Cliquer sur une image ci-dessous pour l'agrandir. Pour fermer l'agrandissement, cliquer hors de l'image.
Les bourgs fermés
Cette économie libérale dans une agglomération ouverte ne peut subsister que dans un contexte politique stable et sous un régime plus conscient de ses devoirs que susceptible quant aux pouvoirs conférés par sa charge. Le Moyen-Age, issu d'une brillante économie rurale, se révélera incapable de concevoir un cadre à la mesure du phénomène. Les querelles de féodaux, ainsi que l'antagonisme des trois Etats, vont rapidement ruiner l'œuvre réalisée. Cinq siècles plus tard, la Révolution Française va condamner en bloc l'Ancien Régime et le Moyen-Age qui lui avaient donné ses caractères. Mais, la démarche était plus idéologique que rationnelle. Il faudra attendre la fin du XIX° et même le XX0 pour s'apercevoir que le Moyen-Age condamné, était celui des XIV° et XV0, celui de la période de crise dont les siècles avaient fixé les caractères. Ce sont les bourgades fermées d'un bas Moyen-Age sclérosé que les urbanistes du siècle des lumières vont livrer à la pioche des démolisseurs.
Au nom du Colbertisme et des valeurs républicaines, il est trop facile d'accuser la féodalité de tous les maux du Moyen—Age. Si les habitants des villes et des bourgs avaient eu conscience de leur communauté d'intérêts avec les agriculteurs, ils auraient sans peine mis les féodaux et le pouvoir royal lui-même à la raison. L'histoire de la société flamande est la pour le prouver. A la bataille de Courtrai (la bataille des éperons) les milices de ville ont eu raison de la plus puissante chevalerie d'Occident et c'est en parti le refus des Flamands de se plier au mauvais système français qui va entretenir la guerre de Cent Ans. C'est donc un état de sclérose économique qui a permis à quelques 100.000 porteurs d'épée de mettre à mal une nation de 25.000.000 d'habitants et l'état de ville fermée qui ne satisfait que les spéculateurs bourgeois a beaucoup fait pour le développement de la crise.
L'artisan installé dans le bourg participe aux charges imposées par l'agglomération et ses produits sont plus onéreux que ceux proposés par un concurrent installé en milieu rural où la pré-manufacturation est moins coûteuse. Les négociants du centre-ville peuvent donc exploiter cette différence afin de contraindre les artisans du bourg après avoir organisé une confédération de marchands qui va dominer l'agglomération. Ils peuvent également jouer sur les produits d'importation de caractère "stratégique" afin de peser sur le marché. Cette querelle du boutiquier contre l'artisan est de toutes les époques et seules les phases archaïques et classiques de l'économie peuvent valablement échapper à ce glissement néfaste.
Une fois pris le contrôle de la cité, cette aristocratie marchande peut facilement imaginer un périmètre centre-ville à sa convenance. Il accueillera également un petit nombre d'artisans pratiquant une manufacturation finale à l'aide de matières premières préparées en d'autres lieux. Dès lors la société des marchands vit de son négoce mais également de pratiques spéculatives sur les produits importés d'autres provinces et dont elle s'est assurée le monopole. Les caractères d'une ville fermée sont acquis, il suffit de construire la muraille.
Si la formation et la première articulation des bourgades correspond pratiquement au XI0, la transformation en cités fermées suit le premier traumatisme imposé par les conflits et se situe généralement au début du XIV°, mais, la décantation des activités économiques ayant abouti à la formation du noyau centre-ville est antérieure. Par contre, les grandes cités sous influence politique seront plus promptes à se fortifier, mais l'intérêt économique demeure prépondérant et le périmètre défendu est suffisamment vaste pour contenir la troisième zone artisanale; c'est le cas de Paris où le mur de Philippe-Auguste englobe une zone sud faiblement urbanisée ou de Cahors qui ferme l'ensemble du méandre, soit six à huit fois la surface préservée par la muraille du Bas-Empire.
Maintenant cerné de murailles, le bourg voit ses données urbaines radicalement modifiées. Si en version ouverte il est difficile de définir une densité d'occupation, nous pouvons cependant l'estimer à 150/200 personnes à l'hectare. Par contre, en condition fermée, cette densité passera de 3 à 400 personnes dans le meilleur des cas et de 4 à 500 si l'enceinte est étroite et la population accueillie mal contrôlée. Comme les habitations font rarement plus de trois niveaux, les espaces libres se réduisent telle une peau de chagrin. Seules les rues principales menant aux portes restent accessibles aux véhicules attelés. Les autres voies démunies de trottoirs font en moyenne 2m de large et le transport de marchandises se fait à dos de portefaix ou, au mieux, avec une charrette à bras attelée de deux hommes en harnais. Pour limiter l'effet des incendies, qui se propagent par les greniers, et mieux les combattre également, les demeures sont construites pignon sur rue, quant aux arrières cours, accessibles par de simples passages couverts, elles sont encombrées de bâtisses annexes où s'active le petit monde des commis.
Avallon
Clermont en Beauvaisie
Corbie
Bray-sur-Somme
Cette agglomération s'est développée dans un environnement essentiellement rural et s'est retrouvée, aux XII° et XIII°s., en état de bourgade fortifiée. Au temps du pastoral les éleveurs fixent leur hivernage sur les hauteurs dominant les points d'eau ou les rivières, comme le plateau situé à l'ouest de Bray sur Somme (A). Après la mise en culture, les populations vont se rassembler en un gros village centré pour bénéficier d'une infra structure collective (B). A l'heure de la Conquête des Gaules, Bray sur Somme se trouve sur le tracé d'un cheminement de plateau longeant la rivière (C,D) venant de Corbie.
Au temps de l'ordre Romain, une seconde voie nord/sud (E,F) va relier les grandes chaussées Amiens/Arras et Amiens/Vermand (Vermandovillers). Le transit économique va s'ajouter à la fonction agricole et promouvoir la petite agglomération au stade de bourgade. Cet état sera restauré dès l'An Mille, mais, au XII°s., les luttes qui vont opposer le royaume de France aux riches provinces des Flandres vont transformer la rivière en lieu d'affrontement et Philippe Auguste fixera, là, une position fortifiée (G) au nord de la rivière. L'ouvrage a tous les caractères d'un casernement destiné à 200 hommes et 20 cavaliers avec mission de défendre la route menant sur la rive sud. Ainsi entraînée dans la guerre le gros village va se fortifier (H,J,K,L) ce qui ne convient guère à sa composante agricole.
Cette petite agglomération fermée de murailles percées de trois portes représente un carré de 450 x 450m environ, soit une surface de 20ha. Ce qui était naguère satisfaisant pour une agglomération ouverte comptant 1.000 à 1.200 habitants, soit 50 à 60 personnes à l'hectare, se trouve dès lors avec 250 hommes valides pour défendre 1.200 m de courtines. Bray sur Somme était donc appelé à recevoir une garnison de plusieurs centaines de combattants pour atteindre la valeur optimum d'un défenseur par mètre linéaire.
Pour vivre dans sont nouvel état, Bray sur Somme devait s'ouvrir à d'autres activités, réduire sa composante agricole et faire rentrer des artisans et commerçants qui, regroupés avec les agriculteurs, devaient représenter 2.500 à 3.000 habitants, soit 8 à 900 hommes valides à porter sur les 1.200 m de courtines. Cela devenait à peine suffisant. C'est le problème de toutes les bourgades fortifiées mais cette faiblesse est relative. Les guerres du Moyen Age ont pris des formes multiples. Face à une armée de 1.000 à 2.000 hommes, les bourgades fortifiées ont intérêt à négocier mais leurs défenses deviennent essentielles contre les bandes de malandrins de 100 à 200 hommes qui fut le phénomène le plus funeste du bas Moyen Age.