SAINT JOUIN DE MARNE

L'abbaye de Saint Jouin de Marne est, avec Ligugé, la plus ancienne du Poitou. Vers 380/390, Jovinius de la gent maxima, un aristocrate gallo romain, se retire du monde profane et fonde un petit oratoire sur la hauteur où se trouve aujourd'hui l'abbaye. Le lieu est alors dénommé Ension. Jovinius fut sans doute rapidement rejoint par des disciples et dut, à leur usage, construire une petite église dédiée à Saint Jean l'Evangéliste où il sera inhumé après sa mort survenue avant la fin du siècle. Sur les périodes suivantes, les informations nous manquent mais nous savons que la fondation est prise en mains par des Bénédictins.

L'épisode suivant consigné dans les textes se situe à la fin du Carolingien. En 843, des moines venus de Bretagne et fuyant devant les Normands viennent demander asile à l'abbaye de Saint Jouin (Jovinius) avec les reliques de Saint Martin de Vertou. Ce Breton, né à Nantes, évangélisa les populations des rives de la Sèvre Nantaise (région de Clisson) vers 580/600. Ces religieux qui ont connu les mêmes angoisses que leurs voisins de Saint Philibert de Granlieu sont fort mal accueillis à Saint Jouin alors géré par une communauté de chanoines plus soucieux de faire fructifier le patrimoine reçu de Charlemagne et de Louis le Pieux que de fraternité ecclésiastique. D'autre part, ces moines venus des terres bretonnes où la discipline irlandaise est toujours bien vivante, pourraient perturber les usages de la Maison qui sont alors loin de la règle Bénédictine.

Les serviteurs de Saint Martin de Vertou ne l'entendent pas ainsi. Ils font appel à Pépin d'Aquitaine qui les autorise à s'installer dans l'abbaye. Que se passe-t-il ensuite? Là encore, aucune information si ce n'est la construction d'une nouvelle église vers 878 où les corps saints sont installés dans une crypte. L'édifice comporte des tours flanquant l'abside. Cette église carolingienne doit subsister jusqu'à l'époque romane avec sans doute de nombreuses reprises. Le programme suivant est dû au moine bâtisseur Raoul, abbé de Saint Jouin de 1113 à 1139.

L'EDIFICE ACTUEL

Aujourd'hui, l'abbatiale de Saint Jouin de Marne est un ouvrage complexe où les reprises se sont succédées sur plus d'un siècle mais nous pouvons retrouver l'empreinte de l'église de Raoul. Il s'agit du transept avec sa puissante croisée et la courte travée du chevet ainsi que l'enveloppe de la nef dont nous n'avons préservé que le mur du bas côté nord. Cette dernière était longue de sept travées et la clôture du chevet sans doute constituée d'une abside flanquée de quatre absidioles en dégradé. Cet ouvrage puissant et de structure soignée commencé vers 1120 et partiellement achevé vers 1140 doit alors toucher un ensemble oriental dont nous ignorons la nature. Il sera démoli peu après et la nef prolongée de trois travées de même volume que les précédentes mais d'un style beaucoup plus évolué avec arcs brisés et doubleaux caractérisés. Cette reprise sera clôturée par la superbe façade que nous voyons aujourd'hui. Cet aménagement occidental fut sans doute réalisé de 1150 à 1165 environ.

En ce début du XII°s. la nef de Raoul devait être voûtée avec trois berceaux en plein cintre sous un même comble C'étaient des voûtes lourdes en blocage qui firent rapidement fléchir le mur sud et le risque de déversement devint grand. Quelle fut l'ampleur des travaux? Difficile à dire. Le mur sud semble avoir été entièrement refait et les voûtes sans doute aménagées. Cette reprise qui dut se faire sans modification des fondations et des assises tiendra trois siècles avant que les mouvements ne reprennent d'où la reprise complète de la grande voûte intervenue à la fin du XIV°s. Les trois travées occidentales réalisées avec davantage de maîtrise auront une bien meilleure tenue.

LE CHEVET

Vers 1170, le chevet des années 1120 avec ses puissants culs de four aveugles et le faible éclairement qu'il procure, est jugé obsolète et sera remplacé par l'ensemble à trois chapelles rayonnantes que nous voyons aujourd'hui. Cet aménagement sauvegarde la puissante travée droite antérieure et le nouveau sanctuaire est porté par six piles quadrilobées reliées par des arcades en plein cintre. La disposition des tailloirs sur ces piles implique une facture irrationnelle des rouleaux d'archivolte. Au second niveau correspondant aux combles du déambulatoire, nous trouvons un registre d'arcarures décomposées en quatre secteurs par des colonnes engagées beaucoup plus puissantes. Cette disposition correspond aux nervures croisées sous voûtes comme celles que l'on trouve aujourd'hui au chevet de Lusignan. Cette seconde voûte, plus haute et plus légère devait comporter de petites fenêtres plongeantes. Cet ensemble sera démonté fin XIV° pour laisser place à la voûte actuelle.

Au delà du sanctuaire, le déambulatoire découpé en sept travées reçoit des voûtes d'arêtes légèrement gauchies pour cause de découpage rayonnant irrationnel. Les trois chapelles rayonnantes comportant culs de four et partie droite sont de traitement soigné avec une mouluration abondante mais les ouvertures semblent remaniées si nous les comparons aux belles fenêtres en plein cintre qui garnissent les travées intermédiaires. Avant les reprises du XIV°s. l'ouvrage avait sérieusement souffert et de puissants arcs boutant étaient venus flanquer la chapelle axiale et celle du nord. Hormis les vicissitudes des siècles et les reprises qu'elles ont impliqué, nous pouvons juger l'ouvrage du Xïï°s. comme de facture exemplaire mais comportant de nombreuses erreurs de conception. Ce caractère est le propre des maîtres d'œuvre régionaux qui privilégient les formes aux dépens de la conception architectonique.

Peu avant 1200, l'abbatiale de Saint Jouin de Marne fut considérée comme achevée dans sa facture romane cependant, sur la période 1140/1190, nous pouvons admettre des glissements d'une dizaine d'années dans les dates proposées, sans que l'esprit du programme ne soit mis en cause. Au XIX°s. l'abbatiale a besoin de sérieuses restaurations qui seront menées avec soin mais sans grand souci esthétique. Les parties refaites avec des pierres surfacées au « chemin de fer » tranchent exagérément avec l'appareillage du XII°s.


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Saint Jouin de Marne. Vue d'ensemble côté nef.


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L'ouvrage contemporain s'articule autour d'une abbatiale primitive construite par l'abbé Raoul de 1120 à 1140/1145. Elle comportait une abside (A) flanquée de quatre absidioles (B,C,D,E) d'un transept (F) avec une puissante croisée (G) et une nef longue de sept travées dont il subsiste l'élévation nord (H). Cette nef sera prolongée de trois travées (J,K,L) de 1145 à 1160. Vers 1170, le chevet est également repris et prolongé d'un ensemble à trois chapelles rayonnantes (M) et déambulatoire (N). La première voûte avec cul de four et partie droite était structurée de nervures en croix (A') elle sera reprise au XIV°s. (B'). Côté nef, l'évolution est plus délicate à cerner. Vers 1170, les trois berceaux donnent des inquiétudes. 11 faut refaire l'élévation sud (P) ainsi que les grandes voûtes, vers 1180/1200. Cependant, les élévations latérales sont déstabilisées et le berceau central sera finalement repris en gothique au XIV°s. (Q).


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Saint Jouin de Marne. Elévation sud avec les aménagements défensifs du croisillon sur, XV°s.


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Saint Jouin de Marne. Parties orientales.


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Saint Jouin de Marne. Chevet vue d'ensemble.


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Saint Jouin de Marne. Le chevet. Détail des parties hautes.


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Saint Jouin de Marne. Détail des aménagements fortifiés du croisillon sud.


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Saint Jouin de Marne. La Tour de la croisée.


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Saint Jouin de Marne. Les lanternons de façade.


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Saint Jouin de Marne. La nef en interne, les travées occidentales.



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Saint Jouin de Marne. En interne : la croisée.


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Saint Jouin de Marne. En interne, la nef vue d'ensemble avec les travées occidentales.