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Les bourgades ouvertes
La naissance d'une bourgade
Commerçants et artisans sont naturellement liés à leur clientèle et, dans la société de la période historique, l'exploitation agricole représente 90% de l'activité. C'est donc elle qui constitue la clientèle de base, même si les métropoles et bourgades représentent une demande en produits plus élaborés. Toute activité économique naît de la demande rurale et c'est dans les campagnes que les artisans et commerçants vont d'abord construire leur échoppe, monter leurs tréteaux afin de travailler au mieux. Mais l'implantation disséminée, de mode celtique, ne leur est guère favorable. Trop diffuse, la clientèle manifeste des besoins incertains et manque généralement de moyen de paiement ou de produits d'échanges susceptibles d'être stockés ou transportés vers d'autres marchés. Le paysan de mode celtique est un mauvais client, du moins dans les phases archaïques où le système économique se met en place. Ainsi, artisans et commerçants vont se rassembler en un lieu jugé favorable et ce sera à la clientèle rurale de venir à eux. C'est une option qui va favoriser le développement économique.
Rassemblés, les boutiquiers et gens de métier peuvent définir grâce à l'analyse des marchés la nature et le volume de la demande et mieux la satisfaire. D'autre part, les manufacturations d'importance requièrent plusieurs disciplines: la confection d'un chariot et de ses moyens d'attelage implique le concours du charron, du forgeron, du bourrelier, du cordier et chacune de ces professions obtient de meilleurs produits si elle dispose de fournitures pré-manufacturées: bois bien sec, peaux convenablement tannées, chanvre peigné. Quant au maréchal-ferrand, 90% du fer qu'il utilise est de récupération il lui faut donc programmer son ouvrage. La formule du bourg est excellente pour tous, reste à trouver le lieu favorable.
Le négoce et l'artisanat doivent concilier la demande aval avec l'approvisionnement amont et les carrefours où se croisent cheminement sur berge et point de franchissement lui sont favorables. Sur les rivières de moyenne importance, les points de franchissement se sont fixés dès le néolithique en des lieux où les caractères géo— morphologiques, issus de la dernière période glacière offrent de bonnes conditions. C'est un processus que nous avons déjà analysé avec l'étude des moyens de franchissement. Le problème est simple. Si une rivière exige pour son débit moyen et selon sa vitesse d'écoulement une section de passage de 20m2, mieux vaut la franchir sur 100m avec 20cm d'eau que sur 10m avec 2m de profondeur. Les meilleures conditions se rencontraient alors dans les méandres où les tourbillons des grandes crues avaient décanté un important lit de sable et de graviers. C'est un gué naturel. La bourgade de méandres est donc parmi les plus typiques. Ensuite les fixations d'alluvions, engendrées par la digue vont considérablement modifier l'aspect du site.
Les premiers occupants seront les pasteurs qui utilisent le haut fond pour eux-mêmes et leur troupeau. Ensuite, l'exploitation agricole se combinera à l'élevage mais la mise en culture des plateaux se fera à partir du site primitif, établi à l'intérieur du méandre, et les fermes céréalières s'orienteront en perpendiculaire au cours. L'élevage, lui, se répartira dans la vallée. Ce sont donc les agriculteurs qui ont fixé les caractères du site que les artisans et commerçants vont ensuite investir économiquement.
Les premières transactions porteront sur le bétail. Le marché se tient dans un pré situé sur les basses terres à proximité du carrefour. La ville de Rome a débuté ainsi, nous le savons grâce aux textes mais ce fut également le cas de bien d'autres agglomérations dont les destinées n'ont pas figuré dans l'histoire. A chaque marché aux bestiaux, les commerçants itinérants, colporteurs et gens de foire, s'installent à proximité de l'enclos à bétail, sur le carrefour. C'est là que vont se fixer à demeure les premiers artisans assurés d'une clientèle locale. D'autres vont venir pour répondre à une demande qui ira croissant. Le phénomène est amorcé. Si la conjoncture économique est favorable, une bourgade va se développer à cet endroit.
Les exploitants qui ont privilégié la culture céréalière sont installés en retrait du méandre en isolant une position rendue artificiellement défendable avec levée de terre et fossés. Mais ce refuge est vite bousculé en période faste où les défenses sont des obstacles; les ouvrages sont partiellement ou totalement arasés. Les agriculteurs modifient également leur comportement. Bon nombre d'entre eux trouvent intérêt à se rapprocher du carrefour, du lieu de négoce et l'artère majeure, la voie de franchissement, se peuple et se garnit de constructions sur parcellaire large. La première agglomération sera mixte. Mais le volume économique représenté par le commerce et l'artisanat est plus important et, du lieu de leur première implantation, le carrefour, les nouveaux venus vont gêner puis refouler les agriculteurs. Le village mixte se transforme en bourgade.
La bourgade ouverte
La fonction du bourg est essentiellement économique, et c'est en condition de crise qu'il tentera de pallier à la chute de ses revenus par une emprise politique et religieuse sur la société rurale environnante. Le chapitre prend en charge une part des fonctions épiscopales que l'évêché trop éloigné ne peut assurer, l'enseignement notamment, quant aux bourgeois, ils vont se réserver les monopoles de faits, s'enrichir et acquérir des revenus fonciers. Dès lors, le bourg ne vit plus de ses activités mais d'un négoce spéculatif et de la capitalisation. C'est l'amorce d'un déséquilibre et ce glissement est généralement accentué par la mise en défense qui implique de nouvelles contraintes économiques. Ainsi la société médiévale va s'enfoncer dans une crise profonde et durable. Le bourg doit donc s'organiser en conséquence.
Une chaîne de manufacturation est rationnelle lorsqu'elle est homogène, continue et privée de transactions intermédiaires. Au Moyen Age comme à l'époque moderne, la multiplication des niveaux de transactions et des charges impliquées, constituent le premier facteur de sclérose économique. Lorsque le boutiquier, et la société bourgeoise qui le protègent et l'exploitent à la fois, gagne plus que l'artisan qui produit l'objet, c'est le signe d'un avenir très sombre et les gens de métier qui jugent la marge des étiquettes connaissent bien le risque. Aussi vont-ils s'articuler au mieux pour contrôler la filière qui mène de la matière brute à l'objet fini, livré dans les mains de l'acheteur. Pour une meilleure sauvegarde, tout doit se traiter dans un même lieu, chacun des maillons de la chaîne devant la servir avant d'en tirer profit.
Comme l'espace urbain des grandes cités que nous avons déjà analysé, le bourg peut être soumis à la règle des trois espaces. Celui du négoce, extrêmement réduit, ou la transaction peut se faire sous un porche de maison donnant sur la place les jours de marché, soit 10m2 environ. Mais l'objet vient de la zone de manufacturation qui demande beaucoup plus d'espace. L'échoppe en est le cœur mais l'habitat de l'artisan et de ses commis et apprentis, les dépendances, peuvent occuper tout un parcellaire de 7 à 8m de façade sur 30 à 40m de long, soit plus de 300m2, avec les voies correspondantes. Mais tous les produits façonnés dans l'échoppe ont connu une pré-manufacturation. Le tanneur doit utiliser de l'eau courante pour laver ses peaux après tannage. Le rasage et le séchage se font sur des claies disposées dans des hangars. L'espace requis pour ces travaux, joint au logement du personnel, peut occuper 2 à 3.000m2. Certes le tanneur fournit plusieurs artisans mais ces zones qui sont naturellement périphériques, reçoivent également les voituriers, les animaux de trait, la paille, le fourrage. Là également sont stockés le bois de chauffage et de charpente et tous autres produits de grande consommation. Cette décantation des espaces se fait de manière concentrique dans une ville de 10.000 habitants mais par juxtaposition dans une bourgade de 2.000 âmes.
Chacune de ces activités va s'installer au mieux de ses intérêts, les commerçants de bouche et les tavernes à proximité de la place située au carrefour, la partie la plus passante. C'est là également que s'installent les marchands de passage. Les artisans de produits finis qui assurent aussi la vente directe d'une part de leur production choisiront d'avoir pignon sur rue dans la voie principale. Les tanneurs, les rouisseurs ainsi que ceux qui préparent la laine fixent leur installation en bordure de rivière pour bénéficier de l'eau courante. Grande boucherie et poissonnerie qu'il faut laver à grande eau après chaque matinée de marché, se situeront également à proximité de la rivière. Enfin, le marché aux bestiaux qui se trouvait primitivement près de la place, sera éloigné du centre ville et comme il se double maintenant d'un marché aux chevaux, il trouve place aux abords de la voie de plateau. Là s'installent également les voituriers. Les négociants de gros produits et de matériaux de construction s'installeront à la périphérie aval ou amont en un lieu facilement accessible par chariot et éventuellement par bateau.
Le bourg ouvert conserve un petit nombre d'agriculteurs qui le fournissent en laitage, volailles et légumes frais, produits venant d'exploitations situées le long de la voie sur berge. Le cadre primitif est préservé. Les voies principales et l'articulation d'ensemble demeurent.