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Tours et courtines
La défense naturelle
Comme la facilité, plus que la rigueur a, de tout temps, dirigé les sociétés, il est bien rare de voir l'homme réaliser de ses mains ce que la nature peut lui offrir. Ainsi, lors des temps troubles, le repli se fait vers les sites de hauteur plus facilement défendables mais, "l'acropole" à l'état brut est rarement pratique à l'installation humaine. Il faut aménager ce que la nature propose.
Mis à part les éperons calcaires dont la face, côté fleuve, conserve parfois un sommet abrupt, toutes les hauteurs favorables ont été soumises à l'érosion et le profil s'est amorti. Les pentes ne sont pas suffisantes pour une protection efficace et la partie haute, sans espace plan, est difficilement aménageable. Les travaux nécessaires à l'urbanisation du site sont l'œuvre de plusieurs siècles. Dans un premier temps, les déclivités seront traitées en escalier avec murs de soutènement multiples, le sommet du site entaillé fournira les remblais et c'est le dernier ouvrage qui servira de défense; il est, par définition, le plus important puisqu'il se trouve sur la pente la plus forte. Ensuite, il faut laisser faire avec le temps.
Chaque maison ruinée sera compactée afin de former le radier de la nouvelle demeure et de nombreux matériaux arrivent ainsi sur la hauteur. Ces strates qui formeront la galette archéologique vont s'amonceler et absorber les murs de soutènement dont la fonction demeure, même enterrée. Il faudra alors surélever l'ouvrage périphérique et parfois c'est la courtine de défense qui se trouve ainsi transformée en mur de soutènement, à charge pour les habitants d'élever une nouvelle défense.
Cet empilage de maçonneries disparates finirait par s'écrouler sous la poussée des terres s'il n'était conforté par un talus externe dont la confection n'est pas toujours programmée. Malgré l'interdiction très naturelle de jeter des détritus hors les murs afin de ne pas offrir un moyen d'escalade aux intrus, les petites infractions sont nombreuses et ce sont généralement ces rejets d'origine ménagère qui formeront le talus. La hauteur de défense diminue donc périodiquement obligeant ainsi les habitants à réaliser de nouveaux murs de défense à l'origine, et de soutènement par la suite.
Pour illustrer le phénomène, citons la seconde enceinte de Spolète, côté ville, où le talus dégagé a mis à jour une succession d'ouvrages qui vont de l'époque Mycénienne à la Renaissance avec, en partie visibles, toutes les époques intermédiaires marquantes pour l'histoire de la cité: romaine, contemporaine de la conquête, bas-empire, médiévale et enfin renaissance. Dans ces ouvrages de médiocre facture, les parties qui menacent de s'effondrer sont parfois maintenues par un puissant contrefort rectangulaire qui sera ensuite couronné d'une tour de défense. Le flanc sud du château de Chinon offre un exemple de ce type. En certains points, l'acropole de Ségovie montre, sur sa face sud, les empilages de murs dont les bases remontent au Bas-Empire et ce n'est que la partie visible.
Ces ouvrages empiriques se retrouvent sur de nombreux sites historiques d'occident mais il est rare de risquer la ruine des immeubles et des monuments pour en obtenir confirmation, cependant il est possible de pratiquer des puits archéologiques sur une ligne perpendiculaire au remblai pour obtenir le profil du sol vierge et par conséquent volume et date du remblai. C'est ce que M. Couturier a réalisé à Chartres. Il a ainsi obtenu des valeurs considérables, de 12 à 18m de remblai à proximité du chevet de la cathédrale. La ville de Verdun offrirait sans doute les mêmes surprises si l'on procédait à des sondages au niveau du cloître de la cathédrale.
Cette déclivité aménagée ne se rencontre que sur trois faces de l'éperon. Côté plateau, il faut créer une défense spécifique avec une courtine qui sera éventuellement doublée d'un obstacle artificiel: un fossé. C'est le vieux principe de l'éperon barré qui remonte au temps néolithique.
Villes hautes, villes basses
Ces sites de hauteur offrent une bonne sécurité en période de troubles mais, dès le calme revenu, chacun veut retrouver ses aises dans ses activités artisanales et marchandes. La base de l'éperon se garnit alors d'aménagements et de constructions souvent annexes à l'établissement d'en haut. Cette agglomération basse qui se développe de manière ouverte sera d'abord jugée comme annexe et donc sacrifiable en cas de danger mais, si la sécurité se maintient, les activités artisanales qui réclament beaucoup d'espace se fixent définitivement à la base de l'éperon et le potentiel ainsi représenté devient considérable.
Cette nouvelle agglomération est naturellement exposée et pour sa sécurité elle peut jouer sur le registre politique, nouer des alliances, payer tribut à un système féodal ou bien organiser une milice de ville afin d'assurer sa défense. Cependant tous ces recours sont peu crédibles s'ils ne se doublent pas d'une défense même de faible importance. Cette mise en défense de l'agglomération sera l'objet d'un programme où les risques encourus ainsi que le coût des travaux seront savamment balancés. La décision est généralement précédée de longues discussions: Comment juger les menaces encourues? Quelle importance donner à l'ouvrage? Où fixer l'espace à protéger? Comment répartir les charges sur chacun mais également rétablir intra-muros les activités situées dans les zones sacrifiées. Comment indemniser ceux qui verront leur demeure détruite par la muraille ou leur propriété coupée en deux ?
La mesure du danger
Estimer une menace procède du jeu le plus subtil puisque tous les facteurs intervenant sont impondérables mais il faut tout de même fixer une échelle de valeur bien que les jugements portés sur les risques soient toujours erronés.
Le premier danger qui pèse sur la ville ce sont les voleurs, isolés ou en petites bandes, qui pénètrent la nuit et dérobent ce qui leur tombe sous la main. Menaces dérisoires, certes, mais qui, multipliées, se révèlent très préjudiciables. Contre cela, il faut exercer une action de police à l'intérieur de la cité mais également à l'extérieur, là où les voleurs résident et emportent leur butin et ce n'est pas une mince affaire que de contrôler un environnement sur cinq à huit lieues à la ronde. Il faut des sergents intègres et l'accord des petits seigneurs locaux qui se sont adjugés le droit de basse justice. Cette action est à mener en permanence et la charge peut être jugée excessive. Fermer la ville de murailles apparaît alors moins coûteux. D'autre part, le mur et les rares portes bien gardées, permettent de contrôler les mouvements de population, de filtrer les accès de jour et de les interdire la nuit. Enfin l'ouvrage condamne toute fixation désordonnée à la périphérie et débarrasse ainsi l'agglomération des marginaux qui s'installent en des lieux mi-faubourg mi-campement pour vivre, tel un chancre, sur le milieu urbain. Cependant les grandes cités ne pourront jamais contrôler complètement la population vivant intra-muros, d'où la création de ces chancres à l'intérieur de la ville, comme les cours des miracles.
Cette menace ordinaire suffirait à justifier la muraille mais d'autres raisons s'imposent également. Faute d'armée de métier les opérations militaires sont menées avec des recrues occasionnelles, aventuriers ou soldats de métier et parfois des bandes armées en rupture de ban sillonnent les campagnes, c'est le second degré dans le danger.
Pour ces gens parfois affamés, les gros bourgs font figure de coffre au trésor et la muraille ne suffit plus par sa simple présence. Il faut la garder et éventuellement la défendre. C'est le rôle de la milice. Pour cette tâche, les responsables de la cité seront tentés d'envoyer de petites gens mais ceux-ci n'ont rien à défendre et leur efficacité n'est pas garantie. Par contre, payer des soldats mercenaires aguerris peut coûter cher. Ces gens sont susceptibles de se retourner contre la cité si elle ne souscrit pas à leurs exigences. Ainsi, la formule retenue sera généralement la milice bourgeoise. Que la ville soit défendue par ceux qui la possèdent est un bon choix mais souvent l'opulent commerçant rechigne à passer les nuits d'hiver sur le rempart, et les miliciens disponibles se font rares. Alors, pour augmenter l'efficacité de chacun, il est bon de développer la hauteur du mur et d'agrandir l'espace dégagé face à la défense.
Au Bas Moyen-Age, chaque milicien a son costume d'armes comme ceux de La Ronde de Nuit peints par Rembrandt mais il est souvent accompagné d'un valet suppléant. A lui incombent les charges ingrates pendant que le Maître fait bombance dans une tour bien chauffée.
En troisième degré nous trouvons la troupe en armes. 1000 à 1500 hommes, bien aguerris et bien commandés, qui décident de tenter l'assaut ou de faire le siège de la cité mais c'est un cas très exceptionnel. Pour en arriver à cette extrémité, il a fallu que les bourgeois aient accumulé les erreurs politiques et les intransigeances belliqueuses.
Sur la période du Moyen-Age, la force militaire organisée, le banc et l'arrière banc formés des nobles et des ignobles se lève volontiers face aux menaces extérieures ou dans les grandes querelles féodales mais, combattre une cité du domaine comtal, ducal ou royal, n'est pas dans leurs charges ordinaires, sauf si la ville fait peser un réel danger sur l'équilibre social ou religieux. Le risque majeur vient donc de l'extérieur, telles les villes flamandes qui vont subir l'assaut des chevaliers francs. Cependant, une bonne muraille et une milice bien armée font de la cité un pion à considérer, et toute menace peut se négocier. L'affaire de Courtrai, la bataille des éperons va montrer à la chevalerie franque que ses engagements ne sont pas sans danger. D'autre part, les villes sont souvent solidaires entre elles. Ainsi, s'attaquer à l'une d'entre elles peut entraîner une réaction qui va bien vite dépasser les moyens de l'assaillant. Enfin, lorsque le danger est grand, les bourgeois de la cité peuvent juger que tout pouvoir royal ou ducal en vaut un autre et le conseil est prompt à changer de camp.
Ces facteurs vont se modifier dès le milieu du XIV0. Les grands affrontements laissent, après coup, bon nombre de soldats sans solde sur le terrain. Un chef de guerre peut alors engager ses reîtres contre une ville mais il doit les payer et ces gens qui entendent vivre de la guerre, et pas nécessairement en mourir, ne s'engagent que dans des opérations de bons rapports et de moindres risques. Ainsi sont-ils enclins à toucher la première solde pour mettre le siège et lancer quelques assauts sans conviction avant d'accepter le tribut offert par la cité pour lever le camp.
C'est au XV0 que la situation deviendra tragique. En certaines régions, la misère régnante est si grande que ces troupes en armes combattent pour survivre avec la rage du désespoir et la faim au ventre, tels des loups.
Le programme
Les grandes invasions que connaît l'Occident, au Bas-Empire, frappent une population totalement désarmée et démotivée en partie par l'esprit chrétien, (les pacifistes de l'époque), et l'on voit alors les réduits s'improviser dans les villes détruites. Le Moyen-Age, par contre, admet l'insécurité relative et programme sa vie en conséquence. Mais toutes les agglomérations n'ont pas les mêmes capacités défensives et les petites sont défavorisées face aux grandes, voyons les rapports.
Une bourgade de 1.600 habitants peut raisonnablement s'enfermer derrière une enceinte de 4 ha (200m x 200m). La densité d'occupation sera forte, 400 personnes à l'hectare, mais acceptable. Par contre, les 800m de courtines vont représenter 8.000 m3 de maçonnerie, soit 5 m3 par habitant et c'est beaucoup. Enfin, les 1.600 habitants ne peuvent envoyer que 400 hommes valides sur les remparts ce qui fait pratiquement 2m de courtine par combattant; c'est peu pour une bonne défense.
Le programme se présente de bien meilleure manière si nous prenons l'exemple d'une ville de 40.000 habitants. Derrière un espace fortifié d'une centaine d'hectares, elle conserve une densité urbaine acceptable (400 habitants à l'hectare) et le périmètre de courtine long de 4.000m représente 40.000 m3 de matériaux, ce qui porte le volume requis à 1 m3 par habitant, soit 5 fois moins que pour la petite bourgade. Enfin, les 40.000 villageois peuvent envoyer sur le rempart 10.000 hommes valides, ce qui représente 0,m40 par combattant. Il est donc possible de défendre sérieusement la muraille tout en réservant des troupes d'intervention qui peuvent contre -attaquer et rétablir une situation compromise.
A ce rapport, que nous appellerions aujourd'hui qualité prix, les grandes cités sont donc beaucoup plus favorisées que les petites bourgades. Ajoutons enfin que seules les grandes villes formeront des milices suffisamment nombreuses et puissantes pour risquer l'affrontement avec l'adversaire hors les murs. Ce fut le cas à Courtrai.
L'importance du mur
Le mur est plus un symbole qu'un obstacle et l'ouvrage de petite taille est déjà très dissuasif. Considérons le d'une épaisseur de 3 pieds et d'une hauteur de 12 pieds (lm x 3,60m) le volume de maçonnerie est alors de 4 m3 au mètre linéaire. C'est un obstacle suffisant pour le symbole et satisfaisant pour la défense. Le légionnaire romain se sentait en sécurité derrière une légère palissade mobile établie au sommet d'un talus de 3m de dénivelé. Certes il était possible de culbuter cette défense avec une charge impétueuse menée par 500 hommes mais s'il est toujours possible de trouver les quelques centaines de fort à bras pour mener l'action, il est bien difficile d'obtenir les 30 à 40 combattants qui formeront la première ligne, ceux qui seront nécessairement percés par les javelots des défenseurs. Même considération pour la petite muraille. Sa présence dissuade le maraudeur et, bien défendue par des hommes armés de haches et de pics, elle ne laisse aucune chance à la première ligne d'attaque.
Mais si les défenseurs savent s'organiser, les assaillants également. Avec une charrette garnie de planches et un empilage de fagots mis en escalier, il est possible de former une petite rampe d'accès qui monte à 3m-3,50m environ et met ainsi l'assaillant à la hauteur du défenseur. Ce procédé peut être développé. Avec une rampe en bois bien construite, de 8m de long sur 2m de large, montée sur la charrette, on obtient un moyen plus satisfaisant. La troupe d'attaque peut former la chenille sur trois rangs en se protégeant de boucliers: l'action devient "jouable". C'est l'évolution de cette rampe montée sur une charrette qui donnera l'engin d'assaut plus élaboré communément appelé tour roulante.
Les attaquants qui dressent une échelle contre le mur offrant aux défenseurs l'occasion de les renverser dans le fossé à l'aide d'une gaffe, est une imagerie du XIX°. Il est si facile de dresser, puis de maintenir l'échelle en place avec deux perches liées au sommet.
Si l'assaillant est en grand nombre et le siège mené selon les règles, l'attaquant aura tout loisir de fabriquer ses engins d'assaut mais perdra ainsi l'effet de surprise, par contre, une petite troupe peut envisager un coup de main profitable. Ces hommes vont s'approcher de la cité sans mauvaise intention avouée, exploiter des matériaux récupérés sur place pour confectionner en secret l'engin d'assaut qui sera caché le jour et mis en œuvre la nuit. C'est pour parer à cette menace que la ville tent à dégager le maximum d'espace libre au-delà du rempart. Elle condamne ainsi toutes installations hors les murs, sauf celles des faubourgs installées sur des voies d'accès qui participent à la vie économique de la cité.
Ces moyens d'assaut faciles à trouver et à mettre en œuvre, vont inciter les agglomérations à développer leur muraille. L'épaisseur nominale passe de 3 à 5/6 pieds et la hauteur à 20/24 pieds. Il est maintenant possible d'aménager une courtine dallée indépendante du parapet et la hauteur à franchir par l'assaillant est de 8 à 9m, tandis que le volume de maçonnerie impliqué passe à 10/12 m3 au mètre linéaire. D'autre part, comme l'espace hors les murs est maintenant totalement dégagé, il est possible d'envisager l'aménagement d'un fossé qui va gêner la mise en œuvre des engins d'assaut. Mais la muraille de facture ordinaire supporte mal cette entaille à sa base.
La nature du mur
La muraille représente une forte charge à l'unité de surface. Dans les terrains alluvionnaires, ou mal stabilisés après urbanisation sommaire, il lui faut donc une assise sérieuse. La construction la plus commune se conçoit ainsi. D'abord une large fondation située en-dessous du sol et faite de tout venant compacté lié de mortier léger, ensuite une assise en bon appareil, là où le ruissellement et la stagnation des eaux, joints à l'action de la végétation, risqueraient de dégrader le mortier de chaux. Enfin le mur lui-même, fait d'un volume de blocage avec double parement en moyen appareil. Le grand appareil se retrouve au niveau de la courtine et du parapet. Face à cet ouvrage, un fossé met à nu les fondations de médiocre facture et comme d'autre part les terres se sont accumulées intra-muros, tout concourt à déstabiliser l'ensemble; c'est la raison de l'escarpe.
Elle est constituée d'un mur oblique en bon appareil qui reprend l'ouvrage au niveau des lits d'assise, protège les fondations et va prendre appui sur une nouvelle base maçonnée. Le mur se trouve ainsi porté par un tronc de pyramide et sa stabilité devient très satisfaisante sauf, bien sur, si le remblai externe s'accroît dangereusement, ce qui était fréquent au cours des siècles. A Provins, l'ouverture du fossé a justifié la construction d'une première escarpe mais, en certains lieux, l'accumulation des remblais internes en a imposé une seconde plus importante que l'on voit notamment à côté de la porte Saint-Jean.
Avec les fossés et les escarpes, les murs ordinaires atteignent un niveau défensif de 10 à 12m. C'est la valeur moyenne qui sera retenue dans la plupart des programmes. Il faut maintenant que l'assaillant développe des moyens d'assaut qui seront mis en œuvre dans le cadre d'une attaque en règle.
Les moyens d'assaut
Trois cents à cinq cents hommes seraient suffisants pour livrer une action efficace, mais les bandes rassemblées sont rarement composées d'hommes capables, disciplinés et suffisamment persévérants pour monter l'opération en petit nombre. Ce sont les troupes nombreuses (plusieurs milliers d'hommes) qui tentent l'assaut des murailles. Mais ces gens, mercenaires ou soldats de métier entendent, comme nous l'avons dit, réduire les risques encourus et les actions seront menées avec de gros moyens.
Si la muraille est précédée d'un fossé, la première tâche est de le combler, même partiellement, afin de permettre l'approche de la rampe d'assaut ou tour roulante. Rares sont les grands fossés. 3 ou 4 mètres de profondeur et 12 à 18 mètres de large, constituent des valeurs moyennes. Ainsi, en considérant un remblai de roulement de 8 à 10 mètres de large, nous pouvons estimer l'ouvrage à 400 ou 500 m3. D'autre part, comme un terrassier ordinaire peut déplacer, par jour, 1 m3 sur une distance de 50 à 100 m, ce remblai ne représente qu'une journée de travail pour une petite fraction de la troupe à condition, bien entendu, que les outils aient été préalablement rassemblés. Les soldats les plus expérimentés rechignent généralement à cet ouvrage vulgaire qui sera parfois confié à des terrassiers indépendants de la troupe. Mais il faut pouvoir travailler sans être percé par les flèches adverses et pour cela construire au préalable un chemin d'approche couvert.
L'ouvrage le plus simple est constitué de deux protections latérales faites d'objets divers qui vont de la vieille charrette renversée aux piles de fagots en passant par les portes arrachées au voisinage. Cette allée sera ensuite couverte de troncs d'arbres et de planches tandis que le front de travail est protégé par une palissade plus sérieuse soutenue par deux troncs formant contrepoids. Cette protection sera roulée vers l'avant sur des billes de bois au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Quant au remblai, c'est tout ce qui tombe sous la main des terrassiers et parfois la terre d'un trou creusé à proximité à laquelle s'ajoute celle des tranchées perpendiculaires qui mènent au chemin couvert. Parfois c'est aussi le talus de déblai que les hommes chargés de creuser le fossé ont tout simplement jeté en avant de l'ouvrage.
Le défenseur tente naturellement d'incendier ces protections de bois avec des flèches enflammées mais l'assaillant arrose ce qui doit l'être et la parade est rarement efficace.
Les engins d'assaut
Pendant que les terrassiers comblent le fossé, les charpentiers construisent l'engin d'assaut. La rampe installée sur une ou deux charrettes est peu coûteuse, facile à réaliser, mais ceux qui vont la pousser contre le rempart s'exposent aux flèches et aux traits. Dans un premier temps, chacun se protégera de son bouclier mais pousser la rampe de cette manière n'est pas aisé. Alors l'idée vient d'assurer la sécurité des hommes avec une palissade fixée sur l'engin. Restaient les flèches arrivant sur les flancs. Les côtés seront également garnis d'une palissade de protection. Nous avons l'amorce d'une tour roulante.
L'engin achevé sera constitué d'une charpente, protégé d'un bardage sur trois côtés et monté sur roues, parfois des essieux de charrette récupérés. Il est suffisamment léger pour être avancé sans problème par les assaillants et parfois la progression se fait à l'aide d'un cabestan entraînant un essieu moteur. Cette tour traîne sa rampe d'accès et porte à son sommet un tablier rabattable qui permettra à la vague d'assaut d'atteindre la courtine. Mais le débouché est difficile et même impossible si la courtine est protégée de hourds. Imaginons le brave assaillant qui exploite une semaine de travail pour se retrouver en équilibre sur une étroite toiture à 8 ou 10 m au dessus du sol. Ainsi, avant l'assaut il faut écrêter la muraille: c'est le travail des perrières et des mangonneaux.
Les perrières et mangonneaux
Dans ses dessins illustrant les guerres de l'époque médiévale, Viollet le Duc représente parfois de très gros mangonneaux hauts de 12m environ et projetant des pierres de 250 à 300 kg. L'engin est mis en action par un contrepoids formé d'un coffre à sable de 12 à 14 m3, ce qui représente une charge d'environ 25 tonnes. Dans son esprit l'engin était destiné à abattre la muraille elle-même. Ce n'est pas impossible mais peu probable. Dans un autre dessin il montre un mangonneau à balancelle, de taille beaucoup plus modeste. Le contrepoids d'un volume inférieur à 2 m3 et d'une charge de 4 tonnes permet de lancer des pierres de 40/50 kg à une centaine de mètres. C'est inefficace contre le mur lui-même mais suffisant pour l'écréter et le rendre intenable sur une portion de 5 à 8 m. C'est là que le tablier de la tour roulante sera abattu. Les assaillants peuvent alors descendre à l'intérieur de l'enceinte en sautant sur un tas de fagots garni de paille ou bien en se laissant aller sur une glissière formée de peaux tendues sur deux perches maintenues à écartement. Ces moyens de descente sont facilement amenés par la rampe d'accès.
La sape
Ces différentes opérations énumérées sont longues et se révèlent coûteuses en hommes, ce qui logiquement indiffère le chef de guerre mais ruine le moral de la troupe qui peut alors se faire soudoyer par les gens de la ville ou tout simplement se débander. La sape apparaît alors comme une méthode aussi longue mais moins risquée pour les hommes. Il s'agit d'approcher la base du mur à l'aide d'une allée couverte réalisée cette fois en terrassement et de tailler une large sape sous la muraille. La partie minée est étayée de bois pendant les travaux et ses supports seront ensuite détruits par lé feu. Si l'ouvrage est convenablement réalisé, un pan de la muraille doit s'écrouler. Cependant les murs établis sur escarpe possèdent une très large assise et résistent bien à la sape. C'est également un moyen inadéquat si le fossé est partiellement rempli d'eau.
Les ouvrages multiples
Malgré les difficultés rencontrées, un assaut méthodiquement préparé avec la mise en œuvre d'engins appropriés doit aboutir et les chances de la cité diminuent encore si la défense reste passive, sans aucune contre -attaque. Mais la muraille unique rend difficile la défense dynamique. Restent alors les actions de diversion sur le camp adverse à la faveur d'un relâchement.
Ainsi le développement des moyens de défense s'orientera sur deux axes. Pour les uns il faut renforcer constamment l'ouvrage principal, c'est le parti généralement choisi par les villes où les milices bourgeoises rechignent aux contre-attaques, par contre, dans une citadelle où le responsable est un chef de guerre et les défenseurs des soldats de métier, le choix se portera plutôt sur des défenses multiples, en profondeur, qui usent l'assaillant et permettent des contre-attaques ponctuelles.
Selon ce choix, la défense principale est précédée d'une lice, un terre-plein, qui la rend peu sensible à la sape et le fossé est reporté en avant du mur auxiliaire établi à 15/20 m au-delà. Ainsi l'assaillant doit d'abord faire porter son effort sur la première défense et s'il réussit à s'emparer d'une portion du mur, il reste sous le tir venant de la muraille principale. La contre—attaque doit alors se développer rapidement avant que les assaillants n'aient le temps de se protéger. Dans une citadelle comme Carcassonne, la lice permet également aux défenseurs de balayer d'une charge de cavalerie les assaillants qui tentent de se maintenir entre les deux enceintes.
Ainsi, au jeu de la guerre, il y a toujours un moyen d'action à mettre en œuvre mais également une parade à imaginer par la défense et si les chroniques citent le plus brave dans l'action, la victoire revient généralement au parti qui s'est le mieux préparé. Dans les guerres de siège, l'ingénieur est roi mais jamais en pleine gloire.