforcer leur volonté profonde de faire régulier.

Les Latins s'installent sur les terres du centre de la péninsule, les plus propices aux labours et les Macédoniens sur les plaines alluviales que l'on trouve près des embouchures de l'Axios (Vardar) et de l'Aliakmon, terres également favorables à ce mode d'exploitation. Pour qui aborde la Grèce par le nord, venant de Yougoslavie, les terres traversées font davantage penser au paysage du Loiret qu'à l'image stéréotypée que nous nous faisons du pays hellénique. Ainsi les villes programmées semblent naître chez les petits peuples portés à l'agriculture qui se sont implantés en des provinces favorables.

Romains et Macédoniens sont-ils frères de race? Difficile à dire mais les rapprochements à faire sont nombreux et probants. Ce sont des caractères que l'on retrouve également sur les terres de Gaule-Belgique puis chez les Francs. Enfin, ce sont les monarques Capétiens qui vont renouer avec le plan en bastide. Dire qu'ils l'ont ramené des Croisades est peu probant puisqu'ils régnaient déjà sur des villes qui conservaient les traces des maillages augustéens. Le peuple grec était, lui, très attaché aux belles formes et aux beaux édifices, mais le désordre environnant ne semblait pas le gêner. Nous avons là deux conceptions antagonistes du beau que l'on retrouve tout au long de l'Histoire.

L'EXPANSION HELLENISTIQUE

Philippe régent puis roi de Macédoine dès 359 av. J-C avait forgé une petite mais puissante nation qui allait s'opposer à l'hégémonie des villes grecques cependant, l'homme demeurait un helléniste convaincu. Son ambition était d'unifier cette mosaïque de cités pour que leur brillante civilisation puisse mieux s'épanouir. La caste politique athénienne qui n'entendait pas se laisser déposséder de ses futiles prérogatives, fut-ce pour le bien de la Nation, va s'opposer à ce vaste projet. Démosthène, l'orateur le plus brillant de son temps, s'ingénie à dresser les Athéniens contre les Macédoniens, et ses harangues véhémentes dirigées à l'encontre de leur monarque, "les Philippiques", vont porter leurs fruits. Athènes se trouve bientôt à la tête d'une ligue où figurent également les Thébains. Les coalisés obtiennent une première victoire sur mer mais leurs adversaires gagnent la bataille terrestre de Cheronée (2 août 338) et la défaite est cuisante. Cependant, chez Philippe, la passion pour la culture hellénique l'emporte sur ses appétits guerriers et il offre à ses adversaires une paix plus qu'honorable. Les Athéniens qui découvrent un ami et non le tyran décrit par Démosthène l'accueillent dans la liesse, lui accordent droit de cité et même lui élèvent une statue.


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La partie la mieux connue d'Olynthe couvre onze ilôts situés au nord de l'acropole en bordure du plateau. Ils sont alternativement bordés par une rue (A) et une ruelle (B). La distribution se fait par l'avenue (C). L'observation du plan montre un certain rationalisme dans l'aménagement des ilôts. Sur une surface privée de 18 X 17m le plan standard comporte côté nord 3 pièces de 16 à 19m2 (D,E,F) plus un couloir (G). La desserte se fait par le couloir (H) de 3m de large. La répétition de ce module a permis d'imaginer un comble commun (J) coiffant les parties habitables des cinq ilôts, les volumes de service (K,L) étant placés sous des combles indépendants (M) en pénétration. Le volume des matériaux trouvés au sol, ainsi que la présence d'une colonne (N) destinée à porter le plancher de desserte pour l'étage, suggère un bâtiment à deux niveaux habitables. L'hypothèse est satisfaisante mais pour bénéficier d'un bon ensoleillement, les propriétaires de parcelles ont tous orienté leur demeure de la même manière; ainsi les façades donnent sur la rue et sur la desserte. Cet inconvénient est sans doute à l'origine des modifications à venir. Les couvertures sont incertaines. Nous pouvons imaginer un traitement primitif tout bois avec bardeaux (P) puis un passage à la couverture méditerranéenne avec tuiles et faible pente (Q).

Philippe de Macédoine meurt assassiné deux années plus tard en 336 et c'est son fils, Alexandre, alors âgé de 20 ans qui reçoit la couronne. Sa mère, Olympia, une princesse d'Épire, est fille des montagnes et de culture totalement étrangère. Ce mélange superbe et explosif donne sans doute la clé de l'histoire à venir. Quelques années avant sa mort, le roi de Macédoine avait répudié Olympia pour épouser une fille de sa race; l'aristocratie s'en félicita et jugea bientôt Alexandre comme le fruit d'une erreur. Le jeune prince souffrait cruellement de cette déconsidération et toute sa vie exprime une tentative effrénée pour s'imposer dans les combats mais aussi dans les esprits. L'aventure hellénistique était en marche.

L'EMPIRE D'ALEXANDRE

Lorsque le nouveau roi de Macédoine lève une grande armée et part en campagne contre l'empire Perse, les Grecs les plus conservateurs jugent cette entreprise avec satisfaction. Ce jeune prétentieux s'engage à coup sûr dans une aventure où il va se perdre. Cependant, négociants et navigateurs, plus avisés, vont le suivre et l'assister afin d'exploiter les nouveaux et fabuleux marchés qui s'offrent à eux. L'avenir leur donnera raison. A sa mort, survenue quinze années plus tard en 323, Alexandre avait conquis l'ensemble du monde connu au Levant de la Grèce.

Les villes nouvelles vont fleurir sur les pas du Conquérant. Elles sont dessinées à la manière macédonienne, mais rien ne se ferait sans l'apport des colons grecs qui arrivent en grand nombre. D'autre part, les querelles dynastiques vont miner le pouvoir et le crédit des grandes familles qui se sont partagé les terres conquises, et seuls le commerce et les intérêts économiques encadrés par un esprit hellénique assurent la cohésion d'un domaine aussi disparate. L'effet en profondeur sera considérable, cette civilisation qui devient "hellénistique" résistera à l'emprise de Rome et ne disparaîtra vraiment que dix siècles plus tard sous les coups de l'invasion musulmane.


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Les aménagements portuaires ne manquaient pas dans le delta. Alors pourquoi avoir fondé une ville nouvelle, Alexandrie? Les raisons pratiques sont nombreuses. Toutes les installations existantes établies sur site stabilisé se trouvaient à plus de 50 km en retrait du littoral. Il fallait donc remonter le bras du fleuve correspondant ou chaque crue saisonnière amenait son lot d'alluvions boueuses. Là où les bateaux du Nil avec lm de tirant d'eau ,les gros bateaux marchands avec 2m immergés en charge s'embourbaient souvent, d'où l'idée d'un port de mer spécifique, Alexandrie. Le site fut judicieusement choisi. La ville se trouve sur une concrétion dunaire, à l'aile gauche du delta, à l'écart du flot d'alluvions. Elle est liée au Nil par le lac Mareotis et bénéficie d'un accès direct à la mer. Le grand mouillage (A) se trouve à l'abri d'un ilôt (B). Cette protection sera confirmée par deux digues de 1200 et 800m (C,D). L'entrée du port sera signalée par le pharos (E), un gigantesque ouvrage de 135m de haut. Le bassin de 4ha ainsi formé deviendra le mouillage d'hiver de plusieurs centaines de bateaux faisant de la ville le premier port d'attache pour la flotte de Méditerranée orientale. Au sud de la ville, les canaux (F,G,H) sont coupés des rives fangieuses du Mareotis (J) par des digues et la concrétion dunaire sera franchie par deux liaisons (K,L). Nous pouvons imaginer l'activité portuaire réglée ainsi: après attente dans le grand bassin (A), les bateaux sont remorqués sur le canal (L), puis chargés dans les greniers (M) établis autour des bassins d'eau douce (N,P,Q). Puis ils regagnent la mer par (K), le petit bassin (R) leur permettant d'attendre un vent favorable. Les navires à gros tirant d'eau sont traités dans le bassin (S). Cette fois il ne s'agit plus d'installer des vétérans mais d'offrir un site aux négociants grecs, le maillage de base est très large, les ilôts font 4/5ha et l'agglomération reçoit les attributs d'une grande cité le stade (T), le temple (U), porte Lunea (V), porte Solis (W), théâtre (X), cirque (Y), porte Canobica (Z). Les travaux commencent vers 325 et le programme de base s'achève vers 280/270.

Sur la côte d'Asie Mineure, les populations majoritairement sémites au sud et dites "Indo-Européennes" au nord, avaient engendré et fixé dans les villes du littoral une société mercantile à prédominance sémite: les Phéniciens. Ouverts et actifs, ils acceptent une culture très cosmopolite et se distinguent de leurs frères de race adeptes d'une religion monothéiste et très rigoureuse: les Israéliens. Tous ces gens ont subi la tyrannie perse et voient avec plaisir l'arrivée des nouveaux maîtres macédoniens. Quant aux grecs venus dans le sillage des conquérants ce sont des affairistes comme eux et l'entente est possible d'autant que le nouvel empire, très vaste, offre des marchés orientaux jusqu'alors fermés aux navigateurs méditerranéens. D'autre part, ces grecs qui sont les sujets des nouveaux maîtres amènent avec eux de vieilles traditions démocratiques et libérales qui sont particulièrement favorables au contrôle des cités par les notables.

Cette prise en mains par les Grecs de l'ensemble du Bassin Oriental de la Méditerranée, va couper les Phéniciens de leur colonie carthaginoise et ces dernières vont se mettre en défensive sur toute la Méditerranée Occidentale. Ce faisant elles gênent les Romains et l'affrontement devient inévitable. Les conflits que l'Histoire analyse sur le plan purement politique et militaire sont souvent programmés de longue date par des déséquilibres économiques plus ou moins flagrants.

LES VILLES ALEXANDRINES

La première de ces villes, l'archétype en la matière, fut la grande cité voulue par l'Empereur sur le delta du Nil: Alexandrie. Selon ses caractères, c'est une métropole coloniale destinée à drainer les richesses céréalières de la vallée du Nil. Pour les peuples de la Grèce, ces nouveaux approvisionnements sont plus riches et surtout plus réguliers que ceux qu'il fallait négocier auparavant avec les peuples de la Mer Noire. Les Ptolémée, vont institutionnaliser ce commerce, organiser un ramassage systématique qui prendra parfois la forme d'un impôt et stocker les céréales dans d'énormes greniers d'Etat. Ce sont eux qui serviront de modèle pour l'aménagement des docks du port de Trajan à Rome.

Sur la côte Orientale de la Méditerranée, dans un contexte très favorable, les villes nouvelles poussent comme des champignons et s'installent de manière ouverte à proximité des sites déjà exploités. Le programme comporte un maillage régulier, comme à Alexandrie, et ce mode d'aménagement qui se trouve en contradiction avec les coutumes orientales révèle un intérêt majeur. Il fixe sans contexte le domaine de chacun sur une parcelle administrativement bien définie et le pouvoir politique assure une bonne infrastructure d'ensemble. Le cadre qui se met en place contraint quelque peu les activités coutumières mais conforte grandement le futur développement. Ces avantages valent bien l'abandon de quelques vieilles habitudes dont le mérite était très illusoire.

Les plus exemplaires parmi ces villes nouvelles sont Laodicée sur la côte et Apamée dans la dépression de l'Oronte ainsi que Damas sur les contreforts de la chaîne de l'anti-Liban. A Alep, une petite ville alexandrine, s'installe à l'intérieur d'une cité qui demeure indigène enfin, dans l'arrière pays, nous trouvons sur la haute vallée de l'Euphrate une ville bien programmée établie sur un plateau de caractère stratégique Doura Europos. Ce fut sans doute une colonie militaire à ses origines et le choix, par trop arbitraire, ne résistera pas à l'épreuve des siècles. Abandonnée à l'époque historique, elle sera méthodiquement fouillée dans les années 1920/1930, c'est la mieux connue de toutes.


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En franchissant le cours de l'Euphrate, les Macédoniens décident de fonder une ville qui formera point d'appui dans ces terres récemment conquises. Le site de Doura Europos n'est pas du meilleur choix sur le plan économique mais ses caractères militaires sont satisfaisants ce qui est un bon compromis. Il forme un plateau encadré de deux dépressions (A,B) et les liaisons entre le port (C) et la cité se font par deux rampes (D,E). Le plan urbain reprend la distribution d'Olynthe avec petit ilôt de 100 X 200 pieds (F) et desserte médiane destinés à dix lotissements. Le réseau de voies comprend, comme à Olynthe, des rues (G), des avenues (H) et un boulevard axial (J). Ces voies font respectivement 18, 24 et 36 pieds. L'agora (K) qui occupe le centre de la cité couvre l'espace de 8 ilôts, soit 400 X 400 pieds. Les aménagements en dur comprennent deux stoa (L,M) et les petits bâtiments en appentis (N,P) mais les commerçants déjà installés sur les ilôts périphériques voient mal cet obstacle entre leur devanture et la foule de l'esplanade. Le programme ne sera pas poursuivi. L'aménagement est cerné d'une muraille périphérique (Q) avec portes à sas de contrôle (R) auquel s'ajoute une séparation forte entre l'espace portuaire et l'agglomération (s) destinée à filtrer les acccès. Le programme lancé vers 320 avant J-C se termine vers 300. La cité sera à l'origine d'une route menant vers Apamé puis vers la mer. Elle boucle les deux branches du croissant fertile. Une autre ville, Macedonopolis située en amont et sur l'autre rive semble avoir connu une meilleure destinée économique.

Plus au nord, la civilisation hellénistique s'implante également mais de manière différente. Le centre de la péninsule toujours occupé majoritairement par les peuplades anatoliennes demeure stable et relativement fermé. Sur la côte sud, et notamment en Tarse, où la rencontre des peuples sémites venus du sud et des Arméniens venus du nord avait créé une civilisation cosmopolite mais harmonieuse, la société sera d'emblée acquise au nouvel empire. Par contre, sur les côtes de la Mer Noire, et chez les Scytes, déjà bien connus des Grecs, les comptoirs anciens demeurent mais n'évoluent guère.

L'urbanisme hellénistique connaît son développement majeur sur les côtes orientales de la Méditerranée mais, selon nos connaissances archéologiques, il est difficile de préciser ce qui fut la première implantation et le développement ultérieur, tant la marque gréco-romaine fut grande. Nous pouvons imaginer que le premier programme typiquement macédonien ne comportait que des îlots à aménager avec un vaste espace libre au centre pour les réunions et marchés. C'est l'esprit grec et les besoins du commerce qui garniront l'esplanade centrale d'un quadrilatère de Stoa afin d'obtenir l'Agora traditionnelle. Ce sont également les Grecs qui introduiront les monuments typiques de la civilisation hellénique, les temples, les théâtres, les odéons et les stades puis viendront les basiliques, amphithéâtres et cirques de l'époque gréco-romaine. Le mérite du plan alexandrin fut d'accorder à cette fastueuse architecture un cadre digne d'elle.

EN GRECE CONTINENTALE

Sur le siècle qui suit les conquêtes d'Alexandre, les Grecs d'Europe et d'Asie Mineure semblent gênés par le caractère désordonné de leur développement urbain dont l'exemple le plus flagrant demeure la ville d'Athènes. De nombreuses cités rasent des quartiers entiers pour installer un maillage régulier avec réseaux de distribution d'eau et systèmes d'assainissement à l'usage de tous. Prienne et Millet entre autres, deviendront des villes hellénistiques exemplaires.


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Dès le Ilème millénaire, l'acropole d'Olynthe dominant la vallée de la Restnikia constituait déjà la citadelle d'une population exploitant les terres avoisinantes. C'est une ville du nord, étrangère au monde hellénique. Au temps des guerres médiques, 490/479, elle est totalement détruite par Artabaze. Relevée et repeuplée par le roi de Macédoine, Perdiccas, elle devient le centre d'une riche petite province mais les Corinthiens avaient profité de cette période de déchéance pour fonder une installation portuaire voisine et concurrente, Potidée. Olynthe est attaquée par les Spartiates en 383 et succombe après un long siège en 378. Philippe de Macédoine reprendra la ville en 348 mais il ne reste que ruines, ce qui lui permet le développement d'une cité nouvelle implantée selon un urbanisme rationnel. L'aménagement de l'acropole est repris selon l'axe (A,B) tandis que le plateau (C) accessible par la rampe (D) se trouve décomposé en bandes parallèles par les avenues (E,F). Ces espaces sont ensuite découpés en ilôts par des rues perpendiculaires et chacun d'entre eux se trouve décomposé en dix parcelles de même importance (G), avec desserte médiane (H). Le même aménagement sera repris sur les pentes est (J). Fouillée par l'école américaine du professeur Robinson de 1929 à 1938.

De leur côté, les Athéniens qui veulent prendre rang dans la nouvelle économie vont réaménager complètement leur annexe portuaire du Pirée. Les trois baies de Cantharos, de Zea et de Monnichie qui demeuraient parfaitement distinctes vers 350 seront absorbées par une agglomération nouvelle à l'urbanisme rationnel et c'est le port de Cantharos, le plus vaste, qui sera totalement réaménagé pour recevoir un très important trafic. A ce prix, Athènes demeure la plus puissante ville de Grèce continentale.

CONCLUSION

Après 1920 et la chute de l'empire turc, les archéologues Français et Britanniques se jettent avec avidité sur les sites historiques du Proche Orient et les prospections ne font que renforcer l'orientalisme régnant. Pour nous, Français, qui menions de grands chantiers sur nos possessions du Levant, nos découvertes confirmaient cette théorie qui pouvait se résumer ainsi. Les Romains, en urbanisme comme dans tant d'autres domaines, n'avaient fait que copier les Grecs. Les plus convaincus en arrivaient même à négliger la part prise par les Macédoniens. Le jugement est hâtif et superficiel. Nous verrons ultérieurement, et dans une étude spécifique, que forum et agora, semblables dans la forme, sont très différents dans les fonctions. D'autre part, toute mutation d'importance prend naissance très modestement par le fait d'une minorité et s'impose ensuite grâce à un contexte socio-économique favorable. Rien ne se serait fait sans la volonté macédonienne et les villes programmées n'auraient sans doute pas résisté à l'usure des siècles si les Romains n'avaient confirmé ces programmes.


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Parallèlement aux villes nouvellement fondées, les Grecs vont lancer des programmes d'aménagement sur des cités déjà installées. A Laodicée, la petite crique portuaire (A) sera aménagée avec des quais (B) et l'espace urbain cerné d'une muraille (C) qui s'appuie sur la citadelle (D). La ville est dotée d'une transversale majeure (E) servant de base à un maillage formant des ilôts à lotissement. Le commerce du port servira la population hellénistique qui occupera la majorité de l'espace urbain. A Alep, ce maillage formé d'ilôts à lotissement n'occupera que le quart de la surface cernée par la muraille (F) qui s'appuie sur le tel (G) et sur la citadelle (H). A Damas, l'urbanisation hellénistique, toujours à base de lotissements occupera la majorité de l'espace fermé réduisant ainsi la ville indigène (J) à peu de choses. L'agora (K) occupe dix ilôts et l'esplanade du temple (L) est considérable. Apamée, située dans une fertile dépression de l'Oronte bénéficie d'une vaste enceinte (M) appuyée sur la citadelle (N) et l'espace semble avoir été totalement urrbanisé du moins dans sa trame majeure (P). Nous ignorons si elle fut ensuite découpée en ilôts standard pour lotissements (Q).


URBANISME HELLENISTIQUE, SA DESTINEE

Après une fulgurante conquête l'empire d'Alexandre se décompose et ses caractères macédoniens s'estompent rapidement. La civilisation hellénistique qui va suivre porte l'empreinte grecque. Le plan "colonial" destiné aux lotissements des vétérans se révèle contraignant, les rues et les avenues demeurent en place mais la distribution des surfaces change.

Toute agglomération est un ensemble vivant. Certains patrimoines se constituent en rassemblant plusieurs lotissements puis les héritiers se partagent à nouveau le domaine selon des critères les plus divers. Ce phénomène est également variable en fonction des quartiers de la cité. Les familles bourgeoises s'imposent la sauvegarde du patrimoine et se rassemblent dans un quartier dont elles entendent préserver la tranquillité et le caractère. D'autres sont abandonnés à de petites gens qui aménagent à leur guise et dans le plus grand désordre des surfaces dont ils ne sont que locataires. Enfin, les commerçants s'adjugent le centre ville, les voies passantes et les carrefours importants. Sur ces lieux, ils entendent maîtriser l'aménagement à leur guise. Sur l'agora, l'espace central est chaque matin concédé moyennant finance à des commerçants itinérants qui dressent leurs étals tandis que les façades périphériques deviennent des magasins. Là doit également se trouver des stoa. Ce sont, selon le concept hellénique des bâtiments couverts à deux files de colonnes formant allée de circulation et lieu de conciliabule tandis que les affaires se concrétisent dans un petit bureau privé où les scribes entassent leurs rouleaux de papier. Ceci est une peinture socio-économique qui peut paraître très contemporaine mais les contingences de la vie ne changent guère, pas plus que la bonne manière de les traiter.

Bourgeois et commerçants maîtrisent, de fait, les destinées de la cité et peuvent donc imposer des modifications de la trame urbaine. Les domaines bourgeois s'approprient les dessertes de revers et parfois un tronçon de rue, tandis que les commerçants vont régulièrement surcharger le centre ville, jusqu'à saturation. Ils accepteront ensuite, bon gré, mal gré, un plan d'aménagement qui va engendrer de sévères modifications dans le dessin des rues.

A Douro Europos, le programme initial trop bien peigné n'est guère satisfaisant. La circulation sur berges a été sous estimée, une nouvelle rampe emprunte la dépression sud et une autre la dépression nord. Le port, mal conçu est inutilisable par fort courant. Il faut construire une jetée de protection puis agrandir le bassin en démolissant l'ancien quai et en enlevant les dépôts sédimentaires de la dépression. D'autre part, l'agora distincte du port n'est pas pratique. Il faut ouvrir l'espace entre les deux zones tandis que les stoa hellénistiques que l'on pouvait imaginer vers 300 avant J-C n'avaient sans doute pas trouvé d'activités adéquates. Les bâtiments découverts lors des fouilles sont des boutiques individuelles à la manière romaine, datant sans doute du 1er siècle avant J-C..

Les Grecs comprennent vite l'intérêt d'une urbanisation rationnelle qui fixe les propriétés mais constatent bien vite que les premières options choisies sont contraignantes. Les îlots de la colonie macédonienne sont trop petits et ne permettent pas une modulation des aménagements selon les besoins. Par contre, les îlots d'Alexandrie sont trop vastes et les centres deviennent difficiles d'accès. Dans les siècles qui vont suivre les travaux réalisés par les Grecs dans les villes continentales et dans les cités coloniales anciennes, reprendront le plan maillé mais les îlots seront de surface très variable. Aucune règle satisfaisante ne semble se dégager de ces multiples expériences mais il faut dire qu'elles se développent dans un contexte existant et l'intervention d'intérêts divers empêche sans doute le responsable du programme de retrouver le raisonnement fondamental.

La rue doit être au service de l'activité économique et non une contrainte pour elle. Il faut donc imaginer un espace de développement optimum pour chaque parcelle. Ce sont les Romains, semble-t-il qui vont reprendre la réflexion à la base. L'urbanisation en profondeur peut rationnellement exploiter deux cours, pas plus, et chacune d'elle doit offrir, au minimum, 10 à 12m de large pour permettre le virage des véhicules hippomobiles. Comme il faut également prévoir des bâtiments latéraux, la largeur optimum du parcellaire sera de 20/24m et sa profondeur (deux cours) environ 50m. Sur cette surface, la plupart des aménagements sont concevables. Dès lors, peu importe le dessin de l'îlot mais il faut que l'une des valeurs soit proche de la centaine de mètres, soit deux parcelles avec une desserte médiane. Le plan d'Olynthe était parfait pour l'usage inscrit au programme mais il ne se prêtait à aucune modification.