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Implantation franque
Les petites exploitations rurales disséminées constituent un stade obligé dans le développement agricole mais la société septentrionale et franque, en particulier, a toujours franchi le pas afin d'obtenir une meilleure articulation. Cette évolution recherchée doit aboutir à la formation de gros villages centrés sur un terroir remembré où les cultures vertes et sèches sont optimisées. C'est le fruit d'un ordre social adéquat et la conséquence d'une volonté délibérée. Certes ces gens ne sont pas les seuls à s'organiser de cette manière mais ils semblent les seuls à s'imposer les disciplines requises pour y parvenir ainsi qu'à fixer les règles destinées à préserver les acquis. Cependant, il arrive parfois que ces institutions portent la société franque au-delà du point d'équilibre et créent les conditions d'un conflit qui va ruiner le système. Dès lors, le phénomène peut entraîner dans sa chute les sociétés environnantes, ce sera le trait marquant de la fin du Moyen Age.
La préservation du patrimoine acquis, passe nécessairement par une règle de succession. La propriété des terres comme la responsabilité des décisions qui engagent l'avenir doivent revenir à un seul: l'aîné de la famille. Sur dix générations les rois de France se comporteront comme les maîtres de ferme; c'est l'origine de l'Etat Franc.
Après la condition archaïque, le premier objectif est l'exploitation de seconde génération. Tous doivent se soumettre afin de préserver l'unité des quinze à vingt hectares nécessaires au bon emploi de la paire de bœufs et de l'outillage et assurer, grâce aux labours, une production céréalière satisfaisante. Cette discipline porte sur la famille mais peut également assujettir des voisins négligents ou malchanceux. Toute nouvelle unité d'exploitation doit comporter les surfaces de terres, l'outillage ainsi que le cheptel requis et l'opération ne se fait jamais par démembrement mais grâce à de nouvelles mises en culture et par le jeu des alliances familiales.
Cette exploitation trouve généralement ses terres dans l'environnement immédiat. Elle paraît semblable au hameau celtique mais le foyer est unique et les bâtiments sont rationalisés: étables pour les bovidés, hangars pour les céréales et les terres sont remembrées. Pâturages et vergers se retrouvent au revers de retable tandis que les terres labourées sont choisies parmi les plus propices aux céréales avec des champs d'importance suffisante, minimum un journal (50 ares). C'est dans la gestion de cette exploitation que les limites du système apparaissent. La ferme qui se trouve dans la vallée aura de bons pâturages et de l'eau pour ses bêtes en toute saison, mais elle risque de mauvaises récoltes céréalières. Par contre, celle qui se trouve installée à 2km de là, sur le plateau, verra ses blés mûrir à point, en août, mais ses vaches manqueront d'eau et ses pâturages seront jaunis.
Les exploitants comprennent qu'ils ont intérêt à se rassembler en un lieu médian et à partager équitablement le terroir entre tous: 50% de terre verte et 50% de terre à céréales pour chacun mais les distances à parcourir de la ferme aux champs deviennent longues. Il faut les empierrer pour une bonne utilisation des chariots. Dès lors, les bœufs sont handicapés et le cheval s'impose avec le pied garni d'hipposandale ou ferré. Dans ces conditions, la charrette celtique, avec essieux tournant, ne saurait convenir, il faut adopter le chariot à quatre roues. La surface optimum pour cultiver passe alors de 15 à 25—30 hectares et, comme la production céréalière s'accroît considérablement, l'agglomération a les moyens de faire vivre une population plus importante et le nombre d'individus attachés à chaque exploitation dépasse le cadre familial, même pris au sens large. Il y a désormais une hiérarchie sociale des maîtres de ferme et des commis.
Ce village qui connaît son développement optimum avec 600 ou 800 personnes sur 1.000 à 1.200 hectares peut fixer un artisanat répondant essentiellement aux besoins de la clientèle rurale nous le dirons "intégré". Le boulanger tient son four chaud, en permanence, et propose du pain frais chaque jour. Le boucher peut écouler une bête dans la journée sans risque de perte, quant au charron, menuisier et maréchal-ferrant, ils fabriquent le matériel d'exploitation et l'entretiennent pour qu'il soit au mieux de ses capacités. Enfin, le réseau de chemins menant de la ferme aux champs se joint à ceux des villages voisins jusqu'à former des itinéraires de caractère public et bien entretenus. Ces réseaux vont ensuite s'articuler vers un lieu de grand marché qui fera également office de métropole politique. Enfin, la société ainsi formée engendre chaque année un certain nombre de cadets sans avoir, en âge de partir chercher fortune sous d'autres cieux. Dès saturation des terres, l'implantation franque engendre naturellement un phénomène expansif qui prend souvent des allures de conquête militaire.
Sur la haute vallée de la Meuse, au nord de Langres, le long de l'ancienne Chaussée d'Agrippa, les caractères francs sont bien marqués. Les agglomérations de la vallée ont gardé le nom du maître de la ferme autour de laquelle s'est fait le regroupement : Levecourt, la ferme de Levêque; Audeloncourt, la ferme d'Odilon. La conquête des plateaux s'est développée ultérieurement et les agglomérations ont parfois gardé le nom du lieu exploité; Longchamp, Clinchamp.
Les villages fossiles de Picardie
Voies économiques, voies stratégiques
Sur l'encadré (A) nous avons représenté, en réduit, le plan précédent « partage des terroirs » mais il est ici inscrit dans un cadre plus vaste. Le même phénomène d'installation et d'organisation s'est reproduit sur l'ensemble des suites du cours d'eau (B) ainsi que sur la rivière majeure où il se jette (C). la voie sur berge que nous avons vu amorcée s'est développé sur l'ensemble du cours des fleuves; c'est la voie économique par excellence, elle sera doublée de nombreux chemins parallèles établis sur la rive opposée. Les liaisons ainsi établies ont permis aux deux vallées de réaliser une unité économique qui va primitivement déboucher sur un lieu d'échange et de marché situé au confluent. Ces rassemblements hebdomadaires ou mensuels vont rapidement engendrer une somme de transactions qui sera prise en mains par des commerçants et artisans installés à demeure; ce sera la petite bourgade (Dl). Parallèlement, ces richesses vont justifier la convoitise de quelques aventuriers en arme qui vont s'installer sur un vieil oppidum déserté (D2) afin, diront-ils de protéger les biens des artisans et, commerçants.
Ce développement naturel aboutit à la formation d'une unité économique distincte et indépendante. Ce fut sans doute cette situation qui régnait en Gaule avant la Conquête romaine et la volonté impériale sera de désenclaver ces provinces avec une voie stratégique (E). Le besoin d'un commandement militaire qui va se révéler durant la Conquête des Gaules sera le chant du cygne de la petite féodalité en place. Le nouvel élan engendré par les grandes voies de communication et l'apport d'une monnaie unique et forte vont donner la haute main politique au Sénat des grandes agglomérations. Les petits oppidum, comme D2 seront sans doute réactivés au bas Moyen Age.
Le partage des terres
Chez les agriculteurs francs, la règle de succession accorde la propriété familiale au fils aîné afin d'éviter le démembrement. Ainsi les cadets doivent se plier à la discipline du grand frère, s'installer sur un autre parcellaire ou bien aller chercher fortune ailleurs. Ces jeunes sont batailleurs et pour augmenter leurs chances ils vont se rassembler en groupes, parfois avec leurs chariots et leurs familles; ce sera l'occasion de créer un nouveau village souvent sur des terres déjà occupées par des fermiers pratiquant élevage et polyculture sur leurs parcelles. D'autre part, ces groupes de Francs en migration viendront souvent en des lieux où se trouve déjà un des leurs, mal à l'aise dans une organisation où il ne se reconnaît pas.
En (A) nous voyons une petite agglomération installée sur une île (Al) et, en (B), un ring entouré d'eau. Dans ces villages, les nouveaux arrivants vont occuper l'île (Al) et implanter leurs bâtiments d'exploitation sur la rive nord (A2). Les nouveaux venus ne dépossèdent pas les petits exploitants déjà sur place mais les assujettissent à leur organisation. Parallèlement ils vont débroussailler et labourer certains champs situés sur les méandres (A3) et (B2) et commencer à s'installer sur le plateau (A4). Pour leurs besoins, les deux villages ont chacun construit des chemins menant de la ferme aux champs qui finiront par se rejoindre en (C). Ainsi, de village en village, va se créer un cheminement sur berge qui sera collectif, selon la règle. Enfin, toutes les petites exploitations subsistantes seront tentées par les avantages d'une agglomération et les rejoindront, ainsi va se créer une ligne de partage des terrains (H) formant deux terroirs. Au siècle suivant, tous les chemins de liaison de la vallée deviendront voie économique sur berge.
Les implantations rurales
Sur la carte supérieure nous voyons que les agriculteurs francs établis sur la Haute Meuse, au Nord de Langres, ont scrupuleusement respecté les principes. Le nombre d'exploitations, hors agglomération, (A) est très réduit et nous voyons, dans la vallée, à Brainville, (B), un village établi sur un petit ruisseau au niveau 330m comme présenté dans le modèle. Nous voyons également un gros village céréalier sur le plateau au niveau 450m, Clinchamp, (P) qui, avec Ozières, (D) se partage plus de 2.000 ha. Tous deux réunis peuvent nourrir, en condition optimum, une population de 1.200 à 1.400 âmes.
Chacune de ces localités dépasse le seuil des 400 personnes ce qui permet de faire vivre des commerçants de bouche, un boulanger, un charcutier et des artisans, forgeron et charron capables d'entretenir les équipements agricoles. Le matin, chacun aura son pain frais cuit dans un four d'usage permanent, d'où les économies d'énergie. Si la pauvreté n'est pas absente, les responsables de la collectivité ont prévu une certaine quantité de grain pour les plus démunis. Enfin, face au danger, ce village pourra rassembler 50 à 80 hommes valides, en arme, menés au combat par 12 à 20 cavaliers bien équipés qui sont les maîtres de ferme et, très souvent, le pire peut être évité. Chacun est conscient des avantages acquis et va se vouer à sa communauté.
L'implantation est bien différente chez les Celtiques. La plupart des petits exploitants installés sur leur terre (G) doivent vivre de leurs propres moyens, seuls les petits hameaux (H) créés par une discipline familiale peuvent prétendre au matériel nécessaire pour cultiver convenablement 5 à 7 ha sur les 15 à 20 possédés par la communauté. Les récoltes de céréale ainsi engrangées permettront d'éviter la famine.
Les trois villages (J,K,L) se trouvent à proximité d'une rivière et pratiquent majoritairement la polyculture. Ils ne se sont pas réservés de terroir spécifique pour la production céréalière. Il s'agit là de gros villages occupés par quelques commerçants et artisans mais, pour les fournitures élaborées, il faut aller au bourg à Bellême situé hors le plan. Parmi ces trois agglomérations, Igé, a connu une part de son développement aux XVIII° et XIX°s. avec la route régionale puis départementale qui la traverse. De son côté, Saint Fulgent, n'est desservi que par un réseau de chemins vicinaux.
Cette organisation agricole éclatée ne protège pas des mauvaises récoltes et des famines, d'autre part il faut faire face à des dangers venant de l'extérieur et la population, sans encadrement, sera sans défense. Prise séparément, chaque fermette, sera pillée, voire brûlée sans vergogne. Seuls quelques seigneurs locaux s'armeront à cheval, rassembleront leurs hommes à pied et feront face au danger, le plus souvent pour la défense de leurs bien et de leurs terres. Si les petites gens font appel à eux, ils contracteront une dette que le seigneur exploitera fort longtemps. Aujourd'hui ces gens ont abandonné leur ferme fortifiée pour se faire construite une grande demeure ouverte, un château datant très souvent du XVII°s.